Mortalité par mucoviscidose : analyse des données du Registre français, 1992-2012

// Cystic fibrosis mortality: analysis of the French Registry data, 1992-2012

Ségolène Bouet1, Gil Bellis2 (bellis@ined.fr), Lydie Lemonnier3, Marie Sponga3, Virginie Colomb-Jung3
1 Université Claude Bernard, Lyon, France
2 Institut national d’études démographiques, Paris, France
3 Association Vaincre la mucoviscidose, Paris, France
Soumis le 08.06.2015 // Date of submission: 06.08.2015
Mots-clés : Mucoviscidose | Mortalité | Facteurs de risque | Dénutrition | Registre | France
Keywords: Cystic fibrosis | Mortality | Risk factors | Malnutrition | Registry | France

Résumé

Introduction –

La mucoviscidose est la plus fréquente des maladies monogéniques potentiellement graves dès l’enfance. En France, elle a bénéficié de diverses dispositions : mise en place en 2002-2003 du dépistage néonatal systématique et création de centres de soins spécialisés. L’étude rend compte des effets de cette politique de santé par l’analyse de l’évolution, dans le temps, de la mortalité par âge et de l’effet de facteurs de risque démographiques et cliniques sur le décès.

Matériel et méthodes –

La population étudiée est composée des patients du Registre français de la mucoviscidose. La mortalité a été analysée en transversal, à partir de taux par classes d’âges calculés sur 4 périodes : 1992-1996, 1997-2001, 2002-2006, 2007-2011. L’effet des facteurs de risque de décès a été analysé en longitudinal, par une régression logistique sur 3 cohortes de nouveau-nés entrés dans le Registre en 1992-1996, 1997-2001, 2002-2006 et suivis jusqu’en 2012.

Résultats –

Les taux de mortalité augmentent jusqu’à l’âge de 20-24 ans mais sont, à chaque âge, moins élevés aux périodes récentes qu’aux périodes anciennes. Le risque de décès, toutes choses égales par ailleurs, est significativement plus élevé chez les femmes et chez les patients sévèrement dénutris, moins élevé pour les cohortes 1997-2001, 2002-2006 et pour les patients ayant atteint les âges de 10-14 ans ou 15 ans et plus.

Conclusion –

Nos résultats suggèrent qu’une prévention de la dénutrition, une prise en charge multidisciplinaire par des centres de soins spécialisés et un suivi dès la naissance pourraient contribuer à diminuer le taux de mortalité par mucoviscidose en France.

Abstract

Introduction –

Cystic fibrosis is the most prevalent of the monogenic diseases with potentially serious effects as early as childhood. In France, numerous measures have been taken to fight the disease, including the introduction of systematic neonatal screening in 2002-2003, and the creation of specialized healthcare centres. This study reports on the effects of this health policy by analysing age-specific mortality trends and the effects of demographic and clinical risk factors on death.

Material and methods –

The study population included patients registered in the French Cystic Fibrosis Registry. Mortality was analysed cross-sectionally using death rates by age group calculated over 4 periods: 1992-1996, 1997-2001, 2002-2006, 2007-2011. The effects of mortality risk factors were analysed longitudinally by logistic regression on 3 cohorts of newborns who entered the Registry in 1992-1996, 1997-2001 and 2002-2006, and who were followed until 2012.

Results –

Mortality rates increase up to ages 20-24, but in each age group they are lower in the recent periods than in the earlier periods. The risk of death, all other things being equal, is significantly higher among females and seriously malnourished patients, lower for the 1997-2001 and 2002-2006 cohorts and for patients who had reached ages 10-14 or 15+.

Conclusion –

Our results suggest that prevention of malnutrition, multidisciplinary care in specialized centres and follow-up starting from birth contribute to reduce cystic fibrosis mortality in France.

