Indice de masse corporelle et condition physique chez 49 600 collégiens et lycéens de six régions françaises, 2007-2014

// Body mass index and physical fitness among 49,600 middle and high school French students in six French regions, 2007-2014

Julien Schipman1 (irmes@insep.fr), Guillaume Saulière1, Adrien Sedeaud1,2, Thibault Deschamps3, Hervé Ovigneur3, Hervé Maillet3, Geoffroy Berthelot1, Jean-François Toussaint1,2,4
1 Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport (Irmes), Paris, France
2 EA 7329, Université Paris-Descartes, Sorbonne Paris Cité, Paris, France
3 Diagnoform, Ligue Nord-Pas-de-Calais d'athlétisme, Villeneuve-d'Ascq, France
4 Centre d’investigations en médecine du sport, Hôtel-Dieu, Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Paris, France
Soumis le 15.09.2014 // Date of submission: 09.15.2014
Mots-clés : Condition physique | Endurance | Test navette | Sprint | Indice de masse corporelle
Keywords: Physical condition | Endurance | Shuttle test | Sprint | Body mass index

Résumé

Introduction –

La sédentarité devient un enjeu majeur de société. Dans un contexte d’inactivité croissante, la condition physique représente désormais un important déterminant de santé autant qu’un objectif des politiques publiques, nationales et européennes, ciblant en particulier les plus jeunes. L’objectif de notre étude était d'analyser le lien entre ce déterminant de santé et l’indice de masse corporelle (IMC) chez l’adolescent.

Méthode –

Des tests de condition physique ont été réalisés entre 2007 et 2014 dans six régions de France chez 49 631 collégiens et lycéens âgés de 11 à 18 ans. Les distributions des vitesses de sprint et au test navette de 3 minutes ont été cartographiées par âge, sexe et indice de masse corporelle (IMC) selon des analyses de variance et des fonctions de densité.

Résultats –

Les vitesses moyennes réalisées au test navette et de sprint ne varient pas au cours de la période, mais progressent avec l’âge. Elles sont plus élevées chez les garçons. Les enfants avec un IMC normal présentent des vitesses de course plus élevées que ceux en surpoids ou obèses (p<0,05). Les fonctions de densité selon les gradients de vitesse permettent d’identifier un intervalle d’IMC optimal pour la condition physique.

Discussion-Conclusion –

La condition physique des enfants et adolescents, appréciée par les vitesses au test navette et de sprint, varie selon le sexe et l’âge. Comme les fonctions de survie ou de performance athlétique, elle répond de manière asymétrique aux variations d’IMC, selon le manque de masse musculaire active ou l’excès de masse adipeuse. Un poids de forme dans l’intervalle d’IMC normal est associé à une condition physique optimale. Par la simplicité de sa mesure, la condition physique (appréciée par la vitesse de déplacement) peut être utilisée comme indicateur du niveau d’activité physique pratiqué afin d’en évaluer les impacts sanitaires sur de larges populations.

Abstract

Introduction –

The lack of physical activity is a major societal challenge. In a context of increasing inactivity, physical fitness represents not only an important health indicator, but also one of the objectives of public, national and European policies targeted at the youngest populations. The aim of this investigation is to study the link between two determinants of health: body mass index (BMI) and physical fitness in teenagers.

Methods –

Physical fitness tests were carried out from 2007 to 2014 in six French regions among 49,631 high school children, aged from 11 to 18 years old. Sprint and endurance speed distributions, as well as the 3 minute shuttle-run sprint test, were assessed by age, sex and BMI through analyzes of variance and density functions.

Results –

The mean speeds measured in endurance and sprint tests do not vary over time, but progress with age. They are higher in boys. Children with normal BMI have higher mean speeds than overweight or obese ones (p<0.05). Density functions according to speed gradients identify an optimal BMI range for physical fitness.

Discussion-Conclusion –

Children and adolescents physical fitness varies with sex and age in response to speed distributions during sprint and shuttle-run sprint tests. As with the functions of survival or athletic performance, it changes with BMI as a result of a lack of active muscle mass or excess body fat. A healthy weight in the ideal BMI range allows for an optimal fitness. To simplify its measure, physical fitness (assessed by the speed of movement) can be used as an indicator of the level of physical activity practiced to assess health impacts on large populations.

