Dépistage et diagnostic du cancer de la prostate et son traitement en France, selon le Sniiram (2009-2011)

// Screening and diagnosis of prostate cancer and its treatment in France (2009-2011) based on data from SNIIRAM

Philippe Tuppin1 (philippe.tuppin@cnamts.fr), Solène Samson1, Anne Fagot-Campagna1, Bertrand Lukacs2, François Alla1, Hubert Allemand1 pour le groupe spécifique du conseil scientifique de la CnamTS *
1 Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CnamTS), Paris, France
2 Hôpital Tenon, Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Paris, France

* Fred Paccaud, Jean-Christophe Thalabard, Eric Vicaut, Michel Vidaud, Bertrand Millat
Soumis le 15.11.2013 // Date of submission: 11.15.2013
Mots-clés : Cancer de la prostate | Dosage du PSA | Hypertrophie bénigne de la prostate | Traitements | Complications
Keywords: Prostate cancer | PSA testing | Benign prostatic hyperplasia | Treatments | Complications

Résumé

Objectifs –

Estimer les fréquences des hommes avec un dosage de l’antigène spécifique de la prostate (PSA), une biopsie et un cancer de la prostate (CPr) nouvellement pris en charge, ainsi que les traitements et leurs complications.

Méthodes –

L’étude a porté sur près de 11 millions d’hommes de 40 ans et plus couverts par le régime général d’assurance maladie entre 2009 et 2011 et sur les informations les concernant issues du Sniiram (système national d'information inter-régimes de l'assurance maladie).

Résultats –

En 2011, environ 30% des hommes sans CPr ont eu au moins un dosage du PSA, 0,5% une biopsie de la prostate et 0,4% un CPr nouvellement pris en charge, avec des variations départementales importantes. Les médecins généralistes avaient prescrits 87% des tests. Le PSA libre rendait compte de 21% des 4,2 millions de tests. Après un dosage du PSA en 2010, 2,1% des hommes ont eu une biopsie l’année suivante et 1% un CPr pris en charge. Parmi ceux présentant un CPr, près de 80% ont eu au moins un traitement spécifique dans les deux années suivantes. Chez les hommes de 50-69 ans, près de 66% ont eu une prostatectomie isolée et, parmi eux, 61% un traitement médicamenteux pour trouble de l’érection et 18% pour troubles urinaires lors des deux ans de suivi.

Discussion - Conclusion –

Le dosage du PSA en France correspond à un dépistage de masse, contrairement aux recommandations de la Haute Autorité de santé. L’hétérogénéité géographique des pratiques et l’utilisation importante du PSA libre, plus coûteux, doivent conduire à une réévaluation des pratiques. L’information du patient doit prendre en compte la fréquence élevée des troubles liés aux traitements.

Abstract

Objectives –

To estimate the frequency of men with prostate-specific antigen (PSA) testing, biopsy, newly managed prostate cancer (PCa), as well as treatments and their side effects.

Methods –

This study included nearly 11 million men over 40 years old covered by the main French national health insurance scheme (2009-2011) using the national medical information database (SNIIRAM).

Results –

In 2011, the frequency of men without PCa and at least one PSA test was 30%, prostate biopsy 0.5% and newly managed PCa 0.4% with wide regional variations. Among the 4.2 million PSA tests, 87% were prescribed by general practitioners and 21% were free-PSA tests. One year after a PSA test, 2.1% of men underwent prostate biopsy and 1% had a newly managed PCa. For those with a PCA, nearly 80% had undergone a specific treatment during the two following years. For men between 50 and 69 years of age, around 66% had an isolated prostatectomy, 61% of them were administered a treatment for erectile dysfunction and 18% for urinary disorders over the two-years follow up.

Discussion - Conclusion –

PSA testing in France represents mass screening, which is not recommended by the French National Authority for Health. The geographical heterogeneousness of the practices and the important use of free-PSA testing, more expensive, need to be re-evaluated. Patients must be informed of the high frequency of disorders linked to such treatments.

