Tabac, grossesse et allaitement : exposition, connaissances et perceptions des risques

// Smoking, pregnancy and breastfeeding: exposure, knowledge and risk perceptions

Agnès Dumas1,2 (agnesdumas@free.fr)
1 Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP), Inserm U1018, Villejuif, France
2 Cermes3, UMR 8211, U988, Université Paris Descartes, EHESS, Villejuif, France
Soumis le 24.12.2014 // Date of submission: 12.24.2014
Mots-clés : Tabagisme | Grossesse | Allaitement | Comportement à risques | Perceptions des risques
Keywords: Smoking | Pregnancy | Breastfeeding | Risk behaviors | Risk perceptions

Résumé

Introduction –

La consommation de tabac pendant la grossesse représente un enjeu de santé publique important en raison des risques pour la santé de l’enfant à naître. Si la prévalence du tabagisme gravidique est bien connue, on sait peu de choses sur les connaissances et les perceptions des fumeuses vis-à-vis des risques qu’elles encourent, sur l’importance du tabagisme pendant l’allaitement ou sur l’exposition des femmes enceintes au tabagisme passif.

Méthode –

Une étude a été menée en 2012 par téléphone auprès d’un échantillon national de 3 603 femmes enceintes ou ayant récemment accouché.

Résultats –

L’usage quotidien de tabac au cours du mois écoulé concernait 16,1% des femmes enceintes et 13,4% des mères allaitantes. Parmi les femmes professionnellement actives, 10,2% ont déclaré être exposées à la fumée des autres sur leur lieu de travail. Un peu moins de la moitié des femmes concernées (49,4%) a bénéficié d’un aménagement de poste au cours de la grossesse. Lorsqu’elles étaient interrogées sur la nature des risques encourus, fumeuses et non-fumeuses évoquaient d’abord, de manière spontanée, de possibles « problèmes respiratoires » pour l’enfant. Pour 78,2% des fumeuses, le « stress » provoqué par le sevrage tabagique serait plus nocif pour l’enfant qu’une consommation modérée de tabac. Pour plus de la moitié des fumeuses (53,8%), les traitements de substitution nicotinique (TSN) seraient déconseillés pendant la grossesse.

Conclusion –

Les résultats soulignent la nécessité d’améliorer les connaissances des femmes sur les risques liés au tabagisme et sur les possibilités d’aide au sevrage pendant leur grossesse.

Abstract

Introduction –

Smoking during pregnancy is a major public health issue, especially considering the damages for the unborn child’s health. In France, statistics on smoking during pregnancy are available, but little is known about smokers’ awareness and perceptions, about exposure to second-hand tobacco or about breastfeeding smokers.

Method –

A telephone study was conducted in 2012 with a national sample of 3,603 pregnant women or mothers who had recently given birth.

Results –

Daily tobacco use in the previous month was reported by 16.1% of pregnant women and 13.4% of breastfeeding mothers. A total of 10.2% women reported being exposed to second-hand smoke in the workplace. Nearly half of these women (49.4%) benefitted from flexible work arrangements during pregnancy. The first kind of risks cited spontaneously by women, whether they smoked or not, were “breathing problems” for the child. The “stress” caused by smoking cessation was seen as more harmful for the unborn child than moderate smoking by 78.2% of smokers. More than half of the smokers (53.8%) believed that nicotine replacement therapy (NRT) is not recommended during pregnancy.

Conclusion –

The results highlight the need to improve women’s awareness on the tobacco-related risks and on cessation support services during pregnancy.

Introduction

Depuis près de 60 ans, les études épidémiologiques démontrent l’effet délétère du tabagisme gravidique. Un risque accru de mortalité est présent en tout début de grossesse, avec une augmentation du risque de grossesse extra-utérine ou de fausse couche spontanée. À la naissance, les enfants des fumeuses sont exposés à une augmentation du risque d’hypotrophie et de prématurité. L’élévation du risque est dose-dépendante et débute à partir de la consommation d’une cigarette (cg) par jour. Le tabac augmente de surcroît les risques d’un certain nombre de complications, elles-mêmes à l’origine de morts fœtales ou de prématurité, comme les hématomes rétro-placentaires, les placenta praevia et les ruptures prématurées des membranes 1.