Introduction

Déterminant majeur de santé 1, la condition physique se développe dans un équilibre subtil entre exercice et récupération, hygiène, sommeil et nutrition. Elle peut être évaluée en testant les capacités individuelles lors d’activités quotidiennes (de marche, de course…).

Évaluées dans 28 pays chez 25 millions d'enfants de 9 à 17 ans, les vitesses de déplacement sur des tests d’endurance ont montré une réduction importante des capacités aérobies entre 1970 et 2003. Les mêmes résultats ont été obtenus pour les épreuves anaérobies de puissance et de sprint 2. Cette tendance ne cesse de se confirmer 3 : les enfants sont aujourd’hui moins performants physiquement que ne l'étaient leurs parents au même âge. Compte tenu des liens établis entre condition physique et indicateurs de santé 4 ou de survie 5, ces chiffres augurent de détériorations sanitaires possiblement fortes à moyen terme.

La sédentarité est désormais ciblée comme un enjeu majeur de santé publique 6, aux conséquences comparables à celles du tabagisme 7. Elle fait l’objet de politiques préventives de plus en plus nombreuses, sur tous les continents, à mesure qu’on en conçoit mieux les impacts. Cependant, les comportements sédentaires progressent dans la plupart des pays alors que la pratique d’activités physiques ou sportives (APS) décline. Touchant plus d’une personne sur cinq dans le monde, la progression de l’inactivité est parallèle à la croissance des économies nationales et suit, dans un paradoxe qui n’est qu’apparent, l’indice de développement humain 8. De fait, dans les pays occidentalisés, près d’un adolescent sur quatre n’est pas en mesure de réaliser les 60 minutes recommandées d’exercice quotidien 9.

En miroir de cette immobilisation croissante et de l’expansion d’une « civilisation des assis », le taux de prévalence de l’obésité des enfants, mesuré dans l’Étude nationale nutrition santé (ENNS) de 2006-2007, augmente pour se situer à 3,5% en France, avec une prévalence du surpoids de 14,3% 10. Les mêmes tendances ont été constatées dans tous les pays développés, avec des prévalences souvent plus importantes encore 11.

La mesure des indices de condition physique en population ne peut être appréhendée sans une perspective morphologique : l’étude des caractères biométriques primaires (poids, taille, indice de masse corporelle) montre en effet des intervalles d’optimisation, quelle que soit la nature (muscle ou graisse) de la masse corporelle 12, selon les contraintes spécifiques de chaque discipline.

Le développement d’outils de mesure 13 pour de grandes populations révèle des indicateurs très précis 14 qui pourraient permettre une surveillance sanitaire pertinente. La vitesse de déplacement est ainsi l ‘un des indicateurs discriminants de la mortalité globale et de la probabilité de survie dans certains groupes 15. Appréciant les capacités d’endurance et de sprint, la vitesse mesurée dans ces différentes conditions peut représenter un indicateur de performance populationnel important dans le cadre d’un suivi de long terme.

L’objectif de cette étude était d’analyser le lien entre l’indice de masse corporelle (IMC) et la condition physique chez l’adolescent.

Méthode

Recrutement

Les tests d’évaluation des capacités sur un test navette de 3 minutes et de sprint (Diagnoform 13) ont été réalisés lors d’événements scolaires rassemblant les classes d’un même ou de plusieurs collèges et lycées bénévoles de six régions françaises (Alsace, Lorraine, Île-de-France, Nord-Pas-de-Calais, Pays de Loire et Rhône-Alpes). Entre 2007 et 2014, ces rassemblements ont été organisés à la demande de conseillers municipaux, de directeurs ou de professeurs des établissements, avec l’accord du conseil régional dont dépendait la structure. L’objectif était de mesurer les capacités d’endurance sur un test navette et sur une épreuve de sprint et de sensibiliser les collégiens, les lycéens et leurs encadrants à la prévention par l’APS.

Condition de participation

Tous les collégiens et lycéens de ces établissements ont été invités dans le cadre du cours d’éducation physique ou sportive. À partir de 15 ans, un questionnaire sur l’aptitude à l’activité physique (Q-AAP(1)) était complété avant les tests d’évaluation par chacun des participants.

Données

Les données de vitesse ont été mesurées et collectées par les organisateurs 14 et confrontées aux données de poids, de taille (mesurés le jour de l'événement) et d’IMC. Inscrites sur une base de données commune déclarée à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), elles ont été transmises de manière anonyme à l’Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport (Irmes) par les équipes Diagnoform. Cette étude a été soumise et approuvée par le comité scientifique de l’Irmes.

