Quand les conseils médicaux aux voyageurs contribuent à protéger la France de l’implantation de maladies infectieuses exotiques

// When medical information for travelers contribute to prevent exotic infectious diseases introduction in France

Éric Caumes

Président du Comité des maladies liées aux voyages et des maladies d’importation du Haut Conseil de la santé publique

La version 2014 des « Recommandations sanitaires aux voyageurs » se distingue des précédentes par la partie très importante consacrée à la prise en compte de maladies d’importation, souvent d’apparence banale au retour de voyages (pneumopathies, fièvre, dermatose), mais susceptibles de générer des problèmes de santé publique en France par leur capacité à s’y implanter.

Pour les arboviroses comme la dengue, le chikungunya ou le zika, il est déjà trop tard dans certains départements et territoires français d’outre-mer. Après avoir connu l’implantation de la dengue il y a plusieurs décennies, les Antilles et la Guyane françaises sont confrontées, depuis la fin de l’année 2013, au chikungunya. Il faut espérer que l’efficacité de la lutte antivectorielle permettra d’éliminer cette menace aussi efficacement que cela a été le cas à l’île de la Réunion après l’épidémie de 2006. Dans la région Pacifique, le virus Zika est à l’origine d’une épidémie en Polynésie française depuis octobre 2013, et en Nouvelle-Calédonie depuis janvier 2014.

On pourrait croire que cette menace virale épargnera la France métropolitaine. Mais c’est faux. Le risque d’introduction et d’implantation est en effet particulièrement important dans des zones où l’un des vecteurs potentiels est présent, comme c’est le cas dans le sud de la France où le moustique Aedes albopictus colonise désormais 17 départements. Après être arrivé dans les Alpes-Maritimes en 2004 en provenance d’Italie, ce moustique, particulièrement difficile à éradiquer, a successivement envahi Haute-Corse, Corse du Sud, Var, Alpes-de-Haute-Provence, Bouches-du-Rhône, Gard, Hérault et Vaucluse, et amorce maintenant une remontée vers le nord et vers l’ouest, l’année 2012 l’ayant vu apparaître dans le Lot-et-Garonne, les Pyrénées-Orientales, l’Aude, la Haute-Garonne, la Drôme, l’Ardèche, l’Isère et le Rhône. Cette présence à elle seule justifie toutes les précautions prises (surveillance entomologique, lutte antivectorielle, déclaration obligatoire des cas humains et surveillance épidémiologique renforcée). Le fait que la dengue soit apparue à Madère et que le paludisme soit réapparu en Grèce il y a quelques années est une autre raison d’être vigilant vis-à-vis des maladies vectorielles.

Autre mode de transmission (respiratoire), autres risques (plus ou moins élevés) : les infections respiratoires. Les virus de la grippe aviaire ont été responsables de quelques centaines de cas humains depuis 2013, avec une lourde mortalité. Le virus A/H7N9 est présent dans l’est et le sud-est de la Chine depuis mars 2013, avec des cas d’importation signalés à Hong Kong et à Taïwan. Le virus A/H5N1 a une répartition beaucoup plus large, avec des cas aviaires en Asie, Europe, Afrique et Moyen-Orient et des cas humains rapportés en Asie et en Afrique ; un seul cas d’importation, de retour d’un voyage en Chine, est décédé au Canada. Dans ces deux situations de cas humains de grippes aviaires, la seule voie de transmission a été un contact direct, parfois indirect, avec de la volaille infectée. Mais il faut surveiller attentivement l’humanisation possible des virus aviaires, qui s’accompagnerait d’une moindre mortalité mais d’une transmission humaine potentielle plus aisée.

Les coronavirus se transmettent beaucoup plus facilement d’homme à homme. Si l’on n’entend plus parler du SRAS depuis 2003, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (Middle East Respiratory Syndrome Coronavirus, MERS-CoV) a émergé depuis avril 2012 dans les pays du Golfe Persique, principalement en Arabie Saoudite, avec des cas d’importation signalés en Jordanie, au Royaume-Uni, en France, en Tunisie, en Egypte et en Italie, et une possibilité de transmission interhumaine parmi les contacts étroits des cas, comme décrit en France, en Italie, en Tunisie et au Royaume-Uni. Même si aucune mauvaise surprise n’a été constatée cette année au retour du pèlerinage à La Mecque, comme cela avait été redouté par beaucoup d’experts, il est nécessaire de rester vigilant vis-à-vis de ces coronavirus. Il ne faut pas oublier l’expérience du SRAS.

Autre risque plus réel, mais aussi plus sournois du fait de sa beaucoup plus longue durée d’incubation, les formes résistantes de tuberculose (MDR, XDR, XXDR, voire TDR-TB) sont à surveiller très attentivement dans les populations migrantes, principalement celles originaires de certains pays d’Europe de l’Est, mais pas seulement. Plutôt que se focaliser sur certains pays à risque, mieux vaut donc retenir que toute tuberculose récidivante doit être considérée comme à risque d’être résistante et faire l’objet d’une prise en charge spécialisée pour ne pas risquer de transformer une forme MDR ou XDR en une forme XXDR, voire TDR.

