Surveillance des lésions précancéreuses et cancéreuses du col de l’utérus par les registres des cancers du réseau Francim

// Monitoring of precancerous and cancerous lesions of the cervix by the FRANCIM Network Cancer Registries

Anne-Sophie Woronoff1,2 (asworonoff@chu-besancon.fr), Brigitte Trétarre2,3, Virginie Champenois1, Nicolas Duport4, Simona Bara2,5, Bénédicte Lapôtre-Ledoux2,6, Pascale Grosclaude2,7, Émilie Marrer2,8, Michel Velten2,9, Patricia Delafosse2,10, Florence Molinié2,11
1 Registre des tumeurs du Doubs et du Territoire de Belfort, EA3181, Centre hospitalier régional universitaire, Besançon, France
2 Francim* : Réseau français des registres des cancers, Toulouse, France
3 Registre des tumeurs de l'Hérault, Centre de recherche, Montpellier, France
4 Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France
5 Registre des cancers de la Manche, Centre hospitalier public du Cotentin, Cherbourg-Octeville, France
6 Registre du cancer de la Somme, Hôpital Nord, Amiens, France
7 Registre des cancers du Tarn, Albi, France
8 Registre des cancers du Haut-Rhin, Mulhouse, France
9 Registre des cancers du Bas-Rhin, Laboratoire d’épidémiologie et de santé publique, EA3430, FMTS, Université de Strasbourg, France
10 Registre des cancers de l’Isère, Centre hospitalier universitaire de Grenoble, France
11 Registre des cancers de Loire-Atlantique et de Vendée, Nantes, France
* Groupe Francim : Patrick Arveux, Nathalie Auffret, Simona Bara, Marc Colonna, Patricia Delafosse, Pascale Grosclaude, Anne-Valérie Guizard, Bénédicte Lapôtre-Ledoux, Nathalie Léone, Karine Ligier, Émilie Marrer, Florence Molinié, Marie-Laure Poillot, Brigitte Trétarre, Michel Velten, Anne-Sophie Woronoff.
Soumis le 15.11.2013 // Date of submission: 11.15.2013
Mots-clés : Cancer du col de l’utérus | Lésion précancéreuse | Incidence | Registre de cancers | Vaccination anti-HPV
Keywords: Cervical cancer | Precancerous lesion | Incidence | Cancer registry | HPV vaccination

Résumé

L’émergence de la vaccination anti-HPV et la nécessité d’évaluer son efficacité ont suscité une réflexion sur les données recueillies par les registres des cancers. L’objectif de cette étude était de réaliser un état des lieux des modalités d’enregistrement des lésions précancéreuses du col de l’utérus par les registres français afin d’en harmoniser les pratiques, et de présenter les premières données d’incidence des lésions précancéreuses à partir des données observées par les registres des cancers du réseau Francim (France-cancer-incidence et mortalité).

Méthode –

Dans le cadre de l’état des lieux des pratiques d’enregistrement des lésions précancéreuses, tous les registres du réseau Francim ont répondu à un questionnaire sur leurs sources de signalement, leurs définitions des cas et leurs règles de codage pour l’enregistrement de ces lésions. Par ailleurs, les données d’incidence des cancers invasifs et des lésions précancéreuses du col de l’utérus relevées par 9 registres ayant au moins dix années consécutives d’enregistrement entre 2000 et 2009, présentant une exhaustivité satisfaisante et ayant harmonisé leur codage, ont été analysées.

Résultats –

La principale difficulté rencontrée par les registres est due à l’évolution au cours du temps et à la coexistence de plusieurs classifications cytologiques et histologiques, en particulier la dernière classification qui regroupe CIN2 et CIN3 en lésions de haut grade. Une mise à jour des recommandations de Francim incite les registres à se référer à l’intégralité du compte rendu afin de distinguer les CIN2 des CIN3. En 2009, le taux d’incidence des lésions précancéreuses du col était de 30,1 pour 100 000 personnes-années et de 6,2 pour les cancers invasifs.

Discussion – conclusion –

Ce travail a permis d’harmoniser les pratiques d’enregistrement des lésions précancéreuses du col par les registres du réseau Francim et de corriger les données collectées quand cela s’est révélé nécessaire. Il fournit les premières données d’incidence reflétant la situation épidémiologique avant les effets de la vaccination anti-HPV et la généralisation du dépistage à l’ensemble du territoire. L’impact des actions de santé publique mises en place pourra ainsi être mesuré et suivi dans les années, voire les décennies à venir.

