Se mobiliser pour lutter contre le tabagisme

// Get mobilized to fight smoking

Pr Benoît Vallet
Directeur général de la santé, France

Le tabac, compagnon quotidien de près de 13 millions et demi de nos concitoyens et auquel s’enchainent chaque année près de 200 000 jeunes, reste une source de grandes souffrances que les soignants ne connaissent que trop. Générateur d’un décès sur cinq chez les hommes et d’un sur quatorze chez les femmes, il représente plus de vingt fois la mortalité routière et pourtant ne suscite pas la même indignation. Il faut donc en parler, encore et encore, et en étudier les ravages avec constance.

C’est ce dont se charge avec régularité le BEH. Ce nouveau numéro, publié à quelques jours du 31 mai, journée mondiale sans tabac, l’aborde dans deux articles.

L’un traite de l’usage des dispositifs de vapotage parmi les volontaires participant à la cohorte Constances (M. Goldberg et coll.). Si, grâce aux travaux de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) (1), on sait que l’usage quotidien de ces dispositifs concerne entre 1,2 et 1,5 millions de personnes en France, de très nombreuses questions restent posées. Les résultats préliminaires présentés ici précisent une donnée rassurante : l’usage de ces dispositifs relève presqu’exclusivement des populations actuellement ou anciennement consommatrices de tabac. Il est ainsi mis en évidence une proportionnalité de l’usage des dispositifs de vapotage avec l’exposition quantifiée au tabac. Ces résultats préliminaires de l’important outil de surveillance épidémiologique qu’est la cohorte Constances devront être confirmés lors d’analyses ultérieures. La question de la place des dispositifs de vapotage chez les fumeurs est un enjeu d’importance sur lequel la littérature scientifique ne permet pas encore de conclure. Si la Haute autorité de santé n’en recommande pas l’utilisation pour le sevrage tabagique 1, le Haut conseil de la santé publique, dans l’actualisation récente de son avis 2 considère qu’ils peuvent être envisagés comme une aide pour arrêter ou réduire la consommation de tabac des fumeurs, mais, a contrario, qu’ils pourraient aussi constituer une porte d’entrée vers le tabagisme et induire un risque de renormalisation de la consommation de tabac. Si un accès des fumeurs à ces dispositifs apparaît souhaitable, une prudence certaine reste donc de mise.

Le Baromètre santé est un autre outil d’importance de connaissance de l’état de santé de la population. Dans l’autre article de ce BEH (A. Pasquereau et coll.) est abordée, presque dix ans après le décret de novembre 2006 réglementant l’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, l’exposition encore importante au tabagisme passif. Alors que la question du tabagisme dans les lieux d’enseignement a fait l’objet de débats ces derniers mois, il est intéressant de se pencher sur la triste réalité des résultats mis en évidence par les équipes de Santé publique France : près des trois quarts des élèves et étudiants de plus de 15 ans déclarent avoir été exposés à la fumée de tabac des autres « à l’école, au lycée, à l’université ». Si l’interprétation précise de ces résultats doit rester prudente, ils montrent sans ambiguïté que la lutte contre la débanalisation du tabac dans les lieux d’enseignement doit être une priorité des années à venir. Alors que les indicateurs dont nous disposions ces dernières années montraient un respect plutôt élevé de la loi, des résultats inquiétants sont aussi mis à jour concernant les cafés, bars, pubs et discothèques. Ces chiffres, s’ils demandent à être confirmés, appellent à une meilleure application de la législation. Suite à la loi de modernisation de notre système de santé, les polices municipales bénéficient de nouvelles prérogatives pour faire respecter l’interdiction de fumer dans les espaces collectifs ainsi que l’interdiction de vente de produits du tabac aux mineurs. Je ne peux que les inciter à s’en emparer pleinement. Un autre résultat apparaît marquant : si 7,2% des cadres déclarent être exposés sur leur lieu de travail, ceci concerne quatre fois plus les ouvriers (28,2%). Il y a là une nouvelle illustration de l’importance des gradients sociaux dans les questions de tabagisme, dont la prise en compte au sein des entreprises apparaît comme une nécessité.

Avec la mise en place du programme national de réduction du tabagisme 2014-2019 3, la France s’est dotée d’un outil de santé publique abordant la réduction du tabagisme dans son ensemble. Disposant d’un objectif simple mais ambitieux, réduire le tabagisme quotidien de 10% d’ici à 2019, il travaille selon trois axes : protéger les jeunes de l’entrée dans le tabagisme, motiver et accompagner les fumeurs vers l’arrêt, agir sur l’économie du tabac. Son premier bilan annuel 4, qui vient d’être publié, permet de visualiser que la presque totalité des actions annoncées sont soit réalisées, soit engagées. Il s’agit, en particulier, de l’important chapitre tabac de la loi de modernisation de notre système de santé, du renforcement de la communication sur le thème du tabac et de l’amélioration de l’accessibilité des traitements de substitution nicotiniques. Si une dynamique réelle est engagée, elle ne suffit pas. Une mobilisation de tous, et particulièrement de l’ensemble des professionnels de santé, est nécessaire. C’est en abordant au quotidien avec tous leurs patients la question du tabac, de ses conséquences et des moyens de s’arrêter que les professionnels de santé pourront faire avancer notre société vers un avenir plus sain.

Références

1 Haute Autorité de santé. Arrêt de la consommation de tabac : du dépistage individuel au maintien de l’abstinence en premier recours. Recommandations de bonne pratique. 2014. http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1718021/fr/arret-de-la-consommation-de-tabac-du-depistage-individuel-au-maintien-de-l-abstinence-en-premier-recours
2 Haut Conseil de la santé publique. Bénéfices-risques de la cigarette électronique pour la population générale. Avis du 22 février 2016. http://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=541
3 Programme national de réduction du tabagisme 2014-2019. http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/PNRT2014-2019.pdf
4 Programme national de réduction du tabagisme 2014-2019. Rapport annuel 2015. http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_annuel_pnrt_2015.pdf

Citer cet article

Vallet B. Éditorial. Se mobiliser pour lutter contre le tabagisme. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(15):252-3. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/15/2016_15_0.html

(1) Devenu Santé publique France en mai 2016. :