Enfin, les bactéries hautement résistantes et émergentes (BHRe) font l’objet de recommandations spécifiques depuis 2013 : un dépistage systématique de tout patient ayant été hospitalisé à l’étranger dans l’année qui précède son hospitalisation en France est recommandé par le Haut Conseil de la santé publique. Les plus courantes de ces BHRe, liées à un séjour à l’étranger, sont les entérobactéries productrices de carbapénémases et les Enterococcus faecium résistant aux glycopeptides. De telles bactéries sont présentes dans des pays européens voisins de la France et il n’est donc pas nécessaire d’être hospitalisé dans de lointains pays tropicaux pour en être porteur. Le tourisme médical, en pleine expansion, représente aussi un facteur de risque de portage, voire d’infection nosocomiale, par de telles bactéries.

Comparés aux infections précédentes, les risques d’importation de punaises de lit apparaissent presque dérisoires en termes de santé publique ! Les punaises de lit ne sont en effet associées à aucun risque de transmission de maladies infectieuses, même si elles représentent une nuisance très désagréable et plus encore une infestation domiciliaire difficile à éradiquer.

Le risque d’importation de la rage animale ne doit pas être pris à la légère, afin de ne pas faire le lit de sa réapparition en France et pour éviter des cas humains, toujours possibles à partir d’une exposition significative à un animal enragé. La rage reste de fait la plus grave des maladies infectieuses avec un taux de mortalité proche de 100%, soit bien plus que les taux associés aux infections respiratoires sus-décrites, voire à l’infection par le virus Ebola. Il est à ce titre troublant de constater qu’au moment où nous étions tous mobilisés par le risque, pourtant extrêmement faible, de l’arrivée d’un voyageur avec une fièvre hémorragique virale à Ebola, un malade décédait de rage dans un hôpital parisien sans grand écho médiatique. Moins de 300 morts d’Ebola chaque année dans le monde contre plusieurs dizaines de milliers de morts de la rage.

Pour le reste, ces « Recommandations sanitaires aux voyageurs » sont dans la lignée des livraisons précédentes, plutôt focalisées sur la prévention des maladies infectieuses basée sur le triptyque vaccinations, chimioprophylaxie et règles hygiéno-diététiques. Cette année, l’actualisation des éléments de ce triptyque a surtout porté sur certaines nouvelles vaccinations (antiméningocoques par exemple) et sur les répulsifs, la disparition de quelques spécialités étant compensée par l’apparition de nouvelles.

La chimioprophylaxie du paludisme devrait voir diminuer ses indications pour certains voyageurs et certaines destinations (Amérique, Asie), comme conseillé par plusieurs de nos collègues européens.

Mais il faut bien reconnaître que la part occupée par les maladies non-infectieuses augmente d’année en année. Après la prévention des problèmes liés à l’exposition au soleil, à l’altitude et au mal des transports l’année dernière, cette année le groupe de travail a développé les recommandations relatives à la prévention des maladies thromboemboliques et à la prise en compte du décalage horaire. Le décalage horaire, fréquent et bénin, est difficile (voire impossible) à prévenir. Au contraire, la thrombose veineuse est rare mais potentiellement mortelle par le risque d’embolie pulmonaire, et elle est facilement accessible à une prévention sous réserve d’identifier les personnes à risque.

Cette transition épidémiologique ne doit pas occulter le fait que, si le risque de maladies infectieuses diminue pour le voyageur, certaines de ces maladies restent associées à une mortalité élevée, d’autres ont la possibilité de s’implanter en France, sans compter que nous ne serons jamais à l’abri de l’apparition d’infections nouvelles ou de la réapparition d’infections anciennes un peu trop vite oubliées. C’est l’efficacité de la prévention, et notamment des vaccinations, qui est à l’origine d’une telle diminution. Il est important de le rappeler au moment où les vaccinations sont l’objet de campagnes de dénigrement : les vaccinations sauvent des vies !

Composition 2011-2014 du Comité des maladies liées aux voyages et des maladies d’importation (CMVI)

Personnalités qualifiées
Thierry Ancelle, CHU Cochin-Saint Vincent Paul, Paris ; épidémiologiste
Daniel Camus, CHU de Lille ; parasitologue
Éric Caumes, CHU Pitié-Salpêtrière, Paris ; infectiologue
Thierry Debord, École du Val de Grâce, Paris ; infectiologue
Florence Fouque, Institut Pasteur, Guadeloupe ; entomologiste médicale
Laëtitia Gambotti, CHU Pitié-Salpêtrière, Paris ; santé publique
Gaétan Gavazzi, CHU de Grenoble ; infectiologue
Catherine Goujon, Institut Pasteur, Paris ; vaccinations internationales
Philippe Minodier Hôpital Nord, Marseille ; pédiatre
Renaud Piarroux, Hôpital de la Timone, Marseille ; entomologiste médical
Christophe Schmidt, Hôpital Raymond Poincaré, Garches ; vaccinations internationales
Didier Seyler, Ville de Marseille ; vaccinations internationales

Membres de droit
Claude Bachelard, Ministère du tourisme
Elsa Boher, Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé
Thierry Comolet, Direction générale de la santé/RI1
Sandrine Houzé, CNR du paludisme, Hôpital Bichat-Claude Bernard
Sophie Ioos, Institut de veille sanitaire
Christine Jestin, Institut national de prévention et d'éducation pour la santé
Isabelle Leparc-Goffart, CNR des arbovirus, Marseille
Rémy Michel, Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées, antenne de Marseille
Isabelle Morer, Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé
Daniel Parzy, CNR du paludisme, IRBA, antenne Marseille (IMTSSA), Marseille
Marc Thellier, CNR du paludisme, Université P. & M. Curie et CHU Pitié-Salpêtrière

Secrétariat général du Haut Conseil de la santé publique
Corinne Le Goaster, chargée de mission
Isabelle Douard