Abstract

The emergence of HPV vaccination and the need to evaluate its effectiveness has raised a debate on the data collected by cancer registries. The objective of this study was to perform an inventory of rules for registering precancerous lesions of the cervix by the French registers in order to harmonize practices and present the first data on the incidence of precancerous lesions from the data observed by cancer registries belonging to the FRANCIM Network (France – cancer incidence and mortality).

Method –

As part of the inventory of registration practices of precancerous lesions, all registries from the FRANCIM Network responded to a questionnaire about their notification sources, their case definitions and their coding rules for registering these lesions. Incidence data of invasive cancers and precancerous lesions of the cervix recorded by 9 registries having at least ten consecutive years of records between 2000 and 2009, a satisfactory exhaustivity and harmonized coding, were analyzed.

Results –

The main difficulty encountered by the registries resulted from the evolution over time and the coexistence of several cytological and histological classifications, in particular, the last classification which includes CIN2 and CIN3 as high-grade lesions. An update of the FRANCIM Network recommendations invites registries to refer to the whole registration reports in order to distinguish CIN2 from CIN3. In 2009, the incidence rate of precancerous lesions of the cervix was 30.1 per 100 000 person-years, and 6.2 for invasive cancers.

Discussion – conclusion –

This study has contributed to harmonize the registration practices of precancerous lesions of the cervix by the registries from the FRANCIM Network, and to correct the data collected when it proved necessary. It provides the first incidence data reflecting the epidemiological situation before the effects of HPV vaccination and general screening in the country. The impact of public health actions implemented can thus be measured and monitored in the years and decades to come.

Introduction

Avec 3 000 nouveaux cas et 1 100 décès en France en 2012, le cancer invasif du col de l’utérus se place à la 12e position des tumeurs solides chez la femme en termes d’incidence, et à la 11e en termes de mortalité. Les taux d’incidence et de mortalité correspondants étaient estimés respectivement à 6,7 et 1,8/100 000 personnes-années (standardisation sur la population mondiale). On observe, depuis plusieurs dizaines d’années, une baisse de l’incidence et de la mortalité liée à ce cancer. Cette évolution est essentiellement expliquée par la pratique, depuis les années 1960, du dépistage par frottis cervico-utérin (FCU), qui permet de repérer et de traiter des lésions précancéreuses ou des cancers à des stades précoces. On observe cependant un ralentissement de cette baisse depuis le début des années 2000 1. Comparativement aux autres localisations cancéreuses, le cancer du col de l’utérus est un cancer de pronostic intermédiaire, avec une survie nette (1) à 5 et 10 ans respectivement de 66 et 59% 2. Ce cancer pourrait devenir exceptionnel si les moyens de prévention primaire et secondaire disponibles étaient utilisés de façon optimale par la population-cible.

L’infection persistante par papillomavirus humain à haut risque oncogène (HPV-HR) est le facteur nécessaire au développement de lésions précancéreuses et cancéreuses du cancer du col de l’utérus. L’histoire naturelle de ce cancer et son continuum lésionnel expliquent le délai d’environ 5 ans entre une infection HPV et l’apparition d’une lésion précancéreuse, le cancer invasif nécessitant entre 10 et 25 ans pour se développer 3. La vaccination prophylactique anti-HPV est disponible en France depuis 2006. Administrée selon les recommandations nationales, et avec une couverture vaccinale optimale, elle préviendrait 70 à 80 % des cancers du col 4,5. Le 3e Plan cancer 2014-2019 (2) renforce la politique publique en matière de lutte contre le cancer du col utérin. Il vise en particulier à faire reculer l’incidence du cancer du col en généralisant le dépistage par frottis à l’ensemble du territoire et en élargissant les possibilités de vaccination contre le papillomavirus. Il met également en place les conditions de suivi et d’évaluation de ce programme. L’efficacité de la vaccination anti-HPV pourra être évaluée en suivant l’évolution de l’incidence des lésions précancéreuses et des cancers invasifs du col de l’utérus 6. Compte tenu du délai nécessaire au développement des lésions du col de l’utérus et du taux de couverture vaccinale encore bas en France 7, l’impact de la vaccination anti-HPV ne pourra être observé que dans plusieurs années.

Les registres des cancers enregistrent de manière active, continue et exhaustive, tous les nouveaux cas de cancers invasifs diagnostiqués dans une population domiciliée dans une zone géographiquement définie, quel que soit le lieu de prise en charge du patient. En France, les registres des cancers sont qualifiés par le Comité national des registres et sont regroupés au sein d’un réseau (Francim), qui couvre 20% de la population française. Ce réseau a pour objectif d’harmoniser les pratiques d’enregistrement, de coordonner et faciliter les travaux de ses membres et de fournir les indicateurs épidémiologiques utiles à la connaissance et à la prise en charge des cancers en France.

