Comment comprendre le risque élevé de mortalité infantile et périnatale dans une zone géographique ? L’exemple de la situation en Seine-Saint-Denis

// Understanding the high infant and perinatal mortality rate in a high-mortality district: the example of Seine-Saint-Denis (France)

Priscille Sauvegrain1 (priscille.sauvegrain@inserm.fr), Marion Carayol2, Anne Ego3,4, Catherine Crenn-Hebert5,6, Martine Bucourt2, Jennifer Zeitlin1
1 Équipe de recherche en Épidémiologie obstétricale, périnatale et pédiatrique (EPOPé), Centre de recherche Épidémiologie et statistique, Sorbonne-Paris-Cité, (CRESS), Inserm UMR 1153, Université Paris Descartes, Paris, France
2 Service départemental de Protection maternelle et infantile, Conseil général de Seine-Saint-Denis, Bobigny, France
3 Registre des handicaps de l’enfant et observatoire périnatal Isère, Savoie et Haute-Savoie (Rheop), Grenoble, France
4 Université Joseph Fourier / CNRS / TIMC-IMAG UMR 5525 (équipe ThEMAS), Grenoble, France
5 Perinat-ARS-IDF, Paris, France
6 Hôpital Louis-Mourier, AP-HP, Colombes, France
Soumis le 12.09.2014 // Date of submission: 09.12.2014
Mots-clés : Mortinatalité | Mortalité néonatale | Mortalité infantile | Soins anténatals | Audit
Keywords: Stillbirth | Neonatal mortality | Infant mortality | Prenatal care | Audit

Résumé

En France, les inégalités sociales et géographiques de mortalité autour de la naissance et au cours de la première année de vie sont marquées. Le département de Seine-Saint-Denis, qui présente des taux de mortalité périnatale et infantile de 30 à 50% plus élevés que la moyenne française depuis la fin des années 1990, en est un exemple marquant. Initié par l’Agence régionale de santé d’Île-de-France pour améliorer ces indicateurs, le projet RéMI (Réduire la mortalité infantile et périnatale) a permis d’analyser conjointement les informations issues de diverses sources de données publiques en vue de mieux comprendre les spécificités du département en lien avec ces taux de mortalité élevés, en amont d’un audit de tous les décès périnatals pendant un an.

Cet article présente une synthèse de ces analyses, qui portent sur les caractéristiques de la population des femmes enceintes, leur suivi de grossesse et les complications de la grossesse en cas de décès, ainsi que les résultats d’un processus de consensus Delphi auprès des professionnels du département en vue de connaître leurs opinions sur les causes de cette mortalité élevée.

Nos résultats mettent en évidence des problèmes de suivi de la grossesse (début tardif, peu de consultations), particulièrement pour les femmes étrangères, et une mortinatalité plus souvent liée aux décès très précoces (22-26 semaines d’aménorrhée) et aux pathologies hypertensives. En revanche, nous n’avons pas identifié de causes spécifiques de décès néonatals. Le processus de consensus a fait émerger des hypothèses sur le rôle, dans ces mauvais indicateurs départementaux, de facteurs liés à l’accès aux soins et à la coordination des soins.

Abstract

There are marked social and geographical inequalities in mortality at birth and during the first year of life in France. A striking example is the department of Seine-Saint-Denis, where perinatal and infant mortality rates are 30 to 50% higher than the French average since the late 1990s. The project REMI (Reducing infant and perinatal mortality), initiated by the Ile-de-France regional health authority (ARS-IDF) to improve these indicators, gave us the opportunity to analyze information from various public data sources in order to better understand the specificities of the department that could explain these higher mortality rates before implementing a one-year audit of perinatal deaths. The objective of this article is to summarize these analyses on the characteristics of childbearing women, their care during pregnancy, and the clinical characteristics and causes of death, as well as the results from a Delphi consensus process to assess health professionals’ views about the reasons for this excess mortality in the department.

