Connaissances, opinions et utilisation des préservatifs dans la population générale adulte de Guadeloupe, Martinique et Guyane : évolutions 2004-2011

// Knowledge, opinions and condom use in the adult general population in Guadeloupe, Martinique and Guiana (France): trends for 2004-2011

Sandrine Halfen1 (s.halfen@ors-idf.org), Nathalie Lydié2, Maxime Esvan1, Kevin Diter1

1 Observatoire régional de santé d’Île-de-France, Paris, France
2 Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), Saint-Denis, France
Soumis le 30.08.2013 // Date of submission: 08.30.2013
Mots-clés : Antilles et Guyane françaises | Préservatif | Comportements sexuels | Enquête | Population générale
Keywords: French West Indies and Guiana | Condom | Sexual behaviours | Survey | General population

Résumé

L'objectif de cet article est d'analyser les connaissances, opinions et utilisation des préservatifs dans les populations vivant dans les départements français d'Amérique (DFA) : Guadeloupe, Martinique, Guyane, et de mesurer leurs évolutions dans le temps.

Les analyses reposent sur les données de deux enquêtes réalisées en 2004 et 2011-2012. Elles portent sur les personnes âgées de 18 à 69 ans sélectionnées par sondage aléatoire, soit 3 014 personnes en 2004 et 4 529 en 2011.

Globalement, les habitants des DFA savent dans leur quasi-totalité que la transmission du VIH est possible lors d’un rapport sexuel sans préservatif et que le préservatif est un moyen efficace de protection contre le VIH. Ces connaissances ont été largement intégrées dans leurs comportements puisque, lors de leur premier rapport sexuel, ils sont désormais plus de 85% à l’utiliser.

Cependant, une fragilisation des connaissances, des opinions et de l’efficacité perçue du préservatif est notée entre 2004 et 2011 dans les DFA, comme cela a pu être observé dans l’enquête KABP conduite en métropole en 2010. À l’inverse, les habitants des DFA sont nettement plus nombreux qu’en 2004 à attribuer de l’efficacité, pour se protéger du VIH, aux stratégies basées sur le dépistage du VIH (faire régulièrement un test ou en demander un à son partenaire).

Si les données sur l’utilisation du préservatif au premier rapport sexuel ou au cours des 12 derniers mois montrent qu’il n’y pas de relâchement des comportements, elles plaident cependant pour renforcer l’image du préservatif et mieux préciser son articulation avec les stratégies basées sur le dépistage du VIH.

Abstract

This article aims to study knowledge, opinions and condom use among populations living in the French American Departments (FAD - Guadeloupe, Martinique and Guiana), and to measure the trends over time.

The analysis, based on two surveys conducted in 2004 and 2011-12, is based on the answers of 3,014 individuals in 2004 and 4,529 in 2011 aged from 18 to 69 years, selected randomly.

Overall, most FAD residents know that HIV transmission is possible without condom during sexual intercourse, and that condoms are an effective means of protection against HIV. This knowledge has been widely integrated into their behavior, as more than 85% of them use a condom during their first sexual intercourse.

However, between 2004 and 2011, a decrease in the knowledge about HIV transmission routes, opinions on condoms and perception of condom effectiveness was observed in the FAD, as it was the case in the mainland France KABP survey conducted in 2010. In contrast, FAD residents are much more likely than in 2004 to attribute efficiency to protect themselves from HIV to strategies based on HIV testing (regular screening or request screening from the partner).

Although data on condom use at first intercourse or during the past twelve months indicate no drop in preventive behaviors, they call for the need to improve condom’s perception and better define its combination with HIV test based strategies.

Introduction

Les données relatives au VIH/sida montrent que l’épidémie est très active aux Antilles et en Guyane françaises, malgré une baisse observée entre 2005 et 2010 de l’incidence du VIH dans ces trois départements. Le taux d’incidence du VIH était estimé, sur la période 2009-2010, à 59 pour 100 000 personnes-année (contre 17 en moyenne nationale), variant de 147 pour 100 000 en Guyane à 17 en Martinique et 56 en Guadeloupe 1. Une des caractéristiques de l’épidémie dans les trois départements français d’Amérique (DFA) est le mode de transmission majoritairement hétérosexuel, concernant 87,2% des personnes ayant découvert leur séropositivité en 2010-2011 contre 52,8% en métropole 2.

