Environnement social précoce, usure physiologique et état de santé à l’âge adulte : un bref état de l’art

// Early psychosocial environment, allostatic load and health during adulthood: A brief state of the art

Cyrille Delpierre1,2 (cyrille.delpierre@inserm.fr), Cristina Barboza-Solís1,2,3, Raphaele Castagné1,2, Thierry Lang1,2,4, Michelle Kelly-Irving1,2
1 Inserm UMR1027, Toulouse, France
2 Université Toulouse III Paul-Sabatier, UMR1027, Toulouse, France
3 Université du Costa Rica, San José, Costa Rica
4 Département d’épidémiologie, Hôpital Purpan, Centre hospitalo-universitaire, Toulouse, France
Soumis le 15.01.2016 // Date of submission: 01.15.2016
Mots-clés : Inégalités sociales de santé | Environnement social | Incorporation biologique | Charge allostatique
Keywords: Social inequalities in health | Social environment | Biological embedding | Allostatic load

Résumé

Le concept d’incorporation biologique de l’environnement, en particulier social, désigne la façon dont le social devient biologique. Une incorporation biologique différentielle en fonction des groupes sociaux, en réponse à des environnements socialement différenciés, pourrait expliquer en partie comment se construisent le gradient social de santé et donc in fine les inégalités sociales de santé. Une question clé est de savoir comment mesurer la réalité physiologique ou l’expression biologique de cette incorporation chez l’humain.

Le concept de charge allostatique (CA) renvoie à l’idée d’une usure biologique globale, découlant de l’adaptation à l’environnement via les systèmes de réponse au stress. La CA représente ainsi le prix payé par l’organisme au cours du temps pour s’adapter aux demandes de l’environnement. En pratique, la CA correspond à une mesure composite de divers systèmes physiologiques. Les résultats de la littérature, incluant des travaux que nous avons menés à partir de cohortes britanniques, montrent une capacité de la CA à prédire la santé future meilleure que chacun des biomarqueurs la composant pris séparément, ou que d’autres scores composites comme le syndrome métabolique. Les études portant sur les déterminants sociaux de la CA retrouvent par ailleurs un gradient social de la CA, se construisant dès l’enfance et tout au long de la vie. La CA pourrait donc être un proxy pertinent de l’incorporation biologique des environnements, notamment sociaux. Il reste néanmoins un certain nombre de questions qui méritent attention avant l’opérationnalisation en pratique courante de la CA dans une perspective d’interventions de santé publique, en particulier la validité des systèmes et des biomarqueurs utilisés et la prise en compte de l’aspect dynamique de cette mesure.

Abstract

The biological embodiment of the environment, in particular the social environment is a concept that refers to how the social becomes biological. A socially stratified biological embedding occurs in response to socially distributed environmental factors. This may partly explain how the social gradient in health and ultimately social inequalities in health are built over time. A key question is how to measure the physiological reality or the biological expression of this embodiment in humans.

The concept of allostatic load (AL) refers to the idea of a global physiological wear and tear resulting from the adaptation to the environment through the stress response systems. It represents the price paid by the body over time to adapt to environmental challenges. In practice, AL corresponds to a composite measure of various physiological systems. The literature, including the work we have done using British birth cohorts, shows that AL is better at predicting subsequent health than each biomarker analyzed separately or than other composite scores like metabolic syndrome. Moreover, studies on the social determinants of AL have observed that AL followed a social gradient starting in childhood and through adulthood. AL could thus be a relevant proxy for the biological embedding of the social environment. A number of issues need attention before operationalizing AL in practice. The definition, inclusion and validity of identified physiological systems, the selection of biomarkers and the dynamic aspect of this measure all require consideration, especially in relation to public health implications.

Introduction

Cet article a pour objet de proposer une courte synthèse sur le concept d’incorporation biologique de l’environnement social ou, plus largement, sur la façon dont le social devient biologique. Dans un premier temps, cette synthèse présente et définit le concept d’incorporation et son intérêt dans l’analyse de la construction du gradient social de santé, avant d’en proposer une mesure à travers la charge allostatique et de discuter les limites et opportunités qu’un tel concept apporte au champ de l’analyse des inégalités sociales de santé. Cette synthèse se base sur les résultats majeurs de la littérature de ce domaine et insiste plus précisément sur certains travaux menés dans notre équipe.