L’objectif de cette étude était de réaliser un état des lieux des modalités d’enregistrement des lésions précancéreuses du col de l’utérus par les registres français afin de proposer des recommandations pour en harmoniser les pratiques. Il s’agissait également de présenter les premières données d’incidence des lésions précancéreuses du col de l’utérus à partir des données observées par les registres des cancers du réseau Francim. Cet état de la situation épidémiologique avant les premiers effets de la vaccination anti-HPV permettra de suivre prospectivement son efficacité. Ce travail s’est inscrit dans le cadre du programme de travail partenarial 2011-2013 entre le réseau Francim, l’Institut de veille sanitaire (InVS), l’Institut national du cancer (INCa) et le Service de biostatistique des Hospices civils de Lyon.

Matériel et méthodes

Les critères d’inclusion d’un patient par les registres des cancers, le recueil et le codage des données suivent les recommandations nationales (Francim) et internationales (European Network of Cancer Registries - ENCR) 8. Les recommandations internationales ne préconisent pas un enregistrement systématique des cancers non invasifs du col de l’utérus. Cependant, du fait de l’existence du dépistage organisé dans quelques départements, les registres avaient perçu l’intérêt d’enregistrer les lésions précancéreuses et l’ont fait, pour certains, depuis le début des années 1990. Francim recommande, depuis 2005, d’enregistrer les néoplasies cervicales intra-épithéliales (CIN2-3 et CIN3), les carcinomes épidermoïdes in situ (CEIS) et les adénocarcinomes in situ (AIS). Le terme « lésions précancéreuses » utilisé ici correspond à ces lésions et exclut les CIN1 et CIN2.

L’identification des cas est faite à partir de sources multiples, les trois principales étant : les laboratoires d’anatomie et de cytologie pathologiques (comptes rendus anatomopathologiques), les établissements de santé publics et privés (Programme médicalisé des systèmes d’information - PMSI) et les caisses des différents régimes d’assurance-maladie (affections de longue durée n° 30 – ALD30). Avec l’autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), ces partenaires transmettent aux registres les données médicales nominatives concernant les signalements de tumeurs enregistrés dans leurs bases de données. Ces informations permettent aux registres d’enquêter dans les établissements de soins et auprès des praticiens qui prennent en charge les patients, pour vérifier les informations médicales nécessaires à l’enregistrement des cas.

Dans le cadre de l’état des lieux sur les pratiques d’enregistrement des lésions précancéreuses, tous les registres généraux du réseau Francim ainsi que le registre gynécologique de Côte-d’Or ont été sollicités pour répondre à un questionnaire sur leurs sources de signalement, leurs définitions des cas et leurs règles de codage pour l’enregistrement de ces lésions.

Les registres ont également transmis leurs données d’incidence des lésions du col de l’utérus, précancéreuses et cancéreuses. Les données d’incidence de 9 registres généraux (Doubs, Hérault, Isère, Loire-Atlantique, Manche, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Somme et Tarn), représentant 12% de la population française, ont été analysées. Il s’agit des registres qui avaient enregistré, avec une exhaustivité suffisante, les lésions précancéreuses du col de l’utérus pendant au moins dix années consécutives entre 2000 et 2009. Parmi les départements dont les données d’incidence sont présentées, quatre bénéficient d’un dépistage organisé (DO) du cancer du col : le Doubs, l’Isère, le Bas-Rhin et le Haut-Rhin ; le début de sa mise en place varie, selon les départements, entre 1993 et 2001. Il est organisé depuis 1991 en Isère, 1994 dans le Bas-Rhin et 2001 dans le Haut-Rhin ; dans le Doubs, il a débuté en 1993 et a été interrompu fin 2004.

Les taux d’incidence observés, standardisés sur l’âge selon la population mondiale, sont exprimés pour 100 000 personnes-années (PA). La population de chaque département a été fournie par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Ces taux ont été calculés pour l’ensemble des départements inclus et pour chaque année entre 2000 et 2009. En raison des faibles effectifs de cas par année, les taux présentés par département ont été calculés sur une période triennale 2007-2009.

