Suivi médicosocial des mésothéliomes pleuraux inclus dans le Programme national de surveillance du mésothéliome entre 1999 et 2011

// Medico-social monitoring of pleural mesotheliomas included in the French National Mesothelioma Surveillance Program between 1999 and 2011

Soizick Chamming’s1 (soizick.chammings@iimtpif.fr), Mireille Matrat1,2,3,4, Anabelle Gilg Soit Ilg5, Philippe Astoul6, Sabyne Audignon-Durand7, Stéphane Ducamp5,8, Patrick Brochard7, Françoise Galateau-Sallé9, Céline Gramond7, Marcel Goldberg5, Ellen Imbernon5, Danièle Luce5, Jean-Claude Pairon1,2,3,4
1 Institut interuniversitaire de médecine du travail de Paris Île-de-France, Créteil, France
2 Inserm U955, Équipe 4, Institut Mondor de recherche biomédicale (IMRB), Créteil, France
3 Université Paris Est Créteil Val-de-Marne, Faculté de médecine, Créteil, France
4 Centre hospitalier intercommunal de Créteil, Créteil, France
5 Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France
6 AP-HM, CHU de Marseille, Hôpital Nord ; Université d’Aix-Marseille, Faculté de médecine, Marseille, France
7 Université Bordeaux-II, Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (Isped), Inserm U897, Bordeaux, France
8 Institut de veille sanitaire, Bordeaux, France
9 CHU de Caen, Hôpital Côte de Nacre ; Registre multicentrique à vocation nationale des mésothéliomes pleuraux (Mésonat), Caen, France
Soumis le 28.07.2014 // Date of submission: 07.28.2014
Mots-clés : Mésothéliome pleural | Amiante | Maladie professionnelle | Indemnisation | France
Keywords: Pleural mesothelioma | Asbestos | Occupational disease | Compensation | France

Résumé

Objectifs –

Ce travail étudie les facteurs associés à la prise en charge médicosociale des sujets atteints de mésothéliome pleural inclus dans le Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM) en France.

Méthode –

Les déclarations en maladie professionnelle (DMP) et le recours au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) des cas de mésothéliomes confirmés ont été analysés (n=2 772 sujets) sur la période 1999-2011. Les tests du Chi2, de Fisher et de Student, ainsi qu’un modèle de régression logistique non conditionnelle ont été utilisés pour tester l’association avec différentes variables (sexe, âge au diagnostic, catégorie socioprofessionnelle, vie en couple, probabilité d’exposition professionnelle à l’amiante, régime de protection sociale, département de résidence).

Résultats –

Parmi les 2 131 sujets étudiés relevant du Régime général de la sécurité sociale (RGSS), pour la période 1999-2011, 62% ont effectué une DMP. Les facteurs associés à la DMP chez les hommes étaient : un âge inférieur à 65 ans, le statut d’ouvrier, la vie en couple et une exposition professionnelle à l’amiante identifiée (possible, probable ou certaine). Parmi les 1 891 sujets identifiés sur la période 2005-2011, 58% avaient adressé une demande au Fiva. Cette proportion variait selon les départements et était liée à l’exposition professionnelle à l’amiante. Sur les 1 493 sujets relevant du RGSS sur la même période (2005-2011), 47% avaient conjointement effectué une DMP et adressé une demande au Fiva ; 13% avaient uniquement effectué une DMP, 14% uniquement un recours au Fiva et 26% n’avaient fait aucune démarche.

Conclusion –

Ces résultats confirment l’importance de renforcer l’information des acteurs médicaux prenant en charge ce type de patients, afin de les sensibiliser aux enjeux médicosociaux liés au mésothéliome pleural.

Abstract

Aims –

This study examines the factors associated with the medical-social care for patients with pleural mesothelioma included in the National Mesothelioma Surveillance Programme (PNSM) in France.

Methods –

Claims for recognition as occupational disease (OD) and claims for compensation by the Compensation fund for asbestos victims (FIVA) for confirmed cases of mesothelioma were analyzed (n=2,772 subjects in 1999-2011). Chi2, Fisher and Student tests, as well as a model of unconditional logistic regression were used to study the association with different variables (gender, age at diagnosis, socio-professional category, marital status, probability of occupational exposure to asbestos, social protection and place of residence).

