Situation sociale et état de santé des personnes vivant avec le VIH aux Antilles, en Guyane et à La Réunion en 2011. Premiers résultats de l’enquête ANRS-Vespa2

// Social status and health conditions of persons living with HIV in French West Indies, French Guiana, and Reunion Island in 2011. First results of the ANRS-VESPA2 survey

France Lert (france.lert@inserm.fr)1,2, Cindy Aubrière1,2, Kayigan d’Almeida Wilson1,2, Christine Hamelin1,2, Rosemary Dray-Spira1,2 et le groupe Vespa2

1 Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations, Inserm, U1018, Villejuif, France
2 Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, UMRS 1018, Villejuif, France
Soumis le 09.04.2013 / Date of submission: 04.09.2013
Mots-clés : VIH | Conditions de vie | Statut social | Départements d’outre-mer
Keywords: HIV | Living conditions | Social status | French overseas territories

Résumé

L’enquête Vespa2 a été menée en 2011 auprès de 598 patients suivis pour le VIH dans les hôpitaux de Guadeloupe, Martinique, Guyane (Cayenne), Saint-Martin et La Réunion. Les données, pondérées et redressées, sont extrapolables à la population vivant avec le VIH et suivie à l’hôpital dans ces départements.

Les indicateurs sociaux en 2011 apparaissent relativement stables par rapport à 2003. Ils sont marqués par de faibles taux d’activité professionnelle (malgré l’importance de l’emploi non déclaré), des revenus faibles, des niveaux élevés de restrictions alimentaires par manque d’argent, avec une situation plus défavorable dans les départements français d’Amérique qu’à La Réunion. La non-divulgation de la maladie aux proches, sans changement depuis 2003, reste un phénomène fréquent aux Antilles et en Guyane.

La proportion de personnes traitées a fortement augmenté entre 2003 et 2011 et est au même niveau qu’en métropole. Les résultats thérapeutiques sont identiques à la métropole en termes de CD4, mais la proportion de charge virale non contrôlée (de 67,9% à 81,7%) est plus élevée.

Dans les départements d’outre-mer, territoires présentant des situations contrastées sur le plan épidémiologique et social, l’efficacité accrue des traitements a permis partout une amélioration de l’état de santé tandis que la situation sociale ne marque pas de progrès entre les deux vagues de l’enquête.

Abstract

The VESPA2 Study was conducted in 2011 among 598 HIV-infected outpatients in hospitals of Guadeloupe, Martinique, French Guiana (Cayenne), Saint-Martin and Reunion Island. Weighted data can be extrapolated to the population of persons living with HIV (PLWH) and followed at hospital in these regions.

Indicators of social conditions in 2011 show limited changes compared to the situation in 2003. Main outlines include low rates of occupational activity -with high levels of undeclared work-, low resources and high levels of food restrictions due to lack of money. The situation is worse in the French Departments of America than in Reunion Island. Non-disclosure of HIV status, at a stable level compared to 2003, remains a frequent phenomenon in these regions.

The proportion of persons on antiretroviral therapy strongly increased between 2003 and 2011, reaching the same level as in Metropolitan France. Among those treated, CD4 levels are the same as in Metropolitan France, though the proportion of patients with an uncontrolled viral load (between 67.9% and 81.7%) is higher.

In the French overseas departments where the situation regarding the social context and the epidemiology of HIV infection is diversified, the enhanced efficacy of ART allowed an improvement of health status, while the social situation of PLWH has remained poor.

Introduction

Régis par un statut territorial unique, les départements d’outre-mer (DOM) présentent des singularités historiques, politiques et sociales propres à chaque contexte. La dynamique démographique de ces territoires est aussi fortement contrastée. Bien qu’hétérogène entre départements, la situation économique apparaît globalement défavorable dans les différents départements, avec un faible développement de l’appareil productif, des revenus bas et un taux d’emploi très inférieur à celui de la moyenne nationale 1. En matière d’infection à VIH, les taux de nouveaux cas rapportés à la population dans les trois départements français d’Amérique (DFA) sont au-dessus de la moyenne nationale et, pour la Guyane et la Guadeloupe, au-dessus de l’Île-de-France, tandis que La Réunion a une situation épidémiologique plus favorable 2.

