Contribution des associations SOS Médecins à une surveillance locale de la grippe saisonnière en France

// Contribution of a general practitioners house call network to local surveillance of seasonal influenza in France

Olivier Retel1 (olivier.retel@ars.sante.fr), Noémie Fortin1, Marlène Faisant1, Delphine Casamatta1, Oriane Broustal1, Benjamin Larras1, Laure Meurice1, Magali Lainé1, Jérôme Pouey1, SOS Médecins France2, Gaëlle Gault1, Valérie Henry1, Bruno Hubert1
1 Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France
2 SOS Médecins France*, Paris, France

* Dominique Ringard, Serge Smadja, Jean-Luc Dinet, Patrick Guerin, Pascal Chansard, Patrick Simonelli
Soumis le 08.01.2014 // Date of submission: 01.08.2014
Mots-clés : Grippe | Surveillance | Épidémie | Régions
Keywords: Influenza | Epidemiological surveillance | Outbreak | French regions

Résumé

L’objectif de ce travail était de proposer une méthode statistique permettant de détecter la présence locale de l’épidémie de grippe saisonnière à partir d’un indicateur SOS Médecins.

Introduction –

À l’échelle régionale, les Cellules de l’Institut de veille sanitaire en région (Cire) vérifient la présence épidémique de syndromes grippaux par recoupement entre plusieurs sources, en premier lieu les diagnostics posés par les médecins généralistes (réseau unifié GROG-Sentinelles-InVS, SOS Médecins).

Méthodes –

Le critère d’inclusion des associations SOS Médecins dans l’étude était un taux de codage des diagnostics d'au moins 75% pendant les trois épidémies 2010-2013. Un seuil d’alerte hebdomadaire a été construit à l’aide d’un modèle de régression périodique (Serfling) pour déterminer les épidémies saisonnières de grippes cliniques vues par SOS Médecins. Le pourcentage de grippes cliniques parmi les diagnostics SOS codés a été retenu comme indicateur de surveillance. La cohérence de cet indicateur avec les indicateurs locaux et avec la propagation de l’épidémie a été vérifiée sur les trois hivers 2010-2013.

Résultats –

Vingt-et-une associations ont été incluses sur 59. Une bonne concordance a été observée entre les périodes épidémiques de grippes définies par consensus au sein des Cire à partir de plusieurs indicateurs et les périodes épidémiques définies avec l’indicateur SOS Médecins à l’aide du seuil hebdomadaire (concordance de 94% pour la détection et de 78% pour la fin des épidémies). La propagation au sein des 12 régions s’étendait sur 3 à 4 semaines et les premières régions touchées étaient aussi celles rapportées par le réseau unifié Sentinelles-GROG-InVS.

Conclusion –

La concordance satisfaisante avec d’autres systèmes de surveillance a permis de retenir le pourcentage de grippes cliniques parmi les diagnostics SOS Médecins comme indicateur pour détecter la présence de l’épidémie de grippe saisonnière à l’échelle régionale.

Abstract

The aim of this work was to propose a statistical method for the detection of epidemical influenza-like illness cases at the local level, using a general practitioners house call network (SOS Médecins) indicator.

Introduction –

At the regional level, epidemiological units (Cire) from the French Institute for Public Health Surveillance (InVS) rely on multiple sources (primarily general practitioners diagnoses) to verify the presence of seasonal influenza epidemic through the GROG-Sentinelles-InVS and SOS Médecins networks.

Methods –

Criteria for inclusion from SOS Médecins was a coding rate of diagnosis of at least 75% during the three 2010-2013 epidemics. A weekly alert threshold was built using a periodic regression model (Serfling) to determine the seasonal flu epidemics as observed by SOS Médecins. The percentage of clinical influenza among all diagnoses was chosen as a surveillance indicator. The consistency of this indicator with other local indicators, and with epidemic spread description was checked over the last three winters 2010-2013.

Results –

Twenty-one SOS Médecins associations were included among 59. A good concordance was observed between the influenza epidemic periods defined by consensus compared to those obtained by Serfling (94% concordance for detection and 78% for the end of the epidemics). Time span for the epidemic spreading over the 12 regions ran from 3 to 4 weeks and began among same regions than those reported by French general practitioners networks.

Conclusion –

The satisfactory concordance with other monitoring systems contributed to rely on the percentage of clinical influenza among SOS Médecins diagnoses as an indicator for detecting the presence of seasonal influenza epidemic at the regional level.