Results –

Among 2,131 subjects studied affiliated to the General National Health Insurance Scheme (GNHIS, 1999-2011), 62% sought recognition as an OD. Factors associated with an OD among men were: the fact of being under 65 years old, worker status, living with a partner, and an identified occupational exposure to asbestos. Among 1,891 subjects identified over 2005-2001, 58% of subjects claimed for FIVA compensation. This proportion varied according to the place of residence and was associated with occupational exposure to asbestos. Among 1,493 subjects affiliated to the GNHIS, (2005-2011), 47% jointly claimed for recognition as an OD and for a FIVA compensation ; 13% only claimed for recognition as an OD, 14% for a FIVA compensation, and 26% did not make any claim

Conclusion –

These results confirm the importance of strengthening the information available to healthcare professionals managing this type of patients in order to raise awareness of the medical and social issues related to pleural mesothelioma.

Introduction

Le mésothéliome est une tumeur maligne rare, le plus souvent localisée à la plèvre et dont l’amiante est la principale étiologie établie à ce jour, essentiellement du fait d’expositions d’origine professionnelle dans les pays industrialisés. En France, le mésothéliome de la plèvre fait l’objet d’un suivi épidémiologique dans le cadre du Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM), initié en 1998 1 et coordonné par l’Institut de veille sanitaire (InVS). À partir des données de ce programme, le risque attribuable à une exposition professionnelle à l’amiante a été estimé à 83,1% (IC99%: [74,5-91,7]) pour le mésothéliome pleural chez l’homme et 41,7% (IC99%: [25,3-58,0]) chez la femme 2. Ce résultat devrait conduire à un nombre important de déclarations en maladie professionnelle (DMP). En effet, tout patient atteint de mésothéliome ayant été exposé à l’amiante au cours de sa carrière professionnelle lors d’une période d’activité salariée peut effectuer une demande de reconnaissance en maladie professionnelle au titre du tableau 30 du régime général de la sécurité sociale (RGSS). Les données statistiques publiées par le RGSS soulignent une sous-déclaration en maladie professionnelle pour de nombreuses affections. Pour le mésothéliome, malgré l’augmentation des cas reconnus en maladie professionnelle au cours de la dernière décennie (275 cas en 2000, 395 cas en 2011), il a été montré que seule une fraction seulement des cas pouvant bénéficier d’une reconnaissance formulait une demande auprès de l’assurance-maladie 3. Peu de travaux ont été menés pour essayer de comprendre les déterminants de cette sous-déclaration 4. Pourtant, les conséquences d’une prise en charge médicosociale sont importantes, tant pour le patient (indemnisation) que pour la collectivité (imputation du coût à la branche Accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de la sécurité sociale, abondée uniquement par les employeurs, et non à l’assurance-maladie). Ce phénomène de sous-déclaration avait aussi été montré pour d’autres cancers, comme les cancers de la vessie ou des sinus de la face 5.

Depuis 2000, les sujets atteints de mésothéliome et ayant travaillé sur le territoire français peuvent, parallèlement ou indépendamment de la DMP, faire une demande d’indemnisation auprès du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva), quel que soit leur régime de protection sociale et leur exposition, le diagnostic de la plupart des mésothéliomes (malin primitif de la plèvre, du péritoine, du péricarde et autres tumeurs pleurales primitives) valant justification d’exposition à l’amiante 6.

Parallèlement à ces deux démarches, et sans s’y substituer, le mésothéliome, quel que soit son site anatomique (plèvre, péritoine, péricarde ou vaginale testiculaire), est devenu la 31e maladie à déclaration obligatoire en 2012 pour tout médecin qui pose ce diagnostic, en France métropolitaine et dans les territoires ultramarins 7.

Le travail présenté ici a pour objectif d’identifier les facteurs associés à la réalisation de démarches médicosociales pour les sujets inclus dans le PNSM, en étudiant :

  • les demandes de reconnaissance en maladie professionnelle des patients atteints de mésothéliome pleural relevant du RGSS, dont le diagnostic a été confirmé entre 1999 et 2011 ;
  • les demandes d’indemnisation auprès du Fiva pour tous les sujets avec diagnostic confirmé entre 2005 et 2011, quel que soit leur régime de protection sociale.