Introduction

Depuis la diffusion du dosage sérique de l’antigène spécifique de la prostate (PSA), test qui sert au dépistage et au suivi du cancer de la prostate (CPr) diagnostiqué, en surveillance et/ou traité, l’incidence annuelle du CPr en France a évolué de 20 000 cas au début des années 1990 à 64 457 en 2005, et 53 465 cas estimés en 2009 1. En 2008, l’incidence standardisée du CPr était plus élevée en France (118,3/100 000 personnes-années) que dans l’Union européenne (72,4/100 000). Le nombre de décès par CPr était de 9 069 en 1990 et 8 950 en 2009, dont 78% chez des hommes de 75 ans et plus. La survie brute calculée à partir des registres des cancers est de 92% à un an, 67% à cinq ans et 44% à 10 ans. La survie spécifique à cinq ans, standardisée sur l’âge, a progressé de 71% à 90% entre 1990 et 2001-2004 2. Ceci peut s’expliquer par les progrès thérapeutiques et la large utilisation du dosage du PSA, qui a augmenté la proportion des CPr localisés, bien différenciés et indolents 3. Le dosage du PSA correspond à celui de ses formes associées ou non aux protéines sanguines. L’utilité du dosage de sa forme libre est controversée dans le cadre du CPr.

Les résultats contradictoires de deux essais contrôlés randomisés sur le dépistage et la mortalité publiés en 2009 4,5 ont suscité un débat autour du surdiagnostic du CPr. En 2010, la Haute Autorité de santé a considéré que le bénéfice, en termes de réduction de mortalité globale, d’un dépistage systématique par le dosage du PSA sérique total n’était pas démontré et que les résultats disponibles ne permettaient pas de conclure sur l’opportunité d’un dépistage individuel 6. Elle précisait que, sur la base d’arguments indirects, un dépistage individuel, non systématisé, pouvait dans certains cas apporter un bénéfice au patient. Ce dernier doit recevoir une information non seulement sur les bénéfices potentiels escomptés, mais également sur les risques auxquels pourrait l’exposer ce choix. Les complications des traitements du CPr, principalement les troubles urinaires et de l’érection, sont mal connus en pratique courante 7. Par ailleurs, l’hyperplasie bénigne de prostate (HBP) est fréquente aux mêmes tranches d’âge et peut donner lieu à des symptômes du bas appareil urinaire, avec un suivi spécifique régulier par un médecin généraliste et un urologue 8.

L’objectif de cette étude était de calculer les fréquences des hommes de 40 ans et plus ayant eu un ou plusieurs dosages du PSA libre ou total, une biopsie de la prostate, un CPr diagnostiqué et traité, ainsi que les fréquences des traitements et de leurs complications en présence ou non d’HBP.

Matériel et méthode

Source de données

Le système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie (Sniiram) rassemble, de façon individuelle, des informations sur les prescriptions et prestations remboursées aux assurés des différents régimes et, à l’aide d’un chaînage, sur leurs éventuelles hospitalisations, via le Programme de médicalisation du système d’information (PMSI). Il renseigne aussi sur la présence de certaines maladies par l’existence, ou non, d’un statut d’affection de longue durée (ALD) ainsi que par les diagnostics codés lors des séjours hospitaliers. De plus, le Sniiram comprend un échantillon permanent des bénéficiaires (EGB) constitué par tirage au sort au 1/97e parmi l’ensemble des assurés des principaux régimes, soit environ 600 000 personnes à ce jour. Celles-ci peuvent être utilisées comme témoins, comme c’est le cas pour cette étude. Le Sniiram contient aussi des référentiels et des tables de nomenclatures spécifiques qui permettent de repérer les actes médico-chirurgicaux, les dosages biologiques, les médicaments…

Mode de sélection des patients et informations utilisées

L’identification des assurés avec un CPr défini comme pris en charge, c’est à dire « diagnostiqué et/ou traité », était basée sur la présence d’au moins un paramètre parmi les suivants : l’existence d’un code CIM-10 de CPr (C61), de CPr in situ (D07.5) ou de tumeur à évolution imprévisible ou inconnue de la prostate (D40.0) pour l’ALD ou lors d’un séjour hospitalier en diagnostic principal ou associé significatif ; la présence d’un d’acte de vésiculo-prostatectomie, de pulpectomie testiculaire, de curiethérapie spécifique ; une séance de chimiothérapie ou radiothérapie avec un CPr codé en diagnostic relié ou un remboursement de médicament spécifique au traitement du CPr (GnRH, anti-androgènes, œstrogènes, estramustine).