Introduction

À partir de 2006, les Cellules de l’Institut de veille sanitaire (InVS) en région (Cire) et les associations SOS Médecins ont utilisé les diagnostics pour la surveillance de la grippe clinique 1,2, notamment parce que ces associations sont très sollicitées par la population locale en période épidémique. Plusieurs indicateurs et méthodes statistiques ont été développés à l’échelle régionale à partir de l’activité SOS Médecins, dans le cadre du dispositif SurSaUD® (Surveillance sanitaire des urgences et des décès) de l’InVS 3,4. Pour pallier le manque de puissance statistique à l’échelle locale, les Cire vérifient la présence de l’épidémie par recoupement de plusieurs sources de données : en premier lieu, les consultations des médecins du réseau unifié GROG-Sentinelles-InVS 5,6, mais aussi les diagnostics de grippes cliniques posés par les urgentistes des centres hospitaliers et par les médecins des associations SOS Médecins (SurSaUD®), les isolements de virus respiratoires par les laboratoires hospitaliers, les foyers épidémiques signalés par les établissements hébergeant des personnes âgées ou encore les cas graves admis dans les services de réanimation, de soins intensifs et de surveillance continue.

L’objectif de ce travail était de proposer une méthode statistique permettant de détecter la présence locale de l’épidémie de grippe clinique à partir d’un indicateur SOS Médecins. Les objectifs secondaires étaient de vérifier que l’augmentation d’activité de SOS Médecins liée à la grippe était cohérente avec la propagation de l’épidémie en France métropolitaine et d’harmoniser la surveillance régionale de la grippe clinique basée sur l’activité SOS Médecins.

Matériel et méthodes

Les associations SOS Médecins

SOS Médecins est un réseau d’associations d’urgentistes d’exercice libéral. Ces associations sont des centres de régulation médicale qui participent à la permanence des soins ambulatoires en étroite collaboration avec le Samu. Elles sont réparties sur l’ensemble du territoire français et couvrent la plupart des grands centres urbains et leur périphérie. Les patients qui sollicitent SOS Médecins ne sont pas représentatifs de la population générale. Depuis 2006, les associations SOS Médecins participent au dispositif SurSaUD® de l’InVS par l’envoi quotidien de données concernant les actes ayant fait l’objet d’une visite à domicile ou d’une consultation dans un de leurs centres. Le réseau s’est progressivement étendu pour atteindre 61 associations (sur les 64 existantes) début 2013 3. En décembre 2010, les médecins SOS ont arrêté une définition commune de la grippe : fièvre supérieure à 38,5°C, d'apparition brutale, accompagnée de myalgies et de signes respiratoires.

Dans le cadre de ses objectifs stratégiques (développer les réseaux de partenaires, améliorer la capacité de réponse aux demandes d'informations), le dispositif de surveillance SurSaUD® permet aussi de contacter directement les médecins SOS lors de situations de tension (liées par exemple à un pic de l'épidémie en période de fêtes de fin d’année), d'évaluer les classes d'âges les plus touchées, d’analyser l’évolution des diagnostics en regard des motifs d’appels.

Critères d'inclusion

Dans la mesure où SurSaUD® est un réseau de surveillance récent, les associations SOS Médecins pouvant contribuer à décrire la diffusion de la grippe ont été retenues sur un critère empirique : un taux de codage des diagnostics d'au moins 75% pendant les trois hivers 2010-2011, 2011-2012 et 2012-2013, pour limiter l’imprécision de l’indicateur ou éviter un biais de recrutement lié à la montée en charge du codage diagnostique, et disposer d’un historique suffisant pour déterminer la saisonnalité.