Cet article présente les principales caractéristiques de la population vivant avec le VIH dans le champ démographique, social et médical à partir de l’enquête ANRS-Vespa2 (VIH : Enquête sur les personnes atteintes) menée en 2011, en s’attachant aux évolutions depuis la première vague d’enquête réalisée en 2003 3,4 et aux écarts avec la métropole.

Matériel et méthodes

Enquête nationale représentative auprès de la population vivant avec le VIH suivie à l’hôpital, l’enquête Vespa2 effectuée en 2011 fait suite à une première enquête réalisée en 2003 selon un protocole similaire (cf. focus « Méthodologie générale de l’enquête ANRS-Vespa2 », dans ce numéro). La Réunion, qui n’avait pas été incluse en 2003, l’a été en 2011. En revanche, Mayotte, devenue département seulement après le lancement de l’étude, n’a pas été étudiée. Saint-Martin, devenu collectivité d’outre-mer en 2007, est présenté de façon individuelle, en raison de sa structure démographique dominée par une très forte immigration des pays voisins de la Caraïbe.

Les indicateurs démographiques, sociaux, ceux relatifs au contexte relationnel et les paramètres médicaux sont présentés par département avec, pour chacun, les évolutions par rapport à 2003. La taille de l’échantillon enquêté dans chaque département reste modeste et ne permet pas de distinguer les sous-populations par sexe ou nationalité par département. Les indicateurs médicaux ont été comparés à ceux de la métropole compte tenu de l’uniformité des recommandations cliniques de prise en charge de la maladie. En raison de la taille limitée des échantillons dans chaque département, les proportions de diagnostics tardifs (<350 CD4/mm3 ou sida) et ultra-tardifs (<200 CD4/mm3 ou sida) parmi les cas les plus récents (diagnostiqués entre 2003 et 2010) sont présentées au niveau global pour l’ensemble des DOM.

Toutes les données présentées sont pondérées et redressées, fournissant ainsi des estimations extrapolables à l’ensemble de la population séropositive diagnostiquée depuis au moins 6 mois et suivie à l’hôpital à l’échelle des départements concernés et, pour la Guyane, de la région de Cayenne.

Premiers résultats

Profils épidémiologiques et sociaux des personnes vivant avec le VIH dans chaque DOM et à Saint-Martin (tableaux 1, 2 et 3)

Au total, 598 personnes vivant avec le VIH (PVVIH) ont participé à l’étude ; leur répartition reflète la distribution de la file active dans les hôpitaux de chaque DOM.

Martinique

Dans la file active des patients suivis en Martinique, les patients diagnostiqués entre 2003 et 2011 représentent environ 1 personne sur 3. La population séropositive est composée pour 20,9% d’hommes contaminés par rapports homosexuels, pour 38,3% d’hommes hétérosexuels ou contaminés par d’autres voies et pour 40,8% de femmes. La majorité de la population (91,8%) est de nationalité française. En 2011, l’âge médian est de 49 ans et 20,7% des patients ont plus de 60 ans. Parmi les moins de 60 ans, 43,2% ont un emploi déclaré, 18,7% travaillent dans le secteur informel et 8,2% sont en recherche d’emploi. Les minima sociaux (Revenu de solidarité active -RSA et Allocation adulte handicapé -AAH) concernent plus d’une personne sur 4. L’appréciation des ressources est appréhendée par des questions empruntées aux enquêtes Conditions de vie des ménages, menées par l’Insee de façon régulière : près de 4 personnes sur 10 rapportent des difficultés financières majeures pour faire face à leurs besoins et plus d’un quart des répondants rapportent des privations alimentaires par manque d’argent (26,8%).

Plus de 4 personnes sur 10 vivent seules et les familles monoparentales comptent pour 15,4% des enquêtés ; 1 personne sur 5 vit en couple. Près d’un quart des patients n’ont informé personne de leur entourage de leur maladie.

Au cours des 12 derniers mois, 68,8% des patients ont eu des rapports sexuels, 59,9% ont un partenaire stable et 31% ont eu au moins un partenaire occasionnel. Parmi les sexuellement actifs, 62,7% ont utilisé un préservatif au dernier rapport (tous types de partenaires confondus).

Par rapport à 2003, la distribution des cas par sexe (en distinguant les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes des autres hommes) et la part des étrangers restent stables, l’âge moyen augmente de 8 ans. Le taux d’activité a augmenté par l’accroissement du travail non déclaré tandis que les indicateurs de ressources sont restés stables. La proportion de propriétaires de leur logement est passée de 25,6% à 33,7%. Les caractéristiques du mode de vie et de la sexualité sont stables (à noter que l’utilisation du préservatif au dernier rapport n’était pas documentée en 2003).

