Insécurité alimentaire chez les femmes recourant à l’aide alimentaire : prévalences et associations avec l’obésité. Étude Abena 2011-2012, France

// Food insecurity in women receiving food assistance: prevalence and associations with obesity. Abena Study 2011-2012, France

Katia Castetbon (katia.castetbon@univ-paris13.fr)1, Caroline Méjean2, Dorothée Grange3, Gaëlle Guibert3, Hélène Escalon4, Catherine Vincelet3, Michel Vernay1
1 Unité de surveillance et d’épidémiologie nutritionnelle (Usen), Institut de veille sanitaire – Université Paris 13, Centre d’épidémiologie et biostatistiques Paris Nord, Bobigny, France
2 Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité, Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN), Centre d’épidémiologie et biostatistiques Paris Nord, Inserm (U1153), Inra (U1125), Cnam, Université Paris 5, Université Paris 7, Bobigny, France
3 Observatoire régional de santé Île-de-France (ORS Île-de-France), Paris, France
4 Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), Saint-Denis, France
Soumis le 10.01.2014 // Date of submission: 01.10.2014
Mots-clés : Aide alimentaire | Insécurité alimentaire | Obésité | Femmes | Abena
Keywords: Food aid | Food insecurity | Obesity | Women | Abena

Résumé

Introduction –

L’insécurité alimentaire fait partie des facteurs possiblement impliqués dans les associations entre pauvreté et obésité, notamment chez les femmes. L’objectif de cette étude était de décrire les prévalences de l’insécurité alimentaire et d’analyser son association avec la corpulence des femmes recourant à l’aide alimentaire.

Méthodes –

L’insécurité alimentaire a été mesurée au moyen du questionnaire « U.S. Household Food Security Survey Module » posé lors de l’entretien en face-à-face dans le cadre de l’étude Abena 2011-2012, ce qui a permis de décrire l’insécurité concernant les foyers, les femmes elles-mêmes et leurs enfants à charge. Les moyennes d’indice de masse corporelle (IMC) et les prévalences d’obésité (IMC≥30 kg/m2) des femmes ont été comparées selon les catégories d’insécurité alimentaire, en ajustant sur l’âge.

Résultats –

Parmi les 972 femmes incluses dans ces analyses, l’insécurité alimentaire « modérée » était présente dans 31,4% des foyers de femmes recourant à l’aide alimentaire et l'insécurité alimentaire « sévère » dans 43,4% d'entre eux. La présence d’enfants à charge était associée à un niveau d’insécurité alimentaire plus élevé, indépendamment des autres facteurs étudiés. Parmi les femmes ayant des enfants, 34,8% décrivaient une situation d’insécurité alimentaire « modérée » pour leurs enfants, et 8,2%, une situation d’insécurité « sévère ». De façon non statistiquement significative, l’IMC moyen des femmes et la fréquence de l’obésité avaient tendance à être plus élevés avec le niveau d’insécurité alimentaire, notamment quand l’insécurité concernait leurs enfants.

Conclusion –

Malgré l’aide alimentaire reçue, l’insécurité alimentaire reste fortement présente chez les femmes qui fréquentent ces structures. Ses conséquences sur le long terme, notamment sur leur santé et celle de leurs enfants, doivent encore être précisées.

Abstract

Introduction –

Among other factors, food insecurity may be involved in the relationship between poverty and obesity, especially in women. Our objective was to describe food insecurity prevalence, and to assess the association between food insecurity and body weight status in women using food assistance programs in France.

Methods –

Food insecurity was measured using the U.S. Household Food Security Survey Module during a face-to-face interview within the Abena Study 2011-2012. On this basis, household’s, women’s and children’s food insecurity was identified. Women mean Body Mass Index (BMI) and obesity frequencies (BMI≥30 kg/m2) were compared across food insecurity classes, by adjusting for age.

Results –

Among the 972 women included in analyses, “moderate” household food insecurity was observed in 31.4% of women attending food assistance structures, and "severe" household food insecurity in 43.4% of them. Besides, 34.8% of women with children described "moderate" food insecurity for their children, and 8.2%, a "severe" child food insecurity situation. In multivariate analyses, having children to support was associated with a higher food insecurity risk. Although non-statistically significant, mean BMI and obesity frequency tended to be higher when food insecurity class increased, especially in case of children food insecurity.