Le dosage ambulatoire du PSA total ou libre a été identifié par son remboursement et la biopsie de la prostate par son code d’acte spécifique. Pour la radiothérapie dans les structures hors PMSI, un acte est présent mais sans diagnostic relié. Elle a été prise en compte si un code de CPr existait en ALD ou en séjour hospitalier.

La recherche de complications après traitement a reposé sur la survenue d’au moins une hospitalisation avec, en diagnostic principal, le ou les codes spécifiques de la complication recherchée ou la présence d’actes chirurgicaux les plus spécifiques. Pour les troubles urinaires, les remboursements de matériel externe indiqués pour des problèmes d’incontinence ont été sélectionnés (collecteurs d’urine et étuis péniens). Pour les troubles de l’érection, il s’agissait de remboursements de prothèse pénienne ou d'agents pharmacologiques vasoactifs (hors sildénafil). L’existence d’un traitement médicamenteux spécifique était basée sur la présence d’au moins un remboursement annuel.

Les patients traités pour des troubles urinaires liés à une hypertrophie bénigne ont été repérés soit par un remboursement d’alpha-1-bloquants, d’inhibiteurs de la 5-alpha réductase ou de phytothérapie par Serenoa repens ou Pygeum africanum, soit par un code d’acte correspondant à une résection endoscopique de prostate ou une adénomectomie par voie chirurgicale.

Population d’étude et analyse des données

La population cible de l’étude était celle des hommes de 40 ans et plus assurés du régime général (hors sections locales mutualistes et autres régimes) entre 2009 et 2011, soit 73% des hommes de cette classe d’âge. Cette restriction sur le champ était due au manque de complétude, à l’époque, pour les ALD et surtout pour la date de décès dans le Sniiram. L’identification des nouveaux patients diagnostiqués ou traités pour CPr a été basée sur l’absence des paramètres retenus pour l’identification de CPr sur la période précédant la survenue de l’évènement étudié, entre 2009 et 2011, ou sur l’ensemble de la période. Pour ces hommes, les informations de l’année 2008 ont aussi été prises en compte afin de mieux éliminer les CPr déjà pris en charge antérieurement.

La population cible a fait l’objet de diverses sélections lors d’analyses destinées à répondre aux objectifs. Les fréquences annuelles de dosage du PSA et de biopsie, hors CPr, puis celles de CPr nouvellement pris en charge ont été calculées pour 2009, 2010 et 2011. Seules celles de 2011 ont été rapportées au vu des faibles variations entre ces années (tableau 1). Les taux départementaux en 2011 ont été standardisés sur l’âge de la population des assurés du régime général (figure). L’étude des répétitions de tests du PSA sur une période de trois ans (2009-2011) a porté sur les assurés sans CPr pris en charge, toujours au régime général et vivants à la fin 2011 (tableau 2). L’étude du chaînage entre le test du PSA, la biopsie et la nouvelle prise en charge d’un CPr sur un an a concerné les hommes sans CPr avant leur premier test du PSA en 2010 (tableau 3). L’étude des traitements et de leurs complications a ciblé les hommes avec un CPr nouvellement pris en charge en 2009, suivis et toujours vivants à deux ans (tableau 4). Les fréquences des complications chez les hommes de 50-69 ans, groupe avec une fréquence élevée de prostatectomie, ont été calculées chez les patients mais aussi chez les assurés de deux groupes témoins sans CPr issus de l’EGB selon l’existence ou non d’un traitement chirurgical de l’HBP entre 2008 et 2011 (tableau 5). Les fréquences ont été comparées à l’aide de tests du Chi2 et le test de Spearman a été utilisé pour les corrélations. Les données ont été analysées à l’aide du logiciel SAS Entreprise Guide 4.3® (SAS Institute Inc Cary, NC).

