Facteurs de risque de prématurité en Guadeloupe : résultats de la cohorte Timoun

// Risk factors for preterm birth in Guadeloupe (French West Indies): results from the TIMOUN birth cohort

Sylvaine Cordier1 (sylvaine.cordier@inserm.fr), Philippe Kadhel1,2, Florence Rouget1,3, Luc Multigner1
1 Inserm U1085 – IRSET, Université Rennes 1, Rennes, France
2 Service de gynécologie et obstétrique, CHU Pointe-à-Pitre/Abymes, Guadeloupe, France
3 Département de pédiatrie, CHU Rennes, France
Soumis le 10.07.2014 // Date of submission: 07.10.2014
Mots-clés : Prématurité | Facteurs de risque | Chlordécone | Alimentation | Obésité | Guadeloupe | Antilles françaises
Keywords: Preterm birth | Risk factors | Chlordecone | Diet | Obesity | Guadeloupe | French West Indies

Résumé

Introduction –

La Guadeloupe présente un taux de prématurité élevé malgré un accès aux soins comparable à celui de la métropole. La mise en place d’une étude prospective (cohorte Timoun) en Guadeloupe offre la possibilité de mieux comprendre les facteurs de risque de prématurité dans une population d’ascendance africaine. L’objectif de ce travail était d’évaluer les facteurs de risque de prématurité dans cette cohorte.

Population et méthodes –

La cohorte mères-enfants Timoun inclut 1 068 femmes vues en consultation en fin de grossesse dans les maternités de Guadeloupe entre 2004 et 2007. Les données sociodémographiques, médicales et l’alimentation pendant la grossesse ont été recueillies par questionnaire et dans le dossier médical. La concentration de chlordécone a été mesurée dans le sang maternel recueilli à l’accouchement.

Résultats –

Dans la cohorte, 144 accouchements prématurés (15,8%) ont eu lieu. Les principaux facteurs de risque mis en évidence sont les pathologies de grossesse (hypertension artérielle gravidique, diabète gestationnel, infections urinaires, asthme, lupus), un âge maternel élevé et vivre sans conjoint. L’exposition chronique au chlordécone est associée à une diminution de la durée de gestation. Enfin, un régime alimentaire de type méditerranéen pendant la grossesse est associé à une diminution du risque de prématurité spécifiquement chez les femmes en surpoids ou obèses.

Discussion-conclusion –

Nos travaux confirment la vulnérabilité particulière de cette population vis-à-vis du risque de prématurité, en raison de la fréquence élevée des pathologies de la grossesse, de certaines conditions sociales et de la pollution environnementale par le chlordécone.

Abstract

Introduction –

In Guadeloupe, the rate of preterm birth is high despite access to medical care comparable to that of the French mainland. A prospective study (TIMOUN cohort) was conducted in Guadeloupe to assess the risk factors for preterm birth in a French Caribbean population of African descent. The objective of this study was to evaluate the risk factors for preterm birth in this cohort.

Population and methods –

The TIMOUN mother-child cohort included 1,068 pregnancies during their 3rd trimester check-up visits between 2004 and 2007 in maternity hospitals. Sociodemographic, medical and dietary data were collected by questionnaire and from medical records. Chlordecone concentration was measured in maternal blood collected at birth.

Results –

The rate of preterm birth in this cohort was 15.8% (144 births). The main risk factors were diseases during pregnancy (gestational hypertension, gestational diabetes, urinary infections, asthma, lupus), high maternal age, single marital status. Chronic exposure to chlordecone was associated with a decrease in the duration of gestation. A Mediterranean-type diet during pregnancy was associated with a reduced risk of preterm birth specifically among overweight and obese women.

Discussion-conclusion –

Our results confirm the specific vulnerability of this population relative to the risk of preterm birth. This is partly explained by a high prevalence of diseases during pregnancies, social conditions and environmental exposure to chlordecone.

Introduction

L’enquête nationale périnatale estimait en 2003 que, dans des départements français d’outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Réunion), 8,7% des naissances vivantes uniques intervenaient prématurément, alors que cette fréquence n’était que de 5% en France métropolitaine. En 2010, cette fréquence a légèrement augmenté en métropole (5,5%) et plus sensiblement en outre-mer (12%), alors que ces régions bénéficient d’un niveau médical de prise en charge équivalent à celui de la France métropolitaine 1. Dans une étude en Seine-Saint-Denis 2, une fréquence de prématurité de 7,9% a également été rapportée chez les femmes d’origine antillaise alors qu’elle n’était que de 4,6% chez les femmes nées en métropole. Des observations semblables dans le monde ont conduit à constater que les femmes d’ascendance africaine ont un risque d’accouchement prématuré élevé, quelle que soit leur région de résidence (Afrique, États-Unis, Caraïbes), et que ce risque paraît difficilement réductible par le niveau de prise en charge médicale ou de ressources économiques 3.