Conclusion –

Despite food aid programs, food insecurity is highly prevalent in women who attend these facilities. Its long-term consequences, especially on their health and that of their children, need to be further assessed.

Introduction

En France, comme dans la plupart des pays occidentaux, les prévalences du surpoids et de l’obésité sont particulièrement élevées chez les femmes défavorisées. Ainsi, dans l’étude Abena 2011-2012 (Alimentation et état nutritionnel des bénéficiaires de l’aide alimentaire) 1, les fréquences d’obésité étaient deux fois plus élevées que celles observées en population générale dans l’Étude nationale nutrition santé en 2006-2007 2 (34% contre 17%). Différents éléments semblent impliqués dans ces différences : coût des aliments, perceptions psychosociales de l’alimentation, place de la santé dans les choix alimentaires, connaissances sur la nutrition 3. L’insécurité alimentaire fait partie des mécanismes étudiés pour comprendre les relations entre pauvreté et obésité.

L’insécurité alimentaire existe chaque fois que « la disponibilité d’aliments nutritionnellement adéquats et sûrs, ou que la capacité de les acquérir selon des moyens socialement acceptables, sont limitées ou incertaines », son niveau extrême étant le fait de connaître la faim 4. Pour étudier cette situation, sa mesure inclut, dans l’outil le plus utilisé actuellement 5, l’insuffisance quantitative d’aliments et des dimensions qualitatives, sociales et psychologiques rendant compte des stratégies mises en œuvre face aux manques quantitatifs et qualitatifs d’aliments.

Il a été observé que l’insécurité alimentaire était associée à un risque plus élevé d’obésité chez les femmes 6 – quoique de façon inconstante dans certains sous-groupes de population (selon le sexe, l’ethnie, la situation familiale…) 6 – et notamment quand les analyses étaient conduites uniquement dans des populations précaires ou recourant à des programmes d’aide alimentaire 7. Chez les hommes, il ne semble pas y avoir d’association entre insécurité alimentaire et obésité, de façon générale 6,7. Cette différence de relation entre insécurité alimentaire et obésité selon le sexe pourrait être expliquée, en partie, par la place prédominante des femmes dans la gestion de l’alimentation du foyer et par leur plus grande susceptibilité, par rapport aux hommes, aux périodes de privation et au stress 8. Les différences d’association selon d’autres critères que le sexe méritent des investigations complémentaires pour mieux comprendre les mécanismes impliqués dans cette relation et ainsi fournir des éléments pour la prévention 9. Enfin, la place de l’aide alimentaire dans la survenue de l’obésité, alors que par ailleurs elle est susceptible de diminuer l’insécurité alimentaire, est discutée 10.

Peu d’informations sur l’insécurité alimentaire sont disponibles en France, sauf en population générale francilienne 11 ainsi que dans des études nationales dans lesquelles seule l’insuffisance alimentaire a été documentée 12. C’est dans ce contexte qu’une mesure complète de l’insécurité alimentaire a été mise en place dans l’étude Abena 2011-2012. Notre objectif est ici de décrire les prévalences d’insécurité alimentaire chez les femmes recourant à l’aide alimentaire et d’étudier les associations entre insécurité alimentaire et corpulence.

Méthodes

La méthodologie générale de l’étude Abena 2011-2012 est décrite par ailleurs dans ce numéro (Cf Focus « Méthodologie générale de l’étude Abena 2011-2012 »).