Méthodes

Recueil des données du PNSM

Les patients sont issus des différents départements couverts par le PNSM entre 1999 et 2011, dont le nombre a fluctué au fil du temps, certains départements étant entrés tardivement tandis que d’autres ne font plus aujourd’hui partie du PNSM. Actuellement, 22 départements (ou territoires) sont inclus dans le PNSM : Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Calvados, Corse du Sud, Haute-Corse, Dordogne, Doubs, Gironde, Isère, Landes, Lot-et-Garonne, Manche, Lille et sa région, Orne, Pyrénées-Atlantiques, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Seine-Maritime, Var, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Nouvelle-Calédonie.

Dans chaque département (ou territoire), une procédure active de signalement a été mise en place : elle vise à un enregistrement exhaustif des cas de mésothéliome dès le diagnostic. Pour chaque cas signalé, un questionnaire standardisé est administré par un enquêteur spécialisé. Un questionnaire « proche » est réalisé auprès de la famille ou de l’équipe médicale pour les sujets décédés.

L’interrogatoire des patients permet de reconstituer et de décrire, pour chacun, son cursus professionnel complet (tâches réalisées au cours de chaque emploi et situations d’exposition) et personnel (lieux successifs d’habitation, écoles fréquentées, activités extraprofessionnelles exercées).

L’expertise des expositions à l’amiante est réalisée par des hygiénistes industriels qui déterminent l’origine professionnelle ou extraprofessionnelle de l’exposition et qui attribuent une probabilité, une fréquence et une intensité d’exposition. L’enjeu étant ici d’étudier les demandes de reconnaissance en maladie professionnelle, seule la probabilité d’exposition professionnelle à l’amiante a été prise en compte.

Chaque cas signalé fait l’objet d’une procédure standardisée de confirmation diagnostique réalisée par un panel de pathologistes spécialistes du mésothéliome (groupe Mésopath). Lorsque le diagnostic reste incertain (matériel inexistant ou insuffisant, forme histologique inclassable), une validation clinique est effectuée lors de réunions d’expertise collégiale, à partir du dossier clinique du patient. L’étude présentée ici ne concerne que les cas pour lesquels le diagnostic a été confirmé (à partir des données histologiques ou cliniques).

L’interrogatoire des patients permet également de recueillir les données sociodémographiques étudiées : le sexe, l’âge au moment du diagnostic, la catégorie socioprofessionnelle (CSP) du dernier emploi, le fait de vivre seul(e) ou en couple, le niveau d’études, le type de questionnaire administré (standard ou réalisé auprès d’un proche), le régime de protection sociale (RGSS / hors RGSS) et le lieu de résidence actuel.

Recueil des données médicosociales

Les données concernant la reconnaissance en maladie professionnelle des sujets du RGSS ont été recueillies auprès des responsables des services AT-MP des Caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) ou par les responsables des échelons locaux ou régionaux des services médicaux de l’assurance-maladie. Les données transmises deux fois par an précisent si les sujets relèvent ou non du RGSS, s’ils ont effectué une DMP pour mésothéliome, le cas échéant, la nature et la date de l’avis donné par la sécurité sociale et, en cas de refus, le motif (administratif : exposition professionnelle non retrouvée ; médical : diagnostic contesté).

Les données concernant le recours au Fiva ont été recueillies directement auprès de cet organisme qui communique deux fois par an, à partir des fichiers transmis, les informations précisant l’existence d’une demande d’indemnisation et, le cas échéant, la date de cette demande, la nature et la date de la réponse du Fiva.

Ces différentes procédures ont reçu un agrément de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).

Analyse des données

Analyse univariée

L’analyse des DMP a été restreinte aux sujets relevant du RGSS, seul régime pour lequel les données de maladie professionnelle sont disponibles au sein du PNSM, et aux sujets résidant dans les 20 départements présentant plus de 20 cas de mésothéliome sur la période 1999-2011 (figure 1). Afin d’étudier l’évolution des DMP au fil du temps, une sous-analyse a été menée sur les 15 départements qui participent au PNSM depuis 1999 : Calvados, Dordogne, Doubs, Gironde, Isère, Landes, Loire-Atlantique, Lot-et-Garonne, Manche, Orne, Pyrénées-Atlantiques, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Somme et Seine-Saint-Denis.