Our results highlight problems with prenatal care (late initiation, low number of visits), especially for migrant women and a marked excess of stillbirths, especially early in pregnancy (22-26 weeks of gestation) and in the context of hypertensive diseases. In contrast, the excess neonatal deaths were not specific to one particular cause. The Delphi consensus process conducted with professionals in the department gave rise to hypotheses about access and coordination of prenatal and delivery care that may contribute to poor outcomes.

Introduction

En France, les inégalités sociales et géographiques de mortalité autour de la naissance et au cours de la 1ère année de vie sont marquées 1. Le département de Seine-Saint-Denis en est un exemple marquant : en 2012, la mortalité infantile s’y élevait à 4,8 pour 1 000 naissances vivantes contre 3,2 sur l’ensemble de la France métropolitaine 2. Une baisse significative de la mortalité périnatale en Seine-Saint-Denis, avec un taux devenu inférieur à celui de la France métropolitaine, avait été observée dans les années 1990 après une recherche-action menée de 1989 à 1992 par le service de Protection maternelle et infantile (PMI) du département et réalisée devant le constat d’une situation périnatale très défavorable 3. Mais, depuis la fin des années 1990, le taux de mortalité infantile de Seine-Saint-Denis est supérieur à ceux observés dans les autres départements français 4.

Le projet RéMI (Réduire la mortalité infantile et périnatale), initié par l’Agence régionale de santé d’Île-de-France (ARS-IdF) pour améliorer ces indicateurs, a été l’occasion d’analyser conjointement les informations issues de diverses sources de données publiques en vue de mieux comprendre les spécificités du département qui pourraient être en lien avec les indicateurs défavorables. Ce travail a été entrepris pour faire émerger des hypothèses sur les causes de la mortalité élevée, avant d’étudier ultérieurement et plus spécifiquement tous les cas de décès fœtaux et néonatals par un audit d’un an. L’objectif de cet article est de faire une synthèse de ces analyses qui ont porté sur les caractéristiques de la population des femmes enceintes, leur suivi prénatal, les complications de la grossesse en cas de décès et les caractéristiques de ces décès. Elle est complétée par la présentation des résultats d’une étude menée auprès des professionnels du département pour connaître leur opinion sur les causes de la mortalité élevée observée en Seine-Saint-Denis.

Méthodes

Sources d’information utilisées

Nous avons utilisé des données recueillies en routine par différents systèmes d’information. Quand les données existaient, nous avons comparé la population domiciliée en Seine-Saint-Denis (28 675 naissances en 2012) avec celle des autres départements d’IdF (152 554 naissances en 2012). Dans le cas de la mortinatalité, pour laquelle les données en routine étaient inexistantes, nous avons dû comparer les enfants mort-nés dans les maternités du département, recensés par un système spécifique mis en place par le Conseil général, et les enfants mort-nés du Registre des handicaps de l'enfant et observatoire périnatal (Rheop), unique registre des enfants mort-nés en France, qui couvre les départements de l’Isère, de la Savoie et de la Haute-Savoie.

Les données de l’état civil sur les naissances et les décès permettent de calculer les taux de mortalité infantile (rapport entre le nombre d’enfants nés vivants et décédés à moins d’un an et l’ensemble des enfants nés vivants), de mortalité néonatale (rapport entre le nombre d’enfants nés vivants et décédés à moins de 28 jours et l’ensemble des enfants nés vivants) et de mortinatalité (rapport entre le nombre d’enfants nés sans vie et l’ensemble de ceux nés vivants et sans vie) dans le département, et de les comparer aux autres départements de la région au cours du temps. Avant 2001, les enfants nés sans vie devaient avoir atteint le terme de 28 semaines d’aménorrhée (SA) pour être déclarés mort-nés ; depuis novembre 2001 5, la déclaration d’enfant sans vie s’applique après un terme de 22 SA ou à un poids d’au moins 500 grammes, selon les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais, depuis 2008, suite aux changements législatifs relatifs à l’enregistrement des enfants mort-nés 6, les parents peuvent ou non déclarer leur enfant mort-né, quel que soit le terme (à partir de 15 SA), mais ce dernier n’est pas mentionné dans le bulletin d’enfant sans vie. Les indicateurs de la mortinatalité ne sont ainsi plus exploitables par cette source d’information 7. Une autre limite des données de l’Insee sur les mort-nés est l’impossibilité de distinguer les interruptions médicales de grossesse (IMG) et les décès spontanés. Or, ces issues de grossesse sont très différentes d’un point de vue de santé publique. Les IMG représentent à peu près la moitié des enfants mort-nés 7.

