Étude ProSanté 2010-2011 sur l’état de santé, l’accès aux soins et l’accès aux droits des personnes en situation de prostitution rencontrées dans des structures sociales et médicales

// ProSanté Study 2010-2011 - Health status, access to healthcare and to rights of prostitutes met in social and health facilities

Florence Lot1 (f.lot@invs.sante.fr), Elsa Hajman2, Eric Le Grand3, Lise Fender2, Christelle Cirbeau2, Frédéric Labich4, Lionel Lavin5, Christine Barbier5 et les structures sociales* et médicales** participantes

1 Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France
2 Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars), Paris, France
3 Consultant en promotion de la santé, Rennes, France
4 Association Antigone, Nancy, France
5 Direction générale de la santé, Paris, France


* ADEFO/Le Pas (Dijon), AIEM/Pôle urgence (Metz), ALC/Les Lucioles (Nice), Amicale du Nid (Marseille), Amicale du Nid (Montpellier), Amicale du Nid Rhône (Lyon), Amicale du Nid (Paris), L'Appart (Grenoble), ARIA/APUS (Lyon), ARS/Antigone (Nancy), Diaconat Protestant/Arcades (Valence), L'Embellie (Avignon).

** Ciddist de l’Hôpital Saint-Roch (Nice), Ciddist de l’Hôpital Saint-Louis (Paris), CPEF de l’Hôpital Villemin (Nancy), CPEF de Lyon, Cidag-Ciddist de Grenoble, Ciddist Espace Perréal (Béziers), l’APUS (Lyon), Ciddist de l’Hôpital Bon Secours (Metz), Ciddist de Dijon, les Cidag-Ciddist CG13 (Marseille), Ciddist de l’Hôpital Saint-Eloi (Montpellier), Ciddist Pontiffroy (Metz), Ciddist de l’Hôtel-Dieu (Lyon), Ciddist de l’Hôpital Henri Duffaut (Avignon).
Soumis le 01.08.2013 // Date of submission: 08.01.2013
Mots-clés : Prostitution | Précarité | État de santé | Accès aux soins | Enquête santé | France
Keywords: Prostitution | Precariousness | Health status | Access to care | Health survey | France

Résumé

La Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars) et l’Institut de veille sanitaire (InVS) ont conduit une étude en deux volets, dans une démarche de recherche-action, afin d’améliorer les connaissances sur l’état de santé, l’accès aux soins et aux droits des personnes en situation de prostitution. Au total, 251 personnes ont participé au volet santé-social de l’étude, réalisé au sein de structures sociales, et 78 personnes ont participé au volet médical, réalisé dans des Centres d’information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles (Ciddist) ou des Centres de planification ou d'éducation familiale (CPEF).

Les deux tiers des personnes enquêtées étaient des femmes et les trois-quarts (78%) étaient de nationalité étrangère. Elles cumulaient de nombreux indicateurs de précarité (environnement social, conditions de logement, titre de séjour, couverture maladie).

Plus de la moitié des répondants ont déclaré être dans un état de santé moyen, mauvais ou très mauvais, proportion bien supérieure à la population générale. Les femmes présentaient une vulnérabilité particulière sur le plan gynéco-obstétrical (faible prévention vis-à-vis du cancer du col de l’utérus, faible utilisation d’une contraception orale et fort recours aux interruptions volontaires de grossesse). Les personnes transgenres étaient largement touchées par le VIH, avec une prévalence déclarée de 44%.

La population de l’étude, fragile sur le plan de la santé psychique, était particulièrement exposée aux violences physiques et psychologiques.

Compte tenu des structures sollicitées, cette étude n’est pas représentative de l’ensemble de la population des personnes en situation de prostitution en France. Elle permet néanmoins de formuler des recommandations en termes de prévention et d’accès aux droits et aux soins.

Abstract

A two-part survey about the health of prostitutes was conducted jointly by the National Federation of Social Reintegration Associations (FNARS) and the French Institute for Public Health Surveillance (InVS). The aim of this research-action was to update knowledge on the health, and on access to medical care and to rights of prostitutes. A total of 251 people participated in the social part of the study, conducted in social facilities, and 78 people participated in the medical part, which took place in Information Centres for the screening and diagnosis of Sexually Transmitted Infections (Ciddist) or Family Planning or Education Centres (CPEF).