Variables

Les données recueillies regroupaient : âge, sexe, indice de masse corporelle (IMC=poids/taille2, en kg/m2) et deux critères de vitesse (m/s) mesurés 13. La catégorisation de l’IMC pour les enfants était basée sur les courbes de corpulence françaises, reprises dans le Plan national nutrition santé, et les seuils de l’International Obesity Task Force (IOTF) 16 avec les critères IOTF25 et IOTF30 définissant surpoids et obésité. Les enfants avec un IMC inférieur au 3e percentile étaient considérés en insuffisance pondérale.

Test navette et de sprint

Dans cette étude, deux valeurs de vitesse sont mesurées : l’une (VE) obtenue lors d’une épreuve de course navette et l’autre (VS) lors d’une épreuve de sprint 13.

Test navette de 3 mn : les enfants doivent parcourir la plus grande distance possible durant une période de course de 3 minutes, en allers-retours sur un couloir balisé de 20 mètres. La distance totale parcourue est rapportée aux 180 secondes de durée du test pour obtenir la vitesse en endurance VE.

Test de sprint : l’épreuve consiste à parcourir le plus rapidement possible une distance de 30 mètres dans un couloir balisé. Cette distance est rapportée au temps chronométré pour le calcul de la vitesse VS.

Analyses statistiques

Comparaison

Une analyse de variance non paramétrique de Kruskal-Wallis et les tests post hoc de Siegel et Castellan ont été utilisés pour établir la différence entre catégories d’âge, de sexe et d’IMC.

Le test non-paramétrique de Mann-Whitney a été utilisé pour analyser les différences de vitesses par âge et par année.

Le seuil de significativité pour l’ensemble de ces tests a été fixé à p=0,05. Les analyses ont été réalisées avec les logiciels R 3.1.0 et MATLAB 7.13.

Estimation de la densité

Les fonctions de densité, développées pour les études de biométrie en population, permettent d’analyser des indicateurs intriqués dans un paysage phénotypique donné 12,17. La densité détaille la structure de distribution de chacune des valeurs de la population étudiée et en révèle les intervalles d’optimisation 12,17,18.

Soit X, représentant l’IMC des enfants et Y le pourcentage de vitesse atteinte, de telle sorte que les données d’un individu de l’échantillon soient exprimées par Xi,Yi, avec Xi  [10,6 ; 59,7 kg/m2] et Yi  [30 ; 100%]. La densité des IMC a été estimée par les nœuds de la matrice M. Les limites de M ont été choisies afin de contenir tous les Xi et Yi. Les limites inférieures [Lx ; Ly] ont été définies comme le plus grand nombre entier ne dépassant pas min(Xi), min(Yi). Les limites supérieures [Ux ; Uy] ont été définies comme le plus petit nombre entier non inférieur à max(Xi), max(Yi). Pour éviter la perte d'informations due à une résolution de maillage insuffisante, une valeur de α=4 (résolution la plus représentée à tous les âges) a été utilisée.

Résultats

Les trois régions les plus représentées sont l’Alsace (12 601 enfants), le Nord-Pas-de-Calais (14 922 enfants) et Rhône Alpes (17 424 enfants) (tableau 1). La participation moyenne des élèves par établissement sur la période de l’étude est de 89% dans les collèges et de 66,5% dans les lycées.

Tableau 1 : Répartition de l’échantillon de collégiens et lycéens de six régions françaises, par sexe, selon la région et l’âge et par année, 2007-2014
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Entre 2007 et 2014, aucune différence significative n’est observée sur les mesures de vitesse du test navette de 3 minutes et du test de sprint pour chacune des tranches d’âge de l’échantillon (tableau 2).

Tableau 2 : Vitesse moyenne (en m/s) de collégiens et lycéens de six régions françaises pour le test navette de 3 minutes et le test de sprint, selon l’âge et par année, 2007-2014
2a - Test navette
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2b - Test de sprint
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L’IMC des garçons et des filles pour chaque tranche d’âge ne présente pas de différence significative sur cette période. La prévalence de l’insuffisance pondérale pour les adolescents reste inférieure à 3,5%. Dans cet échantillon, la prévalence de surpoids et de l’obésité chez les collégiens est supérieure à celle des lycéens, variant de 18,41 ± 2,5%, entre 11 et 14 ans, à 9,16 ± 1,77 entre 15 et 18 ans chez les filles, et de 20,31 ± 1,46% entre 11 et 14 ans à 14,81 ± 1,25 entre 15 et 18 ans chez les garçons (moyenne ± 1ET) (tableau 3).