Au cours du XXe siècle, les comportements des hommes et des femmes face à la cigarette se sont reproduits de façon comparable dans tous les pays industrialisés. « L’épidémie du tabac » a cependant connu une vitesse et une intensité variables selon les pays 2. Dans le sud de l’Europe, l’augmentation a été plus tardive et moins rapide. En France, la chute a été de surcroît plus lente que dans les autres pays européens, résultant en une hausse continue du tabagisme gravidique jusqu’au début des années 2000 3. En 2004, la France était ainsi le pays où l’usage de tabac pendant la grossesse était le plus élevé d’Europe, avec 21,8% de fumeuses au 3e trimestre de la grossesse 4. Une chute notable a été enregistrée depuis, avec 17,1% de fumeuses en 2010 5, plaçant la France au second rang des pays européens, juste derrière l’Écosse 6. La littérature converge par ailleurs pour montrer que les femmes qui fument pendant la grossesse sont généralement plus jeunes et plus socialement défavorisées que les non-fumeuses, que ces études aient été menées en France 7,8,9 ou ailleurs 10,11,12.

Plusieurs mesures ont été mises en place au cours des dix dernières années afin d’améliorer le dispositif de prévention français. La loi relative à la politique de santé publique de 2004 prévoit de soustraire toute femme enceinte non fumeuse à un environnement professionnel fumeur, en lui proposant un aménagement ou un changement de poste de travail, voire une interruption d’activité. Une saisine des inspecteurs du travail est possible en cas de litige. Une autre mesure importante réside dans l’interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif, en vigueur depuis 2007. Depuis 2010, le message à destination des femmes enceintes apposé sur les paquets de tabac, arboré théoriquement par un paquet sur 14, a été légèrement modifié et fait apparaître la photo d’un fœtus. Depuis 2011, l’Assurance maladie prend en charge les traitements par substituts nicotiniques (TSN) pour les femmes enceintes à hauteur de 150 € (par année civile et par bénéficiaire). Il faut noter que les TSN, qui disposent d’une autorisation de mise sur le marché pour les femmes enceintes depuis 1997, sont recommandés en seconde intention en cas d’échec des autres approches car, en comparaison du tabac, ils permettent d’éviter la toxicité liée à certains composants de la fumée de cigarette, en particulier celle du monoxyde de carbone. Cependant, une étude récente a montré que les TSN n’apportaient pas la preuve d’une efficacité significative dans l’aide au sevrage pendant la grossesse 13.

Si la prévalence du tabagisme gravidique est bien connue, on sait peu de choses sur les perceptions des fumeuses vis-à-vis des risques qu’elles encourent ou sur leur connaissance des recommandations données par les autorités sanitaires. De plus, peu d’études ont mesuré l’importance du tabagisme pendant l’allaitement ou l’exposition des femmes enceintes au tabagisme passif. L’objectif de cette étude était de mesurer les expositions prénatales et postnatales au tabac, d’évaluer les perceptions et les connaissances des femmes et d’identifier les facteurs les déterminant.

Méthodes

Cette étude a reposé sur la passation d’un questionnaire par voie téléphonique auprès d’un échantillon national de femmes enceintes et de mères. Le questionnaire était articulé autour de quatre modules, pour identifier 1) la prévalence de l’exposition prénatale et postnatale au tabac ; 2) la perception des risques ; 3) les connaissances des recommandations sanitaires ; 4) les connaissances des dispositifs d’aide et d’information. La formulation des items était la plus proche possible de celle du questionnaire de l’Enquête nationale périnatale (ENP) de 2010 à des fins de comparaison avec cet échantillon national de référence, notamment pour les données sociodémographiques.

Les interviews ont été réalisées à l’aide du système Cati (Computer Assisted Telephone Interviewing) par l’institut de sondage ViaVoice, du 9 mai au 21 juillet 2012. L’échantillon était stratifié sur la région de résidence, de manière à représenter l’ensemble du territoire métropolitain, et sur la situation vis-à-vis de la grossesse, de manière à être composé à égale proportion de femmes se trouvant au 2e trimestre, au 3e trimestre et de femmes venant d’accoucher (i.e., ayant accouché au minimum un mois avant l’étude et au maximum trois mois après). Les coordonnées des femmes ont été transmises par la société Family service, qui les collecte en échange d’offres promotionnelles et de coffrets cadeaux. Les numéros de téléphone étaient, pour chaque sous-échantillon, composés de lignes fixes (deux tiers des numéros) et de lignes portables (un tiers). Family service dispose dans ce cadre d’une autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (autorisation n° 305 971). Sur 6 330 femmes contactées et répondant aux critères d’inclusion, 3 603 ont accepté de participer (56,9%). Deux tiers des répondantes étaient enceintes au moment de l’enquête (66,3%) – 31,6% au 2e trimestre et 34,6% au 3e trimestre – et un tiers avait accouché (33,7%). En comparaison de l’échantillon national de référence, les répondantes étaient plus souvent multipares et on notait une faible sous-représentation des moins diplômées (i.e., avec un niveau d’études inférieur au bac). L’échantillon a donc été redressé sur les données de l’ENP 2010 de manière à améliorer sa représentativité. Ce redressement a porté sur la parité et le niveau d’études. Des analyses statistiques univariées (test du Chi2 et test t de Student) et multivariées (régressions logistiques) ont été réalisées à l’aide du logiciel IBM® SPSS® Statistics (V21).

