Dépistage pré- et néonatal en France : faisons-nous bien ? Comment mieux faire encore ?

// Prenatal and newborn screening in France: are we doing well and how can we further improve?

Ségolène Aymé
Inserm US 14, Paris, France

Bien que le mot « dépistage » soit bien connu du grand public et jouisse d’une image très positive, perçu comme gage de bonne pratique et de prévention assurée, ceux qui travaillent dans le domaine de la santé publique savent bien que la réalité est autrement complexe.

Ce numéro du BEH est consacré à des dépistages collectifs en période prénatale ou néonatale, organisés en France. Les dépistages en période prénatale ont leur justification dans la possibilité d’informer les parents de l’affection dont souffre l’enfant à naître pour qu’ils puissent choisir de poursuivre ou non la grossesse, de préparer l’accouchement en milieu spécialisé si nécessaire, plus rarement, d’instaurer un traitement in utero. Les dépistages en période néonatale se justifient par la possibilité de traiter efficacement l’enfant pour prévenir ou diminuer l’intensité de l’affection dont il est atteint ; plus accessoirement, ils permettent d’informer précocement les parents d’un risque éventuel de récurrence lors d’une prochaine grossesse.

Le dépistage néonatal a une très bonne image dans le grand public car il exprime la volonté de donner toutes ses chances à l’enfant, alors que le dépistage prénatal reste un sujet de controverse, en raison du caractère systématique de l’approche qui introduit une notion d’intention collective de réaliser un diagnostic prénatal pouvant conduire à une interruption médicale de la grossesse. On peut pourtant avoir une autre lecture de l’approche par le dépistage prénatal, celle d’une pratique professionnelle qui tend à réduire les inégalités sociales car, sans une offre systématique, ce sont les personnes culturellement les plus favorisées qui ont recours aux tests disponibles.

Le dépistage collectif ne trouve sa justification que dans une amélioration de la morbidité et/ou de la mortalité, puisqu’il fait appel à la mobilisation de ressources collectives et qu’il s’adresse à des personnes non demandeuses. Pour qu’un dépistage soit justifié, il faut donc qu’il y ait un accord sur les bénéfices jugés conjointement du point de vue et des professionnels et des malades. Pour qu’un dépistage collectif soit justifié, il faut que la maladie dépistée constitue un problème de santé publique par le nombre de personnes concernées et/ou par la gravité de l’affection ; il faut aussi qu’existe une possibilité d’intervention efficace ou de décision importante dépendant du résultat du test ; il faut que le test soit performant ; il faut aussi que le bénéfice escompté s’adresse à la personne dépistée et non à des tiers ; il faut enfin que l’utilité clinique soit avérée. La participation au dépistage doit se faire sur une base volontaire, après information complète et intelligible des buts et conséquences du dépistage ; des recommandations doivent être publiées avant le début du programme ; des procédures de contrôle de qualité doivent être en place ; les moyens d’intervention doivent être définis et disponibles.

Très peu de programmes satisfont à tous ces critères. C’est dire comme il est indispensable d’évaluer les programmes de dépistage, leur bilan pouvant réserver des surprises. Cette évaluation doit porter sur les performances du test, les conditions de sa mise en œuvre en situation réelle (y compris de la mise en œuvre du traitement au long cours) et sur les problèmes organisationnels soulevés, et évaluer l’utilité clinique et sociale en prenant en compte les préférences des utilisateurs, surtout du point de vue des personnes concernées, au premier chef les femmes lorsqu’il s’agit de périnatalité.

Les articles de ce numéro documentent la complexité de la mise en œuvre des dépistages et de leurs conséquences.

L’article sur l’organisation du dépistage néonatal (M. Roussey et coll.) nous rappelle que la France a une approche très conservatrice (sans que ce mot soit péjoratif) du dépistage néonatal, car nous sommes parmi les pays occidentaux ayant le plus faible nombre de maladies dépistées systématiquement. En effet, nous nous en tenons aux dépistages dont le bénéfice est établi et non à ceux qui sont techniquement faisables. Les pratiques en Europe diffèrent très largement 1 et aucune harmonisation n’est actuellement envisageable, malgré des efforts en ce sens initiés par la Commission européenne. Seuls des domaines potentiels pour une collaboration entre États européens ont pu faire l’objet d’un accord 2. L’analyse des pratiques montre que le dépistage néonatal porte sur 2 à 29 maladies selon les États, sans aucun lien avec le niveau économique du pays. Elle montre aussi que si les actes techniques sont bien encadrés, le processus dans son ensemble est peu organisé dans la plupart des pays et les procédures d’information des parents peu définies. Dans ce contexte, le modèle français paraît particulièrement sérieux et organisé.

Deux articles portent sur le dépistage de l’hypothyroïdie congénitale. L’un montre que les données de dépistage peuvent aussi servir à la surveillance épidémiologique puisque cette affection est de plus en plus fréquente, ce qui appelle des enquêtes sur les déterminants de cette augmentation maintenant bien documentée (Y. Barry et coll.). L’autre montre que l’insuffisance d’adhésion au « traitement vie durant » de l’hypothyroïdie obère les bénéfices de ce dépistage (J. Léger et coll.).

L’article sur le dépistage prénatal des maladies infectieuses (E. Richaud-Eyraud et coll.) montre que l’adhésion des professionnels de santé aux recommandations sur les maladies à dépister peut être qualifiée d’insatisfaisante, puisque les dépistages prénataux obligatoires sont loin d’être systématiquement faits et qu’un dépistage non recommandé est pratiqué sur un quart des femmes enceintes. Quant au dépistage de la toxoplasmose, il est temps de revoir son opportunité, en raison des changements culturels et de modalités de consommation alimentaire qui font que de plus en plus de femmes enceintes ne sont plus immunisées (M. Tourdjman et coll.). Des conseils de prévention généralisés seraient maintenant plus coût-efficaces.

L’article sur le dépistage prénatal de la trisomie 21 démontre que les progrès techniques de ces dernières années ont permis d’augmenter la performance des tests, ce qui a eu pour conséquence de diminuer fortement le nombre de gestes invasifs consécutifs (F. Pessione et coll.).

Au total, ce numéro montre les différentes facettes de politiques complexes qu’il faut continuer à considérer comme telles, encadrer et évaluer pour les améliorer aux bénéfices des personnes malades, de leur entourage et de la santé publique.

Références

1 Cornel MC, Rigter T, Weinreich SS, Burgard P, Hoffmann GF, Lindner M, et al. A framework to start the debate on neonatal screening policies in the EU: an Expert Opinion Document. Eur J Hum Genet. 2014;22(1):12-7.
2 Newborn screening in Europe: Opinion of the EUCERD on potential areas for collaboration in Europe. http://www.eucerd.eu/wp-content/uploads/2013/07/EUCERD_NBS_Opinion_Adopted.pdf

Citer cet article

Aymé S. Éditorial. Dépistage pré- et néonatal en France : faisons-nous bien ? Comment mieux faire encore ? Bull Epidémiol Hebd. 2015;(15-16):228-9. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/15-16/2015_15-16_0.html