Les certificats de décès néonatal contiennent des informations sur les caractéristiques et les causes des décès néonatals. Ils sont enregistrés par le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès de l’Inserm (CépiDc-Inserm) 8. Ils nous ont permis de décrire les caractéristiques et les causes des décès néonatals des enfants domiciliés en Seine-Saint-Denis (N=802), et de comparer ces données à celles des autres départements franciliens (N=3 148) sur la période de 2001 à 2008 9.

Les certificats d’issue de grossesse (CIG) ont été instaurés en 1999 par le Conseil général de Seine-Saint-Denis pour évaluer les actions de santé publique mises en place à la suite de la recherche-action sur la mortinatalité qui s’était déroulée dans ce département de 1989 à 1992 3. Ils fournissent des informations sur tous les enfants mort-nés nés dans les maternités du département. Nous avons étudié tous les mort-nés hors IMG (mort-nés spontanés) de 2005 à 2011 (N=1 431) sur les 172 034 naissances totales dans le département.

Les données du Rheop – seul registre à inclure les mort-nés en France, et qui concerne les décès domiciliés dans les trois départements de l’Isère, de la Savoie et de Haute-Savoie – ont été comparées à celles des CIG sur la période 2005-2011 10. Sur cette période, le Rheop a enregistré 842 mort-nés spontanés pour un total de 211 517 naissances. Ces départements ont une mortalité infantile proche de la moyenne française (3,4 pour 1 000 naissances vivantes en 2012 versus 3,3 pour la France métropolitaine) 2.

Les données des enquêtes nationales périnatales (ENP) 2003 et 2010 portent sur un échantillon représentatif des femmes qui ont accouché en France métropolitaine durant une semaine 11. Leur analyse a permis de comparer les caractéristiques sociodémographiques des femmes domiciliées en Seine-Saint-Denis (N=969) à celles des femmes domiciliées dans les autres départements franciliens (N=5 636), de mesurer si le suivi de grossesse insuffisant était plus fréquent parmi les premières et d’en identifier les principaux facteurs de risque 12.

Les données issues des résumés de séjours hospitaliers anonymes du PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d’information) de la base régionale francilienne sont traitées depuis 2006, à la demande de l’ARS, dans le cadre d’un système d’information périnatal partagé, Perinat-ARS-IDF, impliquant les professionnels des établissements pour améliorer la qualité des données du PMSI. Les résumés relatifs aux naissances domiciliées en IdF en 2010 et 2011 ont été analysés afin de mesurer l’adéquation de la maternité de naissance par rapport au terme pour les enfants nés vivants à moins de 36 SA 13. L’adéquation a été considérée bonne pour les naissances en maternités de type III avant 32 SA, en maternités de types IIB et III pour celles à 32-33 SA et en maternité de types IIA, IIB et III pour les naissance à 34-36 SA 14.

