Infection à VIH dans les DOM : facteurs associés à la réponse virologique au traitement dans l’enquête ANRS-Vespa2, 2011

// HIV infected patients in French overseas departments: correlates of virological response to treatment in the ANRS-Vespa2 study, 2011

Kayigan d’Almeida Wilson1, André Cabié2, Catherine Gaud3, Isabelle Lamaury4, Mathieu Nacher5, Sophia Stegmann-Planchard6, Rosemary Dray-Spira1, France Lert7 (france.lert@inserm.fr)
1 Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique, Inserm, UMR_S 1136, Paris, France
2 CHU de Martinique, Fort-de-France, Martinique, France
3 CHU de la Réunion, Saint-Denis, La Réunion, France
4 CHU de Pointe-à-Pitre, Pointe-à-Pitre, Guadeloupe, France
5 CH de Cayenne, Cayenne, Guyane, France
6 CH Fleming, Saint-Martin, France
7 Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations, Inserm U1018, Villejuif, France
Soumis le 21.05.2015 // Date of submission: 05.21.2015
Mots-clés : Infection VIH | Succès virologique | Facteurs sociaux | Départements d’outre-mer
Keywords: HIV infection | Virological response | Social factors | French overseas departments

Résumé

L’enquête Vespa2 a été menée en 2011 en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer (DOM) parmi les personnes séropositives pour le VIH (PVVIH) suivies en ambulatoire à l’hôpital. Ces aires géographiques sont très hétérogènes et différentes, tant sur le plan social et démographique qu’épidémiologique, mais sont régies par le même système d’assurance maladie et les mêmes recommandations de prise en charge du VIH. L’objectif de cette étude était d’analyser le succès virologique (charge virale <50 copies/ml) du traitement des PVVIH des DOM, de le comparer à celui observé parmi les PVVIH métropolitaines et d’évaluer l’impact des facteurs sociaux et comportementaux sur le succès thérapeutique (observance, nationalité, emploi, ressources, connaissances, secret, usage de crack).

L’analyse comparative a porté sur les PVVIH diagnostiquées après 1996 et traitées depuis au moins 12 mois, soit 321 PVVIH prises en charge dans les DOM et 1 246 PVVIH de métropole. Dans les DOM, le succès virologique concernait 78,7% des personnes traitées, variant de 69,9% en Guyane (Cayenne) à 87,7% à La Réunion ; il était de 90,4% en métropole. Au sein des DOM, la Guyane avait un résultat qui tendait à être moins favorable (ORa (ref. Martinique)=0,4 ; IC95%: [0,1-1,1]) après prise en compte des caractéristiques sociales et démographiques ; parmi celles-ci, seule l’inactivité était associée à un résultat inférieur (OR (ref. actifs déclarés)=0,3 [0,1-0,9]). L’écart avec la métropole (OR DOM (ref. métropole)=0,4 [0,3-0,5], ORa=0,7 [0,4-1,0], p=0,054) était en partie attribuable aux facteurs sociaux, comportementaux et à l’observance.

Ainsi, un faisceau de facteurs sociaux fortement liés entre eux explique ces résultats suboptimaux du traitement pour les patients des DOM, soulignant l’importance des facteurs structurels et suggérant l’intérêt d’une intensification de la prise en charge médico-sociale.

Abstract

In 2011, the Vespa2 study was carried out in metropolitan France and in the French overseas departments (DOM) among HIV infected patients (PLHIV) followed-up in hospital outpatient clinics. Both geographical areas are heterogeneous and different as regards social, demographical and epidemiological features, while they share common principles as regards health insurance coverage and the same medical recommendations for HIV care. The study objective was to assess the social and behavioral correlates (adherence as a mediator factor, nationality, employment, resources, knowledge, secret, crack-cocaine consumption) of the virological response to antiretroviral treatment (viral load <50 copies/ml) of PLHIV in the DOM, and their contribution to the gap between DOM and metropolitan France.

