Intérêt du réseau OSCOUR® pour la validation d’un signalement de méningite virale dans l’ouest de la Réunion

// Usefulness of OSCOUR® network in validation of viral meningitis report in the western part of Réunion Island

Pascal Vilain1 (pascal.vilain@ars.sante.fr), Sandrine Ernould2, Nadège Caillère1, Sophie Larrieu1, Olivier Belmonte3, Katia Mougin Damour2, Laurent Filleul1
1 Cire Océan Indien, Institut de veille sanitaire, Saint-Denis, La Réunion, France
2 Centre hospitalier Gabriel Martin, Saint-Paul, La Réunion, France
3 CHU, site Nord, Saint-Denis, La Réunion, France
Soumis le 09.08.2013 // Date of submission: 08.09.2013
Mots-clés : Méningite virale | Urgences | OSCOUR® | La Réunion
Keywords: Viral meningitis | Emergency department | OSCOUR® | Réunion Island

Résumé

Introduction –

Le 18 janvier 2011, un pédiatre du Centre hospitalier Gabriel Martin (CHGM) a signalé à l’Agence de santé Océan Indien (ARS-OI) la survenue d’un nombre anormalement élevé d’hospitalisations pour méningite virale au cours de la période du 15/11/2011 au 15/01/ 2012. Le signalement a été transmis à la Cellule de l'InVS en région Océan Indien (Cire OI) pour validation et mise en place d’une investigation épidémiologique si nécessaire.

Matériel et méthode –

Pour valider le signal, la Cire OI s’est appuyée sur les données du réseau OSCOUR®, qui recueille l’activité des services d’urgences des quatre établissements hospitaliers de la Réunion. Un regroupement syndromique « méningite virale » a été construit et une analyse spatio-temporelle a été réalisée. Parallèlement, des investigations microbiologiques et épidémiologiques ont été menées.

Résultats –

L’analyse spatio-temporelle a permis de détecter une augmentation anormale des passages pour méningite virale sur les urgences du CHGM et d’identifier un cluster des cas sur trois communes de l’ouest. Lors des investigations, aucun lien épidémiologique n’a pu être mis en évidence entre les malades. Les données des laboratoires ont permis de détecter une augmentation du nombre de demandes de recherche virale, dont 5,7% étaient positives à entérovirus.

Discussion-conclusion –

De par leur réactivité et leur efficacité, les données issues du réseau OSCOUR® ont permis de démontrer la pertinence de l’existence d’un tel réseau pour la vérification et la validation des signalements d’un phénomène sanitaire

Abstract

Introduction –

On January 18, 2011, a pediatrician of the Gabriel Martin hospital (CHGM) notified to the Health Agency of Indian Ocean (ARS-OI) an unusually high number of hospitalizations for viral meningitis during the period from 11/15/2011 to 01/15/2012. The report was sent to the regional office of the French Institute for Public Health (Cire OI) for validation and epidemiological investigation.

Methods –

To validate this report, the Cire OI used the OSCOUR® network data based on the activity of all emergency departments in Réunion Island. A "viral meningitis" syndromic group was set up, and a spatio-temporal analysis was performed. Simultaneously, microbiological and epidemiological investigations were conducted.

Results –

The spatio-temporal analysis enabled the detection of an increase in visits to the CHGM emergency department due to viral meningitis and the identification of a viral meningitis cluster in three municipalities in the western part of Réunion Island. During investigations no epidemiological link could be found between patients. Laboratory data detected an increase in the number of viral scanning, 5.7% of which were positive for enterovirus.

Conclusion –

Using data from OSCOUR®, due to the reactivity and efficiency of the network, demonstrated its relevance in the checking and validation of notifications.

Introduction

Les virus représentent la principale cause des méningites aseptiques, bien qu’il soit difficile aujourd’hui d’avancer des données épidémiologiques précises en l’absence d'un système de surveillance spécifique et compte tenu du caractère généralement bénin de cette pathologie. Le tableau clinique de méningite virale est caractérisé par l’apparition brutale d’un syndrome fébrile accompagné de signes et de symptômes d’atteinte méningée. L’évolution est le plus souvent favorable avec une guérison généralement complète. Le diagnostic repose sur la ponction lombaire avec un liquide céphalorachidien (LCR) clair, stérile, normoglycorachique, une pléiocytose lymphocytaire et un examen bactériologique (par examen direct ou culture) négatif.