Enquête spécifique sur l’opinion des professionnels

Nous avons consulté des professionnels exerçant en périnatalité dans le département au moyen d’un processus de consensus Delphi, d’avril à septembre 2013. Les enquêtes Delphi permettent d’organiser la consultation d’experts sur un sujet précis, avec pour objectifs de mettre en évidence des convergences et des consensus sur les orientations à donner à un projet et d’évaluer si celui-ci est opportun 15. La méthode consiste à soumettre des questionnaires itératifs et anonymes (3 ou 4 tours) à un panel d’experts. Chacun doit avoir, pour se positionner, un retour sur les opinions émises par l’ensemble du panel. Nous avons sollicité différents acteurs de santé grâce au fichier d’adresses du réseau de périnatalité « Naître dans l’Est francilien » et au Service de PMI du Conseil général. Trente-deux personnes se sont portées volontaires pour faire partie du panel. Il était composé de pédiatres, d’obstétriciens, de médecins généralistes, de sages-femmes, de cadres de santé, d’assistantes sociales, de puéricultrices et de psychologues, exerçant majoritairement en secteur hospitalier public ou participant au service public (n=12) et en PMI (n=7), en libéral (n=4), au sein de l’association Médecins du monde (n=2) et du réseau de santé Solipam-IDF (n=2) ; 3 personnes n’ont pas précisé leur mode d’exercice. Deux représentants d’associations d’usagers ont été associés à ces professionnels. Nous leur avons soumis un premier questionnaire ouvert avec les questions suivantes : 1) Selon vous, quels processus (causes et facteurs de risque) peuvent expliquer que les taux soient plus élevés en Seine-Saint-Denis que dans les autres départements d’Île-de-France ? 2) Si on vous en donnait les moyens, quelles solutions proposeriez-vous pour remédier à cette situation ?

Résultats

Les figures 1a, 1b et 1c présentent l’évolution des taux de mortalité infantile et néonatale de 1990 à 2013 et de la mortinatalité de 1990 à 2007 en Seine-Saint-Denis, dans les autres départements d’IdF et dans les autres départements de France métropolitaine, à partir des données de l’état civil. Elles font ressortir la situation défavorable de la Seine-Saint-Denis depuis la fin des années 1990 pour les trois indicateurs. Au cours des dix dernières années (2004 à 2013), le taux de mortalité infantile était en moyenne de 5,1 pour 1 000 naissances vivantes versus 3,5 pour 1 000 dans les autres départements d’IdF, soit un risque relatif (RR) de 1,4 (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [1,3-1,4]) et le taux de mortalité néonatale atteignait 3,5 pour 1 000 versus 2,5 pour 1 000 (RR=1,4 ; IC95%: [1,3-1,5]). Depuis 2000, ces RR ont fluctué entre 1,2 et 1,6 selon l’année. Parmi les décès infantiles, 69% ont eu lieu au cours du premier mois. Pour la mortinatalité, le changement législatif de 2001 s’est traduit par une augmentation de la mortalité, mais l’excès de mortalité entre la Seine-Saint-Denis et les autres départements de la région est resté plutôt stable, avec des RR fluctuant entre 1,2 et 1,4 pour 1 000 sur la période 2000-2007.

Figure 1 : Taux de mortalité infantile (1990-2013), de mortalité néonatale (1990-2013) et de mortinatalité (1990-2007) en Seine-Saint-Denis, France
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L’analyse des causes de décès néonatals réalisée à partir des données du certificat de décès néonatal enregistré par le CépiDc-Inserm a permis de décrire les caractéristiques et les causes des décès néonatals des enfants domiciliés en Seine-Saint-Denis et de comparer ces données à celles de l’IdF (hors Seine-Saint-Denis). La distribution des caractéristiques des enfants (âge en jours au décès, âge gestationnel à la naissance, poids) était la même en Seine-Saint-Denis que dans les autres départements de la région. Par exemple, 34,9% des décès néonatals ont eu lieu à J0 versus 34,6% dans les autres départements franciliens (p=0,9). Les décès à terme représentaient 31,5% des décès en Seine-Saint-Denis, comme dans les autres départements. Cette étude n’a pas mis en évidence de causes de mortalité néonatale spécifiques à la Seine-Saint-Denis. Les décès dus aux anomalies congénitales y représentaient 23,6% des décès versus 22,1% dans les autres départements franciliens, et les affections d’origine périnatale 60,6% versus 65,6% (p=0,34). En revanche, les causes de décès mal définies ou non renseignées étaient un peu plus fréquentes en Seine-Saint-Denis : 9,7% versus 5,8% (p=0,03) 9.