The comparative analysis was performed among patients diagnosed from 1996 onwards and treated for at least 12 months (321 and 1,246 PLHIV respectively) in the DOM and in metropolitan France. In the DOM, 78.7% of treated patients had an undetectable viral load, ranging from 69.9% in Guiana (Cayenne) to 87.7% in the Reunion Island, while they were 90.4% in metropolitan France. Across the DOM, Guiana tended to have a lower rate of undetectable viral load even after adjustment for social and behavioral characteristics (ref. Martinique) aOR =0.4; 95%CI [0.1-1.1]). Among these, inactivity was found to be associated with a lower rate of virological success (OR (ref. legal employment) = 0.3; 95%CI [0.1-0.9]). The gap between DOM and metropolitan France (DOM (ref. metropolitan France) OR =0.4; 95%CI 0.4 [0.3-0.5]; aOR = 0.7; 95%CI [0.4-1.0], p=0.054) was partly attributed to social and behavioral characteristics and adherence.

Actually a set of intertwined social determinants contribute to such suboptimal outcomes among DOM HIV-positive patients, underlining the importance of structural factors and calling for healthcare and social interventions improvements.

Contexte

Les départements d’outre-mer (DOM) connaissent des situations épidémiologiques très diverses 1, dans des contextes géographiques, démographiques et socioéconomiques eux aussi différents, comme en attestent les Indices de développement humain cités dans un récent rapport de la Cour des comptes 2 (métropole : 0,883, Guadeloupe : 0,822, Martinique : 0,813, La Réunion : 0,750, Guyane : 0,739, Saint-Martin : 0,702). Ils partagent, sur le plan économique et social, une situation de grande précarité liée à l’histoire et à leur situation ultramarine, précarité globalement plus marquée qu’en métropole 3. Leur système de soins repose sur les mêmes principes, dans ses modes d’organisation et de couverture par l’Assurance maladie, qu’en France métropolitaine, mais l’accès se révèle hétérogène sur chaque territoire 2. Le dispositif et les recommandations de prise en charge de l’infection VIH sont les mêmes sur l’ensemble du territoire national 4. On observe cependant des différences dans le délai au diagnostic, plus long dans les DOM 5,6,7, et des résultats thérapeutiques moins bons 8.

Cette étude s’est attachée à approfondir ce résultat global en s’intéressant aux facteurs épidémiologiques, sociaux et comportementaux. Sur la base de l’étude Vespa2 réalisée en 2011, l’objectif était d’identifier 1) les facteurs associés au succès virologique parmi les patients des DOM et 2) parmi ces facteurs, ceux qui contribuent à l’écart entre DOM et France métropolitaine.

Méthode

L’enquête Vespa2 a été réalisée en 2011 auprès des personnes suivies pour leur infection VIH (PVVIH) dans les hôpitaux de métropole et des départements d’outre-mer (Mayotte non compris et, en Guyane, seulement à Cayenne, qui représente un peu plus de 60% de la file active guyanaise). Elle avait pour objectif de caractériser la situation sociale et de mettre en évidence les liens entre état de santé et situation sociale. Menée sur un échantillon aléatoire de services et de consultants, ses résultats sont généralisables à la population séropositive vivant avec le VIH sur le territoire français. Les méthodes de recueil ont été très voisines entre les DOM et la métropole : le taux de sondage a été plus élevé dans les DOM (15% vs moins de 3%) de façon à obtenir un échantillon de taille suffisante. En outre, la passation du questionnaire a été menée à partir d’un questionnaire papier alors qu’elle utilisait une méthode CAPI (Computer Assisted Personal Interview) en métropole. Le créole et les langues locales ont été utilisés dans les DOM alors que seul le français a été utilisé dans l’hexagone. Les questionnaires étaient similaires à quelques rares exceptions près, et les informations médicales, documentées à partir du dossier médical, identiques 9.

Pour tenir compte du plan d’échantillonnage en métropole et dans les DOM, des probabilités de tirage au sort et des biais de participation (57,7% et 63,6% respectivement), une pondération a été effectuée permettant l’extrapolation des résultats aux personnes suivies pour leur infection VIH à l’hôpital (méthode détaillée dans R. Dray-Spira et coll. 9).

Le succès thérapeutique est défini ici par une charge virale inférieure à 50 copies/ml au dernier examen le plus proche de la date de l’inclusion du patient dans l’étude Vespa. Il a été étudié parmi les personnes diagnostiquées à partir de 1996 et traitées par antirétroviraux depuis au moins un an. Ceci a réduit la taille de l’échantillon et amené à conduire l’étude sur les données regroupées des DOM.

