Couvertures vaccinales chez les enfants sans logement d’Île-de-France : résultats de l’étude Enfams, 2013

// Vaccination coverage in homeless children of the Paris area (France): results of the ENFAMS study, 2013

Jean-Paul Guthmann1 (jp.guthmann@invs.sante.fr), Samreen Mansor-Lefebvre1,2, Daniel Lévy-Bruhl1, Carme Caum3, Amandine Arnaud1,3, Candy Jangal3, Stéphanie Vandentorren1,3,4, Yann Le Strat1
1 Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France
2 École des hautes études en santé publique, Rennes, France
3 Observatoire du Samusocial de Paris, Paris, France
4 Sorbonne Université, UPMC Univ Paris 06, Inserm, Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique (IPLESP UMRS 1136), Paris, France
Article soumis le 12.06.2015 // Date of submission: 06.12.2015
Mots-clés : Couverture vaccinale | Enfants | Sans-domicile | Île-de-France | Déterminants socioéconomiques
Keywords: Vaccination coverage | Children | Homelessness | Ile-de-France | Socioeconomic factors

Résumé

Introduction –

Le nombre de familles sans logement a fortement augmenté ces dix dernières années en France. Les caractéristiques sociodémographiques et sanitaires de cette population sont mal connues. L’Observatoire du Samusocial de Paris a mené une étude dont l’un des objectifs était d’estimer la couverture vaccinale (CV) des enfants sans logement.

Méthodes –

Enquête transversale menée en Île-de-France sur un échantillon de 801 familles résidant en hôtel social, en centre d’hébergement d’urgence, de réinsertion sociale ou pour demandeurs d’asile. Les enfants de moins de 13 ans ont été sélectionnés par sondage aléatoire à trois degrés. Les données vaccinales ont été recueillies par une infirmière à partir du carnet de santé au cours d’entretiens en face-à-face. La CV a été définie comme le rapport entre le nombre d’enfants vaccinés par un vaccin donné et le nombre d’enfants inclus dans l’analyse. L’association entre vaccination et variables sociodémographiques a été analysée par régression de Poisson.

Résultats –

Au total, 751 enfants ont été inclus entre janvier et juillet 2013. Chez les enfants sans logement nés en France, les CV étaient généralement élevées (>90% à l’âge de 24 mois pour la plupart des vaccinations) et proches de celles observées en population générale, alors que celles des enfants sans logement nés hors de France étaient nettement plus basses (toutes <50% au même âge). À l’âge de 24 mois, la probabilité d’être vacciné pour un enfant sans logement né en France était généralement de 2 à 14 fois supérieure (selon les vaccins) à celle d’un enfant né hors de France (p<0,001). Dans ce dernier groupe, la vaccination s’améliorait au-delà de 24 mois, mais le rattrapage restait insuffisant.

Conclusions –

Bien qu’il soit possible qu’une partie de l’écart observé soit liée à un défaut d’enregistrement de vaccinations effectuées avant l’arrivée en France, ces données suggèrent que les enfants franciliens sans logement nés à l’étranger sont moins bien vaccinés, à âge égal, que les autres enfants. Une attention particulière devrait être portée à cette population spécifique.

Abstract

Introduction –

The number of homeless families has considerably increased in the past ten years in France. The socio-demographic and health characteristics of this population are to a large extent unknown. The Observatoire of Samusocial of Paris conducted a survey which objective was, among others, to estimate the vaccination coverage (VC) of homeless children.

Methods –

This was a cross-sectional survey conducted in the greater Paris area (Ile-de-France) in a sample of 801 families sheltered in centres for asylum seekers, emergency housing centres, social reinsertion centres and hotels. Children aged less than 13 years old were selected through a three-stage sampling design. Vaccination data was collected by a nurse through face-to-face interviews and the vaccination status transcribed from a vaccination document. VC was defined as the ratio between the number of children vaccinated with a vaccine and the number of children included in the analysis. The association between vaccination and socio-demographic variables was analyzed through Poisson regression.

Results –

A total of 751 children were included between January and July 2013. Vaccination coverage of homeless children born in France was usually high (>90% at 24 months for most vaccinations) and close to that observed in the general population, whereas VC in homeless children born outside France was considerably lower (all <50% at the same age for all vaccines). At the age of 24 months, a homeless child born in France had a 2 to 14 higher chance to be vaccinated (depending on the vaccine) compared to a child not born in France (p<0.001). In the latter group, vaccination increased with age but catch-up remained insufficient.