Introduction

La mucoviscidose, dont la prévalence est estimée à 0,74 pour 10 000 habitants dans l’Union européenne 1, fait partie des maladies rares ; elle est néanmoins la plus fréquente des maladies monogéniques potentiellement graves dès l’enfance dans les populations d’origine européenne. Il s’agit d’une maladie héréditaire à transmission autosomique récessive due aux mutations du gène CFTR (Cystic fibrosis transmembrane conductance regulator), dont la plus fréquente est la mutation F508del 2. Le gène CFTR intervient dans la régulation du transport des ions chlorure au niveau de la membrane cellulaire de plusieurs organes : poumon et sphère ORL, tube digestif, foie, voies biliaires et pancréas, organes reproducteur 3. Chronique et d’aggravation progressive, la mucoviscidose s’exprime le plus souvent très tôt dans la petite enfance, voire dès la naissance ; la diversité de l’atteinte organique conduit à une diversité d’expression clinique, tant pour l’âge auquel apparaissent les premiers symptômes que pour l’évolution de la maladie. Dans sa forme typique, la mucoviscidose associe des manifestations respiratoires, une insuffisance pancréatique externe (rencontrée chez environ 85% des patients) et un retard de croissance 4. La surinfection broncho-pulmonaire, qui se traduit par des épisodes d’exacerbations, est un problème majeur pour les malades, les deux germes les plus fréquemment responsables d’infections étant Pseudomonas aeruginosa et Staphylococcus aureus, fortement impliqués dans l’aggravation de l’atteinte pulmonaire 5. En tant que maladie chronique nécessitant un traitement prolongé et des thérapeutiques particulièrement coûteuses, la mucoviscidose est inscrite par voie réglementaire depuis 1987 dans le dispositif des Affections de longue durée (ALD n° 18).

Cette maladie a bénéficié en France d’une politique de santé particulièrement active du fait de décisions prises par les pouvoirs publics et des organismes privés – des associations principalement – au cours des 25 dernières années. En 2002, le ministère chargé de la Santé a en effet décidé de généraliser le dépistage néonatal de la mucoviscidose sur l’ensemble du territoire national, après que les résultats d’études épidémiologiques aient démontré les bénéfices d’une prise en charge précoce sur les caractéristiques nutritionnelles des personnes atteintes 6. À la suite de cette décision, une circulaire 7 a formalisé les conditions de la prise en charge des patients dans des centres de soins habilités : les CRCM (Centres de ressources et de compétences de la mucoviscidose). Sur la base de la centaine de services hospitaliers qui prenaient habituellement en charge les patients sur l’ensemble du territoire (métropole et La Réunion), ont été créés, en 2002-2003, 49 CRCM pour coordonner et administrer les soins, la fréquence minimale requise en termes de suivi des patients étant d’une visite trimestrielle 8. Autre décision notable, la création par l’association Vaincre la mucoviscidose, en 1992, d’un Observatoire dont les principaux objectifs étaient de connaître les caractéristiques médicales et sociales de la population atteinte et de mesurer l’impact des interventions thérapeutiques. Ce dispositif, aujourd’hui dénommé Registre français de la mucoviscidose, qui a graduellement évolué vers l’exhaustivité pour être qualifié depuis 2008 par le Comité national des registres de maladies rares, témoigne des progrès réalisés dans la prise en charge de la mucoviscidose 9.

L’objectif de cette étude était d’évaluer les effets produits, durant ces deux dernières décennies, par les actions menées en faveur de la prise en charge de cette maladie, en analysant l’évolution dans le temps de la mortalité par âge ainsi que les principaux facteurs de risque de décès des patients atteints de mucoviscidose.

Matériel et méthodes

La population de l’étude est composée des patients ayant eu un diagnostic de mucoviscidose et suivis par un CRCM ou autre centre de soins – en charge par exemple des transplantations – participant au Registre sur la période 1992-2012. Le diagnostic associe, d’une part, au moins un des signes cliniques évocateurs de la maladie (symptômes sino- respiratoires chroniques, anomalies gastro-intestinales et nutritionnelles) et, d’autre part, la preuve d’une altération liée au dysfonctionnement de la protéine CFTR (test de la sueur positif et/ou présence de deux mutations CFTR et/ou anomalies typiques des différences de potentiel nasal) 10. La participation des CRCM et autres centres de soins au Registre est volontaire et consiste en un recueil de données réalisé une fois par an sur la totalité de leur file active, au moyen d’un questionnaire électronique ou au format papier selon l’équipement du centre de soins. Les données portent sur l’année écoulée et concernent, en particulier, l’identification semi-anonyme du patient, les circonstances du diagnostic, le suivi médical, les thérapeutiques utilisées, les données anthropométriques et nutritionnelles, fonctionnelles respiratoires, bactériologiques et évolutives. Les patients vus en cours d’année dans au moins deux centres de soins n’ont été comptés qu’une fois et affectés au centre les ayant vus le plus grand nombre de fois dans l’année. Les données manquantes, incomplètes ou aberrantes ont fait l’objet de relances et de vérifications systématiques.