Mesure de l’insécurité alimentaire

Toutes les femmes incluses dans l’étude Abena 2011-2012 ont été interrogées sur l’insécurité alimentaire au moyen de l’outil validé et habituellement utilisé aux États-Unis : le U.S. Household Food Security Survey Module 5. Il comprend 18 questions organisées en deux parties concernant l’une les adultes et l’autre les enfants, et qui sont filtrées selon les réponses successives. Le principe général des questions consiste en l’énoncé d’affirmations sur l’accès des participants à la nourriture et sur leurs stratégies pour faire face aux limitations quantitatives et qualitatives (par exemple diminuer la taille des portions, impossibilité d’avoir des repas équilibrés, sauter des repas). Les réponses expriment le fait que ces situations puissent être vraies selon trois niveaux de fréquence (souvent, parfois, jamais). La version francophone utilisée dans l’étude Abena est présentée dans le rapport de l’étude (questions C33 à C51) 1. La gestion des données manquantes, de l’absence de réponse, des refus et des contrôles de cohérence a été faite entièrement en accord avec les recommandations du ministère américain de l’Agriculture (U.S. Department of Agriculture, USDA) (http://www.fns.usda.gov/fsec/files/fsguide.pdf).

Trois indicateurs ont été construits à partir de ces informations : l’insécurité alimentaire du foyer, celle des adultes (ici, les femmes interrogées) et celle des enfants quand ils étaient présents dans le foyer. L’évaluation de l’insécurité dans le foyer tient compte de la présence ou non d’enfants dans le foyer. Dans le cas où des enfants sont présents, les questions les concernant sont alors posées et, par conséquent, l’échelle d’évaluation du niveau d’insécurité alimentaire comporte un maximum de points plus élevé (18 points) que dans les foyers où il n’y a pas d’enfants (10 points). Cette différence de situation est prise en compte dans la catégorisation des niveaux d’insécurité alimentaire. Quant à l’insécurité alimentaire des adultes, elle est estimée en utilisant les réponses aux questions qui portent uniquement sur les adultes. Quatre catégories sont définies selon les scores obtenus : « pas d’insécurité alimentaire », « légère insécurité alimentaire », « insécurité alimentaire modérée » et « insécurité alimentaire sévère » (autrement dit, dans ce dernier cas, des personnes ayant connu la faim). Les deux premières catégories ont été regroupées dans les analyses présentées ici, en accord avec les pratiques habituelles dans la présentation des statistiques publiques américaines 7,10.

Analyses statistiques

Toutes les analyses ont été réalisées sur les données pondérées d’après les probabilités d’inclusion des femmes et en utilisant le logiciel Stata® version 12.1. Les analyses descriptives sur les prévalences de l’insécurité alimentaire et de ses facteurs associés ont été conduites sur l’ensemble de l’échantillon de femmes incluses dans l’étude Abena et pour lesquelles les informations étaient disponibles. Des régressions logistiques polytomiques ont été réalisées pour étudier les facteurs associés à l’insécurité alimentaire avec, comme classe de référence, l’absence d’insécurité alimentaire ou une insécurité alimentaire faible. Les facteurs étudiés sont ceux décrits dans l’article de M. Vernay et coll., selon les mêmes codages 13.

Les associations entre insécurité alimentaire et corpulence ont été analysées sur la base des données de poids et taille mesurés. Les moyennes d’IMC ajustées sur l’âge ont été estimées par catégories d’insécurité alimentaire. Par ailleurs, les risques de surpoids (IMC≥25 kg/m2) et d’obésité (IMC≥30 kg/m2) ont été analysés en fonction des niveaux d’insécurité alimentaire par régressions logistiques, également ajustées sur l’âge.

Ces analyses, toujours ajustées sur l’âge, ont en outre été conduites (i) en ajustant sur l’ensemble des facteurs associés à l’obésité préalablement identifiés 13 ; et (ii) dans des sous-groupes d’intérêt (présence d’enfant(s) à charge dans le foyer ou non, situation maritale, durée de l’aide alimentaire).

Résultats

Insécurité alimentaire : prévalences et facteurs associés

Parmi les 1 220 femmes incluses dans l’étude Abena 2011-2012 13, 972 ont pu être qualifiées pour l’insécurité alimentaire de leur foyer ou pour elles-mêmes (79,7%). Les femmes pour lesquelles les informations sur l’insécurité alimentaire étaient disponibles étaient plus jeunes (42,2 ans ±13,2 vs. 46,9 ans ±12,7 ; p<0,0001), plus fréquemment nées en France (40,0% vs. 29,7%) et moins souvent au Maghreb (30,9% vs. 38,9%) (p=0,01), et avaient plus souvent des enfants à charge (34,4% vs. 18,1% ; p<0,0001). Parmi les femmes ayant des enfants (n=841), l’insécurité alimentaire concernant leurs enfants a été étudiée chez 774 d’entre elles (92,0%), c’est-à-dire après l’exclusion de celles ayant des données manquantes dans le module d’insécurité alimentaire.