Séparer les contributions respectives des facteurs de risque médicaux et socioéconomiques dans une population d’ascendance africaine bénéficiant d’un accès aux soins comparable à celui de la métropole est une possibilité offerte par les Antilles, susceptible d’aider à mieux comprendre l’étiologie de la prématurité dans ces populations. Le rôle des particularités liées au contexte environnemental et au régime alimentaire mérite également d’être évalué. En effet, les Antilles françaises sont soumises depuis plus de 40 ans à une pollution persistante des sols par le chlordécone (insecticide organochloré reprotoxique utilisé dans les bananeraies de 1973 à 1993) qui a entraîné une contamination de la chaîne alimentaire et l’exposition chronique de la population 4.

Certains aliments (légumes racines, cucurbitacées, produits de la mer…) ont été identifiés comme principaux contributeurs à la contamination de la population par le chlordécone 4. Malgré cela, les caractéristiques de l’alimentation antillaise (apports importants en fruits, légumes et poisson) lui procurent un profil proche du régime dit méditerranéen, dont le rôle bénéfique dans la prévention du risque cardiovasculaire ainsi que de certaines formes de cancers et de maladies chroniques est aujourd’hui largement reconnu 5. Chez la femme enceinte, son effet sur le risque de prématurité est encore incertain, avec des études montrant des résultats contradictoires.

L’objectif de ce travail était d’évaluer les facteurs de risque de prématurité en Guadeloupe à partir d’une cohorte mères-enfants.

Population et données recueillies

Les analyses sont basées sur la cohorte mères-enfants Timoun mise en place en Guadeloupe. Entre 2004 et 2007, 1 068 femmes venues pour une consultation au cours du 3e trimestre de grossesse au CHU de Pointe-à-Pitre, au CHG de Basse-Terre ou en PMI ont été incluses. Elles devaient avoir résidé en Guadeloupe depuis au moins 3 années. Environ 7% des femmes contactées ont refusé de participer, les principales raisons étant : le refus du conjoint, le refus du suivi ou des prélèvements biologiques. À l’inclusion, un entretien avec une sage-femme a permis de recueillir les caractéristiques sociodémographiques (niveau d’études, statut marital, emploi), les antécédents médicaux et obstétricaux et les habitudes de vie (consommation de tabac, d’alcool) de la femme enceinte. Un questionnaire alimentaire fréquentiel semi-quantitatif a été administré en suite de couches. Il portait sur la fréquence et la quantité de consommation pendant la grossesse de 214 aliments permettant d’estimer les consommations de 9 catégories d’aliments : légumes, légumineuses, fruits et noix, céréales, poisson, viande et volaille, produits laitiers, alcool et graisses.

À l’accouchement, des prélèvements de sang maternel ont été obtenus en vue de la caractérisation de l’exposition par le chlordécone. Le dosage du chlordécone dans le plasma a été réalisé au Centre de recherche analytique et technologique de l’université de Liège (Belgique) par chromatographie gazeuse couplée à la détection par capture d’électrons pour une limite de détection de 0,06 µg/L.

Les informations concernant la grossesse, l’accouchement et l’état de santé du nouveau-né ont été recueillies à partir du dossier médical. La durée de grossesse a été estimée par l’obstétricien en charge du suivi. Elle était basée sur le premier jour des dernières menstruations et confirmée ou corrigée par l’échographie. Cette donnée était disponible pour 97% des grossesses. Les naissances prématurées (avant 37 semaines d’aménorrhée) ont été classées en « spontanées » ou « induites médicalement », cette dernière catégorie incluant tous les cas de déclenchement du travail ou d’accouchement par césarienne avant le début du travail.

Le Comité consultatif de protection des personnes dans la recherche biomédicale de la Guadeloupe a émis un avis favorable sans restriction pour l’étude Timoun en septembre 2004.