Dans le premier volet de l’étude, la mortalité par âge a été analysée en transversal, sur quatre périodes quinquennales constituées sur l’étendue maximale du fonctionnement du Registre, celles-ci couvrant l’avant et l’après mise en place du dépistage néonatal ainsi que la création des CRCM : 1992-1996, 1997-2001, 2002-2006, 2007-2011. Au sein de chacune de ces périodes, les patients ont été regroupés par classes d’âges quinquennales jusqu’à 29 ans et, au-delà, dans une classe d’âges ouverte : 0-4 ans, 5-9 ans,..., 25-29 ans, 30 ans et plus. Pour tenir compte des durées réelles d’exposition, les populations observées par période et classe d’âges ont été décomposées en personnes-années 11 et des taux de mortalité par âge (décès/nombre de personnes-années de la même classe d’âges) ont été calculés pour chacune des périodes.

Dans le second volet de l’étude, les facteurs de risque de décès ont été analysés en longitudinal de 1992 à 2012, sur trois cohortes de patients dont l’année de naissance coïncidait avec leur année d’entrée dans le Registre (suppression des troncatures à gauche) : 1992-1996, 1997-2001, 2002-2006. Au sein de chacune de ces cohortes, les patients ont été regroupés par âge atteint à la fin du suivi, celui-ci pouvant être la survie ou le décès : 0-4 ans, 5-9 ans, 10-14 ans, 15 ans et plus. L’association entre facteurs de risque et survenue du décès a fait l’objet d’une analyse multivariée par une régression logistique en ajustant sur les variables ayant a priori un statut explicatif : la cohorte, le sexe, la classe d’âges à la fin du suivi, le génotype (modalités d’associations des mutations – celles ayant pu être identifiées par l’analyse génétique – avec la mutation F508del), le statut pancréatique (insuffisant ou suffisant pancréatique), le Z-score de l’indice de masse corporelle (IMC) à la fin du suivi (avec une valeur seuil du Z-score de l’IMC à -2), le premier statut bactériologique positif durant le suivi (modalités d’associations des germes Pseudomonas aeruginosa et Staphylococcus aureus). Le volume expiratoire maximal par seconde (VEMS), paramètre important de la fonction respiratoire, n’a pu être ajouté à ces variables susceptibles d’intervenir dans la survenue du décès car il n’est mesurable qu’à partir de l’âge de 6 ans 12. L’effet de chacun des facteurs a été exprimé en probabilité de décéder, et l’odds ratio (OR) de chacun d’eux testé par un test du Chi2 de Wald ; la significativité statistique a été retenue pour les valeurs de p≤0,05.

Résultats

Évolution de la mortalité par âge

Sur la période 1992-1996, 2 805 patients ont été recensés par le Registre français de la mucoviscidose et 168 décès ont été enregistrés. Ces effectifs ont été respectivement de 4 268 patients et 295 décès en 1997-2001, 5 732 patients et 305 décès en 2002-2006, 6 684 patients et 308 décès en 2007-2011.

À toutes les périodes, les taux de mortalité ont augmenté régulièrement jusqu’à l’âge de 20-24 ans ; au-delà de cette classe d’âges, les évolutions de la mortalité étaient plus contrastées : sur les périodes les plus récentes (2002-2006 et 2007-2011), les taux se stabilisaient à partir de 25-29 ans ; sur les périodes les plus anciennes (1992-1996 et 1997-2001), la hausse des taux s’est poursuivie jusqu’à 25-29 ans puis les taux ont chuté à partir de 30 ans (tableau 1 et figure 1).