Les comparaisons de mortinatalité avec les données du Rheop sur la période 2005-2011 font ressortir des différences marquées : le taux de mortinatalité spontanée a été 2 fois plus élevé en Seine-Saint-Denis que dans les trois départements couverts par le Rheop : 8,3 pour 1 000 naissances totales contre 4,0 pour 1 000 (RR=2,1 ; IC95%: [1,9-2,3]). Le risque de mortinatalité spontanée était particulièrement élevé en Seine-Saint-Denis pour les termes les plus précoces (22-23 SA : RR=2,8 ; IC95%: [2,4-3,4], 24-27 SA : RR=2,3 ; IC95%: [1,9-2,7]). Bien que les mères très jeunes ou âgées, qui présentent des risques élevés, soient plus nombreuses en Seine-Saint-Denis, l’âge maternel n’explique pas l’excès de mortinatalité, car les différences persistent après ajustement sur ces facteurs. Les décès en lien avec les pathologies hypertensives et le diabète étaient beaucoup plus fréquents en Seine-Saint-Denis, où 12,1% des naissances d’enfants mort-nés sont survenues dans un contexte d’hypertension maternelle versus 5,1% dans les départements couverts par le Rheop (p<0,001). Ceci représente des taux de mortinatalité dans ce contexte de respectivement 1,0 et 0,2 pour 1 000 (p<0,001). Un diabète maternel était observé dans 4,7% des décès versus 3,3% (différence non significative, p=0,121). Cependant, en raison du taux de mortinatalité supérieur, le taux de décès en lien avec le diabète était significativement plus élevé : 0,4 pour 1 000 versus 0,1 pour 1 000 (p<0,001).

L’analyse des données des ENP 2003 et 2010 indique que les femmes de Seine-Saint-Denis présentaient des caractéristiques socioéconomiques plus défavorables que les femmes domiciliées dans les autres départements d’IdF : 10,3% d’entre elles n’avaient pas été scolarisées ou n’avaient pas dépassé le niveau des études primaires versus 4,1% dans les autres départements, et seules 37,4% versus 58,4% avaient un niveau d’études supérieur au baccalauréat (p<0,001) ; 25,8% étaient sans profession versus 14,3% (p<0,001). Elles étaient également plus souvent dépourvues de couverture sociale en début de grossesse (4,3% versus 2,2%, p<0,001) et moins nombreuses à avoir un logement personnel (85,1% versus 90,3%, p<0,001) 12. Le taux global de suivi prénatal insuffisant (déclaration de grossesse au 2e ou au 3e trimestre et/ou nombre d’échographies <3 et/ou nombre de consultations insuffisant par rapport au terme à l’accouchement) était de 18% en Seine-Saint-Denis contre 12% en IdF (p<0,001). Les facteurs associés à un suivi insuffisant étaient l’âge maternel <20 ans, un faible niveau scolaire, la nationalité étrangère, l’absence de vie en couple et l’absence de couverture sociale en début de grossesse. Parmi les femmes de nationalité étrangère, plus nombreuses en Seine-Saint-Denis que dans les autres départements de la région (40,2% versus 22,7%, p<0,001), le taux de suivi prénatal insuffisant était de 25% en Seine-Saint-Denis, comme dans les autres départements. En revanche, parmi les femmes de nationalité française, ce pourcentage était 2 fois plus élevé en Seine-Saint-Denis que dans le reste de l’IdF (13,6% versus 7,4% ; p<0,001). L’association entre le lieu de résidence en Seine-Saint-Denis et le suivi insuffisant de grossesse persistait après ajustement sur les caractéristiques des femmes (odds ratio ajusté, ORa=1,4 ; IC95%: [1,1-2,0]).