Analyse statistique

Facteurs de risque sociodémographiques et médicaux de prématurité

L’analyse des facteurs de risque sociodémographiques et médicaux de prématurité a porté uniquement sur les femmes de la cohorte Timoun nées aux Caraïbes (n=958) et après exclusion des naissances gémellaires, des cas de malformations majeures et des grossesses induites par procréation médicalement assistée, pour aboutir à un échantillon d’étude de 911 femmes 6. L’association entre les différents facteurs et le risque de prématurité (spontanée ou induite) a été étudiée grâce à un modèle de Cox de façon à prendre en compte les inclusions intervenues tard pendant la grossesse (troncature à gauche). Toutes les variables associées au risque de prématurité au seuil p<20% ont été incluses dans le modèle ; les variables âge maternel et niveau d’études ont été systématiquement forcées.

Chlordécone et prématurité

L’analyse du rôle de l’exposition au chlordécone pendant la grossesse sur le risque de prématurité a porté uniquement sur les femmes de la cohorte Timoun ayant donné naissance à un enfant vivant unique et ayant eu un prélèvement de sang lors de l’accouchement (n=818) 7. L’exposition au chlordécone a été définie à partir de la mesure de la concentration plasmatique (µg/L), à la fois par une variable catégorielle en quintiles et par une variable log-transformée après imputation des valeurs inférieures à la limite de détection. L’association entre l’exposition au chlordécone et la durée de gestation a été étudiée par régression linéaire multiple en ajustant sur le site d’inclusion, le lieu de naissance, le statut marital, le niveau d’études, l’âge, l’indice de masse corporelle (IMC) avant la grossesse et l’hypertension gravidique, variables choisies a priori comme susceptibles d’interférer dans la relation entre chlordécone et durée de gestation. Un modèle de Cox a été utilisé pour étudier la relation avec le risque de prématurité en incluant les mêmes variables d’ajustement.

Alimentation pendant la grossesse et prématurité

Le régime méditerranéen se réfère aux profils diététiques des régions oléicoles méditerranéennes, en Crète et au sud de l’Italie essentiellement. Il se caractérise par un ratio acides gras mono-insaturés/acides gras saturés élevé, une consommation modérée d’alcool (principalement sous forme de vin) et de produits laitiers (principalement sous forme de fromage), une consommation importante de fruits, légumes, légumineuses et céréales, et une consommation faible de viandes.

L’analyse de l’influence de l’alimentation pendant la grossesse sur le risque de prématurité a porté sur les 728 femmes de la cohorte Timoun ayant donné naissance à un enfant unique vivant et sans malformation majeure et ayant répondu au questionnaire alimentaire administré en suite de couches 8. Le score d’adhésion au régime méditerranéen (score RM, de 0 à 9) a été construit à partir des réponses au questionnaire alimentaire concernant la consommation de 9 grandes catégories d’aliments et adapté à la grossesse. Le score était élevé en cas de consommation forte (au-dessus de la médiane de la population) d’aliments considérés bénéfiques (légumes, légumineuses, fruits et noix, céréales, poisson, produits laitiers) et de consommation faible (en dessous de la médiane) d’aliments « à risque » (viande, volaille et alcool). L’association entre le score d’adhésion au régime méditerranéen et le risque de prématurité a été étudiée par régression logistique en ajustant sur le lieu de naissance de la mère, le statut marital, le niveau d’études, le site d’inclusion, l’IMC avant la grossesse, le gain de poids pendant la grossesse, l’apport calorique total et la consommation de tabac pendant la grossesse. Des modèles stratifiés en fonction de l’IMC et du sexe de l’enfant ont été construits.

Résultats

Facteurs de risque sociodémographiques et médicaux de prématurité

Dans notre population, 144 accouchements prématurés (15,8%) ont eu lieu, dont 68 spontanés et 75 induits (1 réponse manquante). La majorité des accouchements prématurés (94%) ont eu lieu après 32 semaines. Les facteurs de risque communs aux deux catégories de prématurité sont le fait de vivre sans conjoint dans sa famille et d’avoir un antécédent d’accouchement prématuré. Les facteurs de risque spécifiques à la prématurité spontanée sont un âge maternel >35 ans, des antécédents de lupus ou des épisodes d’infection urinaire pendant la grossesse. Les nouveau-nés féminins semblent moins à risque de prématurité spontanée. Le fait de vivre seule (dans sa famille ou non), l’hypertension artérielle gravidique, le diabète gestationnel ou l’asthme sont les principaux facteurs de risque de prématurité induite (tableau 1). Les infections vaginales n’étaient pas associées à une augmentation du risque de prématurité (Hazard Ratio HR=1,1 ; IC95%: [0,8-1,6]).