Tableau 1 : Personnes-années, décès et taux de mortalité par âge. Registre français de la mucoviscidose, périodes 1992-1996 à 2007-2011
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Figure 1 : Taux de mortalité par âge, Registre français de la mucoviscidose, périodes 1992-1996 à 2007-2011
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Aux différents âges, les taux de mortalité étaient moins élevés sur les périodes récentes que sur les périodes anciennes. Les écarts étaient faibles durant la petite enfance (taux proches de 1,3‰ chez les 0-4 ans en 2002-2006 et 2007-2011, soit environ 1,1 point de moins qu’en 1992-1996 et 1997-2001) ; ils augmentaient progressivement au fil des âges et étaient importants chez les adultes (taux proches de 22,2‰ à 25-29 ans en 2002-2006 et 2007-2011, soit environ 24,1 points de moins qu’en 1992-1996 et 1997-2001).

Facteurs de risque de décès

Le nombre de nouveau-nés suivis de 1992 à 2012 a été de 1 225 ; au cours du suivi, 39 décès (3,2%) sont survenus ; parmi les 1 186 patients non décédés, le nombre de perdus de vue a été de 82 (6,9%) ; il s’agissait des patients dont la dernière information remontait au plus tard au 31/12/2011.

Les résultats du modèle sont donnés dans le tableau 2 et illustrés sur la figure 2. Un patient présentant toutes les caractéristiques de la situation de référence (cohorte 1992-1996, sexe masculin, âgé de 0-4 ans à la fin du suivi, génotype homozygote F508del, insuffisant pancréatique, Z-score de l’IMC >-2 à la fin du suivi, n’ayant eu ni le Pseudomonas aeruginosa ni le Staphylococcus aureus au cours du suivi) a une probabilité de décéder de 55,5%, sur la période étudiée.

Tableau 2 : Odds ratio du décès selon différents facteurs démographiques et biocliniques, Registre français de la mucoviscidose, années 1992 à 2012
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Figure 2 : Probabilité de décéder selon différents facteurs démographiques et biocliniques, Registre français de la mucoviscidose, années 1992 à 2012
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Toutes choses égales par ailleurs, les effets de chacune des variables retenues pour l’analyse multivariée se hiérarchisent ainsi : concernant les facteurs démographiques, le risque de décès est nettement diminué pour les patients des cohortes 1997-2001 (probabilité de 9,3% ; OR<1 avec p<0,001) et 2002-2006 (probabilité de 0,4% ; OR<1 avec p<0,001) ; le risque diminue également en fonction de l’âge atteint à la fin du suivi : si la probabilité de décéder est encore de 35,2% à 5-9 ans, elle n’est plus que de 8,9% à 10-14 ans (OR<1 avec p<0,001) et de 1,0% à 15 ans et plus (OR<1 avec p<0,001) ; le risque demeure en revanche très élevé chez les femmes (probabilité de 78,4% ; OR>1 avec p=0,02).

Concernant les facteurs biocliniques, le risque de décès est très élevé chez les patients ayant eu un faible Z-score de l’IMC à la fin du suivi (probabilité de 94,6% ; OR>1 avec p<0,001) ; ce facteur reste significatif (OR>1 avec p<0,001) dans une analyse de sensibilité avec un seuil du Z-score de l’IMC porté à -1. Le risque diminue chez les patients suffisants pancréatiques (probabilité de 49,7%) ; il augmente lorsque le Pseudomonas aeruginosa se présente seul (probabilité de 69,1%) mais diminue avec le Staphylococcus aureus seul (probabilité de 67,9%) et quand les deux germes sont associés ( probabilité de 51,6%) ; le risque selon le génotype présente des variations assez erratiques : à la baisse chez les patients F508del/autre (probabilité de 54,8%) et quand les deux mutations ne sont pas renseignées (probabilité de 53,4%), à la hausse avec F508del/non renseigné (probabilité de 64,9%) et lorsque les deux mutations sont autres que F508del (probabilité de 73,8%) ; cependant, ces variations de risque ne présentent pas de coefficient significatif.