Les méningites virales surviennent généralement sous forme sporadique ou épidémique. Des variations saisonnières peuvent être observées et dépendent essentiellement de l'agent causal. Les entérovirus sont la cause la plus fréquente d’épidémies, qui surviennent généralement à la fin de l'été ou au début de l'hiver dans les zones tempérées, et toute l’année dans les zones tropicales et subtropicales. On estime que 85% à 95% des méningites virales sont liées à un entérovirus lorsqu’un agent pathogène est identifié 1. En période épidémique, les virus ourliens peuvent être responsables de 10 à 30% des cas de méningites dans les populations non immunisées 2. Dans les zones géographiques où les vecteurs (moustiques ou tiques) sont endémiques, des épidémies de méningites liées à des flavivirus sont observées ; parmi ces flavivirus, on retrouve essentiellement le virus du West Nile, le virus de l'encéphalite japonaise ou celui de l’encéphalite de Saint-Louis 3. Les virus Herpes simplex représentent l’étiologie la plus fréquente dans les cas de méningites virales sporadiques de l’adolescent et de l’adulte 4 et seraient responsables de 0,5% à 3% des cas de méningite aseptique 5. D'autres herpès virus comme le virus Epstein-Barr, le cytomégalovirus, le virus de la varicelle-zona ou l’herpès virus humain 6 peuvent être également responsables de cas sporadiques et sont souvent décrits chez des personnes immunodéprimées. Des méningites associées au virus d’immunodéficience humaine (VIH) sont observées chez 5% à 10% des patients lors de la phase de séroconversion 1.

En France métropolitaine, une recrudescence des passages aux urgences pour méningites virales est observée chaque année dès le mois de mai, mais le plus souvent en juin et juillet, coïncidant avec la circulation d’entérovirus 6.

Le mercredi 18 janvier 2011, un médecin du service de pédiatrie du Centre hospitalier Gabriel Martin (CHGM) signalait à la cellule de veille et d’alerte et de gestion sanitaire (CVAGS) de l’Agence de santé Océan Indien (ARS-OI), la survenue d’un nombre anormalement élevé d’hospitalisations pour méningite virale au cours de la période du 15/11/2011 au 15/ 01/2012. La CVAGS transmettait le signalement à la Cellule de l'InVS en région Océan Indien (Cire OI) afin de valider le signal sanitaire à partir d’indicateurs d’activité des passages aux urgences. L’analyse de ces derniers peut conduire à la mise en place d’une investigation épidémiologique, si nécessaire.

Matériel et méthode

La Réunion

Région monodépartementale française de l’archipel des Mascareignes, la Réunion est une île volcanique montagneuse située dans le sud-ouest de l’Océan Indien à 800 km à l’est de Madagascar et 200 km à l’ouest de l’Île Maurice. D’une superficie de 2 500 km2, l’île est soumise à un climat tropical marqué par une période sèche ou hiver austral, de mai à novembre, et une période de pluies, en été, de décembre à avril.

Validation du signal

Pour valider le signal, la Cire OI s’est appuyée sur les données du réseau OSCOUR® (Organisation de la surveillance coordonnée des urgences). À la Réunion, les quatre établissements hospitaliers contribuent à ce réseau de surveillance, soit au total six services d’urgences (quatre d’adultes et deux pédiatriques) 7. Le recueil de données repose sur l’extraction directe d’informations anonymisées, issues du dossier médical informatisé du patient constitué lors de son passage aux urgences. Sont ainsi collectées des variables sociodémographiques (âge, sexe, code postal de résidence), médicales (diagnostic codé selon la Classification internationale de maladie 10e révision – CIM-10, score de gravité CCMU - Classification clinique des malades aux urgences, motif de recours…) et de trajectoire hospitalière (orientation, transfert, mode d’arrivée aux urgences…). Chaque matin, les données sont envoyées automatiquement du service d’urgence à l’Institut de veille sanitaire (InVS) par le biais d’un serveur régional. Ces données sont analysées quotidiennement par un épidémiologiste de la Cire.

Une extraction des données a été réalisée sur la période du 1er janvier 2010 au 22 janvier 2012. Pour la construction du regroupement syndromique « méningites virales », ont été retenus les codes CIM-10 suivants en diagnostic principal ou associé :

  • encéphalite virale transmise par des moustiques ;
  • encéphalite virale transmise par des tiques ;
  • autres encéphalites virales, non classées ailleurs ;
  • encéphalite virale, sans précision ;
  • méningite virale ;
  • autres infections virales du système nerveux central, non classées ailleurs ;
  • infection virale du système nerveux central, sans précision.

Deux indicateurs ont ainsi été construits :

  • le nombre de passages quotidien et hebdomadaire pour méningite virale sur l’ensemble des services d’urgences hospitaliers de l’île ;
  • le nombre de passages quotidien et hebdomadaire pour méningite virale sur le service d’urgences du CHGM.