Les variables d’intérêt portaient sur les facteurs sociaux, économiques et comportementaux. Les variables retenues ont été celles pouvant être documentées avec des catégories ayant la même signification dans les deux espaces géographiques, DOM et métropole. Concernant les facteurs sociaux et économiques, ont été considérés : la nationalité française ou étrangère ; le statut d’activité, qui distingue les actifs déclarés, les actifs du secteur informel (particulièrement développé dans les DOM), les personnes en recherche active d’emploi et les inactifs (invalides, retraités et personnes au foyer); les conditions de vie, appréhendées par un questionnaire rendant compte de l’aisance financière du ménage compte tenu de ses besoins (indicateur Insee avec six niveaux de réponse regroupés ici en quatre catégories : « n’y arrive pas sans faire de dettes », « y arrive difficilement », « c’est juste », puis le regroupement des modalités : « ça va / à l’aise / très à l’aise »).

Plusieurs facteurs comportementaux de nature différente ont aussi été pris en considération : la capacité à s’approprier la gestion de la maladie, l’adhésion au suivi et au traitement et ce que la littérature internationale dénomme health literacy 10, avec deux questions posées sur la signification de la charge virale et des CD4 en lien avec l’effet du traitement (recodage en « exact / inexact » ou « non connu » de la réponse libre aux questions suivantes : « le but du traitement est-il de faire monter ou descendre le taux de CD4 ? / monter ou descendre la charge virale ? »).

Concernant les drogues, seule a été étudiée la consommation de crack dans les quatre dernières semaines, substance illicite la plus consommée en dehors du cannabis dans les DOM, à la différence de la métropole où dominent les opiacés.

Dans un contexte de stigmatisation des PVVIH encore marqué 11, le poids de cette dernière a été appréhendé par le maintien du secret total sur la séropositivité vis-à-vis de l’entourage (réponse négative aux questions sur la connaissance, par ses amis et membres de sa famille, de la séropositivité du répondant).

L’observance, considérée a priori comme une variable médiatrice entre les facteurs socio-comportementaux et le succès virologique, a été caractérisée en trois catégories (« parfaite », « presque parfaite », « mauvaise ou assez bonne ») sur la base des réponses à quatre questions sur la prise des antirétroviraux (ARV) dans le dernier mois 12.

Les variables médicales retenues portaient sur le stade à la mise sous traitement, qui distinguait le retard au diagnostic (<200 CD4 ou sida), l’initiation tardive du traitement (<200 CD4) chez une personne diagnostiquée au-dessus de 200 CD4, l’initiation intermédiaire entre 200 et 350 CD4 et l’initiation optimale eu égard aux normes en vigueur en 2010 : 350 CD4 ou davantage. L’ancienneté du traitement était également prise en compte.

Analyse statistique

Deux analyses par modèle de régression logistique ont été conduites selon les mêmes principes pour étudier l’hétérogénéité dans les DOM d’une part et l’écart entre DOM et métropole, d’autre part. L’association entre la réponse thérapeutique et les variables d’intérêt a été étudiée pour l’ensemble des DOM en introduisant le département comme variable explicative ; en effet, une étude département par département n’était pas possible en raison de la petite taille de l’effectif disponible à cette échelle.

Les associations univariées sont présentées dans le modèle 1. Ce modèle de base est ensuite ajusté sur les déterminants connus de la réponse au traitement : le stade à la mise sous ARV, la durée du traitement et l’âge. Le sexe est inclus dans ce modèle de base (modèle 2). L’observance est introduite dans ce modèle de base pour mesurer sa part dans l’hétérogénéité entre les DOM (modèle 3). Les variables sociales et comportementales associées au succès virologique (p<0,25) sont ajoutées dans le modèle de base (modèle 4). Dans le modèle final (modèle 5), l’observance est ajoutée au modèle multivarié pour apprécier son rôle médiateur entre variables socio-comportementales et succès virologique.

L’identification des facteurs contribuant à la différence du taux de succès thérapeutique entre DOM et France métropolitaine a été menée par des analyses multivariées successives utilisant les mêmes variables.

Les analyses ont été réalisées avec le logiciel Stata® version 12.