Inégalités sociales de santé et incorporation biologique

Le rôle des déterminants sociaux sur l’état de santé et l’existence d’un gradient social de santé sont largement démontrés dans la littérature. Les travaux d’épidémiologie biographique (ou « lifecourse epidemiology ») ont permis de mettre en évidence, à partir de données de cohortes, l’influence de l’environnement socioéconomique, notamment précoce, sur l’état de santé adulte. Cette influence persiste après prise en compte de la situation socioéconomique et des comportements à risque à l’âge adulte 1,2,3. Des travaux antérieurs de notre équipe ont ainsi mis en évidence un lien indépendant entre niveau socioéconomique précoce, évènements stressants pendant l’enfance et le risque de décéder ou de déclarer un cancer avant 50 ans, après ajustement sur des facteurs confondants tels que certains facteurs périnataux (poids à la naissance, allaitement maternel) ou sur des facteurs de médiation tels que les comportements de santé ou la situation socioéconomique à l’âge adulte 4,5. Au-delà des difficultés méthodologiques dans l’analyse, comme sur l’analyse de la médiation ou encore la non prise en compte de facteurs de confusion, une explication plausible est que l’environnement psychosocial de l’enfant pourrait modifier certains processus biologiques au cours du développement, en lien avec les systèmes de réponse au stress, et impacter ainsi la santé future.

L’impact de l’environnement, ou plus exactement des environnements (physique, chimique, social…) sur nos systèmes biologiques peut être résumé par le concept d’incorporation (« embodiment »). Krieger le décrit comme « la façon dont nous incorporons, comme tout organisme vivant, littéralement, biologiquement, le monde dans lequel nous vivons, y compris nos circonstances sociétales et écologiques » 6. La notion d’incorporation renvoie au fait que chaque être humain est à la fois un être vivant social et biologique qui incorpore le monde dans lequel il vit tout au long de sa vie.

En conséquence, un environnement socioéconomique défavorable pourrait influencer le développement de maladies en modifiant certains processus biologiques. Dans les années 1990, Barker a montré qu’un retard de croissance intra-utérine était associé à un risque accru de maladies cardiovasculaires et métaboliques à l’âge adulte, introduisant le concept de l’origine fœtale des maladies (DOHaD: Developmental Origins of Health and Disease7. Ce concept, largement démontré à la fois au niveau épidémiologique et au niveau biologique sur des modèles animaux, repose sur le fait que les conditions environnementales au cours de fenêtres spécifiques, sensibles du développement peuvent avoir des effets biologiques sur le long terme. Des travaux ont néanmoins montré qu’une trajectoire sociale ascendante était liée à un meilleur état de santé plutôt que de rester dans un groupe social défavorable tout au long de sa vie, suggérant qu’il existe des facteurs pouvant améliorer la santé des personnes nées dans un milieu social moins favorisé. Même si certaines périodes de la vie sont plus sensibles que d’autres aux variations induites par l’environnement, du fait d’une plus grande plasticité et d’une plus grande cinétique de développement, le phénomène d’incorporation biologique ne se limite donc pas uniquement aux premières années de vie mais constitue un processus continu tout au long de la vie.

Si l’incorporation biologique se réfère à la notion, partagée par tous les êtres vivants, d’adaptation à son environnement, y compris social, l’incorporation biologique peut en partie expliquer le gradient social observé pour la grande majorité des maladies chroniques 8. Une question clé est alors de savoir comment mesurer la réalité physiologique ou l’expression biologique de cette incorporation chez l’humain.

Incorporation biologique et charge allostatique

Notre environnement est hautement variable, exigeant une adaptation permanente des systèmes physiologiques. Cette adaptation par le changement est cruciale pour la survie et définit l’allostasie 9. Trois principaux systèmes, nerveux, endocrinien et inflammatoire/immunitaire, sont impliqués dans le processus d’allostasie et connaissent tous une phase de maturation s’étalant de la période pré/postnatale à l’âge adulte 10,11. Les expositions chroniques à des facteurs de stress et les différences inter-individuelles dans la susceptibilité au stress sont toutes deux associées à une activation prolongée de ces systèmes allostatiques. Cela peut conduire, sur le long terme, à une surcharge allostatique avec des conséquences potentiellement néfastes en termes de santé. Le concept de charge allostatique est ainsi défini par McEwen et coll. : « La contrainte physique sur le corps, produite par les hauts et les bas répétés de la réponse physiologique, les changements dans le métabolisme et l’impact de l’usure sur un certain nombre d’organes et tissus, peut prédisposer l’organisme à la maladie. Nous définissons cet état de l’organisme comme la charge allostatique » 12. La charge allostatique (CA) renvoie à l’idée d’une usure biologique globale découlant de l’adaptation à l’environnement via les systèmes de réponse au stress. La CA est donc le prix payé par l’organisme au cours du temps pour s’adapter aux demandes de l’environnement.