Conclusions –

Although a likely explanation to this difference could be a lack of registration for vaccinations performed before the arrival to France, our data suggest that homeless children born outside France have a lower vaccination coverage, at the same age, than homeless children born in France. A special attention should be paid to this specific population.

Introduction

Selon plusieurs sources de données, le nombre de familles prises en charge dans le cadre de l’assistance aux familles sans domicile a fortement augmenté ces 10 dernières années, notamment en Île-de-France 1,2. Cette situation est préoccupante dans la mesure où tant les témoignages des acteurs de terrain en France 1 que les études scientifiques réalisées dans le monde anglo-saxon 3,4 montrent que les conditions de vie précaires dans des lieux souvent dégradés ont d’importantes répercussions sur la santé et le développement de l’enfant. Or, malgré la part croissante de cette population, les caractéristiques de ces familles sont peu connues en France, où cette population est souvent exclue des enquêtes épidémiologiques menées en population générale et peu représentée dans les rares enquêtes menées auprès des personnes sans domicile 2,5. L’Observatoire du Samusocial de Paris a mené en 2013 l’étude Enfams (ENfants et FAMilles Sans logement) 1,6, dont l’un des objectifs était de décrire les caractéristiques des familles sans logement et d’étudier les facteurs associés à leur état de santé.

Le statut vaccinal des enfants faisait partie des caractéristiques investiguées dans cette enquête. La vaccination est l’une des mesures les plus efficaces dans la prévention des maladies infectieuses. L’évaluation et le suivi de la couverture vaccinale (CV) permettent de savoir si un programme de vaccination est correctement appliqué et si la population concernée est bien protégée contre les maladies infectieuses ciblées par ces vaccins. Ce suivi est assuré en France par l’Institut de veille sanitaire (InVS), en collaboration avec de nombreux partenaires 7. Les nombreuses données produites et actualisées chaque année 8 sont utiles pour guider la politique vaccinale en permettant de renforcer les actions de promotion de la vaccination dans des groupes insuffisamment vaccinés. Or, malgré les données de plus en plus nombreuses en population générale et pour différents groupes d’âge, les données dans des populations spécifiques sont relativement peu nombreuses. Une des raisons expliquant cette situation est qu’il n’existe pas dans notre pays de dispositif pérenne de collecte de données vaccinales pour la plupart de groupes spécifiques, celle-ci reposant alors sur des enquêtes ad hoc souvent coûteuses et difficiles à réaliser. La production de telles données est pourtant essentielle à la santé publique, en particulier dans des populations précaires particulièrement à risque sur le plan infectieux 9. Les caractéristiques de la population concernée par Enfams 1,6 expliquent l’importance de documenter la CV de ces enfants plus exposés et supposés moins insérés dans un système de prévention, afin de mettre en place, le cas échéant, les mesures de rattrapage nécessaires. L’objectif de ce travail était de mesurer la CV des enfants et d’identifier les facteurs socioéconomiques et démographiquesassociés à une vaccination insuffisante.

Méthodes

Méthodologie générale

Nous reprenons les principaux points méthodologiques généraux qui sont développés plus amplement ailleurs 1,6. La population d’étude était constituée de familles d’Île-de-France hébergées en hôtel social, en centre d’hébergement d’urgence (CHU), de réinsertion sociale (CHRS) ou pour demandeurs d’asile (Cada). Ces familles étaient définies par la présence d’au moins un adulte accompagné d’au moins un enfant âgé de moins de 13 ans. Le calcul de la taille d’échantillon des familles à enquêter a été basé sur un indicateur principal investigué par Enfams : la prévalence du retard de développement de l’enfant (estimée à 10%). Dans ce calcul de taille d’échantillon, il a été également tenu compte de la nécessité de comparer les familles dans différentes structures. L’enquête a été menée sur un échantillon aléatoire de 801 familles sélectionné par sondage aléatoire à trois degrés. Au premier degré, ont été tirées les structures d’hébergement, au deuxième degré les familles, au troisième degré les enfants de moins de 13 ans. Le recueil de données a été obtenu par deux questionnaires en face-à-face administrés au parent (de préférence la mère) par un binôme d’enquêteurs dans 17 langues, l’un portant sur l’ensemble de la famille (données sociodémographiques et économiques), l’autre sur l’enfant. Les données concernant les dates d’administration des vaccins recommandés chez l’enfant dans le calendrier vaccinal français 10 (BCG, diphtérie-tétanos-poliomyélite (DTP), coqueluche (Coq), Haemophilus influenzae b (Hib), hépatite B, pneumocoque, rougeole-rubéole-oreillons (ROR), méningocoque C) ont été recueillies par une infirmière à partir du carnet de santé ou de tout autre document de vaccination. Les données ont été apurées et la base de données transmise à l’InVS qui a effectué l’analyse avec le logiciel Stata® 12 (StataCorp, Texas, USA), en prenant en compte le plan de sondage et la pondération.