Résultats

Le tableau 1 présente la description des populations dans les DOM et en métropole. Il met en évidence les fortes différences, pour l’ensemble des variables, entre les deux espaces géographiques. L’étude a porté sur 1 567 individus (DOM 321, métropole 1 246). La population séropositive des DOM était plus féminine, plus âgée, comportait plus d’étrangers, avait une situation économique et des conditions de vie plus dégradées et une moins bonne connaissance de la signification des paramètres biologiques de la maladie. Elle commençait le traitement à un stade plus avancé en raison d’un retard au diagnostic plus marqué. Elle était aussi moins observante. La consommation récente de crack était très rare dans les deux espaces, mais plus élevée dans les DOM. Le succès virologique était de 78,7% dans les DOM et 90,4% en métropole, ce qui traduit une fréquence d’échec virologique deux fois plus élevée dans les DOM (21,3% vs 9,6%).

Tableau 1 : Distribution des caractéristiques médicales, démographiques, sociales et comportementales parmi les personnes vivant avec le VIH des DOM et de métropole : résultats pondérés. Enquête ANRS-Vespa2, 2011
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Succès thérapeutique dans les DOM (tableau 2)

Tableau 2 : Facteurs associés au succès virologique parmi les personnes vivant avec le VIH des DOM : résultats pondérés. Enquête ANRS-Vespa2, 2011
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Au sein de l’échantillon d’étude, le succès virologique s’étendait de 69,9% en Guyane à 87,7% à La Réunion. Il était associé à l’âge (moins bon chez les plus de 40 ans) et au stade de la maladie à la mise sous traitement (les résultats étaient meilleurs chez les personnes diagnostiquées avec des CD4>350 et qui initiaient le traitement à 350 CD4 ou plus). La Guyane enregistrait un moindre succès virologique (OR=0,4 ; IC95%: [0,2-1,0], référence Martinique) (modèle 1) et l’ajustement sur les facteurs établis de la réponse au traitement modifiait peu cet écart (ORa=0,4 ; IC95%: [0,2-1,1]) (modèle 2). L’association du succès virologique avec l’observance était significative après ajustement (modèle 3).

Parmi les variables sociales et comportementales, seules étaient associées au succès virologique, en analyse univariée, la situation d’emploi (succès moindre parmi les personnes inactives : OR=0,3 ; IC95%: [0,1-0,9], référence emploi déclaré) et la connaissance de la signification des CD4 (OR=0,5 ; IC95%: [0,2-0,9]) (modèle 1). En analyse multivariée, l’association avec la situation d’activité persistait (inactivité : ORa=0,3 ; IC95%: [0,1-1,0]). L’association avec les connaissances sur la maladie n’était plus significative (modèle 4). Le modèle final incluant l’observance (modèle 5) met en évidence une association significative, en plus de l’inactivité, avec la situation d’emploi non déclaré. Dans ce modèle, l’écart entre la Guyane et les autres départements reste de 0,4 ; IC95%: [0,1-1,1] (p=0,06).

Comparaison entre DOM et métropole (tableau 3)

Tableau 3 : Facteurs associés au succès virologique parmi les personnes vivant avec le VIH. Comparaison entre DOM et métropole et variables associées : résultats pondérés. Enquête ANRS-Vespa2, 2011
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En analyse univariée, outre les facteurs connus du succès thérapeutique, la nationalité, la situation d’activité, l’aisance financière, les connaissances sur la maladie et l’observance étaient associées au succès thérapeutique au seuil de 0,05 (modèle 1). L’écart observé entre DOM et métropole (DOM vs. métropole : OR=0,4 ; IC95% [0,3-0,5]) n’était pas modifié par l’ajustement sur les caractéristiques médicales (OR=0,4 ; IC95% [0,3-0,6]) (modèle 2). L’introduction de l’observance dans le modèle modifiait très légèrement l’écart entre DOM et métropole, qui passait à 0,5 (IC95% [0,3-0,7]) (modèle 3).

Dans le modèle multivarié (modèle 4), l’introduction des variables socio-comportementales – nationalité, situation d’emploi, aisance financière et connaissance de la signification des CD4 et de la charge virale – réduisait l’écart entre DOM et métropole (ORa=0,6 ; IC95% [0,4-0,9]).