Détection de la présence locale de la grippe

Parmi les méthodes statistiques de détection de variations inhabituelles ou anormales retenues dans le cadre de SurSaUD® 7, certaines sont largement reconnues dans la surveillance des maladies infectieuses 8. La méthode de régression périodique de Serfling 9 a été utilisée parce qu’elle fait référence en France pour la détection des épidémies saisonnières de grippe clinique 10 et qu’elle était déjà mise en œuvre par plusieurs Cire : un seuil d’alerte hebdomadaire a été construit à l’aide d’un modèle de régression périodique, Y(t) = α0 + α1 t + γ1 cos(2πt/n) + δ1 sin(2πt/n) + γ2 cos(4πt/n) + δ2 sin(4πt/n) + ε(t), ajusté sur une « activité diagnostique de base » (qui correspond au nombre de syndromes grippaux qui seraient diagnostiqués en l’absence de circulation de virus grippaux). Pour l’estimation de ce modèle, il faut donc retirer les semaines les plus fortes de la période d’ajustement, en proportion correspondante au pourcentage de semaines épidémiques (taux d’écrêtage). Le seuil d’alerte correspond à la borne supérieure de l’intervalle de prévision unilatéral à 95%. On augmente la spécificité du signal statistique en attendant un dépassement du seuil pendant 2 semaines consécutives. Nous considérerons que l’alerte est terminée quand l'incidence repasse en-dessous du seuil pendant deux semaines consécutives.

La méthode de Serfling a été construite à l’aide du site du réseau Sentinelles (periodic.sentiweb.fr), avec deux termes saisonniers (annuel, semestriel)  11. L’épidémie A(H1N1)2009 ayant une dynamique particulière 12, le modèle de Serfling a été ajusté sur les grippes diagnostiquées par SOS Médecins entre le 1er septembre 2008 et le 31 août 2013, à l’exclusion de la période du 1er mai 2009 au 30 avril 2010, soit une « période d’apprentissage » de quatre ans. Comme le taux d’écrêtage à 15% ne convenait pas pour l’activité SOS, qu’il influe sur la hauteur du seuil d’alerte, et donc sur la date de l’alerte, et qu’il n’existe pas de gold standard définissant les semaines épidémiques à l’échelle régionale 13, nous nous sommes appuyés sur l’expertise régionale des Cire dans la surveillance de la grippe en leur demandant de déterminer le pourcentage de semaines épidémiques dans leur(s) région(s) d’exercice. La distribution de ce pourcentage a permis d’établir un pourcentage moyen, qui a servi de taux d’écrêtage commun à toutes les régions. Chaque Cire a donc défini a posteriori les semaines, dites « semaines de référence », de début et fin d’épidémie dans sa région pour les trois derniers hivers 2010-2013 : chaque épidémiologiste d’une Cire examinait les « Points épidémiologiques » (disponibles sur www.invs.sante.fr/Publications-et-outils/Points-epidemiologiques) dans l’ordre de publication et renseignait la semaine de référence comme celle à partir de laquelle il considérait qu’on pouvait annoncer la présence (vs l’absence) locale de l’épidémie ; les semaines de référence obtenues étaient ensuite confrontées entre les différents épidémiologistes de la même Cire jusqu’à obtenir un consensus. Pour que ce consensus soit suffisamment reproductible d’une Cire à l’autre, le début a été défini comme la semaine à partir de laquelle l’activité augmente inexorablement vers un pic, et deux sources devaient être a minima disponibles : les grippes vues en consultation par les médecins du réseau unifié GROG-Sentinelles-InVS 14 et celles diagnostiquées par les médecins SOS.

Dans cette étude, le pourcentage de grippes cliniques parmi les diagnostics a été préféré au nombre brut pour tenir compte de la forte saisonnalité de l’activité SOS Médecins, avec une augmentation marquée en période hivernale, et pour faciliter la comparaison entre les régions. Un rythme d’analyse hebdomadaire permet d’éviter de prendre en compte les variations d’activité liées au jour de la semaine, sachant que la plupart des associations sont plus fortement sollicitées le week-end et les jours fériés.

Validation sur les trois hivers 2010-2013

Afin de vérifier la cohérence entre l’indicateur SOS Médecins et les autres indicateurs disponibles localement, les semaines de début et fin d’épidémies obtenues par la méthode de Serfling ont été comparées avec les semaines de référence définies par consensus dans chaque région. Une différence d’une semaine a été jugée acceptable. La cohérence des début/fin obtenus par Serfling pour chaque région avec la propagation de l’épidémie rapportée par le réseau unifié a également été vérifiée.