L’analyse de l’adéquation de la maternité à la classe de prématurité avant 36 SA à partir des données du PMSI a montré que le taux d’adéquation était plutôt meilleur en Seine-Saint-Denis qu’ailleurs en IdF. En 2010 et en 2011, 90,4% et 90% respectivement des enfants nés vivants avant 36 SA, domiciliés en Seine-Saint-Denis, sont nés dans un établissement adéquat contre 86,1% et 87,7% pour l’ensemble de la région. Pour les grands prématurés (<32 SA), la proportion de ceux nés dans un centre de type III était identique en Seine-Saint-Denis et dans les autres départements franciliens (84% en 2011).

Enfin, le processus de consensus Delphi mené auprès de professionnels du département a permis de faire émerger des hypothèses sur le rôle de l’organisation des soins dans le département (figure 2). Ainsi, en plus des facteurs liés aux conditions de vie et à la santé de la population des femmes enceintes, les experts ont souligné l’importance de facteurs liés aux soins ; parmi ceux considérés comme étant « très importants » pour la mortalité périnatale, 4 concernaient des problèmes d’offre de soins insuffisante ou de surcharge de travail (saturation des consultations de PMI, manque de temps à consacrer aux patients, soignants débordés, trop peu de recours aux interprètes) et 4 portaient sur la coordination des soins (délai pour les prises de rendez-vous, trop d’intervenants, pas de dossier de soins partagé, problèmes d’organisation ville-hôpital). Le panel a également évoqué l’absence de suivi par un médecin traitant et les difficultés d’accès aux soins pour les femmes enceintes sans papiers.

Figure 2 : Facteurs ou causes de décès périnataux et néonataux liés aux soins, classés selon le pourcentage du panel classant le facteur en « très important ». Enquête Delphi en Seine-Saint-Denis, France, 2013
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Discussion

Il ne semble pas exister de causes de décès néonatals spécifiques permettant d’expliquer la surmortalité infantile observée en Seine-Saint-Denis : celle-ci est constatée à tous les âges gestationnels et pour toutes les causes. En revanche, la mortinatalité spontanée survient à des âges gestationnels plus précoces et dans un contexte plus fréquent de pathologies maternelles telles que l’hypertension artérielle et le diabète. Le suivi de grossesse y démarre plus tardivement et un nombre de consultations insuffisant y est plus souvent retrouvé que dans les autres départements de la région. Ces résultats renvoient à la composition sociale de la Seine-Saint-Denis : les femmes étrangères y sont plus nombreuses que dans les autres départements d’IdF ; or, un quart d’entre elles ne bénéficient pas d’un suivi suffisant de la grossesse (en Seine-Saint-Denis comme ailleurs dans la région IdF). La prévalence des facteurs de risque sociaux, comme le jeune âge maternel, le faible niveau scolaire, l’absence de vie en couple et l’absence de couverture sociale en début de grossesse, est également plus élevée dans le département. Cependant, la proportion des femmes de nationalité française moins bien suivies reste plus élevée en Seine-Saint-Denis que dans les autres départements, même après ajustement sur ces facteurs.

L’organisation des soins en Seine-Saint-Denis pourrait peut-être expliquer les résultats défavorables des indicateurs de santé. Les experts participant au processus de consensus Delphi sur les causes de la mortalité périnatale et infantile élevée ont évoqué des facteurs liés au suivi de la grossesse, tels que la saturation des consultations hospitalières, qui pourraient contribuer à une prise en charge plus tardive des femmes à l’hôpital et avoir des répercussions sur les consultations en ville. Les problèmes d’organisation mis en avant par le panel pourraient conduire à une utilisation inadéquate ou sous-optimale des soins par une population qui n’est pas toujours bien informée et qui a d’autres préoccupations plus urgentes que sa santé. Pour autant, l’adéquation du lieu de naissance par rapport au niveau de risque ne semble pas être en cause, car les prématurés naissent pour la plupart dans des centres adaptés, et cette adéquation ne diffère pas pour les enfants résidant en Seine-Saint-Denis 14.