Two thirds of people surveyed were women and three quarters (78%) were foreigners. Respondents presented numerous precariousness factors (social isolation, housing conditions, residence permit, and social insurance).

More than half of people reported to be in a fair, poor or very poor health condition, this proportion was much higher than the one observed in the general population. Women were particularly vulnerable on a gynecology-obstetrical level (poor cervical cancer screening, low use of oral contraception, and high levels of abortion). Transgender persons were particularly affected by HIV, with a self-reported prevalence of 44%.

The study population was vulnerable in terms of mental health, and particularly exposed to physical or psychological violence.

This survey is not representative of the all prostitute population in France considering the structures involved in the study. It contributes however to issue recommendations to better adapt prevention efforts and facilitate access to rights and healthcare.

Introduction

En France, le nombre de personnes qui se prostituent est estimé entre 20 000 et 40 000, mais des chiffres beaucoup plus importants sont aussi avancés 1. L’activité de prostitution se caractérise par des profils et des modes d’exercice très hétérogènes : prostitution de rue versus celle qualifiée d’« indoor » (dans des bars, salons de massage, appartements…), prostitution exercée de façon indépendante (qui concerne davantage des femmes françaises) versus sous l’emprise d’un réseau (qui concerne surtout des personnes étrangères), prostitution régulière versus occasionnelle…

Les études sur la santé des personnes en situation de prostitution sont rares, et celles reposant sur des données observées remontent pour la plupart au milieu des années 1980 et à l’émergence du sida, alors que le profil de la prostitution a changé en termes de populations concernées (femmes originaires des pays d’Europe de l’Est, femmes chinoises…). La loi de sécurité intérieure de 2003 pénalisant le racolage passif a également eu un impact sur l’activité de prostitution et probablement sur la santé des personnes prostituées, car elle a entraîné leur déplacement des centres villes vers des lieux plus cachés, éloignés des structures associatives et médicales existantes, rendant plus complexe l’action des acteurs de prévention. C’est donc avec une approche de santé globale, combinant le social et le médical, qu’a été menée l’étude ProSanté en 2010-2011, dans une démarche de recherche-action. Les objectifs de l’étude étaient d’améliorer la connaissance sur l’état de santé, l’accès aux soins et aux droits des personnes en situation de prostitution, et de recueillir des données de santé observée au cours d’une consultation médicale pour les confronter aux données de santé déclarée.

Méthodologie

L’étude ProSanté a été conduite sur la base du volontariat auprès de femmes, d’hommes ou de transgenres, âgés de 18 ans ou plus, se déclarant en situation de prostitution, rencontrés dans des structures sociales et orientés dans un second temps vers des structures médicales.

L’étude comportait donc deux volets : un volet santé-social coordonné par la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars) et un volet médical coordonné par l’Institut de veille sanitaire (InVS).

Le volet santé-social de l’étude s’est déroulé dans des structures sociales principalement spécialisées dans l’accueil et l’accompagnement des personnes en situation de prostitution, qui ont été sollicitées par la Fnars. L’étude était proposée à toutes les personnes rencontrées, par un intervenant social de la structure (formé spécifiquement pour la réalisation de l’étude), et une plaquette d’information leur était remise (disponible en six langues). Après accord de la personne, les données étaient recueillies par entretiens en face-à-face, menés au sein ou à l’extérieur de ces structures, sur la base de deux questionnaires anonymes (long ou court) disponibles en quatre langues. La coexistence de ces deux questionnaires permettait d’adapter la faisabilité du recueil de données aux réalités de terrain. Le questionnaire long, qui devait être privilégié, était destiné à être utilisé au sein des structures, tandis que le questionnaire court était destiné à être utilisé dans la rue. Ces questionnaires portaient sur les caractéristiques sociodémographiques de la personne interrogée (âge, sexe, pays de naissance, scolarité, situation familiale, habitat, ressources, relations sociales) et sur les thèmes suivants : activité de prostitution, perception de la santé, état de santé (consommation de produits psychoactifs, santé psychique, violences, sexualité et contraception, dépistage), accès aux soins et accès aux droits (couverture maladie, suivi médical).