Résultats

Parmi les 59 associations métropolitaines adhérant à SurSaUD®, 20 codaient au moins 75% des diagnostics lors des trois épidémies de grippe 2010-2013 (figure 1). Lors de l’épidémie de grippe 2012-2013, 40 associations codaient à 75%, dont celle de Rennes, qui a été aussi incluse dans l’étude parce qu’elle codait à 70% depuis 2008. Pendant l’hiver 2008-2009, six associations sur les 21 incluses codaient encore peu les diagnostics : Saint-Nazaire codait à 56%, Lyon à 53%, Roubaix-Tourcoing à 45%, Rouen à 40%, Caen à seulement 36% et Nantes à 23%. Le pourcentage de grippe parmi les diagnostics était alors plus fort que les années suivantes, soit parce que la grippe était surreprésentée avant l’adoption de la définition en 2010, soit parce que les autres diagnostics étaient alors moins bien rapportés. Le seuil d’alerte tendait donc à être plus haut (moins sensible) : pour les Pays de la Loire, une mauvaise distribution des résidus du modèle a conduit à réduire la période d’ajustement à 3 ans (période pendant laquelle l’exhaustivité a néanmoins dépassé 97%).

Pendant l’épidémie 2012-2013, les 21 associations incluses – qui couvrent 12 régions (9 Cire) – ont recensé en moyenne 3 300 diagnostics de grippe par semaine (56% des 5 900 grippes diagnostiquées par l’ensemble des associations), avec des contributions différentes : quatre associations ont diagnostiqué entre 300 et 700 grippes par semaine, 13 entre 80 et 170, et quatre entre 20 et 60.

Figure 1 : Critères d’inclusion et activité diagnostique des associations SOS Médecins durant l’épidémie de grippe 2012-2013, France
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Les neuf Cire ont établi par consensus, à partir de différents indicateurs de surveillance, une moyenne de 33 semaines épidémiques de grippe sur trois ans, soit 21% des semaines de l’année. Ces résultats ont varié selon les régions (17% à 25%) et les années, avec de 9 à 12 semaines d’épidémie régionale pour l’hiver 2010-2011 (17% à 23%), de 6 à 11 semaines pour 2011-2012 (12% à 21%) et de 11 à 17 semaines pour 2012-2013 (21% à 33%). Même sans tenir compte de l'épidémie 2012-2013 exceptionnellement longue 15, le pourcentage de semaines épidémiques calculé a été de 19% : le taux d’écrêtage a donc été fixé à 20% pour la construction du modèle de régression périodique (Serfling) de l’indicateur SOS Médecins.

Une bonne concordance a été observée entre les périodes épidémiques de grippes définies par consensus au sein des Cire et les périodes épidémiques définies à l’aide du seuil de Serfling pour l’indicateur SOS Médecins (concordance de 94% pour la détection et de 78% pour la fin des épidémies) :

  • une seule semaine d‘écart pour la détection de l’épidémie, excepté en Lorraine en 2010-2011 et en Pays de la Loire en 2012-2013 (détection plus précoce avec le seuil de Serfling de deux semaines) ;
  • un écart de plus d’une semaine a été observé pour 8 fins d’épidémie : 2 ont été détectées deux semaines plus tôt par la méthode de Serfling (Haute-Normandie et Bourgogne en 2010-2011) ; 5 ont été détectées deux semaines plus tard, en 2010-2011 (Franche-Comté), en 2011-2012 (Bretagne, Nord-Pas-de-Calais, Franche-Comté), en 2012-2013 (Pays de la Loire) ; 1 a été détectée trois semaines plus tard en Nord-Pas-de-Calais (2012-2013).

D’après les seuils de Serfling (dépassement du seuil pendant deux semaines consécutives pour l’indicateur SOS), l’épidémie de grippes cliniques a débuté en semaine 49 (décembre) en Haute-Normandie et Nord-Pas-de-Calais en 2010-2011. Toutes les régions ont dépassé ce seuil épidémique dans les deux semaines suivantes (tableau). Le réseau unifié avait aussi observé un début d’épidémie par la zone nord-ouest de la France. L’augmentation d’activité de SOS Médecins liée à l’épidémie a duré de 9 à 13 semaines selon les régions.

En 2011-2012, l’épidémie a débuté en semaine 4 ; toutes les régions ont dépassé le seuil dans les trois semaines suivantes. L’augmentation d’activité a duré de 6 à 13 semaines selon les régions. L’épidémie a débuté dans la zone sud d’après le réseau unifié, mais aucune association SOS Médecins de cette zone n’est incluse dans notre étude.

En 2012-2013, l’épidémie a débuté en semaine 50 dans certaines régions de l’Ouest et du Nord (Aquitaine, Nord-Pas-de-Calais, Pays de la Loire) ainsi qu’en Bourgogne, et dans les autres régions au cours des deux semaines suivantes. Le réseau unifié avait observé un début d’épidémie par la zone nord-ouest de la France. L’augmentation d’activité de SOS Médecins a duré de 12 à 16 semaines (régions Alsace, Bretagne, Basse et Haute Normandie, Pays de la Loire). D’après le réseau unifié, il s’agissait de la plus longue durée observée depuis 1984 avec 13 semaines d’épidémie au niveau national 15.