Depuis 2001, les DFA constituent des territoires prioritaires dans la lutte contre le VIH/sida, telle qu’elle a été définie dans le Plan national de lutte contre le VIH/sida 2001-2004 puis le programme 2005-2008. Plus récemment, un « Plan national de lutte contre le VIH/sida et les IST 2010-2014 en direction des populations des départements d’outre-mer » a été mis en place 3. Le renouvellement de l’enquête sur les Connaissances, attitudes, croyances et comportements (KABP) face au VIH/sida, menée une première fois aux Antilles et en Guyane en 2004, figure dans ce Plan à travers la mesure 21, qui stipule de « renforcer les connaissances sur l’évolution des comportements sexuels ».

À partir des données des deux enquêtes KABP conduites en 2004 et 2011, l’objectif de cet article est d'analyser les évolutions des connaissances et des opinions sur le préservatif ainsi que de son utilisation. Les résultats doivent permettre d’évaluer les progrès réalisés durant les sept années qui séparent ces enquêtes et d’orienter les contenus et les cibles des messages de prévention.

Matériel et méthodes

Deux enquêtes ont été conduites dans les DFA, l’une en 2004 4 et la seconde en 2011-2012 5, afin de caractériser les connaissances, attitudes, croyances et comportements de la population générale face au VIH/sida et d’en mesurer les évolutions dans le temps.

Ces enquêtes ont été réalisées par sondage aléatoire, à partir des listes (publiques ou non) d’abonnés téléphoniques. Pour prendre en compte les évolutions de la téléphonie et assurer une meilleure représentativité, une procédure de génération aléatoire de numéros a permis d’intégrer en 2011 des personnes exclusivement équipées d’un téléphone mobile. Pour participer, les individus devaient être âgés de 18-69 ans en 2004 et 15-69 ans en 2011, parler français ou créole et avoir leur résidence principale dans le département d’enquête. Les taux de refus (12% en 2004, 25% en 2011) et d’abandon (respectivement 8% et 7%) montrent globalement une bonne acceptation des enquêtes.

Les analyses présentées ici portent sur les seules personnes âgées de 18 à 69 ans, interrogées aux Antilles et sur le littoral guyanais (incluant Saint-Laurent-du-Maroni), soit 3 014 personnes en 2004 et 4 529 personnes en 2011.

Un score d’opinion a été créé à partir de différentes questions sur les préservatifs. Pour chacune d’elles, il a été attribué entre 0 et 3 points : plus l’opinion sur les préservatifs est favorable, plus le nombre de points est élevé. Le score a ensuite été moyenné sur 10.

Les analyses statistiques, réalisées sous Stata®, ont été effectuées sur échantillons pondérés et redressés selon les données du recensement 2008 sur l’âge, le sexe, le diplôme et la vie en couple.

Résultats

Amélioration aux Antilles des connaissances des circonstances de transmission, même si certains mécanismes restent mal compris

En 2011, sans différence entre hommes et femmes, 98,4% des habitants des DFA savent qu’il est possible d’être contaminé(e) lors d’un rapport sexuel sans préservatif (tableau 1). Cette proportion a significativement progressé depuis 2004, où elle était de 96,5%. Cette amélioration ne concerne que les deux départements des Antilles ; la Guyane enregistre une stabilité entre 2004 et 2011.

Toutefois, certaines méconnaissances persistent. Un habitant sur 5 pense que le VIH peut se transmettre par une piqûre de moustique (21,0%) ou lors d’un rapport sexuel protégé par un préservatif (20,4%). Cette dernière proportion a diminué depuis 2004 (de 24,1% à 20,4%), mais uniquement aux Antilles.