Tableau 1 : Analyse multivariée de l’association entre facteurs de risque sociodémographiques et médicaux et risque de naissance prématurée par sous-type dans la cohorte Timoun (Guadeloupe, France)
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Chlordécone et prématurité

Nous avons mis en évidence une relation dose-réponse entre la catégorie d’exposition au chlordécone et la durée de gestation, avec une diminution statistiquement significative (de l’ordre de 3 à 4 jours) pour les femmes appartenant aux 2 quintiles supérieurs d’exposition (tableau 2). En parallèle, le risque de naissance prématurée était significativement augmenté avec des catégories croissantes d’exposition et en lien avec l’exposition exprimée par une mesure continue. La forme des relations est identique quel que soit le type de prématurité (spontanée ou induite) considéré.

Tableau 2 : Hazard Ratio (HR) de prématurité en fonction de la concentration plasmatique maternelle de chlordécone (µg/L) dans la cohorte Timoun (Guadeloupe, France)
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Alimentation pendant la grossesse et prématurité

Cette analyse confirme la qualité de l’alimentation antillaise selon les critères du régime méditerranéen, avec des apports en légumes (283 g/j), fruits et noix (501 g/j) et poisson (88 g/j) en moyenne plus élevés que ceux rapportés dans les populations de femmes enceintes en Espagne ou en Grèce 9. Globalement, on n’observe aucune association entre le score RM et le risque de prématurité (tableau 3). En revanche, l’IMC de la mère modifie les relations, puisque le risque de prématurité est diminué (OR=0,7 ; IC95%: [0,6-0,9]) en lien avec une augmentation du score RM spécifiquement chez les femmes en surpoids ou obèses. Par ailleurs, le score RM et l’imprégnation par le chlordécone ne sont pas liés dans cette analyse et la relation entre exposition au chlordécone et risque de prématurité décrite dans le paragraphe précédent n’est pas modifiée par la prise en compte du score RM. Le score RM n’est pas lié non plus à une meilleure adéquation de la prise de poids pendant la grossesse compte tenu de l’IMC, conforme aux recommandations de l’Institute of Medicine américain.

Tableau 3 : Odds ratios de prématurité par unité du score de régime méditerranéen, stratifiés sur l’IMC maternel, et le sexe de l’enfant dans la cohorte Timoun (Guadeloupe, France)
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Discussion

Facteurs de risque sociodémographiques et médicaux de prématurité

Le taux de prématurité observé dans cette cohorte est plus élevé que celui rapporté dans les enquêtes périnatales françaises et ceci est probablement lié au recrutement majoritairement à la maternité du CHU de Pointe-à-Pitre (67%). Cet établissement est la seule maternité de niveau 3 de la région, ce qui peut conduire à sur-échantillonner les grossesses à risque. De fait, dans notre cohorte, les prévalences d’hypertension gravidique (12%) et de diabète gestationnel (9,7%) sont élevées, de même que la proportion de naissances prématurées induites (52%), lorsque l’on compare ces prévalences à celles observées en métropole : 4,9%, 6,8% et 33,6% respectivement dans l’enquête nationale périnatale 2010 1. La sélection de notre cohorte n’explique pourtant sans doute que partiellement ces différences entre les populations caribéenne et métropolitaine puisqu’elles sont également observées en métropole 2, et l’on peut donc considérer qu’elles reflètent la vulnérabilité particulière de cette population. Outre l’hypertension artérielle gravidique et le diabète gestationnel, conditions fréquentes et associées à un risque élevé de naissance prématurée, d’autres pathologies semblent contribuer à une augmentation du risque dans notre population : les infections urinaires (15,7%), l’asthme (10,4%) et le lupus (1,2%). Une revue récente estime que les infections pendant la grossesse, symptomatiques ou non, seraient responsables de 25 à 40% des accouchements prématurés, et il apparaît que ce sont les infections vaginales qui semblent contribuer le plus aux disparités entre taux de prématurité dans les populations d’ascendance africaine comparées aux autres populations 10. Or, dans notre étude, nous ne mettons pas en évidence d’excès de risque de prématurité associé aux infections vaginales mais plutôt en lien avec les infections urinaires. Le lupus et l’asthme ont été plus rarement étudiés en lien avec la prématurité. Dans notre étude, les femmes atteintes de lupus ont un risque plus élevé de prématurité spontanée ; cette relation a été précédemment expliquée par une fréquence plus élevée d’hypertension, de prééclampsie ou d’infections associées au lupus chez ces femmes 11, ce qui n’est pas le cas dans notre population. Nous observons également une augmentation du risque de prématurité (induite) chez les femmes asthmatiques. Des méta-analyses récentes 12 confirment cette association qui est potentiellement expliquée par une fréquence plus élevée de complications de la grossesse (prééclampsie en particulier) chez les femmes asthmatiques, par une plus grande sévérité de l’asthme, par des épisodes d’exacerbation ou enfin par une consommation plus forte de corticostéroïdes oraux. Il est également observé qu’une prise en charge active de l’asthme pendant la grossesse réduit considérablement le risque de naissance prématurée. Or, dans notre étude, les femmes asthmatiques ne présentent a priori pas plus de complications de grossesse que les non asthmatiques. Si le bénéfice de la vie en couple sur l’issue de la grossesse semble démontré 10, notre étude identifie une catégorie de femmes, importante dans la société antillaise, celle des femmes vivant sans conjoint mais dans leur famille et pour lesquelles le risque d’accouchement prématuré apparaît particulièrement élevé même après prise en compte de cofacteurs tels que l’âge ou le niveau d’études. Il est probable que ces femmes cumulent de nombreux facteurs de risque psychosociaux qui les rendent particulièrement vulnérables. Des investigations complémentaires en vue de caractériser le « profil » de vulnérabilité de cette catégorie de femmes, toujours apparent 25 ans après sa première évocation 13, paraît nécessaire.