Tableau : Paramètres obtenus pour les 12 régions françaises incluses dans l’étude
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Enfin, la région Rhône-Alpes illustre bien la concordance entre les différents indicateurs de surveillance de la grippe généralement utilisés à cette échelle (figure 2) : l’écart entre les semaines de référence et celles obtenues par Serfling sur l’indicateur SOS Médecins n’a jamais dépassé une semaine ; les pics d’activité régionale ont été observés simultanément par les partenaires du réseau unifié, de SOS Médecins et, dans une moindre mesure, par les urgentistes (moins de 1% des grippes cliniques donnent lieu à une hospitalisation en France 16). En Rhône-Alpes, le nombre de médecins Sentinelles était suffisant pour interpréter l’incidence régionale de la grippe en 2008 alors que, pour la plupart des régions, il a fallu attendre que les médecins du GROG participent aussi à la surveillance des grippes vues en consultation à partir de l’automne 2009.

Figure 2 : Activités diagnostiques de la grippe en région Rhône-Alpes, France
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Discussion

La concordance satisfaisante avec d’autres systèmes de surveillance a permis de retenir le pourcentage de grippes cliniques parmi les diagnostics SOS Médecins comme indicateur pour détecter la présence de l’épidémie de grippe saisonnière à l’échelle régionale à l’aide d’un seuil hebdomadaire de Serfling. L’augmentation d’activité de SOS Médecins liée à la grippe a été cohérente avec la propagation de l’épidémie en France observée par le réseau unifié. À ce stade du développement du réseau SurSaUD®, la couverture est encore mal assurée en Île-de-France et sur la Côte d’Azur au regard de l’exhaustivité du codage diagnostique des données SOS Médecins, mais une analyse en sept zones (figure 1) permettrait de décrire la propagation de l’épidémie par ce réseau en France métropolitaine.

Les limites de la méthode tiennent d’abord à l’écrêtage, à l’historique disponible comme au choix du modèle de Serfling :

  • l’écrêtage à 20% (basé sur une moyenne de 10 semaines épidémiques par an) établi par consensus régional est élevé par rapport aux 15% d’usage à l’échelle nationale. Il pourrait avoir été surestimé parce que notre courte période d’ajustement de 4 ans comprend l’épidémie exceptionnellement longue de 2012-2013, alors qu’a contrario le GROG estime à 8 semaines (écrêtage à 15%) la durée moyenne des 20 épidémies 1994-2014. Cependant, la durée moyenne des épidémies estimée par le réseau Sentinelles est de 9 semaines (écrêtage à 18%), aussi bien sur la période 1994-2009, à majorité A(H3N2), que sur la période 2010-2014 marquée par une co-circulation de souches virales A(H3N2), A(H1N1)pdm9 et B. Par ailleurs, nous constatons que la période de suractivité SOS Médecins liée à la grippe dépasse généralement d’une à deux semaines la durée épidémique établie par le réseau unifié. Écrêter à 20% permet notamment d’éliminer des semaines épidémiques 2012-2013 qui prendraient trop de poids dans l’ajustement du cycle saisonnier du modèle de Serfling ;
  • en raison de la pandémie de grippe A(H1N1)2009, la saison 2009-2010 n’a pas été prise en compte dans la période d’apprentissage pour la construction du modèle. La saison 2008-2009 a été incluse pour respecter un critère de 4 ans d’historique, mais l’épidémie était plus courte que les trois dernières saisons et les associations SOS Médecins ne codaient pas toutes correctement les diagnostics ;
  • le modèle périodique avec deux termes saisonniers (annuel et semestriel) a été choisi parce qu’il s’adapte mieux aux séries temporelles régionales d’après le site du réseau Sentinelles et d’après l’analyse des résidus du modèle. Un modèle simple de régression périodique avec un seul terme annuel sera néanmoins plus robuste s’il ne modifie pas la détection des épidémies régionales au cours des prochaines années.