Guadeloupe

Les PVVIH suivies dans les deux hôpitaux de la Guadeloupe ont été pour 43,9% diagnostiquées depuis 2003. Elles sont âgées de 49 ans en médiane. Globalement, les femmes représentent un peu moins de la moitié de la population séropositive (47,9%), tandis que les hommes se répartissent en 23,6% d’hommes contaminés par des rapports homosexuels et 28,5% d’hommes hétérosexuels. La part des étrangers est de 35,3% ; il s’agit d’immigrés de longue date dans le département avec une ancienneté de 12 ans en médiane lors de l’enquête. Parmi les étrangers, 93,2% sont des Haïtiens et 33,6% ont une carte de résident, c’est-à-dire une autorisation de séjour de 10 ans. Le taux d’activité parmi le moins de 60 ans (63,9%) comporte une part importante d’emploi non déclaré (27,2%). Plus d’un patient sur 3 reçoit un minima social (le RSA : 21,3% ou l’AAH : 14,5%). Près de la moitié des patients déclarent des difficultés financières importantes et 38,3% des privations alimentaires. Plus de 9 personnes vivant avec le VIH sur 10 ont un logement personnel et, parmi elles, 40,2% sont propriétaires de leur logement.

Près de 40% des PVVIH en Guadeloupe vivent seules, 19,5% en famille monoparentale et 30,4% en couple. Un quart d’entre elles n’ont pas révélé leur maladie à leurs proches.

La proportion de personnes ayant eu une activité sexuelle dans l’année est de 59,9%, et 1 personne sur 4 rapporte des rapports avec au moins un partenaire occasionnel au cours des 12 derniers mois. Au dernier rapport, 76,6% ont utilisé le préservatif.

La comparaison avec 2003 indique une augmentation de 3 ans de l’âge médian, qui n’est pas significative ; elle fait apparaître aussi une augmentation de la part des étrangers dans la population vivant avec le VIH (de 24,3% à 35,3%). Le taux d’activité augmente du seul fait de l’accroissement du travail non déclaré. La proportion d’allocataires des minima sociaux reste stable, résultat d’une diminution des bénéficiaires de l’AAH et d’une augmentation des personnes recevant le RSA. La détérioration de l’indicateur d’aisance financière porte sur la baisse de la proportion des plus aisés. La fréquence de la révélation de la maladie dans l’entourage ne progresse pas. Les caractéristiques du mode de vie et les comportements sexuels apparaissent stables.

Saint-Martin

Les femmes sont majoritaires dans la population séropositive suivie à l’hôpital français de Saint-Martin, et la proportion d’hommes contaminés par rapports homosexuels est très faible. L’âge médian est de 49 ans. La file active est constituée pour 78,5% d’étrangers venant principalement d’Haïti (63,2% de la file active). Près d’une personne sur 2 a été diagnostiquée après 2003. Le niveau d’emploi est de 56,3%, dont 24,2% dans le secteur informel. Les proportions de bénéficiaires du RSA et de l’AAH sont voisines, autour de 11%. La très grande majorité des personnes suivies pour le VIH ont un logement personnel (81,8%) mais rapportent un niveau de ressources insuffisant : 7 sur 10 expriment des difficultés financières majeures et près de 6 sur 10 rapportent ne pas pouvoir se nourrir correctement par manque d’argent. Les PVVIH à Saint-Martin vivent seules (38,6%) ou seules avec des enfants (34,1%), les couples étant très peu nombreux (20,5%). Pour un tiers des patients, aucune personne de l’entourage n’est informée de leur maladie. Deux PVVIH sur 3 rapportent avoir eu des rapports sexuels dans les 12 derniers mois, dont 44% avec un partenaire stable et 24,3% avec au moins un partenaire occasionnel. Un peu plus de la moitié (55%) rapportent avoir utilisé un préservatif au dernier rapport.