Le test de Chi2 ou le test exact de Fisher, en fonction des conditions de validité, ont été utilisés pour tester l’association entre la DMP ou le recours au Fiva et les variables qualitatives : sexe, classes d’âge au diagnostic (<65 ans, 65 à 75 ans, >75 ans), CSP, niveau d’études, vie en couple, type de questionnaire administré, régime de protection sociale, probabilité d’exposition professionnelle à l’amiante et lieu de résidence actuel. Le test de Student a permis de comparer les délais moyens entre la date de diagnostic et la date des démarches engagées par le patient (DMP et Fiva). Les moyennes sont indiquées avec leur écart-type.

Figure 1 : Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM) : départements ou zone géographique jusqu’en 2011
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Analyse multivariée

Le calcul des odds ratios ajustés permettant d’étudier le recours au Fiva, a été effectué par une régression logistique non conditionnelle à l'aide du logiciel SAS® (SAS Institute Inc, Cary, N.C., États-Unis) dans un modèle comprenant le sexe, l’âge, la CSP (les ouvriers ayant été pris ici comme référence), la vie en couple, la probabilité d’exposition professionnelle à l’amiante, le régime d’appartenance et le lieu de résidence (en référence au département du Val-de-Marne, qui présente le pourcentage le plus élevé de demandes auprès du Fiva). En ce qui concerne les DMP, il existe une interaction entre le sexe et la vie en couple. De ce fait, le calcul des odds ratios ajustés sur les mêmes variables que celles citées précédemment (sauf le régime d’appartenance) a été effectué séparément pour les hommes et pour les femmes.

L'adéquation des modèles a été testée par le test de Hosmer et Lemeshow (tests non significatifs). Afin de vérifier la robustesse des modèles, les observations influentes ont été retirées des modèles, ce qui n’a pas modifié les résultats des régressions logistiques.

Résultats

Demande de reconnaissance en MP

Entre 1999 et 2011, 2 772 cas de mésothéliome ont été confirmés dans les 20 départements ayant enregistré plus de 20 cas. L’analyse des DMP a porté sur les 2 131 cas qui relevaient du RGSS. Une demande de reconnaissance en maladie professionnelle a été effectuée par 62% (n=1 317) d’entre eux qui, le plus souvent (n=1 197), ont bénéficié d’un accord de la sécurité sociale. Les refus, qui ont concerné 120 sujets, l’ont été principalement (n=112) pour motif administratif (contestation de l’exposition). Parmi les sujets qui n’ont pas effectué de DMP, 43% (n=350) avaient une exposition professionnelle à l’amiante identifiée lors de l’expertise des expositions.

Analyse univariée

Chez les hommes, les variables associées significativement à la DMP (p<10-4) étaient la classe d’âge, le niveau d’études, le fait de vivre seul(e) ou en couple, le type de questionnaire administré, la probabilité d’exposition professionnelle à l’amiante et le département de résidence. Chez les femmes, les variables associées significativement à la DMP étaient la probabilité d’exposition professionnelle à l’amiante (p<10-4) et le type de questionnaire administré (p=0,02).

Analyse multivariée

Lors de l’analyse multivariée chez les hommes, prenant en compte les variables d’ajustement retenues, il est apparu que les sujets vivant en couple, âgés de moins de 65 ans, ainsi que les ouvriers étaient les patients qui déclaraient plus fréquemment leur maladie. La fréquence des DMP était associée à la probabilité d’exposition à l’amiante et variait selon les départements. Chez les femmes, la fréquence des DMP était associée uniquement à la probabilité d’exposition à l’amiante et variait selon les départements (tableau 1).

Si l’on restreint la population d’étude aux 1 382 sujets des 15 départements ayant participé au PNSM depuis 1999, la proportion de sujets qui ont effectué une DMP a été globalement stable d’une année à l’autre, avec un minimum de 58% (n=74/128) en 2008 et un maximum de 76% (n=74/98) en 2006.

Le délai moyen entre la date de diagnostic et la DMP était de 105±140 jours (médiane à 58 jours), significativement plus court (p<10-4) chez les hommes (101±139 jours ; médiane à 56 jours) que chez les femmes (134±148 jours ; médiane à 83 jours). De même, le délai augmentait avec l’âge des sujets (94±116 jours, médiane à 57 jours pour les moins de 65 ans ; 103±131 jours, médiane à 60 jours pour les 65-75 ans ; et 117±169 jours, médiane à 58 jours, pour les plus de 75 ans).