Enfin, après ajustement simultanément sur les variables socio-comportementales et l’observance (modèle 5), l’ORa était de 0,7 ; IC95% [0,4-1,0] (p=0,054), montrant une réduction de l’écart entre DOM et métropole.

Les associations d’ARV au moment de l’enquête différaient entre DOM et métropole, toutefois ces différences ne portaient pas sur les régimes recommandés (tableau 4).

Tableau 4 : Associations d’antirétroviraux (ARV) utilisées au moment de l’enquête ANRS-Vespa2 2011 dans les DOM et en métropole : résultats pondérés
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Discussion

Rappel des résultats

Pour l’ensemble des dimensions abordées, sociales, économiques et comportementales, la population séropositive des DOM apparaissait nettement plus défavorisée que celle de France métropolitaine, et le succès virologique y atteignait un niveau moins élevé avec un écart de 11,7 points, principalement en raison de facteurs sociaux et économiques.

Dans les DOM, plusieurs facteurs étaient associés à un moindre succès virologique : un âge élevé, le retard au diagnostic et à l’initiation du traitement, l’inactivité ou le fait de travailler dans le secteur informel. La nationalité étrangère ne constituait pas en soi un facteur d’échec. Les personnes suivies en Guyane (Cayenne) avaient des résultats inférieurs aux autres départements ultramarins, mais les facteurs considérés dans l’analyse ne suffisent pas à expliquer cette différence.

La différence du taux de succès thérapeutique entre les DOM et la métropole n’apparaît pas associée à l’âge des patients ni au retard au diagnostic ou à l’initiation du traitement. Les difficultés sociales liées à la nationalité étrangère, l’exclusion de l’emploi, une compréhension insuffisante de la maladie et une observance imparfaite contribuaient à ce moindre succès thérapeutique dans les DOM par rapport à la métropole. L’écart DOM-métropole ne s’explique pas par les combinaisons ARV reçues, confirmant l’application des mêmes recommandations sur le territoire national 4.

Ces résultats suggèrent que les facteurs sociaux étroitement reliés entre eux sont un déterminant majeur des différences observées, sans que les mécanismes sous-jacents renvoyant à des processus structurels puissent être véritablement décrits à partir des données de l’étude Vespa2.

Limites et forces de l’étude

Cette explication incomplète tient aux limites méthodologiques de l’étude.

Les analyses menées regroupaient les DOM d’une part, la métropole d’autre part, alors que ces deux espaces, DOM et métropole, ne constituent pas des ensembles épidémiologiquement et socialement homogènes. Pour les DOM, une étude par département aurait été plus informative car ils se distinguent entre eux par de nombreux traits généraux, notamment démographiques (stade de la transition démographique, part des migrations dans la population générale) mais surtout épidémiologiques : forte hétérogénéité du niveau de l’épidémie, part des transmissions homosexuelles, part des étrangers parmi les personnes atteintes 1. En revanche, leur regroupement était justifié au regard du contexte de prise en charge du VIH 4 d’une part, et d’un déficit structurel bien caractérisé du contexte socio-économique ultramarin par rapport à la métropole d’autre part 2,3,13. En ce qui concerne la France métropolitaine, la population séropositive est aussi marquée par l’hétérogénéité régionale de l’épidémie en termes de distribution des groupes de transmission, d’ancienneté de l’épidémie et de stade à la mise sous traitement 6,7.

La comparaison entre DOM et métropole est probablement biaisée par un double phénomène : d’une part, la prise en compte seulement partielle de la file active guyanaise, car les hôpitaux de Saint-Laurent du Maroni et de Kourou n’ont pas été inclus dans l’étude et ils desservent une population fortement défavorisée ; s’ils avaient été inclus, l’écart de la Guyane aux autres DOM aurait pu être plus marqué. D’autre part, dans les différents DOM, il est possible que l’enquête en milieu hospitalier ait exclu les patients les plus aisés, accentuant ainsi l’écart avec la métropole ; ces derniers recourent souvent, comme le rapportent les cliniciens, aux soins en ville ou hors du département pour des raisons de confidentialité, dans un contexte insulaire de forte interconnaissance et de non diversité de l’offre hospitalière. Rappelons cependant que la force de l’étude est d’être basée sur un échantillon aléatoire de personnes suivies, avec les mêmes informations à la même période.