Discussion

À partir de données issues du Registre français de la mucoviscidose, cette étude a examiné la mortalité par mucoviscidose en France en deux volets : son évolution par âge sur quatre périodes allant de 1992-1996 à 2007-2011 ; les facteurs de risque pouvant être associés au décès au sein de trois cohortes suivies de 1992 à 2012.

Évolution de la mortalité par âge

Les taux de mortalité augmentent avec l’âge, hormis à partir de 30 ans, où ils chutent. Cette baisse, particulièrement marquée en 1992-1996 et 1997-2001, a certainement résulté de deux facteurs : d’une part, un sous-enregistrement des cas les plus âgés dans le Registre au début de son fonctionnement 13 et, d’autre part, des patients adultes avec des formes relativement modérées de la mucoviscidose déclarés au Registre durant ces périodes. Cependant, à chaque âge, la mortalité a été d’autant moins importante que l’on se situait à une période récente. Après 2002-2003, années durant lesquelles ont été mis en place le dépistage néonatal de la mucoviscidose ainsi que les CRCM, les taux de mortalité ont affiché des écarts importants avec les années précédant la création de ces dispositifs : - 1,1 point à 0-4 ans, - 24,1 points à 25-29 ans. Ce constat positif est renforcé par le fait que la mortalité précoce a été mieux mesurée par le Registre à partir de 2002-2003 dans la mesure où, majoritairement, les nouveau-nés dépistés ont été pris en charge dès leur naissance par un CRCM depuis cette période. Cette tendance à la baisse de la mortalité dans le temps est d’ailleurs rapportée par de nombreuses études s’appuyant sur des données de registres : aux Etats-Unis sur la période 1969-1990 14, au Canada (1970-1989) 15, en Suède (1968-1977) 16, en Italie (1988-1997) 17 et en Allemagne (1995-2005) 18. Il ressort que la prise en charge de la mucoviscidose par des centres spécialisés – ces structures ayant une organisation et des spécificités propres à chacun de ces pays – améliore la survie des patients.

Facteurs de risque de décès

Les facteurs ayant un effet significatif sur le risque de décès sont l’appartenance à une cohorte déterminée par la période d’inclusion dans le Registre, le sexe, l’âge et la situation de dénutrition. L’effet lié à la cohorte doit être considéré avec précaution puisque les durées de suivi n’ont pas été comparables : les patients nés et inclus dans le Registre entre 1992 et 1996 ont été suivis jusqu’à la fin de l’année 2012 pendant 18,5 ans en moyenne ; ceux des cohortes 1997-2001 l’ont été pendant 13,5 ans et ceux des cohortes 2002-2006 pendant 8,5 ans.

Sans qu’il soit nécessaire d’attendre la fin de l’année 2021 pour disposer d’au moins 15 années de suivi pour ces cohortes, les résultats de cette étude suggèrent néanmoins qu’à un âge donné, le risque de décès a diminué pour les patients nés durant la période 1997-2001 puis 2002-2006. Ce recul de la mortalité résulte vraisemblablement d’un ensemble de progrès thérapeutiques obtenus au fil du temps dans divers domaines – antibiothérapie, enzymothérapie pancréatique, prise en charge nutritionnelle, kinésithérapie, traitements inhalés, transplantation pulmonaire – ainsi que de la mise en place des centres de soins spécialisés 19.

S’il a par ailleurs été montré qu’une prise en charge précoce de la mucoviscidose améliore le statut nutritionnel des patients et réduit notablement la morbidité 20, la mise en évidence d’un effet propre au dépistage néonatal aurait été possible en réalisant une étude prospective comparant des patients dépistés à la naissance à des patients diagnostiqués précocement (avant 2 mois) sur symptômes, ce qui mobiliserait, dans le cas de la France, les données correspondant à la généralisation du dépistage néonatal, soit les années 2002-2003.

Le surcroît de risque de décès lié au sexe, tel qu’il apparaît dans cette étude, est une donnée aujourd’hui bien établie : les femmes atteintes de mucoviscidose ont une probabilité de survie moindre que les hommes 21,22. Les mécanismes en jeu semblent cependant complexes ; l’acquisition précoce du germe Pseudomonas aeruginosa 23 et les changements endocriniens lors de la puberté 24 sont quelques-uns des facteurs évoqués.