Tableau 3 : Répartition (en %) de l’indice de masse corporelle par âge chez les filles et garçons de six régions françaises, 2007-2014
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Évolution des vitesses sur les tests navette et de sprint en fonction de l’âge

Au test navette, les vitesses féminines augmentent en moyenne de 0,03 m/s par an jusqu’à 2,85 m/s à 13 ans (p<0,01), puis se maintiennent autour de cette valeur (+0,01 m/s par an, p non significatif). Les vitesses masculines augmentent de 0,09 m/s par an jusqu’à 3,34 m/s à 15 ans (p<0,01), stagnent entre 16 et 17 ans, puis augmentent de nouveau à l’âge de 18 ans (+0,15 m/s).

En sprint, les vitesses féminines augmentent en moyenne de 0,16 m/s par an entre 11 et 15 ans (p<0,01) puis stagnent (-0,04 m/s par an, p non significatif). Les vitesses masculines croissent chaque année entre 11 et 15 ans (+0,29 m/s par an, p<0,01). Cette progression ralentit des trois quart par la suite puis augmente de nouveau à l’âge de 18 ans (tableau 4).

Tableau 4 : Vitesse moyenne (en m/s) de l'échantillon de collégiens et lycéens de six régions françaises pour les tests navette de 3 minutes et de sprint, par sexe et âge, 2007-2014
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Évolution des vitesses sur les tests navette et de sprint en fonction de l’IMC

Selon les catégories d’IMC (poids normal, surpoids, obésité), les vitesses moyennes évoluent avec l’âge de façon parallèle. Les vitesses moyennes de la tranche d’IMC normal sont constamment supérieures à celles des catégories surpoids et obésité. Sur l’ensemble des tranches d’âge, et pour les deux sexes, les enfants de poids normal se déplacent à des vitesses supérieures à celles des catégories surpoids et obésité, tant sur le test navette qu’en sprint (figure 1).

Figure 1 : Vitesse moyenne(en m/s) de sprint par âge, sexe et catégorie d’indice de masse corporelle chez les filles (a) et les garçons (b) dans six régions françaises, 2007-2014
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À 11 ans (entrée au collège), à 14 ans (sortie du collège) et à 17-18 ans (sortie du lycée), les vitesses les plus élevées aux tests de sprint et navette sont constamment obtenues par des enfants situés dans l’intervalle de poids normal. Pour ces trois tranches d’âge, les vitesses progressent en fonction de l’IMC jusqu’à une valeur maximale située dans l’intervalle optimum d’IMC, puis régressent régulièrement à mesure que celui-ci continue d’augmenter. Avec l’âge, le pic et l’intervalle optimum (zone verte visible) qui l’encadre se décalent vers la droite (vers des valeurs plus élevées d’IMC, figure 2A).

L’analyse des fonctions de densité (figure 2B pour les vitesses de sprint) montre le décalage progressif avec l’âge des IMC optimaux pour la majorité des enfants (zone centrale rouge) : [16,6-19,4 kg/m2] à 11 ans, [17,5-19,8 kg/m2] à 14 ans puis [20,6-23,4 kg/m2] à 17-18 ans. Plus les valeurs d’IMC s’éloignent de ces optima, plus les vitesses obtenues aux tests diminuent (figure 2B).

Figure 2 : Vitesses de sprint (en m/s) de l'échantillon de collégiens et lycéens de six régions françaises, selon l’indice de masse corporelle (IMC) à l’entrée au collège (11 ans), la dernière année de collège (14 ans) et la dernière année de lycée (17 ans), 2007-2014. 2A : Distribution des vitesses et des IMC individuels. 2B : Fonctions de densité de la vitesse et IMC pour l’ensemble des enfants dans chacune des trois années
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Discussion

Les capacités d’endurance sur un test navette et de vitesse maximale (sprint) peuvent être évaluées à partir de tests simples développés pour des mesures en population générale 14. La vitesse obtenue lors de ces tests met en lumière les capacités physiques de l’adolescent. Dans notre échantillon, les résultats montrent des liens forts entre âge, sexe, IMC et vitesse autour d’intervalles optimaux d’IMC évoluant avec l’âge 19. Ces intervalles permettent d’accéder aux meilleures performances et sont aussi associés dans la littérature aux taux de morbidité 20 et de mortalité 21 les plus faibles.