Les évolutions par rapport à 2003 sont à prendre avec prudence compte tenu de la petite taille des échantillons aux deux phases de l’enquête. La distribution par sexe et la répartition entre Français et étrangers sont stables. L’âge médian de la file active augmente de 7 ans. La structure d’activité professionnelle évolue avec plus d’actifs occupés sans contrat et moins de personnes en recherche d’emploi. Pendant cette période, les privations alimentaires se sont accrues. La révélation aux proches ne se modifie pas de façon significative. Les indicateurs d’activité sexuelle marquent une augmentation des personnes sexuellement actives en 2011, augmentation qui porte sur les partenaires stables comme sur les partenaires occasionnels.

Guyane

En raison d’une épidémie hétérosexuelle très dynamique, 69,4% de la population séropositive de Guyane, limitée ici à la file active suivie à Cayenne, est composée en 2011 de personnes diagnostiquées depuis 2003, avec une majorité de femmes et très peu de contaminations masculines associées à des rapports sexuels entre hommes. La moitié des patients ont entre 35 et 54 ans (43 ans d’âge médian). Cette population compte une large majorité d’étrangers dont 3 sur 4 viennent d’Haïti. L’ancienneté de présence de ces étrangers sur le territoire guyanais est de 19 ans en médiane lors de l’enquête ; pourtant, plus de 6 sur 10 ont un titre de séjour d’un an ou plus court.

Les actifs, quel que soit le secteur, déclaré ou informel, sont minoritaires et plus d’une personne sur 3 est en recherche active d’emploi. Peu de patients reçoivent l’AAH (6%), tandis que plus d’un sur 4 est allocataire du RSA. En termes de conditions de vie, la part des personnes hébergées par la famille ou les proches est élevée (26%), tandis que 7% environ n’ont pas de logement personnel ou vivent en foyer. La grande majorité connaît des difficultés financières majeures et les privations alimentaires par manque d’argent atteignent près de 40% des PVVIH.

Un peu plus de la moitié des personnes vivent seules (30,3%) ou seules avec des enfants (21,9%), 35,8% en couple avec ou sans enfants, et 12% avec d’autres adultes. Trois personnes vivant avec le VIH sur 10 n’ont informé personne de leur maladie dans leur entourage.

Une activité sexuelle dans l’année est rapportée par un peu plus de 60% des répondants. Sept personnes sur 10 ont une relation stable, et 13,1% ont eu au moins un partenaire occasionnel dans les 12 derniers mois. L’utilisation du préservatif au dernier rapport concerne les deux-tiers des répondants.

Par rapport à 2003 et en restreignant la comparaison à la file active suivie à Cayenne, l’évolution est marquée par une stabilité de la répartition par sexe, une stabilité de l’âge médian de la file active, une augmentation de la part des étrangers, des variations non significatives du niveau d’activité professionnelle, une détérioration du niveau de ressources et une augmentation de la part des personnes hébergées par des proches. Concernant la vie affective et sexuelle, les personnes ayant une relation stable sont plus nombreuses en 2011 qu’en 2003.

La Réunion

La population suivie pour le VIH dans les deux hôpitaux de La Réunion se répartit presque également entre hommes contaminés par relations homosexuelles (34,5%), autres hommes (32%) et femmes (33,5%). L’immense majorité des PVVIH sont des Français de naissance (96,9%). La moitié ont entre 41 et 54 ans avec un âge médian de 47 ans. Environ 1 personne sur 4 a été diagnostiquée depuis 2003. Le taux d’activité est de 50,2% et peu des PVVIH travaillent dans le secteur informel (7,7%). Un peu plus d’un quart des personnes vivant avec le VIH touchent un minima social (RSA : 15,2% ; AAH : 11,3%). Près de 9 personnes sur 10 ont un logement personnel. L’appréciation de l’aisance financière situe la majorité des patients dans la catégorie intermédiaire (des revenus juste suffisants) et 16% rapportent des privations alimentaires par manque d’argent.

La vie en couple concerne près d’une personne sur 2 (48,8%). Plus de 9 personnes sur 10 ont informé leur entourage de leur séropositivité. L’activité sexuelle dans l’année est rapportée par 7 personnes sur 10, la plupart ont un partenaire stable et 30,4% ont eu au moins un partenaire occasionnel au cours des 12 derniers mois. Le niveau d’utilisation du préservatif au dernier rapport est de 55,7%.