Notre étude présente aussi des limites liées à ce que l’expertise des Cire était différente, à ce que l’indicateur SOS intervenait dans la définition des semaines de référence et au fait que les régions Aquitaine et Pays de la Loire utilisaient déjà la même méthode de Serfling (au taux d’écrêtage près) sur le même indicateur SOS. Mais l’utilisation d’une méthode Delphi 13 pour fixer les semaines de référence était difficilement envisageable à cette échelle, d’autant que l’expertise est souvent détenue localement par la Cire. Finalement, la concordance entre les semaines de référence et celles obtenues par Serfling a été satisfaisante à 94% pour les débuts d’épidémie et à 78% pour les fins. Les deux débuts d’épidémie obtenus deux semaines plus tôt par Serfling s’expliquent par une discordance avec l’indicateur du réseau unifié en Pays de la Loire et par l’absence de méthode statistique en Lorraine (la Cire attendant que l’augmentation des indicateurs soit visible). Quant aux discordances sur les fins d’épidémies, elles s’expliquent généralement par la différence entre les méthodes appliquées avant notre étude : en Bourgogne, Franche-Comté et Nord-Pas-de-Calais, la méthode de Serfling était appliquée sur un nombre brut de diagnostics de grippes avec un taux d’écrêtage à 15% ; en Haute-Normandie et en Bretagne, car la Cire définissait la fin d’épidémie par un retour de l’indicateur SOS Médecins à la normale (par référence à la semaine précédant l’épidémie) ; en Pays de la Loire, il existait un décalage entre l’indicateur SOS et l’indicateur du réseau unifié.

Les prochains hivers serviront à valider cette méthode dans toutes les régions éligibles, en vérifiant la sensibilité et la spécificité du signal statistique. Ainsi, dès l’hiver 2014-2015, le modèle de Serfling s’appuiera sur quatre années glissantes (septembre 2010-août 2014) pour lesquelles la grippe répondait à une définition précise et où l’exhaustivité était suffisante pour chacune des 21 associations. La surveillance locale est d’ailleurs aussi renforcée par les réseaux GROG et Sentinelles depuis 2010 puisqu’ils surveillent ensemble les consultations liées à la grippe, renforçant ainsi la couverture régionale.

L’augmentation du nombre d’associations satisfaisant aux critères d’inclusion va permettre d’améliorer la couverture géographique : 40 associations y satisferont d’ici trois ans et les autres associations devraient améliorer d’elles-mêmes l’exhaustivité de leur codage diagnostique. Les données des associations peuvent être agrégées pour augmenter la puissance statistique, mais l’analyse reste cohérente à l’échelle régionale et, même en Haute-Normandie où le nombre de grippes diagnostiquées est le plus faible, la concordance entre les indicateurs locaux et la semaine de référence est satisfaisante.

L’usage généralisé de cette méthode permettra d’obtenir des résultats comparables, au fur et à mesure de l’augmentation du nombre de régions éligibles. Il ne s’agit pas de rajouter un indicateur à la surveillance nationale, mais bien de renforcer la capacité des régions à décrire, à partir d’un faisceau d’indicateurs, la propagation de l’épidémie à leur échelle.

Remerciements

Nous remercions tout d’abord les associations SOS Médecins, notamment celles qui ont contribué à l’étude (à Annecy, Besançon, Bordeaux, Caen, Cherbourg, Dijon, Dunkerque, Grenoble, Lyon, Mulhouse, Nancy, Nantes, Pau, Quimper, Rennes, Roubaix-Tourcoing, Rouen, Saint-Nazaire, Sens, Toulouse, Vannes), ainsi que Patrick Guérin et Christophe Ruedin pour leur relecture. Nous remercions les réseaux Sentinelles et GROG qui ont fourni les éléments de comparaison, le Pr Fabrice Carrat pour ses commentaires sur le Serfling, Camille Pelat pour le site http://marne.u707.jussieu.fr/periodic.

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Errata : http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=11797
16 Pelat C, Lasserre A, Xavier A, Turbelin C, Blanchon T, Hanslik T. Hospitalization of influenza-like illness patients recommended by general practitioners in France between 1997 and 2010. Influenza Other Respir Viruses. 2013;7(1):74-84.

Citer cet article

Retel O, Fortin N, Faisant M, Casamatta D, Broustal O, Larras B, Meurice L, et al. Contribution des associations SOS Médecins à une surveillance locale de la grippe saisonnière en France. Bull Epidémiol Hebd. 2014;(28):466-72. http://www.invs.sante.fr/beh/2014/28/2014_28_2.html