À l’issue de ces entretiens, les intervenants proposaient aux personnes interrogées de participer au volet médical de l’étude en les orientant vers une structure médicale de proximité, qui avait été au préalable identifiée et sensibilisée par l’InVS. Ces structures étaient soit des Centres d’information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles (Ciddist), soit des Centres de planification ou d’éducation familiale (CPEF). Les intervenants sociaux pouvaient être amenés à accompagner les personnes désireuses de bénéficier de cette consultation médicale. L’objectif de la consultation était (i) de faire le point sur leurs antécédents (médicaux, d’infections sexuellement transmissibles-IST-, gynéco-obstétricaux, de vaccinations, de dépistages), l’utilisation d’une contraception/préservatifs et la consommation de produits psychoactifs ; (ii) de réaliser un examen clinique complet (avec notamment recueil du poids, de la taille et de la tension artérielle) et des prélèvements de la sphère génito-urinaire à la recherche d’une IST ; et (iii) de proposer certains dépistages (VIH, hépatites B et C, syphilis). Toutes ces informations étaient recueillies sur la base d’un questionnaire anonyme, qui était ensuite complété avec les résultats biologiques. Le questionnaire précisait également la prise en charge immédiate (traitement d’une IST aiguë, vaccination contre l’hépatite B…) et la nécessité éventuelle d’une orientation médicale.

Les personnes ne souhaitant pas participer au volet médical de l’étude devaient être interrogées sur les raisons de ce refus. Si le refus était lié à la présence d’une infection virale chronique (VIH, hépatites…) déjà suivie, l’intervenant proposait à la personne d’aller consulter avec ses examens biologiques récents ou de faire compléter le questionnaire médical par son médecin habituel. Les personnes refusant de participer recevaient une carte de consultation avec les coordonnées de la structure médicale, précisant les conditions d’anonymat et de gratuité, afin de leur permettre de s’y rendre indépendamment de l’étude.

Le couplage des questionnaires des deux volets de l’étude a été réalisé grâce à un numéro d’étude individuel attribué à chaque personne ayant accepté de participer. La saisie des questionnaires a été effectuée par l’Observatoire régional de la santé et du social de Picardie (OR2S). L’analyse des données a été réalisée de façon conjointe par l’InVS et la Fnars, à l’aide du logiciel Stata®. La Commission nationale de l'informatique et des libertés a donné son accord pour le traitement automatisé des données.

L’article présente les principales données disponibles recueillies à partir des variables communes aux deux questionnaires du volet santé-social et à partir du volet médical. L’étude a par ailleurs fait l’objet d’un rapport complet et d’une synthèse, disponibles sur le Web 2.

Résultats

L’étude a été conduite entre juin 2010 et mars 2011, dans 12 structures sociales et 15 structures médicales ayant accepté de participer, dans une dizaine de villes en métropole et principalement dans deux, Nice et Paris.

Au total, 251 personnes ont participé au volet santé-social de l’étude (tableau 1). Les deux tiers des personnes enquêtées étaient des femmes (166 femmes, 62 transgenres et 23 hommes) et plus des trois-quarts (78%) étaient de nationalité étrangère. Les principaux profils observés étaient les suivants : des femmes françaises, africaines, d’Europe de l’Est ou chinoises, des transgenres sud-américains, et des hommes principalement français. La majorité des répondants (81%) avait moins de 45 ans, la tranche d’âge la plus représentée étant celle de 25 à 34 ans pour les hommes et les femmes, et celle de 35 à 44 ans pour les transgenres.

Tableau 1 : Principales caractéristiques des personnes en situation de prostitution incluses dans le volet santé-social de l'étude ProSanté 2010-2011, France
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Concernant le volet médical, 78 personnes y ont participé (66 femmes, 9 transgenres Male to Female et 3 hommes). Parmi celles-ci, 71 ont participé au volet santé-social de l’étude.

Les questionnaires de refus de participation à l’étude ont été très peu renseignés, ce qui n’a pas permis d’en faire une analyse spécifique.

Activité de prostitution

Pour 88% des personnes ayant participé au volet social de l’étude, la rue est le lieu principal de contact avec les clients.

La majorité des femmes françaises et d’Europe centrale/de l’Est ainsi que des transgenres se prostituent depuis plus de 5 ans, alors que la majorité des femmes d’Afrique subsaharienne et chinoises se prostituent depuis moins de 1 an. L’âge médian d’entrée dans la prostitution est également très variable selon la nationalité : moins de 25 ans pour les femmes d’Afrique subsaharienne et 38 ans pour les Chinoises.