Tableau 1 : Caractéristiques démographiques des personnes vivant avec le VIH et suivies à l’hôpital dans les DOM, par département. Enquête ANRS-Vespa2 (2011), données pondérées et redressées
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Tableau 2 : Situation socioéconomique et conditions de vie matérielle parmi les personnes vivant avec le VIH et suivies à l’hôpital dans les DOM, par département. Enquête ANRS-Vespa2 (2011), données pondérées et redressées
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Tableau 3 : Type de ménage, révélation de l’infection à l’entourage, vie sexuelle parmi les personnes vivant avec le VIH et suivies à l’hôpital dans les DOM, par département. Enquête ANRS-Vespa2 (2011), données pondérées et redressées
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Indicateurs médicaux (tableau 4)

Globalement dans les DOM, parmi les personnes nouvellement diagnostiquées entre 2003 et 2011, 55,3% l’ont été à un stade tardif de l’infection et 36,7% à un stade ultra-tardif, soit des niveaux plus élevés que ceux de la métropole (48,6% et 29,8%, respectivement). La proportion des patients sous traitement antirétroviral (ARV) dépasse 90% dans tous les départements, sauf en Martinique où elle est légèrement inférieure (88,8%). Parmi les personnes traitées, la proportion de personnes ayant une charge virale contrôlée (au seuil de 50 copies/ml) est voisine de 80%, sauf en Guyane où 67,9% seulement des personnes traitées atteignent ce seuil d’indétectabilité. Par rapport à 2003, dans les seuls DFA, en prenant pour référence le seuil de 400 copies correspondant à la technique la plus courante à l’époque, la proportion des patients indétectables a fortement augmenté (de 20% à 30%) dans tous les territoires, sauf à Saint-Martin (proportion constante à 18%). Le pourcentage de patients sous ARV ayant un taux de CD4 inférieur à 200/mm3 varie de 5,6% en Martinique à 13% en Guyane, tandis que les patients ayant plus de 500 CD4/mm3 augmentent fortement, avec un pourcentage variant de 41,2% en Guyane à 53,5% à La Réunion. Comparés aux patients des services métropolitains en 2011, ceux des DOM sont aussi fréquemment traités dans chaque département. Cependant, la proportion de personnes traitées et ayant une charge virale indétectable est systématiquement plus basse dans tous les départements par rapport à l’hexagone et, en Guadeloupe et en Guyane, les taux de CD4 marquent un niveau significativement plus bas. La proportion de personnes ayant eu une maladie classante pour le stade sida varie de 24,2% à Saint-Martin à 34,4% en Martinique et ne diffère pas de celle observée en France métropolitaine (27,4%).

Au cours des 12 mois précédant l’enquête, le taux d’hospitalisation complète (toutes causes confondues et à l’exception des hospitalisations liées à la grossesse) a dépassé 20% dans tous les départements et a atteint 30% en Guyane. Ces taux sont comparables à ceux observés dans l’hexagone (24%).

Tableau 4 : Indicateurs médicaux parmi les personnes vivant avec le VIH et suivies à l’hôpital dans les DOM, par département, et comparaison avec la file active de métropole. Enquête ANRS-Vespa2 (2011), données pondérées et redressées
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Discussion

Parmi les PVVIH, l’hétérogénéité entre les DOM est très marquée sur le plan social alors que la situation médicale, malgré quelques variations, est très voisine.

Le vieillissement de la population séropositive par rapport à 2003, différent d’un département à l’autre (nul en Guyane et de 8 ans en Martinique), traduit la diversité de la tendance et de la composition de l’épidémie selon les territoires, et sans qu’on puisse le documenter ici d’un possible effet de départ d’étrangers vivant avec le VIH qui affecterait la file active suivie. Dans les DFA, le retard au diagnostic se maintient malgré un taux de dépistage élevé et croissant en population. L’immense majorité des patients sont traités, avec des résultats marqués par une distribution des niveaux de CD4 similaire à celle observée dans la file active de métropole, mais un pourcentage des patients traités avec une charge virale supérieure à 50 copies plus élevé, évoquant des difficultés d’observance sans doute liées à des déterminants multiples.

La situation sociale des PVVIH apparaît dans les DOM plus difficile que sur le territoire métropolitain. Elle doit être mise en perspective avec le contexte démographique et social de chaque territoire, compte tenu d’une situation sociale et économique globalement plus défavorable. Elle tient, en partie, à la proportion très élevée des étrangers parmi les PVVIH, qui est importante en Guyane, en Guadeloupe et à Saint-Martin. Ce trait démographique est le reflet des migrations internationales qui affectent ces départements. Toutefois, la surreprésentation des étrangers dans la file active VIH est plus marquée en Guadeloupe y inclus Saint-Martin (pour les deux territoires réunis : 47,4% parmi les PVVIH vs. 4,3% en population générale) qu’en Guyane (76,6% et 38,3% respectivement). Le poids des étrangers sur les indicateurs sociaux mesurés dans Vespa2 est donc important et reflète la situation très précaire des étrangers dans les DOM sur le plan légal et économique 5,6,7.