Résultats

Les caractéristiques des participantes sont présentées dans le tableau 1. Parmi les mères, 62,2% ont déclaré avoir allaité leur enfant au cours du mois précédent.

Tableau 1 : Caractéristiques des participantes à l’étude (%)
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Exposition au tabac

Au cours du mois écoulé, 16,1% des femmes enceintes ont déclaré fumer, soit 50,2% des femmes qui fumaient avant la grossesse. La prévalence variait selon le stade de la grossesse : les fumeuses étaient 18,9% au 2e trimestre contre 13,4% au 3e trimestre (p<0,001). La proportion de fumeuses était identique en fin de grossesse et pendant l’allaitement, avec 13,4% de femmes ayant fumé et allaité leur enfant au cours du mois écoulé (contre 25,0% chez les mères n’ayant pas allaité).

Le tabagisme au cours de la grossesse était significativement plus important chez les moins diplômées, les femmes sans activité professionnelle et celles n’ayant pas de conjoint. Les femmes n’ayant pas prévu leur grossesse étaient également plus souvent fumeuses que les autres (17,0% vs. 12,5%, p<0,05). Dans les analyses multivariées, le lien avec l’absence de prévision de la grossesse disparaissait en faveur des liens avec le niveau d’études, la situation professionnelle et l’absence de conjoint (tableau 2).

Parmi les femmes ayant allaité leur enfant, le tabagisme était significativement plus important chez les moins de 25 ans (26,9%, p<0,001), les femmes inactives sur le plan professionnel (20,3% ; p=0,007), les femmes ayant un niveau d’études inférieur au bac (17,6% ; p=0,007) et plus encore chez les femmes sans conjoint (31,6% ; p<0,05). Après ajustement (tableau 2), aucun de ces liens ne persistait significativement.

Près des trois quarts des femmes (75,8%) ont exercé une activité professionnelle au cours de la grossesse. Avant leur grossesse, 10,2% des femmes en activité étaient régulièrement exposées à la fumée des autres sur leur lieu de travail. Les employées et les ouvrières étaient significativement plus exposées que les autres catégories socioprofessionnelles (respectivement 12,6% et 17,0% ; p<0,001). Parmi les femmes n’ayant pas changé de situation professionnelle au cours de leur grossesse (même entreprise, même poste), la moitié des femmes exposées n’avait pas bénéficié d’un aménagement de poste (50,6%). L’absence d’aménagement ne variait pas significativement selon la catégorie socioprofessionnelle.

Parmi les femmes en couple, 40,1% avaient un conjoint fumeur. Parmi ces derniers, 7,1% ont totalement arrêté de fumer pendant la grossesse de leur compagne. Au total, 9,1% des femmes ont dit avoir été exposées à la fumée d’autrui à leur domicile pendant leur grossesse, tous les jours ou presque (3,9%) ou occasionnellement (5,2%).

Tableau 2 : Odds ratios ajustés de la consommation de tabac durant la grossesse et  l'allaitement selon les caractéristiques sociodémographiques des femmes, France, 2012
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Perception des risques liés au tabagisme

La connaissance des effets du tabagisme gravidique était évaluée au travers d’une question ouverte (tableau 3). De manière spontanée, les femmes ont d’abord cité des problèmes respiratoires pour l’enfant (23,2%), des problèmes de croissance (19,8%), des risques de prématurité (13,9%) et de malformations (12,8%). L’ordre des réponses variait significativement selon la consommation de tabac, les fumeuses citant davantage les problèmes respiratoires, le retard de croissance et la prématurité par rapport aux autres types de risques (p<0,001).