Tableau 1 : Évolution 2004-2011 des connaissances des modes de transmission du VIH. Enquêtes KABP en Guadeloupe, Martinique et Guyane (France)
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Fragilisation des connaissances sur l’efficacité du préservatif comme moyen de prévention

Quel que soit le département, le préservatif masculin est considéré comme le moyen le plus efficace pour se protéger du VIH/sida. Près de 90% des hommes et des femmes considèrent le préservatif comme un moyen efficace (« tout à fait » ou « plutôt »), proportion comparable à celle de 2004 (figure 1). Toutefois, en 2011, seuls 57,1% estiment qu’il s’agit d’un moyen « tout à fait » efficace alors qu’ils étaient 68,9% en 2004. A contrario, alors qu’ils étaient 18,9% à le juger « plutôt » efficace, ils sont désormais 32,6%. Autrement dit, bien qu’en 2011 les habitants des DFA ne soient pas moins nombreux à reconnaître le préservatif comme un moyen efficace de protection, ils sont davantage à douter de son efficacité. Cette fragilisation de l’efficacité perçue du préservatif est observée dans les trois départements, chez les hommes comme chez les femmes. À l’inverse, les habitants des DFA sont nettement plus nombreux en 2011 à attribuer de l’efficacité aux stratégies de prévention basées sur le dépistage. Ils sont 70,1% à penser que faire régulièrement un test de dépistage est une méthode « tout à fait » ou « plutôt » efficace pour se protéger du VIH, alors qu’ils étaient 63,2% en 2004. Et pour ce qui est de demander à son partenaire de faire un test, les proportions sont de 80,0% en 2011 contre 72,3% en 2004.

Figure 1 : Évolution 2004-2011 de l’efficacité perçue du préservatif masculin comme moyen de protection du VIH (%). Enquêtes KABP en Guadeloupe, Martinique et Guyane (France)
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Recul des opinions très favorables sur le préservatif

Dans les DFA, les personnes ont des opinions plutôt favorables sur le préservatif, sans différence entre hommes et femmes. Ainsi, une large majorité rejette l’idée selon laquelle « le préservatif, c’est pour les jeunes » : 81,7% ne sont « pas du tout » d’accord et 8,2% ne sont « pas vraiment » d’accord avec cette idée (figure 2). Les réponses aux autres questions sont plus partagées, mais en faveur d’opinions plutôt favorables.

Figure 2 : Évolution 2004-2011 des opinions sur le préservatif (%). Enquêtes KABP en Guadeloupe, Martinique et Guyane (France)
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Néanmoins, entre 2004 et 2011, les opinions très favorables sur le préservatif ont eu tendance à reculer, au bénéfice d’opinions moins tranchées, et cette tendance se retrouve dans les trois départements. Par exemple, si 37,8% des habitants des DFA en 2004 indiquaient être « tout à fait » d’accord avec le fait que « utiliser un préservatif est quelque chose de banal », ils ne sont plus que 29,0% en 2011.

Poursuite de la progression de l’usage du préservatif au premier rapport sexuel

Les habitants des DFA sont d’autant plus nombreux à déclarer avoir utilisé un préservatif lors de leur premier rapport sexuel que celui-ci a eu lieu récemment (tableau 2). Parmi les hommes qui ont eu leur premier rapport avant 1985, seuls 11,3% ont déclaré avoir utilisé un préservatif alors que, chez ceux l’ayant eu entre 2005 et 2011, cette proportion atteint 86,9%. Chez les femmes, à l’exclusion de celles ayant eu leur premier rapport avec une femme (n=5), les proportions sont respectivement de 12,4% et 83,9%. La progression de l’usage du préservatif au premier rapport se poursuit en Guadeloupe et en Guyane sur les périodes les plus récentes, alors qu’en Martinique cette proportion est - au mieux - restée stable pour les deux sexes (tableau 2).