Résultats

En 2011, parmi la population de 11 millions d’hommes de 40 ans et plus, 30% ont eu au moins un dosage du PSA, 0,53% au moins une biopsie et 0,37% un CPr diagnostiqué ou nouvellement pris en charge (tableau 1). La fréquence des hommes avec une HBP traitée était de 9%. Leur exclusion ramenait ces pourcentages à 25%, 0,3% et 0,22%. Il existait une forte variation géographique des taux départementaux standardisés sur l’âge pour les hommes avec au moins un dosage du PSA (de 21% à 43%) (figure), une biopsie (de 0,2% à 1,2%) et un CPr (de 0,2% à 0,8%). Les corrélations étaient significatives mais modérées entre d’une part les taux d’hommes avec un dosage de PSA et de biopsie (r=0,33, p=0,0006), et d’autre part de dosage de PSA et de CPr (r=0,34, p=0,0006) ; la corrélation entre les taux de biopsie et de CPr (r=0,72, p<0,0001) était plus importante.

Tableau 1 : Nombres et fréquences d’hommes avec au moins un dosage du PSA, une biopsie de la prostate ou un cancer de la prostate nouvellement pris en charge, en 2011, sans ou avec ceux présentant une hypertrophie bénigne de la prostate (HBP) les 12 mois antérieurs (France)
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Figure 1 : Taux départementaux des hommes avec au moins un dosage du PSA, une biopsie de la prostate ou un cancer de la prostate nouvellement pris en charge, en 2011 en France
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Sur les 4 156 millions de dosages du PSA (total ou libre) effectués en 2011, avec comme objectif le dépistage du CPr (ces patients n’avaient aucun paramètre permettant d’identifier l’existence d’un CPr), 87% ont été prescrits par un médecin généraliste et 3,6% par un urologue ; 21% correspondaient à un dosage du PSA libre. Le PSA libre concernait 20% des dosages prescrits par les médecins généralistes (720 000) et 43% de ceux prescrits par les urologues (63 000). Globalement, la proportion des dosages du PSA libre était plus importante en présence d’une HBP (30%) que sans (19%). Enfin, 53% et 26% des dosages du PSA libre prescrits respectivement par les urologues et les médecins généralistes concernaient des hommes avec une HBP.

Entre 2009 et 2011, chez les hommes sans CPr, 43% n’ont pas eu de test du PSA, 38% en ont eu 1 ou 2 et 19% au moins 3 (tableau 2). En présence d’une HBP, les dosages du PSA étaient beaucoup plus fréquents : 37% des hommes avaient eu 1 ou 2 tests et 52% au moins 3 tests. L’année suivant le premier test du PSA de 2010, il existait plus fréquemment une biopsie de la prostate chez les hommes avec une HBP (4,0% vs 1,6%) (tableau 3). Néanmoins, après une biopsie, ils avaient moins souvent un CPr nouvellement pris en charge (42% vs 52%). Enfin, parmi l’ensemble des hommes avec un CPr, 8,4% avait eu un traitement endoscopique ou chirurgical d’un adénome ou d’une hypertrophie de la prostate sans biopsie l’année précédente.

Tableau 2 : Parmi les hommes sans cancer de la prostate pris en charge et toujours vivants à la fin 2011, fréquence de tests du PSA entre 2009 et 2011, avec ou sans ceux présentant une hypertrophie bénigne de la prostate traitée (France)
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Tableau 3 : Parmi les hommes sans cancer de la prostate pris en charge en 2010, proportions de ceux avec au moins un dosage du PSA et, dans les 12 mois suivants, suivi d’une biopsie de la prostate après dosage du PSA et d’un cancer, avec ou sans ceux présentant une hypertrophie bénigne de la prostate
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Parmi les hommes avec un CPr nouvellement pris en charge en 2009 (pas de critères en 2008), près de 80% ont eu au moins un traitement identifié comme étant celui d’un CPr les deux années suivantes (tableau 4). Près des deux tiers des 50-64 ans ont eu une prostatectomie. Parmi les malades entre 50-69 ans toujours vivants à deux ans et traités, 61% de ceux avec une prostatectomie sans autre traitement spécifique avaient un traitement médicamenteux pour trouble de l’érection et 18% des examens ou traitements évocateurs de troubles fonctionnels urinaires (tableau 5). Pour les hommes du groupe témoin de même âge sans traitement chirurgical de l’HBP, 0,3% avaient un traitement médicamenteux des troubles de l’érection et 0,3% des troubles urinaires. Ces fréquences étaient de 1,5% et 5,0% pour ceux avec traitement chirurgical de l’HBP.