Analyse des données vaccinales

Les caractéristiques générales des enfants ont été décrites, puis les données vaccinales ont été analysées. En fonction des différentes recommandations vaccinales, les enfants ont été classés comme « à jour » ou « non à jour » pour chaque vaccination. Un enfant était considéré comme « à jour » à un âge donné si les dates des injections étaient indiquées et si l’enfant avait reçu le nombre de doses recommandé pour son âge. Les enfants sans document de vaccination ont été exclus de l’analyse. En raison des changements des recommandations vaccinales entre 2000 et 2012 (période de naissance des enfants concernés), le classement de l’enfant a tenu compte de son mois/année de naissance et des recommandations vaccinales en vigueur pour cette cohorte de naissance.

Dans un premier temps, la CV a été estimée à 24 mois, afin de pouvoir la comparer avec les données produites en population générale. Il s’agit en effet d’un âge de référence pour lequel les données sont produites chaque année à partir des certificats de santé du 24e mois 8. Les données franciliennes étaient disponibles pour les cohortes de naissance 2000-2009 (données Drees non publiées 2000-2003 ; à partir de 2004, données disponibles sur le site de l’InVS 8). La CV a été définie comme le rapport entre le nombre d’enfants vaccinés par un vaccin donné et le nombre d’enfants inclus dans l’analyse. Seuls les enfants de 24 mois et plus ont fait partie de cette analyse, stratifiée sur le lieu de naissance (en et hors France). Une analyse multivariée a ensuite permis d’investiguer l’association entre vaccination hépatite B « 3 doses » à 24 mois et des facteurs socioéconomiques (pour des raisons d’espace limité, ces derniers résultats ne peuvent être que brièvement mentionnés dans cet article). Dans cette analyse, l’ajustement s’est fait sur des variables individuelles de l’enfant (tableau 1) et sur des variables socioéconomiques et démographiques concernant les parents (dont le niveau d’éducation, la profession, le type d’assurance maladie, l’existence de problèmes d’expression et de compréhension en français, etc.). Dans toutes ces analyses, nous avons utilisé une régression de Poisson avec variance robuste 11, et les résultats ont été exprimés par des rapports de prévalences avec intervalle de confiance à 95%.

Dans un deuxième temps, nous avons analysé l’évolution de la proportion d’enfants « à jour » selon leur âge (nombre d’enfants « à jour » pour une vaccination à un âge donné/nombre total d’enfants). Ceci était possible puisque nous disposions pour chaque enfant des dates d’injection, ce qui nous permettait de savoir rétrospectivement si l’enfant était, à chaque âge, « à jour » pour une vaccination donnée. L’analyse au-delà de l’âge de 24 mois nous a permis de mesurer le rattrapage après l’âge de 2 ans. Cette analyse a été faite par cohorte de naissance (en regroupant deux cohortes de naissance successives pour faciliter l’analyse et la représentation graphique) et séparément chez les enfants nés en France et hors de France. Les résultats sont montrés graphiquement (figures 1 et 2) et uniquement pour les vaccinations DTP « 3 doses » et hépatite B « 3 doses », les analyses pour les autres vaccins ayant montré des résultats similaires.

Résultats

Description de la population

Les principales caractéristiques des 751 enfants inclus dans l’enquête figurent au tableau 1. Le sexe ratio garçons/filles était de 0,92. La proportion d’enfants de moins de un an était de 13% et 67,4% étaient âgés de moins de 6 ans. Un peu plus d’un tiers des enfants (37,0%) était né hors de France, la plupart en Europe de l’Est (Communauté des États indépendants) (32,3%) ou en Afrique (37,8%). Dans la plupart des cas (61,0%), la naissance avait eu lieu avant la perte du logement. Les familles étaient fréquemment monoparentales (42,6%) et comptaient le plus souvent (90,2%) plus d’un enfant. Les enfants étaient le plus souvent scolarisés (88,5% des enfants âgés de plus de 3 ans) et avaient eu dans une très large majorité (93,4%) un contact avec le système de soins dans l’année précédente.