Tableau 2 : Pourcentage de personnes ayant indiqué avoir utilisé un préservatif lors de leur premier rapport sexuel selon la date de ce premier rapport1. Enquête KABP 2011 en Guadeloupe, Martinique et Guyane (France)
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Progression de l’utilisation des préservatifs au cours des douze mois précédant l’enquête, principalement parmi les multipartenaires

Parmi les habitants des DFA qui ont eu des rapports sexuels dans les 12 mois précédant l’enquête (à l’exclusion des femmes ayant eu exclusivement des rapports avec une/des femme(s), n=12), 39,9% ont indiqué avoir utilisé au moins une fois un préservatif durant cette période. Les hommes sont plus nombreux que les femmes (47,8% vs. 32,6%, tableau 3) et les jeunes également plus nombreux que les plus âgés (74,2% à 18-24 ans, 14,8% à 55-69 ans). Mais surtout, les personnes ayant eu plusieurs partenaires dans l’année (les multipartenaires) sont nettement plus nombreuses à avoir déclaré utiliser des préservatifs que celles ayant eu un partenaire (les monopartenaires) : respectivement, 85,7% et 32,7% chez les hommes et 74,6% et 29,6% chez les femmes. Que ce soit chez les hommes ou chez les femmes, par âge ou selon le nombre de partenaires, il n’existe pas de différence d’utilisation du préservatif en 2011 entre les trois départements.

Tableau 3 : Évolution 2004-2011 du pourcentage de personnes dans les départements français d’Amérique (DFA) ayant indiqué avoir utilisé un préservatif au cours des 12 mois précédant l’enquête, selon le sexe et la classe d’âges ainsi que les comportements sexuels1. Enquêtes KABP en Guadeloupe, Martinique et Guyane (France)
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Comparée à 2004, l’utilisation du préservatif au cours des 12 derniers mois a augmenté, passant de 35,3% à 39,9%, mais cette hausse n’est significative qu’en Guadeloupe (de 34,0% à 39,3%). En Martinique et en Guyane, la tendance est stable. Au-delà de ces chiffres globaux, l’analyse par sous-groupe montre une augmentation de l’utilisation des préservatifs parmi les hommes multipartenaires (de 76,7% à 85,7%) dans les trois départements. Chez les femmes multipartenaires, la hausse de l’usage du préservatif n’est observée qu’en Guadeloupe (de 44,8% à 74,9%), département qui enregistrait en 2004 une proportion de 20 à 30 points inférieure à celle des deux autres départements ; les proportions sont désormais identiques.

Des déterminants de l’usage du préservatif différents chez les hommes et les femmes

Les analyses montrent aussi que les facteurs associés à l’usage du préservatif diffèrent peu entre les trois départements, mais davantage selon le sexe. Aussi, une analyse par régression logistique, pour l’ensemble des DFA, a été conduite sur les déterminants de l’usage du préservatif au cours des 12 derniers mois, en distinguant les hommes et les femmes (tableau 4). La régression montre que certains facteurs associés à l’usage du préservatif sont communs aux hommes et aux femmes : c’est le cas de l’âge, du nombre de partenaires et de la situation conjugale. Ainsi, indépendamment des autres caractéristiques intégrées dans le modèle, la probabilité d’utiliser des préservatifs est d’autant plus élevée que les individus sont jeunes : chez les 18-24 ans, les odds ratios sont supérieurs à 9 chez les hommes comme chez les femmes, en comparaison des personnes âgées de 55-69 ans. Le fait d’avoir été multipartenaires est également davantage associé à l’utilisation d’un préservatif chez les hommes (OR=12,01) et les femmes (OR=5,34). Enfin, à caractéristiques comparables, les célibataires ou les personnes en couple non cohabitant ont davantage utilisé un préservatif que celles qui vivent en couple.