Tableau 4 : Parmi les hommes nouvellement pris en charge pour un cancer de la prostate en 2009 et toujours vivants à deux ans, fréquences des prises en charge et des principales associations de traitements (France)
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Tableau 5 : Parmi les hommes de 50 à 69 ans avec un cancer de la prostate nouvellement traité en 2009 et toujours vivants à deux ans et parmi deux groupes de témoins sans cancer, avec ou sans résection chirurgicale d’HBP, fréquences standardisées sur l’âge des troubles de l’érection ou urinaires estimés par la consommation de soins, selon le type de traitement (France)
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Discussion

La fréquence d’hommes sans CPr et sans HBP avec au moins un dosage annuel du PSA, principalement prescrits par les médecins généralistes, est très importante en France alors qu’il n’y a pas de recommandations en faveur du dépistage de masse. L’inclusion des hommes avec une symptomatologie du bas appareil urinaire, comme une HBP traitée, induit une élévation de la fréquence des tests du PSA de l’ordre de 20% et de leurs répétitions, plus importantes pour les âges élevés, quand les troubles du bas appareil urinaire sont plus fréquents 8. Entre 2008 et 2011, période de publication des deux essais cliniques aux résultats contradictoires 4,5 et du rappel des recommandations françaises, il n’est pas observé de diminution de la fréquence d’hommes sans CPr et avec au moins un dosage annuel du PSA. Cette fréquence demeure stable, entre 30% et 31% 9. Néanmoins, de 2007 à 2012, le nombre de prostatectomies a diminué, passant de 27 278 à 19 789. Le nombre d’assurés du régime général avec une mise sous ALD pour CPr a diminué entre 2011 et 2012 (de 41 865 à 36 110), alors qu’il était relativement stable les années antérieures.

Dosage du PSA

Des caractéristiques des patients ont été rapportées comme étant associées à la réalisation d’un dosage du PSA et à sa répétition, telles que les niveaux sociodémographiques et d’éducation, l’accès aux soins, le suivi régulier, en présence d’une HBP par exemple, et la crainte d’un CPr, pour laquelle une pédagogie et une éducation adaptées sont à imaginer 10. De plus, la valeur du dosage du PSA peut varier selon la fréquence des tests et les circonstances (kit de dosage utilisé, âge, volume de la prostate, éjaculation, toucher rectal…). Ces facteurs peuvent ainsi favoriser une répétition des dosages, des explorations plus poussées et, à terme, un surdiagnostic de CPr. Par exemple, aux États-Unis, une fréquence plus importante des tests du PSA a été récemment rapportée les six années précédant le diagnostic de CPr chez les hommes de 70 ans et plus, alors que des recommandations sont en défaveur de ce test après 70 ans 11.

Le dosage de PSA libre est considéré comme inutile dans le suivi d’un CPr. Dans une fourchette comprise entre 4 et 10 ng/ml, il pourrait accroître la spécificité d’un diagnostic de CPr face à un faible ratio PSA libre/PSA total mais, la valeur seuil étant elle-même discutée, ce dosage n’est pas recommandé. Néanmoins, le nombre global de tests du PSA libre, plus coûteux que celui du PSA total (17,8€ vs 10€ remboursés) est important chez les hommes sans CPr. Il est principalement le fait des médecins généralistes, avec une prescription effectuée le plus souvent dans le cadre d’un dépistage individuel. Il est aussi possible que le dosage de PSA libre soit automatiquement réalisé, en sus de celui du PSA total demandé.

Diagnostic de CPr

Le taux de biopsie de prostate rapporté au nombre d’hommes vivants par région varie de façon importante sans explications claires, sinon des pratiques différentes, et il est faiblement corrélé à celui d’hommes avec un test du PSA. En revanche, le taux de biopsie est corrélé à celui de CPr. Concernant le diagnostic de CPr après biopsie, une récente étude aux États-Unis chez les hommes âgés de 65 ans et plus asymptomatiques retrouvait une fréquence de 8,5% d’hommes avec une valeur du PSA >4 ng/ml. Au cours des cinq années de suivi, 33% avaient eu au moins une biopsie. Parmi ces derniers, 63% présentaient un CPr diagnostiqué, comme dans notre étude pour les hommes de 70 ans et plus 12. Une autre étude nord-américaine chez des hommes de 65 ans et plus rapportait une fréquence de 32% de CPr diagnostiqués lors d’une biopsie, et le risque d’avoir un CPr augmentait selon le nombre de biopsies réalisées (68% après 4 biopsies) 13. Par ailleurs, les études post-mortem sur la prévalence du CPr ont mis en évidence une forte augmentation de la fréquence avec l’âge des CPr indolents et non diagnostiqués 7.