Les analyses ont été réalisées avec le logiciel Stata® v12.1 (Stata Corporation, College Station, Texas, États-Unis). Le programme de régression Join point 3.5.4 (SEER Program du National Cancer Institute, États-Unis) a été utilisé pour calculer les tendances évolutives de ces taux d'incidence standardisés (test Bayesian information criterion).

Résultats

Modalités d’enregistrement et de codage des lésions précancéreuses

Tous les registres de Francim enregistrent les cancers invasifs du col selon les recommandations de l’ENCR 8. La localisation « col de l’utérus » est codée C53 selon la 3e édition de la Classification internationale des maladies pour l’oncologie (CIM-O-3) 9. En ce qui concerne l’enregistrement des lésions précancéreuses du col, les registres suivent les recommandations de Francim (CIN2-3, CIN3, CEIS et AIS) et ne prennent en compte ni les lésions de bas grade (CIN1), ni les CIN2. L’enregistrement d’une nouvelle lésion précancéreuse ou d’un cancer du col de l’utérus nécessitant une preuve histologique, aucun nouveau cas n’est enregistré sur le seul résultat de cytologie d’un FCU.

La principale difficulté rencontrée par les registres résulte de l’utilisation par les pathologistes de la dernière classification, qui classe les lésions en bas (CIN1) et haut grade (CIN2 et CIN3), avec parfois l’impossibilité de distinguer les CIN2 des CIN3 10. Lorsqu’il s’agissait d’une lésion de haut grade, et que l’information sur le grade de la CIN n’était pas explicitement présente dans le compte rendu anatomopathologique, l’enregistrement de ces lésions était hétérogène selon les registres. Pour harmoniser les pratiques, une nouvelle recommandation incite les registres à se référer à l’intégralité du compte rendu anatomopathologique et à la description de la hauteur d’épithélium envahi pour distinguer les CIN2 des CIN3. Dans le cadre de ce travail, les registres ont relu rétrospectivement les comptes rendus concluant à des « lésions de haut grade » sans précision du grade de la CIN et ont modifié le codage, quand cela était nécessaire, en tenant compte des recommandations. Les données d’incidence présentées correspondent donc à une définition des lésions précancéreuses comparable entre registres.

Les registres qui ont rencontré des difficultés pour accéder aux comptes rendus, considérant que leur exhaustivité n’était pas suffisante, n’ont pas transmis leurs données d’incidence des lésions précancéreuses pour ne pas impacter les résultats présentés ici. C’est pour cette raison que seules les données de 9 registres départementaux sont analysées.

Données d’incidence

Ainsi, 10 879 lésions précancéreuses (telles que définies précédemment, hors CIN1 et 2) et 3 562 cancers invasifs, diagnostiqués entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2009, ont été enregistrés dans les 9 départements étudiés. Le taux d’incidence des lésions précancéreuses du col est passé de 26,1/100 000 PA (IC95% : [24,5-27,7]) en 2000 à 30,1 (IC95% : [28,3-31,8]) en 2009 ; il a significativement augmenté de 2% en moyenne chaque année (IC95% : [0,5-3,5]). Le taux d’incidence des cancers invasifs était de 7,1/100 000 PA (IC95% : [6,3-7,8]) en 2000 et de 6,2 (IC95% : [5,5-6,9]) en 2009. À l’inverse des lésions précancéreuses, on observait une tendance à la baisse non significative du taux d’incidence de 1,3% par an (IC95% : [- 3,2-0,7]) (figure 1).

Figure 1 : Évolution de l’incidence des lésions précancéreuses et des cancers invasifs du col de l’utérus, entre 2000 et 2009, dans les registres des cancers françaisa
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Sur la période 2007-2009, les taux d’incidence variaient selon les départements de 16,7 à 41,6/100 000 PA avec des IC95% respectifs de [13,2-20,2] et [37,2-46,1] pour les lésions précancéreuses et de 5,2 à 8,1/100 000 PA pour les cancers invasifs (IC95% : [4,3-6,1] et IC95% : [6,3-10,0]) (figure 2).

Figure 2 :Taux d’incidence (IC95%) des lésions précancéreuses et des cancers invasifs du col de l’utérus dans 9 départements français, par registre des cancers (2007-2009)
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En 2009, les lésions précancéreuses représentaient les trois quarts de l’ensemble des lésions du col (précancéreuses et invasives). Le ratio (nombre de lésions précancéreuses/nombre de cancers invasifs) a augmenté au cours du temps, passant de 2,8 en 2000 à 3,4 en 2009.