Les deux tiers des répondants (62%) ne considèrent pas la prostitution comme un métier. Les femmes françaises et les transgenres se démarquent à ce sujet, la majorité d’entre eux déclarant qu’il s’agit pour eux d’un métier.

Les deux tiers des personnes interrogées (64%) ont subi, au moins une fois au cours des douze derniers mois, des injures et des violences psychologiques. Les violences physiques sont un peu moins fréquentes (chez 51% d’entre elles) et émanent de clients, de passants, d’autres prostituées, mais également de la police. Les rapports sexuels forcés au cours de la vie concernent plus du tiers des répondants.

Précarité sociale

Les personnes rencontrées par les structures sociales cumulent un certain nombre de facteurs de précarité, comme en témoignent leurs conditions de logement (39% vivent dans un logement précaire : hôtel, accueil collectif, famille/amis, rue, squat), leur situation administrative (28% ont un titre de séjour précaire [autorisation provisoire, en attente de régularisation, visa touristique] et 22% n’ont pas de titre de séjour), ou leur isolement relationnel (42% n’ont pas la possibilité de faire appel à un proche en cas de difficulté, notamment les femmes).

Comportements préventifs

La quasi-totalité des personnes (94%) déclarent utiliser de façon systématique le préservatif avec leurs clients, plus fréquemment les femmes que les transgenres et les hommes. Le volet médical de l’étude a permis de préciser que l’usage du préservatif était beaucoup moins systématique lors des rapports sexuels hors prostitution et que très peu de femmes avaient recours à une contraception orale ou à d’autres moyens de contraception.

La proportion de femmes ayant déjà eu recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG) est de 61%. Le volet médical montre que le nombre d’IVG est plus élevé chez les femmes n’utilisant pas systématiquement le préservatif hors prostitution.

Concernant le dépistage du cancer du col de l’utérus, un quart (24%) des femmes de 25 ans et plus n’ont jamais réalisé de frottis cervico-vaginal au cours de leur vie.

Protection maladie/accès aux soins

Une majorité de répondants (74%) a une couverture maladie (couverture maladie universelle -CMU, aide médicale d’État -AME ou sécurité sociale), mais plus de la moitié (55%) n’a pas de complémentaire santé. L’absence de couverture maladie concerne en particulier les femmes et les personnes arrivées récemment en France, mais un quart des personnes en France depuis plus de 3 mois n’ont pas de couverture maladie alors qu’elles sont théoriquement en situation de pouvoir en bénéficier compte tenu des dispositifs existants.

Parmi les raisons ayant conduit certaines personnes à renoncer à des soins au cours des 12 derniers mois, figurent en premier lieu les raisons financières (pour 23% d’entre elles), puis la barrière linguistique ou la méconnaissance d’un lieu de soins.

Consommation de produits psychoactifs

La moitié des répondants déclarent être fumeurs, cette proportion étant plus importante chez les hommes (65%) que chez les transgenres (51%) ou les femmes (46%). Les personnes d’Europe centrale et de l’Est fument quasiment toutes, alors que celles d’Afrique subsaharienne ou chinoises sont peu nombreuses à fumer.

La proportion de personnes déclarant consommer quotidiennement de l’alcool est de 7% (5% des femmes, 6% des transgenres et 22% des hommes).

Concernant la consommation de produits illicites sur les 12 derniers mois, 17% ont dit avoir consommé du cannabis et 11% de la cocaïne. D’autres produits ont été consommés par une très faible proportion de répondants.

La consommation d’alcool ou de cannabis n’est pas liée au temps passé dans la prostitution.

Santé déclarée et observée

La moitié des personnes interrogées dans le cadre du volet social (52%) déclarent être dans un état de santé moyen, mauvais ou très mauvais. Un tiers (35%) déclare une maladie chronique (28% des femmes et 70% des transgenres), parmi lesquelles notamment le VIH/sida, une maladie respiratoire, un diabète, des problèmes psychologiques, une hépatite virale. Au total, 27 des 62 transgenres (44%), 3 des 23 hommes (13%) et 2 des 166 femmes (1,2% - il s’agissait de 2 femmes usagères de drogues) ont déclaré être séropositifs pour le VIH.