La sous-population d’hommes traités pour des symptômes du bas appareil urinaire liés à une HBP mérite d’être analysée à part car, dans ce cas, le dosage du PSA s’inscrit dans une démarche de diagnostic différentiel avec le CPr. Dans cette population, le dosage de PSA pourrait aussi permettre d’estimer l’importance et l’évolution de l’HBP et d’observer l’effet de certains traitements, contrairement aux recommandations de la HAS en 2003. Dans cette sous-population, le dosage de PSA ainsi que les biopsies de prostate sont plus fréquents. Néanmoins, la proportion d’hommes avec un CPr pris en charge est inférieure à celle retrouvée chez ceux sans HBP, ce qui suppose une fréquence élevée de faux positifs. Un surdiagnostic devient alors possible dans cette sous-population.

Traitements et complications

La présente étude (tous stades de CPr confondus) rapporte 38% de prostatectomies, 35% d’hormonothérapies, 29% de radiothérapies et 20% d’absence de traitement. Une étude française sur 1 840 hommes de tous âges traités en 2001 pour un CPr classé en T1/T2 retrouvait comme premiers traitements des chiffres légèrement inférieurs : 31% pour la prostatectomie, 22% pour l’hormonothérapie et 26% pour la radiothérapie vs 19% pour la surveillance active 14.

Les définitions des troubles urinaires et de l’érection sont nombreuses. Contrairement aux études basées sur l’existence de symptômes ou la qualité de vie, cette étude repère ces complications par le remboursement des séjours, du matériel ou des médicaments liés à ces complications. Parmi les patients traités par une radiothérapie isolée, 7% avaient un traitement médicamenteux pour trouble de l’érection et 12% un traitement médicamenteux pour trouble urinaire. Une étude réalisée sur 1 201 patients tous âges avec un stade T1/T2 entre 2003 et 2006 retrouvait, à deux mois et deux ans, respectivement 30% et 7% de troubles urinaires 15.

Forces et limites

Les données analysées sont issues de bases médico-administratives, avec les limites classiques concernant leur recueil et leur codage. Il n’est pas possible de savoir si le dosage du PSA a été prescrit dans une situation de dépistage, avec ou sans facteurs de risque particuliers, d’aide au diagnostic en fonction de signes cliniques ou de surveillance et suivi de patients. Une sous-estimation de la fréquence des dosages réalisés en secteur hospitalier public est possible. Néanmoins, la proportion de dosages effectués à l’hôpital est probablement résiduelle dans un contexte de dépistage. Concernant le repérage des CPr, il est possible, au vu de l’algorithme, que de nouveaux CPr non traités, sans ALD et sans diagnostic spécifique dans le PMSI entre 2008 et 2011, n’aient pas été repérés. À l’inverse, une rechute d’un CPr traité avant 2008 puis suivi, mais sans ALD, pouvait être considérée comme un CPr nouvellement pris en charge entre 2009 et 2011 lors d’une nouvelle initiation de traitement ou d’une hospitalisation.

Conclusion

En conclusion, face aux recommandations d’absence de dépistage, les résultats de cette étude sont en faveur d’un surdiagnostic et d’un surtraitement du CPr. L’utilité du dosage du PSA libre, plus coûteux, doit être évaluée. Les variations régionales de dosages du PSA, de réalisation de biopsie prostatique et de prise en charge de CPr témoignent de l’hétérogénéité des pratiques. Enfin, la fréquence élevée des troubles urinaires et de l’érection après prise en charge pour CPr, en particulier après prostatectomie, doit faire partie de l’information précise délivrée au patient en amont de sa prise en charge. Idéalement, cette information devrait commencer dès qu’est enclenchée la séquence pouvant conduire à un traitement, c’est-à-dire dès le dosage du PSA.

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