L’insécurité alimentaire « au niveau des foyers » était « sévère » pour 43%, « modérée » pour 31%, et « absente ou faible » pour un quart d’entre eux (13% sans insécurité alimentaire et 12% déclarant une insécurité faible) (figure 1). L’insécurité « au niveau des femmes » était répartie selon le niveau de gravité dans des proportions de même ampleur. Les femmes ayant des enfants étaient 8% à déclarer une insécurité sévère pour leurs enfants et 35% à déclarer une insécurité modérée (figure 1). L’insécurité alimentaire modérée des foyers et des femmes était respectivement de 37,7% et 28,1% chez celles ayant des enfants, les proportions d’insécurité « sévère » étant semblables à celles observées pour l’ensemble des femmes.

Figure 1 : Prévalencesa (en %) de l’insécurité alimentaire au niveau des foyers, des femmes ayant recours à l’aide alimentaire et de leurs enfantsb. Étude Abena 2011-2012, France
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Par rapport aux femmes en couple sans enfant, celles seules avec enfant(s) et celles en couple avec enfant(s) étaient plus à risque de connaître une insécurité alimentaire sévère au niveau de leur foyer (tableau). C’était le cas également pour celles en couple avec enfant(s) en ce qui concerne l’insécurité alimentaire modérée. Par ailleurs, les femmes nées au Maghreb étaient plus à risque d’insécurité alimentaire sévère ou modérée que celles nées en France. Être âgée de 25-34 ans ou de plus de 55 ans étaient des facteurs protecteurs du risque d’insécurité alimentaire modérée au niveau du foyer par rapport au fait d’être âgée de 18-24 ans. Il en était de même pour le fait de recourir à l’aide alimentaire sous forme de repas, tandis qu’un recours à l’aide alimentaire depuis 5 ans au moins augmentait le risque d’insécurité alimentaire modérée et sévère. Enfin, il existait des variations de prévalence selon les zones d’étude, le type de logement et le reste à vivre (tableau).

Tableau : Facteurs associés à l’insécurité alimentaire des foyers chez les femmes recourant à l’aide alimentaire, analyse multivariée. Étude Abena 2011-2012, France
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Insécurité alimentaire et corpulence

Chez les femmes pour lesquelles des mesures de poids et de taille étaient disponibles (n=538), les prévalences de l'insécurité alimentaire étaient semblables à celles énoncées ci-dessus (données non présentées). L’IMC moyen des femmes variait relativement peu selon le niveau d’insécurité alimentaire (figure 2). Il apparaissait plus élevé lorsqu’elles connaissaient une insécurité alimentaire sévère par rapport à celles sans insécurité alimentaire ou faible, mais cette différence n’était pas significative d’un point de vue statistique après ajustement sur l’âge (ß=1,92 ; p=0,056 pour l’insécurité au niveau du foyer et ß=1,25 ; p=0,17 pour celle concernant les femmes). La moyenne d’IMC la plus élevée était observée chez les femmes ayant décrit une situation d’insécurité alimentaire sévère pour leurs enfants (figure 2), par rapport aux femmes n’ayant pas déclaré d’insécurité pour leurs enfants, de façon proche de la limite de significativité statistique en régression linéaire (ß=3,95 ; p=0,051).

De même, les prévalences de surpoids et d’obésité augmentaient avec les niveaux d’insécurité alimentaire (figure 3) mais de façon non significative. Il est à noter que près de 60% des femmes déclarant une situation d’insécurité sévère pour leur(s) enfant(s) étaient obèses (p=0,12 pour les différences entre groupes).