Une autre limite à la compréhension de l’hétérogénéité du succès thérapeutique tient au choix des variables explicatives, choix guidé par la recherche d’une signification proche dans les différents espaces géographiques. Si cette contrainte ne pose pas de problème pour les caractéristiques du parcours thérapeutique (stade à la mise sous traitement, durée, observance), il en va différemment pour le mode de transmission et les conditions de vie. Le mode de transmission n’a pas été introduit dans l’analyse en raison de la très faible proportion d’usagers de drogue injectable dans les DOM et de transmissions associées à des rapports entre hommes dans les files actives de Guyane, Saint-Martin et, dans une moindre mesure, de Guadeloupe. Concernant la nationalité, si la législation est la même sur tout le territoire national, ses modalités d’application sont plus rigoureuses dans l’espace ultramarin 14,15. En outre, la distribution selon la nationalité est hétérogène au sein de l’aire ultramarine et entre DOM et métropole : les étrangers sont très peu nombreux dans la population d’étude en Martinique (11%) et à La Réunion (2%), mais comptent pour 82% et 87% en Guyane et à Saint-Martin respectivement. Ainsi, ils comptent pour 50,6% en moyenne dans les DOM et pour 35,6% en métropole. Alors que la position sociale résulte de processus sociaux très divers, les seules variables socioéconomiques retenues sont l’activité et l’aisance financière du ménage. D’autres éléments des conditions de vie, notamment le mode de vie familial 16 et le mode de logement, auraient mérité d’être étudiés. Cependant, ils renvoient, dans chaque espace géographique, à des contextes trop différents pour être représentés par des variables communes et, pour cette raison, n’ont pas été considérés dans la présente analyse.

Poids des facteurs sociaux défavorables

Les résultats rappellent qu’un diagnostic et une initiation du traitement tardifs ont un poids important sur l’efficacité virologique du traitement ; ces retards devraient s’atténuer avec l’intensification et la diversification des programmes de dépistage. Dans les DOM, où le sous-emploi et les difficultés matérielles dominent, les actifs ont de meilleurs résultats que les inactifs ou exclus du marché du travail, exprimant l’existence d’une dimension économique dans l’efficacité de la prise en charge. L’absence d’association significative entre nationalité et succès virologique dans les analyses uni et multivariées menées sur les DOM tient à la part très importante des étrangers de la file active des DOM (environ la moitié), qui représente une part largement dominante en Guyane et à Saint-Martin. Pourtant, les obstacles à la régularisation des étrangers et le maintien dans la précarité administrative et économique, notamment en Guyane 13, ont bien été mis en évidence dans leur conséquence en termes d’accès aux soins 17. Logiquement, l’observance du traitement constitue un facteur médiateur par lequel s’expriment les obstacles de nature sociale ou économique à l’efficacité du traitement 18. D’autres éléments ayant trait à l’irrégularité ou à des interruptions de la prise en charge auraient dû être pris en compte. En effet, celles-ci sont rapportées comme fréquentes, et parfois prolongées, en Guyane 19, sans informations comparables pour les autres départements.

La compréhension de la maladie a été appréhendée par les questions sur la signification des paramètres principaux de la maladie, qui cherchent à approcher la notion de health literacy. Une revue récente dans le domaine du VIH montre des résultats non concordants sur l’association entre health literacy et résultats thérapeutiques, en raison de la diversité des approches méthodologiques des études 10. Les questions posées dans le questionnaire Vespa2 ne constituent pas un indicateur validé. La connaissance de la signification de la charge virale et des CD4 est moins bonne dans les DOM qu’en métropole et, dans les deux aires, la signification de la charge virale est mieux comprise que celle des CD4. Dans les DOM, cette moindre connaissance apparait fortement intriquée aux autres facteurs sociaux car l’association observée en analyse univariée disparaît dans les modèles multivariés. En revanche, elle constitue un facteur général de moindre succès dans les résultats portant sur l’ensemble DOM-métropole. Ces résultats suggèrent l’intérêt de renforcer l’offre d’éducation thérapeutique, en particulier dans les DOM.