En tant que mesure de l’incorporation biologique susceptible d’expliquer une partie des inégalités sociales de santé, la CA doit donc à la fois prédire l’état de santé futur et être liée aux stress dus à l’environnement social et donc, à ce titre, suivre un gradient social.

Charge allostatique et état de santé

En pratique, la CA est approchée par un score qui correspond à une mesure composite comprenant divers systèmes physiologiques afin de capturer une usure physiologique globale. La MacArthur Study of Successful Aging a été la première à proposer un score de CA 13. Les paramètres biologiques inclus devaient refléter l’activité de l’axe corticotrope ou être influencés par l’activité accrue des glucocorticoïdes et correspondaient à : la pression artérielle systolique et diastolique, le taux de lipoprotéines de haute densité (HDL) et de cholestérol total, le rapport taille-hanches, le taux sanguin d’hémoglobine glyquée totale, le taux sérique de déhydroépiandrostérone (DHEA-S), les taux urinaires de cortisol, d’adrénaline et de noradrénaline. Chaque biomarqueur a ensuite été dichotomisé en risque élevé et risque faible, dans chaque sexe. Le quartile à haut risque était le quartile supérieur de tous les biomarqueurs, à l’exception de ceux pour lesquels un faible niveau confère un risque accru de mauvais résultats de santé (exemple : HDL). Certaines variantes peuvent être trouvées dans la littérature, mais les marqueurs les plus couramment utilisés sont associés à des maladies cardiovasculaires et métaboliques, à l’activité de l’axe HPA (pour hypothalamic-pituitary-adrenal axis ou axe corticotrope), du système nerveux sympathique et du système inflammatoire 14.

Notre équipe a ainsi développé un score de CA à partir des données de suivi de plus de 17 000 Britanniques nés en 1958 et interrogés à intervalles réguliers depuis leur naissance jusqu’à l’âge de 50 ans (1958, National Child Development Study – NCDS Cohort). À partir de l’échantillon ayant participé à l’enquête biomédicale à 44 ans, un score composite de CA combinant 14 biomarqueurs représentant quatre systèmes physiologiques a été créé, choisis à partir de la littérature et selon la preuve de leur relation à des conditions stressantes : le système neurœndocrinien (cortisol), le système immunitaire et inflammatoire (CRP, fibrinogène, IgE, IGF-1), le système métabolique (HDL, LDL, triglycérides, hémoglobine glyquée), les systèmes cardiovasculaire et respiratoire (pression artérielle systolique et diastolique, fréquence cardiaque, débit expiratoire de pointe) 15.

En accord avec le concept d’un effet physiologique global, ces différents scores de CA ont été identifiés comme de meilleurs prédicteurs de mortalité, de morbidité et de limitations fonctionnelles que chacun des biomarqueurs individuels composant la CA pris séparément 13 ou que d’autres scores composites comme le syndrome métabolique 16,17,18,19,20,21,22.

Dans un travail en cours, la CA à 44 ans, telle que nous l’avons définie dans la cohorte NCDS de 1958, est liée à la mortalité entre 44 et 50 ans et à la santé perçue à 50 ans, même après ajustement sur les caractéristiques socioéconomiques (éducation, emploi, statut marital), les comportements à risque (tabac, alcool, indice de masse corporelle (IMC)), niveau de dépressivité ou encore le fait d’être traité pour une pathologie en lien avec un des systèmes physiologiques inclus dans la CA.

L’ensemble de ces résultats est donc en faveur d’une capacité de la CA à prédire l’état de santé futur.

Déterminants sociaux et charge allostatique

Les études sur les déterminants sociaux de la CA restent encore rares et de développement récent, mais retrouvent un gradient social de la CA similaire à celui observé pour les maladies chroniques, se construisant dès l’enfance et tout au long de la vie 23,24,25,26,27. Ce lien entre environnement social et CA semble notamment médié par des facteurs matériels (revenus, propriété de biens) et les comportements de santé (tabac) 28. D’autres recherches ont par ailleurs retrouvé un lien entre adversité psychosociale durant l’enfance et CA 29,30,31.