Les analyses temporelles et spatio-temporelles ont été réalisées à l’aide du logiciel SaTSCan® version 9.1.1 afin d’identifier la période épidémique et d’éventuels regroupements de cas dans l’espace. SaTSCan® permet un balayage statistique temporel ou spatio-temporel à l’aide d’une fenêtre se déplaçant dans le temps et/ou l’espace. Pour chaque fenêtre, une statistique basée sur le rapport de vraisemblance et les nombres de cas observés et attendus est calculée. Le nombre de cas observés dans chaque fenêtre est comparé au nombre de cas attendus en faisant l'hypothèse que l’évènement suit une loi de distribution de Poisson. La fenêtre qui correspond au maximum de vraisemblance est le cluster le plus probable. Une valeur de p, calculée à partir de simulations de Monte Carlo, est assignée à ce cluster et indique si le nombre de cas observés dans la fenêtre est significativement supérieur au nombre de cas attendus.

Pour l’analyse temporelle, la hauteur de la fenêtre était de 7 jours afin de prendre en compte « l’effet week-end ».

Investigation épidémiologique

Dans le cadre d’une autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) délivrée à l’InVS pour les investigations épidémiologiques d’urgence, la Cire a sollicité le service de pédiatrie du CHGM afin d’obtenir la liste des enfants hospitalisés pour méningite virale sur la période du 15 novembre 2011 au 15 janvier 2012. Un questionnaire standardisé a été administré aux parents des enfants hospitalisés afin de décrire la population touchée et d’émettre des hypothèses sur l’origine de la contamination.

Investigation microbiologique

Les laboratoires d’analyses microbiologiques des sites Nord et Sud du Centre hospitalier universitaire (CHU) de la Réunion ont été sollicités afin de renseigner le nombre de recherches et isolements viraux dans le LCR effectués chez les patients hospitalisés pour suspicion de méningite virale (en particulier entérovirus et Herpes simplex virus) sur la période de novembre 2011 à janvier 2012.

Résultats

Validation du signal

L’analyse temporelle a permis de détecter une augmentation significative des passages codés « méningite virale » en diagnostic principal ou associé sur l’ensemble des services d’urgences de l’île de la semaine 46 de 2011 à la semaine 2 de 2012 (soit du 14 novembre 2011 au 15 janvier 2012) (figure 1). En effet, sur cette période, le nombre de cas observés (n=48) était significativement supérieur au nombre de cas attendus (n=12) (p<0,001). Au total, sur la période épidémique, 18 passages pour méningite virale ont été enregistrés sur les urgences du CHGM, dont 13 concernaient des enfants âgés de moins de 15 ans. Parmi eux, la moyenne d’âge était de 6 ans [2-10] et le sexe ratio H/F de 1,6.

L’analyse spatio-temporelle a permis d’identifier un cluster sur les communes de La Possession, du Port et de Saint-Paul (p<0,005), de la semaine 48 de 2011 à la semaine 2 de 2012.

Figure 1 : Nombre hebdomadaire de passages codés « méningite virale » en diagnostic principal ou associé sur le service d’urgences du Centre hospitalier Gabriel Martin et sur l’ensemble des services d’urgences hospitaliers de la Réunion, 1er janvier 2010-22 janvier 2012
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Investigation épidémiologique

Au total, sur la période du 14 novembre 2011 au 15 janvier 2012, 17 enfants ont été hospitalisés dans le service de pédiatrie du CHGM pour méningite virale. Le médecin pédiatre à l’origine du signalement n’a rapporté aucune forme sévère chez ces enfants. La moyenne d’âge des patients était de 6 ans [1-14] et le sexe ratio 1,4. Pour 13 enfants hospitalisés, les parents ont pu être interrogés. Parmi eux, 6 ont rapporté la présence d’une personne malade (personne ayant présenté de la fièvre, des céphalées ou des vomissements) dans l’entourage (école, famille, voisinage) peu avant l’apparition de signes cliniques chez leur enfant. Aucun lien épidémiologique (même lieu fréquenté, contact) n’a pu être mis en évidence entre les enfants malades. Les données de géolocalisation ont permis de confirmer les clusters spatiaux (figure 2).

Figure 2 : Géolocalisation des cas de méningites virales hospitalisés au Centre hospitalier Gabriel Martin, 15 novembre 2011-15 janvier 2012, la Réunion
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Investigation microbiologique

Le laboratoire du site Sud du CHU a rapporté une augmentation des demandes de recherche virale dans les LCR ; cependant, un seul prélèvement était positif à entérovirus. Les données du laboratoire du site Nord du CHU ont permis de détecter une augmentation du nombre de demandes de recherche virale sur la période de novembre 2011 à janvier 2012 (comparée au reste de l’année 2011). Sur cette période, 3 prélèvements sur 53 étaient positifs à entérovirus (soit un taux de positivité de 5,7%). Un seul prélèvement était positif à Herpes simplex virus.