Surpoids et obésité entre 2007 et 2014

Les taux moyens d’IMC retrouvés sur la période d’évaluation ainsi que les pourcentages d’enfants en surpoids ou obésité sont similaires à ceux de l’enquête ENNS 10 et confirmés par une très large étude internationale récente 11 dans laquelle les prévalences françaises chez les enfants de moins de 20 ans en 2013 sont très proches de nos valeurs. De fait, le grand nombre de mesures réalisées intègre la distribution de ces valeurs en population.

Vitesses aux tests navette et de sprint selon le sexe, l’âge et l’IMC

Le sexe détermine une partie des différences de capacités physiques. Dans notre échantillon, les garçons ont une vitesse moyenne plus élevée à tous les âges, pour le test navette comme pour le test de sprint, en raison principalement d’une consommation maximale d’oxygène (VO2max) et d’une masse musculaire 22 plus importantes. Cette différence, qui s’accentue à partir de 14 ans, est due à une augmentation de masse musculaire plus marquée chez le garçon, ce qui impacte de manière directe la vitesse de déplacement. Au-delà de 18 ans, cette différence demeure en population générale ; elle est similaire à celle constatée dans les disciplines d’athlétisme, avec un écart moyen de 10,7% entre hommes et femmes 23. Plusieurs hypothèses pourraient expliquer les résultats féminins : durant l’enfance, et malgré une capacité égale à celle des garçons, les filles se perçoivent parfois comme moins habiles dans les APS, ce qui les amène à les délaisser plus précocement.

Par ailleurs, l’environnement familial et scolaire ne valorise pas autant l’APS chez les filles que chez les garçons. Ceci pourrait se traduire par un manque d’investissement et d’intérêt et, par ce biais, impacter également les résultats.

Indépendamment des fluctuations de certaines tranches d’âge (résultats féminins entre 13 et 17 ans), les capacités d’endurance et de vitesse maximale progressent durant l’enfance et l’adolescence. Cette relation âge-vitesse est caractéristique du développement humain et peut être représentée par une fonction bi-exponentielle, caractérisant avec une très grande adéquation (r2=0,99) la phase de croissance chez l’enfant autant que celle du déclin chez la personne âgée, en population générale 14 comme dans les groupes de haut niveau 24.

Sur les tests navette de 3 minutes et de sprint, les enfants en surpoids ou obèses développent des vitesses moins élevées que ceux de poids normal. Une adiposité importante est associée à des capacités plus faibles d’endurance et de sprint tandis que la masse grasse et l’adiposité sont plus faibles chez les plus actifs 25. Par ailleurs, l’obésité diminue les capacités musculaires squelettiques (régénératives en particulier) par le biais d’une altération fonctionnelle des cellules satellites médiée par les résistances à l’insuline et à la leptine 26. Le niveau de condition physique initial, les facteurs personnels (biologiques, psychosociologiques, comportementaux, hygiène), socioculturels et environnementaux sont autant de facteurs à prendre en compte pour expliquer ces résultats et pas seulement l’IMC, qui résulte des interactions de tous ces facteurs.

Par ailleurs, les filles en insuffisance pondérale présentent les mêmes vitesses de déplacement sur les deux tests que celles de poids normal tandis que les garçons de 16 à 18 ans présentent des vitesses d’endurance et de sprint similaires à ceux en surpoids. Cette différence pourrait s’expliquer dans la mesure où les filles atteignent leur pic de croissance pondérale un à deux ans avant les garçons 26.Ces derniers sont par ailleurs plus impactés sur le sprint en cas de déficit de masse musculaire, utile aux efforts brefs de type anaérobie 12. Enfin, la mesure de l’IMC chez l’enfant doit prendre en compte des interdépendances de taille, en particulier pour les premiers et derniers centiles 27.

L’analyse des performances en fonction de l’IMC souligne que plus la vitesse augmente, plus l’intervalle des IMC se rétrécit autour d’une valeur optimale, qui se retrouve ici chez les enfants de poids normal. Les fonctions de densité montrent une « centration » des vitesses de déplacement au sein de ces intervalles, non liée au niveau de performance mais dépendante de l’âge : chez les enfants de poids normal, vitesse et IMC augmentent parallèlement durant l’adolescence. Ceci s’illustre à travers le décalage de la zone la plus dense vers la droite (IMC) et vers le haut (vitesse).