En 2009, l’âge moyen au diagnostic était de 38,3 ans (écart-type (ET)=10,8) pour les lésions précancéreuses et de 56 ans (ET=16,8) pour les cancers invasifs. L’analyse sur l’ensemble de la période montrait une stabilité des moyennes d’âge au diagnostic. L’incidence des cancers invasifs augmentait à partir de 20 ans, avec un maximum à 45 ans (taux d’incidence de 17,7/100 000 PA). Pour les lésions précancéreuses, le pic d’incidence se situait à 30 ans (taux d’incidence de 102,2/100 000 PA) (figure 3).

Figure 3 : Taux d’incidence spécifique selon l’âge des lésions précancéreuses et des cancers invasifs du col de l’utérus, en 2009, dans les registres des cancers françaisa
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Discussion

La mise sur le marché des vaccins anti-HPV a été à l’origine d’un regain d’intérêt pour le recueil et la qualité des données d’incidence des lésions précancéreuses du col utérin. En effet, l’évaluation de l’efficacité de la vaccination anti-HPV repose sur le suivi de l’évolution de l’incidence des lésions précancéreuses et des cancers invasifs du col de l’utérus 6. À ce jour, les données d’incidence, régulièrement publiées à partir de la base de données Francim, ne présentent que les cancers invasifs du col de l’utérus. Aucune donnée sur les lésions précancéreuses du col n’a jamais été publiée à partir de données populationnelles regroupant plusieurs registres en France.

Une réflexion sur l’harmonisation des règles d’enregistrement des lésions précancéreuses du col (définition des lésions précancéreuses enregistrées, règles d’enregistrement) a donc été menée au sein de Francim. L’analyse des pratiques d’enregistrement des lésions précancéreuses du col par les registres des cancers a permis de mettre en évidence certaines difficultés. Elles sont principalement liées à l’évolution au cours du temps et à la coexistence de plusieurs classifications cytologiques et histologiques, la dernière regroupant les CIN2 et les CIN3 en une seule classe « CIN de haut grade » 10. En 2005, Francim recommandait l’enregistrement des lésions précancéreuses du col de l’utérus suivantes : les CIN2-3, les CIN3, les CIS et les AIS, à l’exclusion des CIN1 et des CIN2 (du fait du fort potentiel de régression spontanée de ces dernières). À l’occasion de ce travail et de la mise à jour des recommandations de Francim incitant à se référer à l’intégralité du compte rendu anatomopathologique et à la description de la hauteur d’épithélium envahi, les registres ont repris les comptes rendus et recodé rétrospectivement les cas concernés. Les données d’incidence présentées ici ont donc été corrigées et tiennent compte de ces recommandations.

Par ailleurs, les difficultés d’accès de certains registres aux comptes rendus anatomopathologiques peuvent affecter l’exhaustivité de l’enregistrement des lésions précancéreuses du col de l’utérus. En effet, ces lésions ne font parfois l’objet que d’une biopsie, sans séjour en établissement de soins, sans passage en réunion de concertation pluridisciplinaire, ni mise en ALD par l’Assurance maladie ; elles sont donc difficiles à repérer sans le signalement du pathologiste. Une coopération efficace entre pathologistes et registres des cancers devrait permettre d’atteindre une bonne exhaustivité pour ces lésions ; elle l’est déjà pour la plupart des registres. Pour les calculs des taux d’incidence présentés dans ce document, seules les données d’incidence des registres qui n’avaient pas rencontré de difficulté importante d’accès aux comptes rendus anatomopathologiques ont été utilisées.

En 2009, le taux d’incidence des lésions précancéreuses, observé sur la zone registre étudiée, était de 30,1 pour 100 000 PA et de 6,2 pour les cancers invasifs du col de l’utérus. Ce dernier chiffre peut être rapproché des estimations nationales du cancer du col de Francim, qui donnaient un taux d’incidence de 6,8 pour 100 000 PA en 2010 11. Les données internationales d’incidence des cancers invasifs du col de l’utérus, issues de la dernière mise à jour de « Cancer incidence in five continents » (3) portent sur la période 2003-2007. Les pays aux taux de cancers invasifs les plus proches des taux français sont les États-Unis (6,4 pour 100 000 PA), le Canada (6,1), la Suède (6,9) et le Royaume-Uni (6,8).