Tableau 4 : Régression logistique sur les déterminants en 2011 de l’usage du préservatif au cours des 12 mois précédant l’enquête chez les hommes et les femmes1. Enquête KABP 2011 en Guadeloupe, Martinique et Guyane (France)
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À ces facteurs communs, le modèle montre que, chez les femmes (et pas chez les hommes), d’autres variables interviennent également, davantage associées à la sphère des connaissances, opinions et perception du risque. Ainsi, le préservatif est davantage utilisé chez les femmes qui savent que le préservatif est « tout à fait efficace » pour se protéger du VIH, en comparaison de celles qui doutent de son efficacité (OR=1,99), chez celles qui ont des opinions très ou plutôt favorables sur le préservatif (OR=2,43 et 1,97) ou encore chez celles qui pensent avoir un risque, même faible, de contamination par le VIH (OR=2,35), en comparaison de celles qui pensent n’en avoir aucun ou qui ne savent pas situer leur risque.

Chez les seuls hommes, le lieu de naissance est une variable significativement associée à l’usage du préservatif : à caractéristiques comparables, l’usage du préservatif est davantage rapporté par les hommes nés dans la Caraïbe ou en Amérique du Sud, dans les DFA (OR=1,77) ou hors des DFA (OR=3,32), que par ceux nés en métropole.

Discussion – conclusion

Globalement, les habitants des Antilles et de Guyane savent dans leur quasi-totalité (98,4%) que la transmission du VIH est possible lors d’un rapport sexuel sans préservatif. Ils sont également 89,7% à savoir que le préservatif est un moyen efficace de protection contre le VIH. Ces connaissances ont été largement intégrées dans leurs comportements puisque, lors de leur premier rapport sexuel, ils sont désormais 85,3% à utiliser un préservatif. De plus, au cours des 12 mois précédant l’enquête, si en moyenne 39,9% des habitants des DFA ont déclaré avoir utilisé au moins une fois un préservatif, cette proportion est bien supérieure parmi les personnes les plus exposées au risque VIH, notamment les multipartenaires.

Malgré ces constats globalement positifs, l’analyse des évolutions 2004-2011 apparaît plus contrastée, en particulier sur les connaissances et les opinions relatives aux préservatifs.
Si la proportion de personnes sachant qu’une transmission du VIH est possible lors d’un rapport sexuel sans préservatif a augmenté en Guadeloupe et en Martinique, elle est restée stable en Guyane. De plus, la proportion de personnes croyant possible une transmission lors d’un rapport sexuel protégé par un préservatif concerne encore une personne sur cinq. Ce constat peut traduire une certaine défiance à l’égard du préservatif et de son efficacité. D’une part, la proportion de personnes indiquant que le préservatif est un moyen efficace de prévention n’a pas progressé depuis 2004. D’autre part, la proportion de personnes indiquant que le préservatif est « tout à fait » efficace a nettement diminué dans les trois départements, au bénéfice de celles indiquant que c’est un moyen « plutôt » efficace. Enfin, même si les habitants des DFA ont des opinions favorables sur le préservatif, celles très favorables ont reculé, au bénéfice d’opinions moins tranchées. Cette relative méfiance vis-à-vis du préservatif est également observée en métropole 6,7. En effet, en métropole, si la perception du préservatif continue de s’améliorer, en revanche, la proportion de personnes pensant possible la transmission lors d’un rapport sexuel avec un préservatif a augmenté entre 2004 et 2010 6. De plus, comme dans les DFA, la proportion de personnes indiquant que le préservatif est un moyen efficace de protection est restée stable, mais son efficacité est davantage mise en doute 6. Comme aussi dans les DFA, les stratégies basées sur le dépistage du VIH (faire régulièrement un test ou en demander un à son partenaire) sont davantage perçues comme efficaces pour se protéger du VIH 6,7. Dans les DFA comme en métropole, ces évolutions peuvent être le résultat des campagnes de prévention diffusées depuis le milieu des années 2000, qui ont été fortement orientées sur le dépistage. Ces campagnes ont également accompagné les recommandations en 2009 de la Haute Autorité de santé en faveur d’un dépistage généralisé, en dehors de toute notion d’exposition au risque 8. Elles ont ainsi mis l’accent sur l’importance du dépistage dans les stratégies de prévention, pouvant contribuer à brouiller quelque peu la place du préservatif comme principal outil de prévention.