L’effet significatif de la situation de dénutrition sévère sur le risque de décès (Z-score de l’IMC≤-2) s’est avéré confirmé dans cette étude par une analyse de sensibilité faite en adoptant un seuil plus élevé : avec un Z-score de l’IMC≤-1, incluant des situations de dénutrition modérée, s’appliquant à davantage de patients que le seuil ≤2, l’effet de ce facteur était encore significatif. Cet indicateur nutritionnel chez des patients n’ayant pas terminé leur croissance fournit, d’une part, un marqueur pronostique d’intérêt pour les cliniciens en charge de la mucoviscidose ; il pourrait, d’autre part, être associé à d’autres indicateurs de l’état nutritionnel, largement utilisés en pédiatrie : les rapports poids/âge (ou poids réel/poids attendu pour l’âge), taille/âge (taille réelle/taille attendue pour l’âge) ou encore poids/taille (poids réel/poids attendu pour la taille) 25 ; des études ont d’ailleurs montré des corrélations entre ces indicateurs nutritionnels et la fonction pulmonaire chez l’enfant atteint de mucoviscidose 26,27.

Hormis le Z-score de l’IMC, les variables biocliniques telles que le génotype, le statut pancréatique et bactériologique ne présentent que des tendances par rapport à la mortalité mais n’apparaissent pas comme des facteurs ayant un effet significatif sur le risque de décès. Ce résultat peut surprendre car l’on sait qu’un mauvais pronostic dans la mucoviscidose est généralement associé à certains génotypes (notamment en présence de la mutation F508del), à l’insuffisance pancréatique, elle-même associée aux génotypes les plus « sévères », ainsi qu’à une colonisation bactérienne conduisant à des exacerbations. Ceci tient certainement au manque d’exhaustivité durant les périodes précédant la mise en place du dépistage néonatal et la création des CRCM, ce qui pourrait être à l’origine d’un sous-enregistrement des patients présentant les formes les plus sévères de la mucoviscidose et à mortalité précoce ; cet aspect est corroboré par le fait que, pour la composante longitudinale de l’étude, les patients appartenant à la cohorte 1992-1996 ont représenté 20,0% du total des patients analysés, ceux de la cohorte 1997-2001 ont représenté 25,0%, contre 55,0% pour ceux de la cohorte 2002-2006. Outre ces éléments, le faible nombre de décès (39) pourrait également expliquer que certaines variables biocliniques n’apparaissent pas comme des facteurs ayant un effet significatif sur le risque de décès ; ainsi, des effectifs plus importants et une puissance statistique accrue permettraient probablement de mettre en évidence l’effet protecteur de la suffisance pancréatique dans cette maladie où environ 85% des patients présentent une insuffisance pancréatique externe.

Dans un contexte où la prise en charge de la maladie a été sensiblement modifiée avec la mise en place du dépistage néonatal en 2002, l’influence spécifique de ce changement à dimension temporelle n’a été mesurée qu’indirectement dans le modèle de régression logistique avec la variable de la classes d’âges à la fin du suivi. Pour analyser l’effet attribuable à cette modification du contexte thérapeutique, un modèle complet âge-période-cohorte appliqué aux données du Registre pourrait être une perspective.

Conclusion

Les résultats de cette étude sont encourageants. Ils renforcent l’idée qu’une prévention de la dénutrition sévère, associée à une prise en charge multidisciplinaire de la mucoviscidose par des centres de soins spécialisés et à un suivi réalisé dès la naissance constituent des facteurs favorables, susceptibles de diminuer l’intensité de la mortalité. En ce sens, la création des CRCM et la généralisation du dépistage néonatal en France ont été des mesures de santé publique bénéfiques pour les patients atteints de mucoviscidose.

Remerciements

Les auteurs remercient l’association Vaincre la mucoviscidose (http://www.vaincrelamuco.org/).

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Citer cet article

Bouet S, Bellis G, Lemonnier L, Sponga M, Colomb-Jung V. Mortalité par mucoviscidose : analyse des données du Registre français, 1992-2012. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(38-39):710-7. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/38-39/2015_38-39_1.html