Les données françaises par département montrent une hétérogénéité géographique, même entre les départements bénéficiant d’un dépistage organisé. Les taux d’incidence 2006-2010 des cancers invasifs du col aux États-Unis présentés sur le site du Surveillance Epidemiology End Results program (4) (SEER) montrent également des écarts importants entre États, comparables à ce qui est observé avec nos données. Les écarts entre départements pour l’incidence des lésions précancéreuses suivent la même tendance que celle observée pour les cancers invasifs. Les différents éléments pouvant influencer le niveau d’incidence sont, d’une part, l’existence d’un dépistage organisé et l’offre de soins apportée aux femmes ciblées par le dépistage (nombre de gynécologues-obstétriciens, de sages-femmes ou autres professionnels de santé pouvant réaliser des FCU) et, d’autre part, la prévalence de facteurs de risque tels que le tabac, la prise de pilule contraceptive, le comportement sexuel et la prévalence d’HPV.

Que ce soit en France ou dans d’autres pays, peu de données sont publiées sur l’incidence des lésions précancéreuses en population générale. Il s’agit souvent d’études sur des populations particulières (populations atteintes de certaines pathologies comme l’infection par le VIH ou autres maladies immunitaires) 12,13. La possibilité d’enregistrer des lésions sur diagnostic cytologique isolé, associée à la prise en compte des CIN2 (non recommandé par Francim), peut être un des facteurs conduisant à des différences de taux d’incidence observées entre pays.

L’augmentation de l’incidence des lésions précancéreuses et la diminution de celle des cancers invasifs sont très largement attribuées à l’efficacité du dépistage par frottis. Toutefois, le dépistage du cancer du col n’était pas, jusqu’à présent, organisé au niveau national. Seuls quatre départements bénéficiaient d’un DO sur la période analysée. Pour les autres départements, il s’agissait de pratiques individuelles. La poursuite de la baisse de l’incidence du cancer du col utérin ne peut s’envisager qu’avec des couvertures optimales et à long terme des populations ciblées par le FCU, et par une couverture vaccinale plus élevée. Avec la généralisation du dépistage à l’ensemble du territoire, les collaborations entre registres des cancers et structures de gestion du dépistage, qui existent depuis longtemps dans les départements où coexistaient un registre et un DO, permettront de fournir des indicateurs de suivi de l’efficacité de la stratégie de lutte contre le cancer du col. Les structures de gestion ont pour mission de recueillir l’ensemble des résultats cytologiques des FCU des femmes âgées de 25 à 65 ans ayant réalisé un FCU ainsi que les résultats des histologies réalisées suite à un dépistage positif. Les registres recueillent, quant à eux, les histologies positives de toutes les femmes quel que soit leur âge.

Conclusion

Dans le cadre de l’harmonisation de leurs pratiques, les registres des cancers du réseau Francim ont réalisé un état des lieux des modalités d’enregistrement et de codage des lésions précancéreuses du col utérin. Ce travail a permis d’identifier les difficultés rencontrées pour l’enregistrement de ces lésions, essentiellement liées à l’évolution au cours du temps et à la coexistence de plusieurs classifications cytologiques et histologiques. Il a abouti à la mise à jour par Francim des recommandations pour définir de façon plus précise les modalités d’enregistrement des lésions précancéreuses du col de l’utérus. Ces lésions ont été rétrospectivement recodées et les données d’incidence en population produites par Francim correspondent désormais à une entité lésionnelle qui sera comparable au fil du temps.

Les registres des cancers, en lien avec les laboratoires de pathologie, ont un rôle essentiel à jouer dans la surveillance épidémiologique des lésions précancéreuses, une étroite collaboration garantissant l’exhaustivité dans le recensement de ces lésions. Les échanges avec les structures de dépistage permettront également de produire les indicateurs nécessaires au suivi des actions de santé publique mises en place et d’en mesurer l’impact dans les années, voire les décennies à venir.

Remerciements

Les auteurs remercient l’ensemble des médecins, notamment les anatomopathologistes, les établissements de soins et les régimes d’assurance maladie participant au fonctionnement des registres des cancers français. Ils remercient également toutes les institutions qui les soutiennent financièrement au niveau local et national.

Références

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Citer cet article

Woronoff AS, Trétarre B, Champenois V, Duport N, Bara S, Lapôtre-Ledoux B. Surveillance des lésions précancéreuses et cancéreuses du col de l’utérus par les registres des cancers du réseau Francim. Bull Epidémiol Hebd. 2014;(13-14-15):234-40. http://www.invs.sante.fr/beh/2014/13-14-15/2014_13-14-15_4.html
(1) La survie nette est la proportion de patients survivants 5 et 10 ans après le diagnostic de cancer si la seule cause de décès possible était le cancer étudié, c'est-à-dire en éliminant toutes les autres causes de décès.