Dans un travail visant à expliciter les chaînes de causalité liant environnement psychosocial et économique précoce et CA à 44 ans en utilisant les données de la cohorte NCDS de 1958 (N=7 535), nous avons retrouvé un lien indépendant entre l’exposition à des adversités psychosociales durant l’enfance (combinant le fait pour un enfant d’être en foyer, exposé à une négligence physique, d’avoir des parents en contact avec les services pénitentiaires, séparés ou décédés ou ayant des problèmes de maladie mentale et/ou d’alcoolisme) et la CA à 44 ans, mesurée telle que précédemment décrite, ainsi qu’un lien indépendant entre le niveau socioéconomique précoce (éducation de la mère, catégorie socioprofessionnelle du père) et la CA. Les individus ayant été confrontés à plus de deux adversités psychosociales dans l’environnement familial durant leur enfance, comme ceux dont les parents avaient une position socioéconomique basse, avaient une CA à 44 ans plus élevée. Ce lien entre environnement adverse et score de CA élevé était médié par les comportements à risque (notamment le tabagisme et, dans une moindre mesure, l’IMC) et par un faible niveau socioéconomique à l’âge adulte (en particulier le niveau d’éducation), sans que ces facteurs suffisent à expliquer l’ensemble du lien observé 15,32.

Des travaux futurs sont donc nécessaires pour mieux caractériser les chaînes de causalité pouvant lier environnement social et CA, en abordant l’environnement dans une définition large incluant par exemple l’environnement physico-chimique ou encore l’environnement professionnel.

Un concept prometteur mais des points restent à préciser

En tant que proxy du coût global ou de l’usure résultant de l’adaptation à son environnement, la CA constitue un concept et un outil pertinents pour approcher la façon dont l’environnement, notamment social, pénètre sous la peau, ou encore comment le social devient biologique 33,34. L’étude de cette transition, de cette incorporation biologique des environnements, constitue un enjeu important pour mieux comprendre comment les déterminants sociaux influencent l’état de santé des individus et des populations humaines et comment se crée au cours du temps le gradient social de santé observé pour une grande part des principales maladies chroniques pourvoyeuses de mortalité dans nos sociétés 35. De plus en plus de données suggèrent que de nombreuses maladies chroniques, telles que les maladies métaboliques comme l’obésité, le diabète et les maladies vasculaires, ou encore la maladie d’Alzheimer/démences et les cancers, sont liées entre elles. Barabasi et coll. parlent de « human disease network » pour expliciter cette réalité biologique de réseau, qui se manifeste par des liens moléculaires et génétiques entre des pathologies cliniquement très différentes 36. De nombreux processus biologiques sont donc partagés entre diverses pathologies, ainsi que bon nombre de facteurs de risque, de nombreuses pathologies partageant ainsi des racines communes. Il existe ainsi une plausibilité biologique derrière les associations observées entre ces maladies, illustrant la notion d’usure globale, de déclin de la santé et de vieillissement au cours de la vie contenue dans le concept de CA.

La CA peut donc être un outil pertinent en tant que proxy de l’incorporation biologique des environnements, notamment socioéconomiques. Toutefois, certaines questions importantes méritent considération. En particulier, la façon dont le score de CA est construit et, au premier chef, les systèmes physiologiques représentés. La conceptualisation de la CA comme usure de plusieurs systèmes physiologiques implique que la mesure présente un équilibre des systèmes pertinents. Toutefois, les scores de CA les plus couramment utilisés sont fortement centrés sur les systèmes cardiovasculaires ou métaboliques, qui représentent souvent les seuls systèmes biologiques pour lesquels des données sont disponibles dans les cohortes, quand il en existe. Or, d’autres systèmes, comme les systèmes neurœndocrinien, inflammatoire et immunitaire, mériteraient d’être représentés. Une question principale est donc d’identifier les systèmes à intégrer dans la mesure, sachant que les systèmes physiologiques pertinents peuvent être différents en fonction des périodes de vie considérées et donc en fonction de l’âge, ainsi que les biomarqueurs à sélectionner pour mesurer au mieux l’état de chacun des systèmes choisis.