Tableau 3 : Réponses spontanées des femmes à la question de la connaissance des risques liés au tabagisme gravidique, selon le statut tabagique pendant la grossesse (%), France, 2012
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Les perceptions des risques relatifs à divers seuils de consommation étaient également évaluées. Les femmes étaient plus incertaines vis-à-vis des risques liés à une consommation modérée (<5 cg/jour), par rapport aux risques liés à une consommation plus importante (≥10 cg/j). Le taux de femmes ne se prononçant pas passait ainsi de 7,1% à 13,8% entre les questions relatives à ces deux seuils de consommation. Parmi les répondantes, une consommation quotidienne ≥10 cg était perçue comme dangereuse par 98,2% des femmes, tandis qu’elles n’étaient que 80,5% à percevoir un risque pour une consommation inférieure à 5 cg par jour. Ce doute vis-à-vis des risques liés à une consommation modérée (<5 cg/j) était significativement moins important chez les moins de 25 ans (74,8% ; p=0,001), les ouvrières et les artisanes et commerçantes (respectivement 73,0% et 73,2% ; p<0,001), les femmes avec un niveau d’études inférieur au baccalauréat (75,3% ; p<0,001) et, en particulier, les femmes ayant consommé du tabac au cours du mois écoulé (66,5% ; p<0,001).

À la question, « pensez-vous qu’il est préférable pour une femme enceinte de continuer à fumer quelques cigarettes par jour pour ne pas être trop stressée par un arrêt brutal ? », 20,4% des femmes ne se sont pas prononcées. Pour près de la moitié des répondantes (46,6%), il vaut mieux fumer un peu que d’être stressée. Cette proportion était plus importante chez les femmes avec un diplôme inférieur au bac (49,6% ; p=0,001) et les 25-29 ans (51,2% ; p=0,001), et, nettement plus encore, chez les fumeuses (78,2%, p<0,001). Après ajustement (tableau 4), seule la consommation de tabac restait significativement liée à une moindre perception des risques (OR=3,2 ; p<0,001).

Tableau 4 : Odds ratios ajustés de la perception des risques liés au tabac et des bénéfices liés aux substituts nicotiniques (TSN) pendant la grossesse, selon les caractéristiques sociodémographiques des femmes, France, 2012
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TSN : pratiques et perceptions

Un quart des fumeuses (25,4%) a déclaré avoir utilisé des substituts nicotiniques pendant la grossesse (y compris pendant une grossesse précédente). L’usage de substituts était plus important chez les 30 ans et plus (30,6% ; p<0,05) et moindre chez les bénéficiaires de la Couverture maladie universelle (CMU) ou de l’Aide médicale d’État (AME) (13,2% ; p=0,007).

Près des deux tiers des fumeuses (63,3%) jugeaient les TSN efficaces, mais 85,7% les trouvaient trop chers. Seulement 31,9% des fumeuses savaient que les TSN pouvaient être partiellement pris en charge par l’Assurance maladie. Près de la moitié des femmes interrogées ignorait si les TSN étaient (ou non) déconseillés pendant la grossesse (47,6%). Parmi les répondantes, 64,4% estimaient qu’ils sont déconseillés, cette proportion tombant à 53,8% chez les fumeuses (p<0,001). Dans les analyses multivariées (tableau 4), la confiance vis-à-vis des TSN était plus forte chez les fumeuses et les femmes ayant un niveau d’études supérieur.

Connaissances des recommandations et des dispositifs

Pour 71,9% des femmes interrogées, le ministère de la Santé conseille d’arrêter de fumer pendant la grossesse, alors que pour 12,0% d’entre elles il est seulement conseillé de réduire la consommation ; pour 16,1% des femmes, aucune recommandation claire n’est donnée. Ces proportions n’étaient pas significativement différentes chez les fumeuses (respectivement 72,8%, 9,7% et 17,4%).

Un tiers des femmes interrogées a dit ne pas avoir remarqué les messages à l’attention des femmes enceintes sur les contenants de tabac (36,4%). Les fumeuses n’étaient que 13,6% à ne pas avoir remarqué le message qui leur était adressé (p<0,001). Pour 90,9% des femmes ayant vu le message apposé sur les paquets de tabac (« Fumer pendant la grossesse nuit à la santé de votre enfant »), celui-ci signifie qu’il est conseillé d’arrêter de fumer pendant la grossesse (et non simplement de réduire la consommation). Ce taux était identique chez les fumeuses.