Cette fragilisation des connaissances et des opinions sur le préservatif ne s’est pas accompagnée d’une tendance comparable pour ce qui concerne les comportements. En effet, les constats sur l’utilisation du préservatif au premier rapport sexuel ou au cours des 12 mois précédant l’enquête montrent une hausse ou une stabilité de l’utilisation, mais pas de relâchement des comportements.
En Guadeloupe, et particulièrement en Guyane, l’utilisation du préservatif continue de progresser au premier rapport sexuel, ce qui constitue un élément positif. La poursuite de la progression dans les DFA diffère de ce qui est observé en métropole, où l’utilisation du préservatif au premier rapport sexuel est restée stable pour les premiers rapports ayant eu lieu depuis 2000 6. Ainsi, alors que la protection au premier rapport sexuel était jusqu’à présent moindre dans les DFA qu’en métropole, elle est désormais comparable (85,2% dans les DFA contre 85,9% en métropole pour les personnes ayant eu leur premier rapport entre 2005 et 2011) 9.

Pour ce qui est de l’usage du préservatif au cours des 12 derniers mois, les niveaux ont modestement progressé dans les DFA, mais la hausse a concerné principalement les multipartenaires (en particulier les hommes), c’est-à-dire les personnes les plus exposées au VIH. De plus, l’utilisation des préservatifs dans l’année est bien plus élevée qu’en métropole (39,9% vs 29,9%) 9. Cet écart s’explique par la fréquence du multipartenariat masculin, deux fois supérieure chez les hommes des DFA, et le fait que les multipartenaires utilisent davantage des préservatifs que les monopartenaires. Mais aussi, par le fait que les monopartenaires sont plus nombreux qu’en métropole à utiliser des préservatifs (30,9% contre 24,6%) 9, ce qui peut être mis en lien avec le recours plus élevé dans les DFA au préservatif comme moyen contraceptif. Néanmoins, la fréquence bien plus élevée dans les DFA des grossesses non prévues rapportées par les femmes dans les cinq ans (13,4% contre 6,7% de celles de métropole 9) laisse penser que l’usage du préservatif, bien qu’à un niveau élevé dans les DFA, n’est pas systématique.

Chez les hommes, les connaissances, tant sur les circonstances de transmission du VIH que sur l’efficacité perçue du préservatif, ainsi que les opinions ou la perception du risque, sont des facteurs désormais peu corrélés à l’utilisation du préservatif. Comme cela a pu être observé en métropole 6, le préservatif semble ainsi moins associé qu’auparavant à la prévention du VIH, mais constitue une norme préventive forte. En revanche, chez les femmes, ces dimensions de connaissances ou d’opinions sur les préservatifs ou encore de perceptions du risque de contamination demeurent associées à l’utilisation des préservatifs. Aussi, le recul entre 2004 et 2011 des opinions très favorables sur le préservatif ainsi que la fragilisation des connaissances peuvent constituer des éléments préjudiciables pour son utilisation chez les femmes.

Les analyses montrent une homogénéisation des connaissances et comportements des habitants des Antilles et de Guyane, même si les améliorations entre 2004 et 2011 ont inégalement touché les trois territoires. Comme en 2004, les connaissances et opinions ainsi que le niveau d’usage du préservatif au premier rapport sexuel sont proches entre hommes et femmes. Pour autant, à caractéristiques comparables, l’usage du préservatif reste nettement moindre chez les femmes, soulignant un contexte préventif peu favorable pour elles dans les DFA. Ces éléments avaient déjà été notés à partir des données de 2004 4,10 et mis en lien notamment avec un contexte où les représentations des rôles des hommes et des femmes sont très inégalitaires.

Prendre en compte ce contexte normatif pour favoriser une meilleure égalité des femmes et des hommes face à la prévention, renforcer l’image du préservatif dans une période où les opinions et les connaissances sur celui-ci se sont fragilisées et souligner l’articulation entre l’usage du préservatif et les stratégies basées sur le dépistage du VIH constituent certains des enjeux majeurs de la prévention du VIH/sida dans ces régions.