Se pose aussi la question de la « compétition des mesures » : il est en effet légitime de s’interroger sur les différences ou les complémentarités existant entre la CA et des marqueurs de vieillissement 37,38 ou de risque biologique cumulé 39 ou autres indicateurs de multicomorbidités. À l’heure de l’épigénétique, une autre interrogation est celle de l’échelle à laquelle on se situe pour définir la mesure : les marqueurs peuvent ainsi aller de marqueurs épigénétiques (méthylation de l’ADN), chromosomiques (longueur des télomères) aux « résultats de santé » (maladie, IMC, rapport taille-hanches). Dans le concept de la CA et la cascade d’évènements en lien avec la réponse au stress, certains marqueurs sont présentés comme des médiateurs primaires (cortisol, DHEA-S, catécholamines), d’autres comme médiateurs secondaires (HDL, niveau de glucose et plus généralement les « facteurs de risque biologiques ») et d’autres comme médiateurs tertiaires (IMC voire maladies) 40. Certains médiateurs sont plus variables que d’autres, et en particulier les médiateurs primaires, comme le cortisol, qui varient selon le rythme circadien et les stress aigus, alors que les médiateurs secondaires et a fortiori tertiaires sont plus stables. En fonction de la nature des biomarqueurs utilisés, nous ne mesurons donc pas la même chose quand à la chronicité des phénomènes ou leur globalité.

Par ailleurs, même en disposant de biomarqueurs pertinents, la création d’une information résumée sous forme de score reste un enjeu. Dans la pratique, la méthode la plus largement utilisée pour construire un score de CA est celle consistant à faire la somme de biomarqueurs dont la valeur se situe dans le quartile le plus élevé (ou le moins élevé en fonction de ce qui est considéré comme à risque) à partir de la distribution obtenue dans la population étudiée 41. Un tel score est alors dépendant des biomarqueurs disponibles, au risque de surreprésenter certains systèmes physiologiques comme les systèmes cardiovasculaires et métaboliques, car correspondant à des informations plus souvent disponibles. Il est possible de pondérer le score en calculant notamment des sous-scores par système puis en sommant ces sous-scores 23. Des méthodes plus sophistiquées comme le partitionnement récursif ou l’analyse canonique des corrélations ont été utilisées pour gérer la pondération et l’interrelation entre les biomarqueurs 41. Plus récemment, des approches basées sur l’analyse factorielle confirmatoire et la modélisation par équations structurelles ont été proposées pour « capturer » le concept latent que constitue la CA 39,42,43.

Enfin, le fait que le phénomène d’incorporation biologique soit un processus continu implique de pouvoir mesurer l’usure, et par conséquent la CA, de manière dynamique. Par ailleurs, le rôle potentiel de médiateur que peut jouer la CA entre la situation socioéconomique depuis l’enfance d’une part, et la morbi/mortalité d’autre part, requiert une approche biographique ou lifecourse, nécessitant des cohortes avec des longs suivis pour identifier des mécanismes ou des chaînes causales reliant environnement social, CA et santé ultérieure. Pouvoir faire face à ces enjeux nécessite de disposer de données longitudinales, sur de longues périodes, incluant un large panel de variables incluant à la fois l’environnement psychosocial et économique, mais aussi des échantillons biologiques, collectés de manière répétée, alors même que de telles cohortes ou bases de données restent rares, en particulier en France. Nous ne pouvons qu’insister sur la nécessité de développer, de maintenir et de favoriser l’accessibilité à de tels dispositifs, comme la cohorte Elfe en France, dans l’optique de mieux comprendre la genèse du gradient social de santé.

Conclusion

Le concept d’incorporation biologique de l’environnement, en particulier social, désigne la façon dont le social devient biologique. Une incorporation biologique différentielle en fonction des groupes sociaux en réponse à des environnements socialement différenciés pourrait expliquer en partie comment se construit le gradient social de santé et donc in fine, les inégalités sociales de santé. Une difficulté importante reste de mesurer ou d’approcher ce phénomène en pratique. Dans ce travail, nous présentons la CA comme un outil conceptuel et une mesure potentiellement utile pour approcher, en pratique, le phénomène d’incorporation biologique. La notion d’usure globale incluse dans le concept de CA a pour avantage de tenir compte des similitudes biologiques existant entre des pathologies chroniques diverses, et donc de s’intéresser à, voire d’intervenir sur, leurs racines communes dans une approche longitudinale tout au long de la vie, et notamment dès la petite enfance. Il reste néanmoins un certain nombre de questions qui méritent un examen plus approfondi avant l’opérationnalisation en pratique courante de la CA, dans une perspective d’interventions de santé publique, en particulier la validité des systèmes et des biomarqueurs utilisés pour construire ce score et la prise en compte de l’aspect dynamique de cette mesure.

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Citer cet article

Delpierre C, Barboza-Solís C, Castagné R, Lang T, Kelly-Irving M. Environnement social précoce, usure physiologique et état de santé à l’âge adulte : un bref état de l’art. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(16-17):276-81. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/16-17/2016_16-17_1.html