Limites des sources de données disponibles

Malgré leur apport, ces analyses ne permettent pas de répondre à certaines questions-clés. En particulier, il n’est pas possible de relier les informations entre elles pour explorer plus finement les liens entre les risques et les causes de mortalité et le suivi de grossesse ou la prise en charge à l’accouchement. Nous pouvons étudier les caractéristiques sociales des femmes enceintes et leur suivi de grossesse à partir des ENP, mais l’échantillon, composé de toutes les naissances en France pendant une semaine, est insuffisant pour analyser le lien de ces caractéristiques avec les issues de grossesse dans une région ou dans un département donné.

Nous pouvons également étudier les causes de décès néonatals liés à la prématurité ou aux anomalies congénitales à partir des certificats de décès, mais ces données ne sont pas reliées aux bulletins de naissances, ni aux données concernant les enfants mort-nés, ce qui rend impossible le calcul du taux de mortalité périnatale. Les indicateurs de mortinatalité, auparavant publiés par l’Insee, ne sont plus disponibles depuis 2008 puisque, suite à l’application du décret du 20/08/2008 relatif aux modalités de déclaration des « enfants sans vie » à l’état civil, les parents peuvent ou non déclarer leur enfant mort-né quel que soit le terme (à partir de 15 SA), mais ce dernier n’est pas mentionné dans le bulletin d’enfant sans vie. Le relais est pris par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) grâce aux données issues du PMSI, mais le lien avec les données de l’état civil reste à établir.

Apports de ces analyses à l’audit des décès de 2014

En France, la mortalité des enfants autour de la naissance ne fait pas l’objet d’un audit en routine, à l’inverse de la mortalité maternelle 16 ou de ce qui est mis en place dans d’autres pays, comme le Royaume-Uni ou la Nouvelle-Zélande 17,18. Le projet RéMI inclut un audit exhaustif d’un an des décès (≥22 SA et/ou ≥500 g) in utero, per partum et néonatals survenus en 2014 dans le département. Toutes les équipes de maternité, de néonatologie, de réanimation pédiatrique et du Smur (Service mobile d’urgence et de réanimation) pédiatrique, rassemblées au sein du réseau périnatal « Naître dans l’Est francilien » de Seine-Saint-Denis, sont impliquées dans le signalement des décès et dans la présentation du projet aux mères/parents.

Les résultats présentés dans cet article ont contribué à la conception de cet audit. En particulier, nous avons décidé d’y inclure des entretiens avec les femmes, si elles y consentent, car les informations précises sur leurs trajectoires de soins et leurs conditions sociales sont rarement disponibles dans les dossiers médicaux des maternités d’accouchement. Ces entretiens sont un élément nouveau par rapport aux audits traditionnels et vont nous permettre d’étudier le rôle des prises en charges tardives et des défauts de coordination des soins. L’audit comporte également deux expertises en vue d’identifier les facteurs sous-optimaux et potentiellement évitables : l’une auprès des équipes concernées et l’autre auprès d’un panel d’experts externes au département. L’implication des équipes médicales de Seine-Saint-Denis dans l’analyse des décès, peu fréquente dans les audits, permet de renforcer l’engagement des professionnels dans la recherche et devrait favoriser la poursuite de ce travail par des actions efficaces pour réduire la mortalité périnatale et néonatale en Seine-Saint-Denis.

Références

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3 Bucourt M, Papiernik E editors. Périnatalité en Seine-Saint-Denis: Savoir et agir. Paris: Médecine-Sciences Flammarion; 1998. 242 p.
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Citer cet article

Sauvegrain P, Carayol M, Ego A, Crenn-Hebert C, Bucourt M, Zeitlin J. Comment comprendre le risque élevé de mortalité infantile et périnatale dans une zone géographique ? L’exemple de la situation en Seine-Saint-Denis. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(6-7):116-22. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/6-7/2015_6-7_4.html