Figure 2 : Moyennesa de l’indice de masse corporelle (IMC) des femmesb selon le niveau d’insécurité alimentaire. Étude Abena 2011-2012, France
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Figure 3. Prévalences de corpulence normale/maigre, surpoids et obésité selon l’insécurité alimentaire déclarée par les femmes. Étude Abena 2011-2012, France
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Analyses complémentaires

Les associations entre insécurité alimentaire et corpulence n’étaient pas sensiblement modifiées lorsqu’elles étaient estimées en ajustant sur l’ensemble des facteurs préalablement identifiés comme associés à l’obésité 13 avec, cependant, une diminution de la signification statistique due à l’introduction d’autres facteurs fortement associés à l’obésité (données détaillées non présentées).

Les relations entre insécurité alimentaire du foyer et corpulence des femmes ont été analysées dans des sous-groupes particuliers : femmes avec ou sans enfant, femmes en couple ou non, femmes ayant eu recours à l’aide alimentaire depuis plus ou moins de 5 ans. Les conclusions d’ensemble concernant les relations entre insécurité alimentaire et corpulence n’étaient pas non plus sensiblement modifiées.

Discussion

Dans l’étude Abena 2011-2012, les trois-quarts des femmes recourant à l’aide alimentaire étaient en situation d’insécurité alimentaire modérée ou sévère dans leur foyer ou pour elles-mêmes. Ces fréquences variaient selon leurs conditions de vie, en particulier en lien avec le fait d’avoir des enfants à charge, et avec un recours à l’aide alimentaire depuis plus de 5 ans. Par ailleurs, 43% d’entre elles déclaraient une situation d’insécurité alimentaire concernant leurs enfants, dont 8% de façon sévère.

Dans une cohorte francilienne en population générale utilisant le même outil de mesure, la prévalence d’insécurité alimentaire du foyer était de 3,9% pour la catégorie « modérée », et de 2,4% pour celle « sévère » 11. Dans l’étude Abena, les fréquences observées sont de même ampleur que celles relevées dans des groupes bénéficiant d’aides sociales, y compris sous forme d’aide alimentaire, dans d’autres pays 14,15,16. Chez les hommes de l’étude Abena 2011-2012, les prévalences d’insécurité alimentaire (données non présentées) sont de même ampleur que chez les femmes, bien que leurs conditions de vie soient apparues plus difficiles en termes de logement et de situation familiale, par exemple 1. Élément constitutif de l’insécurité alimentaire, la prévalence de l’insuffisance quantitative dans l’étude Abena a été estimée à 49,6% en 2004-2005 et 30,7% en 2011-2012 1. Ces estimations portent sur les quatre zones urbaines enquêtées lors des deux enquêtes, et le protocole d’échantillonnage était le même. Ces évolutions pourraient donc être interprétées comme une meilleure adéquation de l’aide alimentaire fournie, mais aussi par le fait que les personnes ayant recours à l’aide alimentaire peuvent se trouver dans une situation moins critique de ce point de vue. Pour autant, les fréquences globales d’insécurité alimentaire restaient très élevées en 2011-2012.

Bien que les femmes de l’étude Abena soient globalement en situation de précarité, leurs caractéristiques sociodémographiques et économiques, qui sont toutefois hétérogènes, sont associées à des fréquences d’insécurité alimentaire variables, ce qui a également été observé dans d’autres études 14,15,16. Notamment, le fait d’avoir des enfants, tout en étant en couple ou non, augmente fortement le risque de décrire une situation d’insécurité alimentaire. Cette observation peut être mise en relation avec la description de privations alimentaires maternelles, dans le but de préserver pour leurs enfants une alimentation appropriée dans la mesure du possible, compte tenu des contraintes économiques et d’accessibilité qu’elles rencontrent 8. Par ailleurs, les femmes nées au Maghreb semblent particulièrement à risque d’insécurité alimentaire d’après nos résultats. Il serait utile de développer des études dans cette population pour mieux comprendre cette spécificité.

Dans les foyers avec enfants, l’insécurité alimentaire au niveau des enfants est de fait moins fréquente que celle concernant les femmes ou l’ensemble de leur foyer. Cependant, chez les femmes ayant des enfants à charge, près de 1 femme sur 10 a répondu positivement au fait d’avoir dû diminuer la taille des repas de ses enfants, de leur faire sauter des repas ou de déclarer que ses enfants avaient eu faim sans pouvoir leur donner à manger par manque d’argent. Il s’agit d’un indicateur non disponible jusqu’à présent en France, mais qu’il importe de surveiller à l’avenir, à la fois en population générale et dans les groupes particulièrement à risque.