Il convient de noter que l’étude Vespa2 n’a pas documenté les migrations avec la métropole, qui affectent de façon majeure la démographie des DOM (départ de jeunes pour étudier et travailler, arrivée de métropolitains dans les emplois qualifiés, retour de retraités) et pourraient aussi affecter la population vivant avec le VIH.

L’isolement très marqué des PVVIH, notamment le fait de vivre seul ou en famille monoparentale, ne diffère pas fortement des modes de vie observés en population générale : la part des familles monoparentales varie de 20% à 25% en population générale 8 et de 9,5% à 21,9% parmi la population vivant avec le VIH (avec un pic à 34,1% à Saint-Martin). À l’inverse, à La Réunion, la structure des ménages parmi les PVVIH, avec notamment un niveau plus bas des familles monoparentales, tient à la part importante des hommes homosexuels dans la population séropositive. Ainsi, la mise en perspective de la situation des PVVIH reflète une situation générale des modes de vie et ne s’explique pas seulement par un isolement marqué de ces personnes.

Les PVVIH dans les DOM ont des niveaux de ressources et d’activité professionnelle faibles. Encore l’enquête Vespa2 prend-elle en compte les emplois non déclarés que ne considèrent pas les statistiques officielles malgré l’importance du secteur informel dans les DOM. L’Insee évalue à 38% l’écart de revenu entre les DOM et la métropole, avec des variations par département et un léger avantage à la Martinique dans le contexte ultramarin 9. Une part de cet écart de revenus est liée au niveau d’emploi, à la structure des qualifications et à la contribution importante des minima sociaux au revenu des ménages. Parmi les PVVIH, la hiérarchie entre départements des revenus médians et du niveau des privations suit celle observée en population générale, à l’exception de la Guyane qui occupe la place la plus défavorable dans Vespa2 (place occupée par la Guadeloupe dans la statistique Insee). Il en va de même pour le logement, avec une proportion élevée de patients sans logement personnel, situation beaucoup plus rare dans les autres territoires. Ceci peut être lié à la proportion majoritaire des étrangers parmi les malades suivis à Cayenne.

Dans chaque territoire des DFA, aucun changement n’est observé dans la révélation de la maladie à l’entourage par rapport à 2003 où le dévoilement de l’infection VIH apparaissait tardif, forcé par la détérioration de l’état de santé et circonscrit à un petit nombre voire à un seul confident 10, suggérant la permanence d’une forte stigmatisation associée à l’infection à VIH.

Conclusion

Dans les DOM, territoires marqués par des situations contrastées sur le plan épidémiologique, la prise en charge médicale des PVVIH a permis des progrès importants depuis 2003, en dépit d’un phénomène persistant de diagnostic tardif. Dans le même temps, leur situation sociale n’a pas connu d’amélioration, notamment en raison d’un contexte économique défavorable et d’un climat de stigmatisation qui laisse encore beaucoup de personnes vivre leur maladie dans le secret.

Dans l’objectif de mettre en perspective la situation et les comportements des PVVIH au sein de la population générale, des questions communes ont été posées dans l’enquête Vespa2 et dans l’enquête KABP menée à la même période. Elles permettront d’appréhender dans des conditions optimales, les éventuelles spécificités liées au VIH en termes de situation sociale, d’impact sur les conditions de vie et de comportements sexuels. De plus, le volet développé sur les discriminations dans l’enquête Vespa2 permettra d’appréhender les liens entre le secret à propos de l’infection et les attitudes en population générale vis-à-vis du VIH que mesure l’enquête KABP.

Références

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Citer cet article

Lert F, Aubrière C, d’Almeida Wilson K, Hamelin C, Dray-Spira R et le groupe Vespa2. Situation sociale et état de santé des personnes vivant avec le VIH aux Antilles, en Guyane et à La Réunion en 2011. Premiers résultats de l’enquête ANRS-Vespa2. Bull Epidémiol Hebd. 2013;(26-27):300-7.