Tableau 1 : Analyse multivariée des paramètres associés aux déclarations en maladie professionnelle (DMP) en fonction du sexe parmi les cas ayant un diagnostic confirmé de mésothéliome pleural. Étude portant sur les départements ayant plus de 20 cas confirmés, France, 1999-2011
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Demandes d’indemnisation auprès du Fiva

Parmi les 1 891 sujets de l’étude pour lesquels le diagnostic de mésothéliome a été confirmé entre 2005 et 2011, 58% (n=1 093) avaient effectué une demande d’indemnisation auprès du Fiva qui, dans la quasi-totalité des cas, a conduit à un accord. Certains sujets (n=38) étaient en attente de réponse au moment de l’étude.

Analyse univariée

Les variables significativement associées (p<10-4) à une demande auprès du Fiva étaient le sexe, la classe d’âge, le niveau d’études, le type de questionnaire administré, la CSP, la vie seul(e) ou en couple, le régime de protection sociale, la probabilité d’exposition à l’amiante et le département de résidence.

Analyse multivariée

L’analyse multivariée montre que les sujets vivant en couple, les moins âgés, ainsi que les sujets exposés à l’amiante, effectuaient plus fréquemment une demande. Le sexe, la CSP et le régime de protection sociale ne sont plus significativement associés au recours au Fiva. La proportion de demande variait selon les départements (tableau 2). En revanche, elle restait stable au fil du temps (donnée non montrée).

Le délai moyen entre la date de diagnostic et la date de demande d’indemnisation auprès du Fiva était de 272±256 jours (médiane à 196 jours). Contrairement à la DMP, ce délai était significativement plus long (p<10-4) chez les hommes (281±260 jours, médiane à 203 jours) que chez les femmes (239±240 jours, médiane à 168 jours). Comme pour la DMP, les sujets les plus jeunes avaient plus rapidement recours au Fiva que les sujets plus âgés (242±215, médiane à 189 jours pour les moins de 65 ans ; 259±233, médiane à 191 jours pour les 65-75 ans ; et 313±306, médiane à 207 jours pour les plus de 75 ans).

Tableau 2 : Analyse multivariée des paramètres associés aux demandes auprès du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) parmi les cas ayant un diagnostic confirmé de mésothéliome pleural entre 2005 et 2011. Étude portant sur les départements ayant plus de 20 cas confirmés, France, 1999-2011
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Maladie professionnelle et Fiva

Parmi les 1 493 sujets relevant du RGSS entre 2005 et 2011, 47% (n=705) avaient fait conjointement une demande de reconnaissance en maladie professionnelle et une demande d’indemnisation auprès du Fiva ; 14% (n=205) avaient effectué exclusivement une demande auprès du Fiva et 13% (n=197) uniquement une DMP. Au total, 26% (n=386) des sujets n’avaient effectué aucune démarche (pas de DMP, ni de demande auprès du Fiva). Cette proportion était de 44% (n=159) chez les femmes et augmentait avec l’âge des sujets (15% pour les moins de 65 ans, 22% pour les 65-75 ans et 36% pour les plus de 75 ans) (figure 2)

Parmi les sujets hors RGSS (n=398) , 54% (n=215) n’avaient pas fait de demande auprès du Fiva. Cette proportion était de 61% (n=65) chez les femmes et augmentait avec l’âge des sujets (33% pour les moins de 65 ans, 48% pour les 65-75 ans et 66% pour les plus de 75 ans). Le statut des DMP n’était pas connu pour les cas hors RGSS (figure 2).

Figure 2 : Demandes auprès du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) et/ou déclaration en maladie professionnelle (DMP) selon le sexe, la classe d’âge et le régime de protection sociale. Cas confirmés de mésothéliome sur la période 2005-2011 (n=1 891), France
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Discussion

Comme cela a déjà été montré pour le mésothéliome, cancer spécifique d’une exposition antérieure à l’amiante en général d’origine professionnelle, le pourcentage de cas faisant une DMP demeure peu élevé (62%) 1,3. Dans notre série, plus de 90% des personnes qui ont formulé une demande l’ont vu acceptée. De façon analogue, il a été montré qu’en Ontario, 87% des demandes avaient bénéficié d’un accord entre 1980 et 2002 8 et que cette proportion était de 82% en Italie entre 2000 et 2006 9. Ceci suggère que ce n’est pas la crainte d’une non-reconnaissance qui est en cause dans le faible pourcentage de déclarations.