Remerciements

Nous remercions tout d’abord les organismes qui, par leur financement, ont rendues possibles ces recherches : l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (2004 et 2011), la Fondation de France (2004), le ministère des Affaires sociales et de la Santé (2011), l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (2011), le ministère des Outre-mer (2011) et la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (2011). Nous remercions également les répondants, sans lesquels nous ne disposerions pas d’information ainsi que l’institut de sondage Ipsos DOM et ses enquêtrices pour leur investissement sans faille. Nos remerciements s’adressent également aux membres des groupes de pilotage de l'enquête pour l’ensemble de leurs suggestions, notamment aux coordinateurs des trois Comités de coordination régionale de la lutte contre le VIH (Corevih), Marie-Thérèse Georger-Sow (Guadeloupe), André Cabié (Martinique) et Mathieu Nacher (Guyane). Enfin, nous remercions l’équipe de KABP métropole, en particulier Nathalie Beltzer (ORS Île-de-France), qui a mis à notre disposition la base de données de l’enquête conduite en 2010.

Références

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[2] Institut de veille sanitaire. Déclarations obligatoires du VIH, données brutes au 30 septembre 2012. Exploitation ORS Île-de-France.
[3] Plan national de lutte contre le VIH/sida et les IST 2010-2014 en direction des populations des départements d’outre-mer. Paris: Ministère de la Santé et des Sports, 2010. 58 p. http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Plan_national_lutte_contre_le_VIH-SIDA_et_IST_2010-2014_DOM.pdf
[4] Halfen S, Fénies K, Ung B, Grémy I. Les connaissances, attitudes, croyances et comportements face au VIH/sida aux Antilles et en Guyane en 2004. Paris: Observatoire régional de santé d’Île-de-France, 2006. 290 p. http://www.ors-idf.org/images/abook_file/2006_VIH_KABPantilles.pdf
[5] Halfen S, Lydié N (coord.), Esvan M, Diter K. Les connaissances, attitudes, croyances et comportements face au VIH/sida et à d’autres risques sexuels aux Antilles et en Guyane en 2011. Situation en 2011 et évolutions depuis 2004. (À paraître).
[6] Beltzer N, Saboni L, Sauvage C, Sommen C. Connaissances, attitudes, croyances et comportements face au VIH/sida dans la population générale adulte en Île-de-France en 2010. Situation en 2010 et 18 ans d’évolution. Paris: Observatoire régional de santé d’Île-de-France; 2011. 153 p. http://www.ors-idf.org/dmdocuments/rapport_KABP_2011.pdf
[7] Beltzer N, Saboni L, Sauvage C, Lydié N, Semaille C, Warszawski J; group KABP France. An 18-year follow-up of HIV knowledge, risk perception, and practices in young adults. AIDS. 2013;27(6):1011-9.
[8] Haute Autorité de santé. Dépistage de l’infection par le VIH en France. Stratégies et dispositif de dépistage - Argumentaire. Paris: HAS; 2009. 235 p. http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2009-10/argumentaire_depistage_vih_volet_2_vfv_2009-10-21_16-49-13_375.pdf
[9] Enquête KABP métropole 2010, ORS Île-de-France. Exploitations spécifiques pour cet article.
[10] Halfen S. Comportements sexuels et préventifs aux Antilles et en Guyane : un contexte peu favorable pour les femmes face au VIH/sida – Enquête KABP Antilles‑Guyane 2004. In: Paicheler G (Dir.). Les femmes et le sida en France, enjeux sociaux et de santé publique. Revue Internationale de Biologie et de Médecine, Médecine/Sciences. 2008;2(24):72-80.

Citer cet article

Halfen S, Lydié N, Esvan M, Diter K. Connaissances, opinions et utilisation des préservatifs dans la population générale adulte de Guadeloupe, Martinique et Guyane : évolutions 2004-2011. Bull Epidémiol Hebd. 2013;(39-40):496-503.