Les récentes enquêtes sur les connaissances, les attitudes et les comportements dans les départements français d’Amérique 11 et en métropole 20 montrent la persistance, dans les années 2000, de la stigmatisation associée au VIH et son caractère plus accentué aux Antilles et en Guyane par rapport à la métropole. La non-révélation de la séropositivité à l’entourage est l’un des effets de ce contexte général 21. Ce secret, près de trois fois plus fréquent dans les DOM, n’apparaît pas associé au succès thérapeutique. Les mécanismes par lesquels s’exprime ce climat de stigmatisation dans l’adhésion au traitement appellent sans doute d’autres approches.

La poursuite de la consommation de drogues illégales, opiacés ou crack, est connue comme un facteur d’échec thérapeutique ailleurs 22,23. La consommation de crack est retrouvée comme facteur associé à l’échec virologique dans les analyses portant sur l’ensemble DOM-métropole, mais pas dans les seuls résultats pour les DOM, sans doute par manque de puissance (15 individus, 3,9% de l’échantillon). Ce phénomène, associant crack et grande précarité, est particulièrement marqué en Guyane, où son rôle péjoratif sur les résultats du traitement a déjà été mis en évidence 24,25.

Conclusion

Le développement de traitements efficaces, l’amélioration du dépistage et l’évolution des recommandations d’initiation du traitement se sont traduits par une amélioration très importante des indicateurs de la maladie VIH dans les DOM comme ailleurs 8. La comparaison entre France métropolitaine et DOM indique qu’il y existe une marge d’amélioration. Cette amélioration se heurte au contexte social structurellement défavorable des DOM, contexte dans lequel vivent une grande partie des personnes atteintes, et notamment les étrangers. Les données présentées ici confirment le besoin d’interventions sociales efficaces dans les services de soins (notamment la médiation sociale et l’éducation thérapeutique) et hors des services de soins (notamment le droit des étrangers et l’accès à l’emploi) pour optimiser la réponse à la prise en charge médicale.

Remerciements

Les auteurs remercient les personnes atteintes qui ont accepté de participer à l’enquête Vespa2 et les associations qui ont apporté leur soutien à l’étude.

Leurs remerciements vont particulièrement aux cliniciens de Guadeloupe : CH de La Basse-Terre (F. Boulard) ; CHU de Pointe-à-Pitre-Abymes (S. Daval, I. Fabre, E. Gaubert-Maréchal, I. Lamaury, T. Messiaen, M. Pillot Debelleix) ; Guyane : Cayenne, CH Andrée Rosemon (M. Calvez, P. Couppié, M. Demar, F. Djossou, M. El Guedj, C. Magnien, A. Mahamat, C. Misslin Tritsch, M. Nacher, T. Vaz) ; La Réunion : Saint-Pierre, Groupe hospitalier Sud-Réunion (G. Borgherini, A. Foucher, P. Poubeau) ; Saint-Denis, Hôpital Félix Guyon (C. Gaud, B. Kuli, M. Lagrange-Xelot, C. Ricaud, R. Rodet, J. Serge) ; Martinique : CHU de Fort-de-France (S. Abel, A. Cabié, P. Hochedez, G. Hurtrel, B. Liautaud, S. Pierre-François, N. Vignier) et Saint-Martin : CH Louis-Constant Fleming (C. Clavel, J. Reltien, S. Stegmann).

Ces remerciements vont aussi aux techniciens et attachés de recherche clinique des services qui ont largement contribué à la qualité de l’enquête.

Les auteurs remercient aussi Y. Le Strat (Institut de veille sanitaire), L. Cuzin (Hôpital Purpan, Toulouse) et L. Meyer (CESP, Inserm, Le Kremlin Bicêtre) pour leurs conseils méthodologiques.

Les enquêtes Vespa2 ont été financées par l’Agence nationale de recherche contre le sida (ANRS) avec un soutien du Ministère des Outre-mer pour l’enquête réalisée dans les DOM.

Références

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Citer cet article

d’Almeida Wilson K, Cabié A, Gaud C, Lamaury I, Nacher M, Stegmann-Planchard S, et al. Infection à VIH dans les DOM : facteurs associés à la réponse virologique au traitement dans l’enquête ANRS-Vespa2, 2011. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(40-41):759-68. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/40-41/2015_40-41_3.html