Tableau 1 : Caractéristiques des enfants de l’échantillon (n=751) et proportion estimée dans la population sans logement d’Île-de-France, enquête Enfams, 2013
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Couverture vaccinale à 24 mois

Parmi les 751 enfants inclus, 48 (4,7%) ont été exclus de l’analyse des données vaccinales en raison de l’absence de document de vaccination, laissant un total de 703 enfants pour l’analyse (607 présentaient un carnet de santé, 96 un autre carnet de vaccination). Les enfants exclus étaient différents pour certaines caractéristiques (naissance en France/hors de France, contacts avec le système de soins, nombre de mois dans la même structure) et similaires pour d’autres (sexe, statut matrimonial des parents, niveau de diplôme des parents, nombre d’enfants dans la famille, naissance des parents France/étranger, âge des parents) comparés aux enfants inclus. Globalement, les CV étaient insuffisantes, inférieures à 90% pour toutes les vaccinations (tableau 2). L’analyse par lieu de naissance montrait cependant des CV beaucoup plus élevées chez les enfants nés en France (couvertures proches ou supérieures à 90% pour BCG, DTP-Coq-Hib et ROR « 1 dose ») comparées à celles des enfants nés hors de France (toutes inférieures à 50%). Comme indiquée par les rapports de prévalences, la probabilité d’être vacciné pour un enfant né en France était de 2 à 14 fois supérieure (selon les vaccins) à celle d’un enfant né hors de France (<0,001 pour toutes les comparaisons). Ces résultats ont été confirmés pour la vaccination hépatite B « 3 doses » dans l’analyse multivariée : la proportion d’enfants non à jour était supérieure chez les enfants nés hors de France comparée à celle des enfants nés en France (rapports de prévalences ajustés : naissance en Afrique : 3,6 [2,2-5,9] ; naissance en Asie : 3,7 [2,2-5,9] ; naissance en Europe hors France : 3,7 [2,3-6,0].

Tableau 2 : Couvertures vaccinales (CV) estimées à 24 mois dans la population d’enfants sans logement d’Île-de-France, enquête Enfams, 2013
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Proportion d’enfants à jour selon l’âge

Concernant la vaccination DTP « 3 doses » (figure 1), la proportion d’enfants à jour augmentait rapidement avec l’âge dans toutes les cohortes d’enfants nés en France, pour être proche de 100% à l’âge de 24 mois (sauf pour la cohorte 2010-2011 : 94,0%), valeur comparable à la CV de la population générale des enfants d’Île-de-France (couverture moyenne à 24 mois pour la période 2000-2009 : 99,1%). Ces proportions élevées n’étaient pas observées chez les enfants nés hors de France, pour lesquels elles étaient à 24 mois bien en dessous de la CV des enfants de la population générale d’Île-de-France. Dans toutes les cohortes des enfants nés hors de France, même si ces proportions avaient tendance à augmenter au-delà de 24 mois, elles restaient toujours très inférieures à celles des enfants nés en France (<70% dans tous les cas).

Figure 1 : Proportion estimée d’enfants sans logement d’Île-de-France vaccinés par 3 doses de vaccin diphtérie-tétanos-poliomyélite (DTP) en fonction de l’âge par cohorte de naissance et lieu de naissance, enquête Enfams, 2013
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Une situation comparable était observée pour la vaccination hépatite B « 3 doses » (figure 2), avec une proportion d’enfants à jour chez les enfants nés hors de France inférieure à tout âge à celle des enfants nés en France, et un rattrapage insuffisant au-delà de 24 mois. Chez les enfants nés hors de France, les proportions d’enfants à jour à 24 mois étaient inférieures à celles dans la population générale pour toutes les cohortes. Ceci n’était généralement pas le cas chez les enfants nés en France, qui étaient généralement mieux vaccinés à 24 mois que les enfants de la population générale, en particulier les cohortes 2000-2001 (70,0% versus 37,8%) et 2002-2003 (82,2% versus 44,5%). La seule cohorte dans laquelle les enfants de la population générale étaient mieux vaccinés à 24 mois que les enfants sans logement nés en France était celle de 2004-2005 (55,2% versus 45,4%).

Figure 2 : Proportion estimée d’enfants sans logement d’Île-de-France vaccinés par 3 doses de vaccin hépatite B en fonction de l’âge par cohorte de naissance et lieu de naissance, enquête Enfams, 2013
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Discussion

L’enquête Enfams a permis, pour la première fois en France à une si large échelle, de documenter l’état vaccinal d’une population spécifique d’enfants qui, en raison de la précarité de ses conditions de vie, est confrontée à de nombreux problèmes, notamment de santé, comme cela est montré par S. Vandentorren et coll. dans un autre article de ce numéro 6. Le nombre très limité de données vaccinales dans cette population en France 12,13 s’explique en grande partie par les difficultés de mise en oeuvre de ce type d’enquête dans une population mobile, changeant fréquemment de logement. Ces difficultés sont illustrées par les contraintes techniques qui ont accompagné la conduite de l’enquête Enfams 1 : absence de base de sondage conduisant à la nécessité d’un recensement préalable des structures concernées afin d’en constituer une ; multiplicité des nationalités impliquant l’emploi de traducteurs permettant d’interroger les familles dans 17 langues différentes ; difficulté à contacter les familles ayant souvent nécessité de passer par des intervenants sociaux pour les joindre avant l’enquête.