Ces tendances, similaires à ce que l’on retrouve pour les maxima 12, montrent l’intérêt de la mesure chez les enfants et la cohérence des résultats des tests de condition physique en population générale. Elles justifient de développer l’étude de leurs interdépendances avec les grands indices biométriques. L’IMC montre ici une double signification : celle, habituelle, d’une mesure de la masse grasse et de l’obésité et celle d’une mesure de la masse musculaire active révélatrice de la condition physique (par une évaluation de l’énergie embarquée et de la puissance potentielle) 12.

Mesure de la condition physique

Une vitesse de déplacement élevée correspond à des capacités d’endurance et de sprint plus importantes. Mesurée ici par des tests dès l’enfance et l’adolescence, la vitesse est prédictive des capacités physiques et de l’état de santé à l’âge adulte 28. Un enfant présentant des vitesses d’endurance et de sprint au-dessus de la moyenne révèle une condition physique supérieure, que l’on constate, plus tard, associée à une plus longue durée 17,24 et une meilleure qualité de vie 29.

Dans la constante recherche d’équilibres nutritionnels et énergétiques en population 30,31, la simple mesure de la vitesse de déplacement pourrait être utilisée comme un indicateur de santé 15, complémentaire de l'IMC utilisé initialement pour le suivi des courbes de corpulence jusqu’à l’âge de 18 ans. Cet indicateur permet de fournir une double lecture (en termes de capacités physiques et d’optimisations possibles) et peut constituer un élément essentiel de la surveillance à long terme de l'évolution des maladies métaboliques 15. Les facteurs de risque cardiovasculaire (cholestérol, résistance à l’insuline…) sont ainsi plus favorables chez les adolescents dont l’endurance aérobie est la plus élevée 1. La vitesse de déplacement est multifactorielle. Elle répond au développement de plusieurs optima, tels que l’âge ou l’IMC ; l’environnement ainsi que les contextes économique ou géopolitique jouent également un rôle 32. Les campagnes de promotion de santé ciblant les enfants et les adolescents doivent intégrer la dimension de dépense énergétique totale et prendre en considération l'activité dans sa globalité, de même que l'environnement et les freins personnels associés 33 et, plus encore, la dimension de plaisir 34.

Limite de l’étude

Dans cette étude transversale, l’échantillon et les périodes d’évaluation sont dépendantes des établissements scolaires bénévoles et des organisateurs. Les équipes étendent à présent les tests sur l’ensemble du territoire afin d’obtenir un échantillon complètement représentatif de la population française permettant de suivre à 4 ans, et à plus long terme, les premières populations évaluées.

Conclusion

Cette étude fournit des mesures sur les capacités d’endurance et de sprint de collégiens et lycéens français entre 2007 et 2014. Ces capacités progressent principalement entre 11 et 15 ans et sont plus élevées, quel que soit l’âge, chez les garçons. La mise en parallèle de l’IMC, selon l’âge et le niveau de capacités, montre l’importance de ce paramètre de suivi dès l’enfance : les adolescents de poids normal ont une meilleure condition physique.

Ces tests en population doivent être poursuivis dans les années à venir dans la mesure où la condition physique, comme le poids et l’inactivité, représente un enjeu croissant de santé publique aux échelles nationale, européenne et internationale 35. Ils seront essentiels pour mesurer les impacts sanitaires positifs de l’amélioration ou négatifs de la détérioration des capacités physiques. De même, ils permettront de confirmer que les enfants et adolescents avec une bonne condition physique (tout comme ceux qui la récupèrent avec la reprise d’une activité physique ou sportive) présentent les risques sanitaires les plus faibles. Cette association forte nécessite maintenant d’être testée dans de plus larges études longitudinales.

Remerciements

Nous remercions la ligue Nord-Pas-de-Calais d’athlétisme pour son étroite collaboration, ainsi que les équipes de l’Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep). Merci à Andy Marc, Adrien Marck et Hala Nassif pour leur apport et la pertinence de leurs commentaires.

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Citer cet article

Schipman J, Saulière G, Sedeaud A, Deschamps T, Ovigneur H, Maillet H. Indice de masse corporelle et condition physique chez 49 600 collégiens et lycéens de six régions françaises. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(30-31):552-61. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/30-31/2015_30-31_2.html