La consommation de somnifères au cours des douze derniers mois a concerné 31% des répondants. Les sentiments d’anxiété, de « déprime » et les pensées suicidaires, de manière occasionnelle ou fréquente sur la même période, sont rapportés par respectivement 49%, 65% et 21% des personnes interrogées.

La consultation médicale a permis d’objectiver un surpoids chez 29% des femmes. L’examen clinique était normal chez la quasi-totalité des personnes examinées. Leur état de santé a été jugé par le médecin moyen, mauvais ou très mauvais pour 16% d’entre elles.

Bien qu’un quart des consultants ont déclaré avoir déjà eu une IST au cours de leur vie, très peu ont été diagnostiquées lors du bilan proposé : une infection à Chlamydia chez une femme (soit 1,6% des 63 femmes testées), un cas de syphilis latente précoce chez un transgenre et aucune infection à gonocoque. Le dépistage du VIH a permis de découvrir une séropositivité chez un transgenre et d’objectiver 5 autres séropositivités déjà connues des personnes concernées.

Le dépistage de l’antigène HBs, marqueur d’une hépatite B chronique, s’est avéré positif chez 3 consultants, soit 4,2% des 72 personnes testées. Enfin, le dosage des anticorps anti-VHB a montré que plus du tiers des consultants n’étaient pas immunisés.

La plupart des consultants (84%) sont revenus à une deuxième consultation pour connaître le résultat des dépistages réalisés. Selon les besoins, ils ont bénéficié d’un traitement pour une IST aiguë, d’une vaccination (contre le VHB ou DT polio) ou d’une orientation médicale (généraliste, gynécologue, hépatologue, infectiologue, centre de lutte antituberculeuse…), qui a été jugée nécessaire pour 50% des consultants.

Discussion

L’étude ProSanté a pu être réalisée dans plusieurs villes, malgré les difficultés à gagner la confiance des personnes qui se prostituent, en raison notamment de leurs craintes de contrôle social ou de stigmatisation. L’étude a permis, pour la première fois en France, de recueillir des données de santé globale au cours d’une consultation médicale. Cependant, compte tenu de l’absence de tirage au sort, des structures impliquées et du nombre de personnes enquêtées, elle n’est pas représentative de la population prostituée en France. Les inclusions ont été faites par des structures sociales ; ce mode de recrutement implique que les personnes ne fréquentant pas ce type de structures et celles ayant une activité de prostitution « indoor » ne sont quasiment pas représentées dans l’étude.

Concernant l’orientation médicale proposée, la proportion de personnes ayant consulté (28%, 71/251) s’est avérée conforme à ce qui était attendu au regard d’une autre étude : l’étude Abena, réalisée elle aussi en deux temps auprès de bénéficiaires de l’aide alimentaire en 2004-2005, et dans laquelle 27% des personnes ayant accepté de répondre à un questionnaire nutritionnel se sont ensuite rendues dans un centre d’examen de santé pour un examen nutritionnel. Un biais de participation a néanmoins été noté dans notre étude, puisque les personnes ayant déclaré souffrir d’un problème de santé chronique (et en particulier être infectées par le VIH) ont été moins nombreuses à se rendre en consultation. De ce fait, les résultats des dépistages du VIH et des autres IST, réalisés dans le cadre du volet médical, sont difficilement interprétables. La prévalence déclarée du VIH est néanmoins particulièrement élevée chez les personnes transgenres (44%), mais conforme aux données retrouvées dans d’autres études 3. La prévalence déclarée est beaucoup plus faible chez les femmes (1,2%), mais similaire à la séroprévalence retrouvée dans d’autres pays européens (entre 0 et 1,5% en Espagne, Pays-Bas ou Royaume-Uni) 1, sachant que leur recours au dépistage du VIH dans les 12 derniers mois est fréquent.