Notre étude a montré que, chez les enfants sans logement nés en France résidant en Île-de-France, les CV étaient proches de celles de la population générale du même âge. Concernant la vaccination hépatite B, ces enfants étaient mieux vaccinés que ceux de la population générale. Ceci reflète probablement la perception par les médecins d’un plus haut risque de contraction de l’hépatite B chez ces enfants appartenant souvent à des familles originaires de pays d’endémie élevée de cette infection. Une autre explication pourrait être une prévalence plus élevée de l’hépatite B chronique maternelle chez les mères ayant justifié une sérovaccination à la naissance. Ceci est en effet suggéré par nos données qui montrent que, parmi les enfants sans logement nés en France et vaccinés par au moins une dose de vaccin hépatite B, 28/405 (6%) avaient reçu la première dose le jour ou dans la semaine suivant la naissance (cette proportion était de 33/154=21% chez les enfants nés hors de France). Même si ce chiffre est une approximation du taux de portage de l’antigène HBs chez les mères, il est bien supérieur au taux de 0,8% observé dans la population générale adulte en France 14. Les CV des enfants sans logement nés hors de France étaient, quant à elles, nettement plus basses que dans la population générale du même âge. Dans ce groupe, la CV s’améliorait avec le temps passé en France mais le rattrapage restait insuffisant, ceci alors que plus de 90% de cette population avait eu un contact avec le système de soins dans l’année précédant l’enquête. Cela constitue autant d’occasions manquées de rattrapage vaccinal, un élément qu’il est nécessaire de considérer afin d’améliorer la prise en charge de ces enfants.

Les données recueillies sont importantes pour l’action en santé publique. Elles sont d’autant plus importantes qu’elles concernent une problématique en pleine croissance : le nombre de familles francophones sans domicile a augmenté en France de plus de 50% entre 2011 et 2012, plus de 25% d’entre elles ayant de jeunes enfants 5. Nos résultats pointent une situation non documentée jusqu’alors, à savoir une vaccination nettement insuffisante dans une partie de cette population sans logement, et la nécessité de mettre en place des actions de promotion et de prise en charge spécifiques afin d’améliorer cette situation. Cette prise en charge a d’ailleurs été effectuée pendant l’enquête. Dans le cadre de cette « recherche-action », les enfants non vaccinés étaient orientés vers le centre de protection maternelle et infantile (PMI) de rattachement afin de procéder au rattrapage vaccinal. Cette orientation avait été organisée en amont de l’enquête, en concertation avec les centres de PMI, et a permis la prise en charge de ces enfants, quel que soit leur âge.

La vaccination insuffisante chez les enfants nés hors de France doit être interprétée avec une certaine prudence et ceci pour deux raisons. D’une part, la CV à un certain âge pourrait refléter la situation qui existait dans le pays d’origine. Cependant, dans ce cas, un rattrapage aurait dû se faire peu de temps après l’arrivée de l’enfant en France. Or, notre étude montre que cela ne se produit que très lentement et incomplètement. D’autre part, un document de vaccination du pays d’origine n’était pas toujours disponible chez ces enfants. Il est alors possible que les différences observées soient liées à un défaut d’enregistrement de vaccinations effectuées avant l’arrivée en France.

Ces données suggèrent que les enfants franciliens sans logement nés à l’étranger sont moins bien vaccinés, à âge égal, que les autres enfants. Une attention particulière devrait être portée à cette population spécifique pour veiller à lui assurer une meilleure accessibilité à la vaccination. Nos résultats posent la question de la nature des obstacles dans l’accès à la vaccination rencontrés par ces enfants (géographiques, sociaux, économiques, etc.). Les données d’Enfams ne permettent pas de répondre à cette question, et des études complémentaires seraient nécessaires pour explorer ces hypothèses.

Références

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Citer cet article

Guthmann JP, Mansor-Lefebvre S, Lévy-Bruhl D, Caum C, Arnaud A, Jangal C, et al. Couvertures vaccinales chez les enfants sans logement d’Île-de-France : résultats de l’enquête Enfams, 2013. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(36-37):686-92. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/36-37/2015_36-37_5.html