Chlordécone et prématurité

Nos résultats suggèrent un impact possible de l’exposition chronique par le chlordécone sur une diminution de la durée de gestation. Elle est plausible compte tenu de l’action du chlordécone sur les récepteurs aux œstrogènes et/ou à la progestérone in vitro et in vivo, lesquels jouent un rôle déterminant dans le déclenchement de l’accouchement 14. Cette association est observée après prise en compte des autres facteurs de risque de prématurité et ce risque, s’il est avéré, est susceptible de contribuer au taux de prématurité élevé présent dans cette population. Des recommandations ont été mises en place depuis plusieurs années 4 en vue de réduire les apports alimentaires en chlordécone et donc l’imprégnation globale de la population.

Alimentation pendant la grossesse et prématurité

L’association entre un régime alimentaire de type méditerranéen et une diminution du risque de prématurité est observée pour la première fois spécifiquement chez les femmes en surpoids ou obèses. Ceci peut-être dû à leur grande fréquence (41%) dans notre cohorte de femmes enceintes en Guadeloupe. Certains constituants de l’alimentation méditerranéenne comme les acides gras n-3 polyinsaturés et leurs propriétés anti-inflammatoires, certains micronutriments (vitamines C et E, folates) peuvent avoir un impact sur la prématurité. L’impact plus particulier chez les femmes en surpoids ou obèses pourrait être lié à une réduction des troubles de la tolérance glucidique due à des apports plus faibles en glucides simples.

Conclusion

Nos travaux sur la cohorte Timoun en Guadeloupe confirment la vulnérabilité particulière de cette population vis-à-vis du risque de prématurité. Ils mettent en évidence une prévalence élevée des pathologies de grossesse augmentant le risque de prématurité. Cette situation, associée à des caractéristiques sociodémographiques spécifiques comme un âge maternel élevé ou une fréquence élevée de mères vivant seules, pourrait expliquer une grande part de l’excès de risque de prématurité en Guadeloupe en comparaison avec la métropole. La pollution environnementale par le chlordécone pourrait également contribuer à ce risque élevé. Nous suggérons également que le risque d’accouchement prématuré pourrait être réduit par l’adoption de comportements alimentaires adaptés chez les femmes en surpoids et obèses (qui sont par ailleurs à risque élevé d’hypertension gravidique et de diabète gestationnel). L’enquête nationale périnatale 2010 indique que le nombre de femmes enceintes en surpoids ou obèses a augmenté en outre-mer entre 2003 et 2010. Ce problème reste donc toujours d’actualité et pourrait même progresser.

Remerciements

Nous remercions nos financeurs (Direction générale de la santé, Inserm, Agence nationale de la recherche, Anses, Institut de veille sanitaire, Programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens), le personnel du CHU de Pointe-à-Pitre et les enquêteurs.

Références

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Citer cet article

Cordier S, Kadhel P, Rouget F, Multigner L. Facteurs de risque de prématurité en Guadeloupe : résultats de la cohorte Timoun. Bull Epidémiol Hebd. 2014;(34-35):567-72. http://www.invs.sante.fr/beh/2014/34-35/2014_34-35_2.html