Une précarité globale est observée parmi les personnes enquêtées, comme l’attestent un certain nombre d’indicateurs défavorables en termes de logement, de titre de séjour, d’isolement, de violences, de couverture maladie… Cette précarité peut expliquer ou justifier l’activité de prostitution. Elle est sans doute également liée au recrutement de la population de l’étude dans des structures de réinsertion sociale. Cette situation de précarité est préoccupante, car elle a un impact sur la santé pour diverses raisons : priorités qui diffèrent, conditions de vie dégradées exposant à certaines infections, conduites de consommation, sentiments de dévalorisation et souffrance psychique 4

La consommation quotidienne d’alcool paraît supérieure à celle de la population générale, à âge équivalent. Elle concerne 5% des femmes interrogées dans notre étude, alors qu'elle est de 1% chez les femmes de 26-34 ans et 2% des 35-44 ans en population générale 5. De même, les répondants semblent fumer plus que la population générale : 46% des femmes déclarent être fumeuses, cette proportion étant de 36% chez les femmes de 26-34 ans et de 34% chez les 35-44 ans en population générale 5. La consommation de cannabis paraît également supérieure dans notre échantillon, alors même que la participation de personnes usagères de drogues à l’étude a parfois été difficile à obtenir.

La divergence entre la santé observée et la santé déclarée retrouvée globalement dans l’étude (52% des personnes interrogées se déclarent dans un état de santé moyen, mauvais ou très mauvais tandis que 16% ont été jugées par le médecin dans un tel état de santé), mais également pour le sous-groupe des personnes ayant participé aux deux volets de l’étude, s’explique en partie par la difficulté des médecins à évaluer l’état psychique des consultants. Les problèmes de sommeil, de consommation de somnifères, d’anxiété, de dépression ou de suicide ont été beaucoup plus fréquemment signalés à l’intervenant de la structure sociale que lors de la consultation médicale. Par ailleurs, la perception d’une santé dégradée paraît plus importante dans notre population d’étude (52%) qu’en population générale (31,3% 6) et les pensées suicidaires y sont beaucoup plus fréquentes : chez 29% des répondants, alors que 4% des femmes et 3% des hommes en ont fait état dans le Baromètre santé 2010 7.

La vulnérabilité des femmes sur le plan gynéco-obstétrical est notable, avec une fréquence d’IVG 3 fois plus élevée dans notre étude (61%) qu’en population générale (22% des femmes de 18-54 ans dans l’enquête KABP 2010 8) et un moindre recours au dépistage du cancer du col de l’utérus : n’avoir jamais réalisé de frottis cervico-vaginal concerne 24% des femmes de l’étude et seulement 4% des femmes de 25-65 ans dans le Baromètre santé 2010 9.

Les recommandations qui ont été formulées suite à l’étude touchent à la fois à la prévention et à l’accès aux droits et aux soins des personnes en situation de prostitution. Ces recommandations concernent aussi bien les professionnels amenés à rencontrer des personnes en situation de prostitution, quel que soit leur domaine de compétence (social, médical, paramédical, justice, police…), que les pouvoirs publics, pour la poursuite ou la mise en place de programmes de prévention et la garantie de l’accès aux dispositifs de droit commun. Les actions de prévention doivent notamment porter sur les différents moyens de contraception et l’utilisation du préservatif, sur les modalités et lieux de pratique des IVG, sur l’importance du suivi gynécologique des femmes, sur la nécessité d’une vaccination contre l’hépatite B, sur l’identification de structures de soins et de dépistage gratuits. La problématique de la santé mentale devrait faire l’objet d’une attention particulière en matière d’accès aux soins et d’accompagnement santé. Les recommandations encouragent également à la mise en place de partenariats territoriaux, entre associations, entre acteurs du social et du sanitaire, entre associations et institutions ou collectivités, dans le but de constituer un maillage qui soit le plus efficient possible.

Remerciements

Nous remercions toutes les personnes en situation de prostitution ayant accepté de participer à l’étude.

Références

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[9] Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Dépistage du cancer du col de l'utérus. In: L'état de santé de la population en France. Suivi des objectifs annexés à la loi de santé publique. Rapport 2011. Paris: Drees; 2011. p. 248-9. http://www.drees.sante.gouv.fr/01-l-etat-de-sante-de-la-population-en-france-rapport-2011,9985.html

Citer cet article

Lot F, Hajman E, Le Grand E, Fender L, Cirbeau C, Labich F, et al. Étude ProSanté 2010-2011 sur l’état de santé, l’accès aux soins et l’accès aux droits des personnes en situation de prostitution rencontrées dans des structures sociales et médicales. Bull Epidémiol Hebd. 2013;(39-40):517-23.