Comme c’est le cas dans d’autres études 7,9, les moyennes d’IMC et les risques d’obésité avaient tendance à être plus élevés quand le niveau d’insécurité alimentaire augmentait, en particulier lorsque l’insécurité concernait les enfants. Ces associations étaient à la limite de la signification statistique (probablement en lien avec la faible taille de l’échantillon) mais, le plus souvent, elles n’étaient pas significatives. En cherchant à préserver pour leurs enfants une alimentation suffisante, les privations périodiques peuvent constituer un risque d’obésité pour les femmes en insécurité alimentaire. S’y ajoutent les effets possibles du stress et de comportements alimentaires inappropriés dus aux multiples contraintes ressenties 8,17.

Alors qu’elle est censée diminuer l’insécurité alimentaire, il a par ailleurs été rapporté que, de façon paradoxale, l’aide alimentaire pouvait être elle-même un facteur d’obésité, même si cette observation est entachée de difficultés d’interprétation 7. Plusieurs éléments semblent intervenir dans cette relation éventuelle, parmi lesquels les cycles irréguliers de l’aide alimentaire, qui fournissent une alimentation en qualité et quantité variables, sources de prise de poids. Notons que ces observations viennent d’Amérique du Nord où l’aide alimentaire revêt une organisation très différente de celle de la France, car elle y repose très massivement sur la distribution de coupons alimentaires. La nature des aliments acquis grâce à l’aide alimentaire a aussi été mise en cause et, en conséquence les catégories d’aliments pouvant être obtenus via l’aide alimentaire ont été restreintes 18. Des analyses complémentaires pourront être menées dans le cadre de l’étude Abena pour étudier les relations entre modalités du recours à l’aide alimentaire (au-delà de la seule question de la durée), insécurité alimentaire et risque d’obésité.

Au-delà des limites générales de l’étude Abena 1, les résultats décrits ici doivent être interprétés avec précaution. En effet, la mesure de l’insécurité alimentaire utilisant l’échelle des statistiques américaines 5 comporte des difficultés liées à la traduction de cet outil et à la compréhension des questions dont le nombre et la formulation sont plutôt lourds, en particulier pour les personnes ayant des difficultés avec la langue française. Sa validation dans le contexte français serait nécessaire. La passation de ce questionnaire peut également donner lieu à des variations entre enquêteurs. Leur formation standardisée a cherché à limiter ce biais, qui peut toutefois avoir contribué en partie aux variations observées entre départements. Par ailleurs, même si des tendances cohérentes sont observées, le manque de puissance statistique en lien avec la taille de l’échantillon limite la portée des résultats.

En conclusion, d’après les résultats de l’étude Abena 2011-2012, l’insécurité alimentaire reste très fréquente chez les femmes recourant à l’aide alimentaire. Le fait d’avoir des enfants à charge constitue un facteur aggravant. Les conséquences de cette insécurité, qui semble plus marquée chez les femmes recourant à l’aide alimentaire depuis longtemps, ce malgré l’aide apportée, restent à confirmer, notamment en ce qui concerne la corpulence, d’autres marqueurs de l’état de santé 19 et l’état nutritionnel des enfants à charge 9, avec la coexistence éventuelle d’une obésité chez les mères et d’une dénutrition chez les enfants 20. Dans ces conditions, la qualité, la quantité et la régularité de l’aide alimentaire apparaissent comme des éléments clés à promouvoir pour la santé publique.

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Citer cet article

Castetbon K, Méjean C, Grange D, Guibert G, Escalon H, Vincelet C, et al. Insécurité alimentaire chez les femmes recourant à l’aide alimentaire : prévalences et associations avec l’obésité. Étude Abena 2011-2012, France. Bull Epidémiol Hebd. 2014;(18-19):326-33. http://www.invs.sante.fr/beh/2014/18-19/2014_18-19_3.html