Discussion

Dans la présente étude, 16,1% des femmes enceintes et 13,4% des mères allaitantes ont déclaré avoir fumé quotidiennement au cours du mois écoulé. Cette prévalence est légèrement inférieure à celle retrouvée dans l’ENP de 2010 (17%) au 3e trimestre de la grossesse 5. Il est cependant difficile de comparer les résultats de ces deux enquêtes puisque les données n’ont pas été obtenues selon les mêmes modalités de passation (enquête téléphonique vs. enquête en face-à-face) et qu'elles ne se rapportent pas aux mêmes populations (femmes interrogées au 2e trimestre ou au 3e trimestre vs. femmes interrogées en postnatal). Les résultats de la présente étude sur les caractéristiques des fumeuses sont néanmoins cohérents avec la littérature nationale 7,8,9 et internationale 10,11,12 qui montre que le tabagisme gravidique est prépondérant chez les plus jeunes et les plus défavorisées. La proportion de femmes exposées au tabagisme passif sur leur lieu de travail (10,2%) est assez proche de celle de 9% retrouvée dans une étude menée dans l’agglomération de Versailles en 2006 14, c’est-à-dire avant la mise en place de l’interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif. La présente étude est la première, à notre connaissance, à donner une estimation de la prévalence des fumeuses allaitant leur enfant en France.

Dans une étude multicentrique menée dans quatre régions françaises (Nord-Pas-de-Calais, Languedoc-Roussillon, Haute-Normandie et Île-de-France) sur les connaissances des fumeuses, les risques les plus fréquemment reconnus étaient la prématurité et un poids de naissance réduit. Là aussi, les connaissances variaient avec le niveau d’études ou le statut tabagique, 91% des titulaires du bac ou 84% des non-fumeuses citant le poids de naissance réduit, contre 76% des femmes n’ayant pas le bac ou 75% des fumeuses 8. À la différence de cette étude, les connaissances des femmes étaient évaluées au travers d’une question ouverte, et non pas par une question fermée demandant d’approuver une assertion. Les réponses données de manière spontanée suggèrent que la perception des risques est moins bonne que ne le laisse entendre l’étude de Grangé et coll., y compris chez les fumeuses. Les résultats traduisent au contraire une possible confusion entre les risques liés au tabagisme (pour le fumeur) et les risques liés à l’exposition prénatale à l’alcool, dans la mesure où plus de 40% des femmes ont d’abord cité des “problèmes respiratoires”, des “problèmes au cœur” des “malformations” ou des “problèmes neurologiques” comme risques pour l’enfant à naître. Des études qualitatives nord-américaines montrent, quant à elles, que la compréhension des risques s’avère assez faible, et ce à tous les niveaux de la hiérarchie sociale. Le lien entre le petit poids de naissance et la santé de l’enfant n’est pas forcément établi : il peut même être souhaité dans certains cas afin de faciliter l’accouchement 15. En outre, toutes ces études qualitatives soulignent le poids de l’expérience et celui de l’entourage dans la perception des risques. Ainsi, certaines femmes restent « sceptiques » devant les données scientifiques puisque leur propre expérience et celle de leur entourage « leur prouvent » que les bébés des fumeuses se portent aussi bien que les autres 15,16.

Cette étude comporte enfin certaines limites, au premier rang desquelles figure la nature déclarative des données. De surcroît, il convient de souligner le caractère approximatif de la mesure relative au tabagisme pendant l’allaitement, ces deux comportements n’étant pas forcément concomitants compte tenu de l’intervalle temporel assez large auquel tous deux se référaient (le mois écoulé).

Conclusion

En conclusion, les résultats de cette étude appellent à renforcer les dispositifs d’information existants, afin d’améliorer les connaissances des femmes. En particulier, il pourrait être utile de détailler les bases scientifiques sous-jacentes à la recommandation d’abstinence, en précisant les risques liés à un tabagisme gravidique modéré ou les implications que peuvent avoir la prématurité ou le retard de croissance intra-utérin pour la santé future de l’enfant. Les professionnels de santé (sages-femmes, gynécologues, obstétriciens et médecins généralistes), qui représentent un relais privilégié pour diffuser ces messages de santé publique auprès des femmes enceintes, pourraient bénéficier de formations ciblées les confortant dans ce rôle.

Remerciements

Cette étude a été soutenue par la Direction générale de la santé. Le redressement de l’échantillon a été réalisé grâce aux données de l’Enquête nationale périnatale, produite par la Drees et le ministère de la Santé, coordonnée par l’Unité 953 de l’Inserm et diffusée par l’ADISP-CMH.

Références

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Citer cet article

Dumas A. Tabac, grossesse et allaitement : exposition, connaissances et perceptions des risques. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(17-18):301-7. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/17-18/2015_17-18_4.html