En Italie, comme en France, il a été montré 10,11 qu’un frein possible à la déclaration était la difficulté pour les médecins de faire le lien entre maladie et travail du fait du manque de données sur le parcours professionnel. Cela conduit à la non-certification par le médecin, qui estime qu’il ne dispose pas de données suffisantes pour associer vie professionnelle et cancer 9. Pourtant, le mésothéliome est probablement l’un des cancers pour lesquels le lien avec un facteur étiologique professionnel est le mieux connu. De plus, il n’est pas demandé au médecin de certifier le lien exposition-maladie, mais uniquement de certifier la maladie. Dans une étude qualitative menée dans le sud-est de la France, Saliba et coll. 12 ont rapporté que les médecins interrogés insistaient sur la faiblesse de leur formation initiale en santé au travail dans leur cursus de médecins praticiens, en particulier sur la connaissance des démarches administratives. Une étude qualitative menée sur une dizaine de patients du PNSM 4 a montré que les médecins, dans un contexte de maladie grave et évolutive, ne pensaient pas toujours à revenir sur l’historique professionnel des patients, mais que cela leur était plus facile lorsqu’eux-mêmes étaient en lien avec des médecins spécialisés en pathologie professionnelle 11. En effet, ces derniers interrogent systématiquement les patients venus en consultation de pathologie professionnelle sur leurs expositions, les informent des différentes démarches médicosociales à effectuer en fonction de la pathologie et de l’exposition retrouvée, et établissent les certificats médicaux nécessaires à l’établissement d’une demande.

Dans notre série, les ouvriers déclaraient plus leur maladie que les cadres et les professions intermédiaires. Sans doute, une exposition à l’amiante étant plus habituellement associée à cette catégorie socioprofessionnelle 13, une DMP est-elle plus facilement proposée au patient. Cette donnée n’a pas pu être mise en évidence chez les femmes en raison du faible effectif. Il a cependant été montré que chez ces dernières, le lien entre maladie et travail était plus difficile à établir 14 avec une exposition à l’amiante, souvent moins connue et moins bien documentée 15, et une exposition extraprofessionnelle plus fréquemment évoquée 16.

On peut penser que la formation des médecins et l’information des patients (ou de leurs ayant-droits si le patient est décédé) est essentielle pour que ces derniers fassent valoir leurs droits sociaux. La lourdeur administrative des démarches 9 et les lacunes dans l’accompagnement des patients 12 ont également été mentionnées comme facteurs explicatifs d’un faible pourcentage de déclaration des cancers en maladies professionnelles. Ceci est sans doute particulièrement vrai dans le cas du mésothéliome, dont le pronostic vital est parmi les plus sombres de tous les cancers. Dans notre étude, il a été montré que les hommes vivant en couple effectuaient plus de démarches. Toutefois, chez les femmes, ce paramètre n’influence pas la demande de reconnaissance en maladie professionnelle.

En ce qui concerne les demandes d’indemnisation auprès du Fiva, seulement 58% des sujets y ont eu recours. Or, le diagnostic de mésothéliome était confirmé pour la totalité des sujets. Ils pouvaient donc tous prétendre à une indemnisation, puisque le Fiva considère la plupart des mésothéliomes (malin primitif de la plèvre, du péritoine, du péricarde et autres tumeurs pleurales primitives) comme valant justification d’une exposition à l’amiante. Nous nous sommes intéressés aux variables associées à une demande d’indemnisation auprès du Fiva. Le choix des variables a été déterminé par le résultat de l’analyse univariée. Toutefois, la variable DMP n’a pas été intégrée dans le modèle de régression logistique du Fiva, bien que ces deux variables soient corrélées entre elles (r=0,44 ; p<10-4). En effet, si la décision de recours au Fiva est initialement indépendante de la décision d’effectuer ou non une DMP, le Fiva, s’il repère une exposition professionnelle à l’amiante sans qu’une DMP ait été engagée, est tenu d’effectuer celle-ci auprès de l’organisme de sécurité sociale dont dépend la victime. Toutefois, nous ne connaissons pas le nombre de sujets concernés. De plus, nous n’avons les données concernant la DMP que pour les cas du RGSS. Le pourcentage de cas faisant une DMP peut avoir été « artificiellement » augmenté chez les sujets du RGSS (par rapport aux artisans par exemple). Dans notre étude, le recours au Fiva est lié à l’exposition professionnelle à l’amiante, bien que les droits soient ouverts à tous les sujets, quelle que soit leur exposition antérieure (dès lors qu’elle est survenue sur le territoire de la République française). Sans doute une connaissance insuffisante des possibilités offertes par le Fiva est-elle en cause, les patients ou les praticiens pensant qu’apporter la preuve de l’exposition reste une condition nécessaire pour bénéficier d’une indemnisation.