Conclusion

Les données du système OSCOUR® ont contribué, d’une part, à valider le signalement de recrudescence de méningites virales dans l’ouest de l’île et, d’autre part, à identifier des clusters spatio-temporels sur les communes de La Possession, du Port et de Saint-Paul.

Grâce à la flexibilité du réseau OSCOUR®, il a été possible de construire un regroupement syndromique « méningites virales ». À partir de ce dernier, les indicateurs de suivi de l’activité des services d’urgences ont permis une analyse plus fine de la situation épidémiologique. À la suite de cet épisode, le regroupement « méningites virales » a été intégré dans la liste des regroupements syndromiques surveillés en routine.

L’investigation mise en place après validation du signalement n’a pas mis en évidence de lien épidémiologique entre les cas. Néanmoins, la présence d’une personne malade dans l’entourage peu avant l’apparition de signes cliniques a été observée dans la moitié des cas.

Les données des laboratoires hospitaliers ont permis de détecter une recrudescence des demandes de recherche virale dans le LCR, dont 5,7% étaient positives à entérovirus. Bien qu’il soit difficile d’attribuer catégoriquement cette recrudescence de méningite virale à la circulation d’entérovirus sur l’île, plusieurs arguments retrouvés dans la littérature sont en faveur de cette étiologie :

  • les entérovirus sont la principale cause de méningite aseptique, représentant 85% à 95% de tous les cas dans lesquels un agent pathogène est identifié 1 ;
  • les méningites à entérovirus affectent majoritairement les enfants et les nourrissons. Lors de la recrudescence des méningites virales dans l’ouest de l’île, 72% des passages concernaient les 15 ans et moins ;
  • lors de l’investigation, seuls 4 prélèvements sur 53 ont été positifs à un agent pathogène. Ce faible taux de positivité n’est pas surprenant puisque, selon la littérature, l’agent pathogène n’est pas identifié plus d’une fois sur deux 8.

À la suite de cet épisode, l’ARS-OI a rappelé les mesures de prévention (lavage des mains, désinfection des surfaces souillées, etc.) dans un courrier d’information adressé aux mairies et aux médecins généralistes de la zone touchée.

De par sa réactivité et son efficacité, le réseau OSCOUR® s’est positionné, au cours de ces dernières années, au cœur du dispositif de veille sanitaire de la Réunion. Il a démontré sa pertinence dans la vérification et la validation des signalements. Les échanges, les rencontres avec les professionnels des urgences et la diffusion régulière de points épidémiologiques ont permis de développer la culture du signalement, clé de voûte de la surveillance épidémiologique.

Remerciements

Nous remercions les médecins urgentistes des services d’urgence de la Réunion et les laboratoires hospitaliers de l’île.

Références

[1] Tunkel AR, Scheld WM. Acute meningitis. In: Mandell GL, Bennett JE, Dolin R, eds. Mandell, Douglas, and Bennett’s principles and practice of infectious diseases. 7th Ed. Philadelphia: Elsevier Churchill Livingstone; 2010. p. 1089-129.
[2] Gnann JW Jr. Meningitis and encephalitis caused by mumps virus. In: Scheld WM, Whitley RJ, Durack DT, editors. Infections of the central nervous system. New York: Raven, 1991.
[3] Solomon T. Flavivirus encephalitis. N Engl J Med. 2004;351(4):370-8.
[4] Chadwick DR. Viral meningitis. Br Med Bull. 2006;75-76:1-14.
[5] Corey L, Spear PG. Infections with herpes simplex viruses (2). N Engl J Med. 1986;314(12):749-57.
[6] Antona D, Chomel JJ. Enterovirus Surveillance Laboratory Network. Increase in viral meningitis cases reported in France, summer 2005. Euro Surveill. 2005;10(36):pii=2787. http://www.eurosurveillance.org/ViewArticle.aspx?ArticleId=2787
[7] Vilain P, Filleul L. La surveillance syndromique à la Réunion : un système de surveillance intégré. Bulletin de veille sanitaire Océan Indien. 2013;(21):9-12. http://www.invs.sante.fr/fr/Publications-et-outils/Bulletin-de-veille-sanitaire/Tous-les-numeros/Ocean-indien-Reunion-Mayotte/Bulletin-de-veille-sanitaire-ocean-Indien.-N-21-Septembre-2013
[8] Heymann DL, American Public Health Association (APHA). Control of communicable diseases manual. 19th Ed. David L. Heymann, editor. Washington DC: APHA; 2008. 746 p.

Citer cet article

Vilain P, Ernould S, Caillère N, Larrieu S, Belmonte O, Mougin Damour K, et al. Intérêt du réseau OSCOUR® pour la validation d’un signalement de méningite virale dans l’ouest de la Réunion. Bull Epidémiol Hebd. 2014;(3-4):53-7.