Dans notre étude, la fréquence des démarches médicosociales réalisées par les patients, que ce soit pour la DMP ou le Fiva, varie selon le département de résidence. Cela a déjà été montré en Colombie-Britannique, où l’indemnisation pour maladie professionnelle diffère selon les régions sanitaires 17. En France, il a été montré que la connaissance du risque, mieux documentée dans certaines régions, influence la sensibilisation du patient comme du médecin 1, et l’on peut penser qu’aider les médecins à mieux connaître les spécificités de leur bassin d’exercice en termes de risques professionnels permettrait d’améliorer la prise en charge médicosociale des patients. Dans certains départements de notre étude, la déclaration en maladie professionnelle est élevée alors que le recours au Fiva est faible. Une explication pourrait résider dans le choix de certains patients de privilégier les démarches judiciaires (par exemple, chercher la faute inexcusable de l’employeur) plutôt que le recours au Fiva. Nous n’avons pas d’information sur la fréquence du recours aux associations de patients, ni sur les conséquences de cette sollicitation par rapport aux démarches médicosociales entreprises. Dans d’autres départements, les sujets effectuent peu de démarches, que ce soit la DMP ou la demande Fiva.

Conclusion

Cette étude concerne un effectif important de cas de mésothéliomes pleuraux inclus dans le PNSM (plus de 2 000 cas) ; elle montre que plusieurs facteurs sont associés de façon indépendante à la mise en œuvre de démarches médicosociales : l’âge (inférieur à 65 ans), la vie en couple, la probabilité d’exposition professionnelle à l’amiante et le département de résidence. Un élément important est que 26% des sujets ne font aucune démarche (ni DMP, ni recours au Fiva), en dépit de leurs droits sociaux et d’une information sur les droits médicosociaux systématiquement adressée aux cliniciens par l’équipe du PNSM avec les résultats de l’expertise des expositions. Il est à craindre que la situation soit encore plus défavorable dans certains départements, hors PNSM, où ce retour d’information n’est pas réalisé. Ces données confirment l’importance de renforcer l’information des acteurs médicaux prenant en charge ce type de patients, afin de les sensibiliser aux enjeux médicosociaux liés au mésothéliome. Parallèlement au PNSM, depuis le 1er janvier 2012, un dispositif de maladie à déclaration obligatoire a été mis en place pour le mésothéliome. Le formulaire de déclaration mériterait d’être complété d’un rappel sur les diverses dispositions médicosociales associées à cette affection, notamment DMP pour certains sujets, et recours au Fiva.

Remerciements

Les auteurs voudraient remercier les responsables des services AT-MP des Caisses primaires de l’Assurance-maladie (CPAM), les médecins des échelons locaux ou régionaux des services médicaux et les correspondants du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) : Mme Huguette Mauss, directrice jusqu’en 2012, Mme Agnès Plassart, directrice actuelle, et Mr Daniel Jubenot, statisticien.

Références

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6 Arrêté du 5 mai 2002 fixant la liste des maladies dont le constat vaut justification de l'exposition à l'amiante au regard des dispositions de l'article 53 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2001 instituant le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante. JO du 5/05/2002.
7 Décret n° 2012-47 du 16 janvier 2012 complétant la liste des maladies faisant l’objet d’une transmission obligatoire de données individuelles à l’autorité sanitaire. JO du 18/01/2012.
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Citer cet article

Chamming’s S, Matrat M, Gilg Soit Ilg A, Astoul P, Audignon S, Ducamp S, et al. Suivi médico-social des mésothéliomes pleuraux inclus dans le Programme national de surveillance du mésothéliome entre 1999 et 2011. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(3-4):37-46. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/3-4/2015_3-4_2.html