Mobilité quotidienne et déterminants territoriaux du recours au frottis du col de l’utérus dans le Grand Paris

// Daily mobility and neighbourhood determinants of screening for cervix cancer in the Greater Paris Area, France

Pierre Chauvin1 (pierre.chauvin@iplesp.upmc.fr), Medicoulé Traoré1, Julie Vallée2
1 Sorbonne Universités, UPMC Université Paris 06, Inserm, Institut Pierre Louis d’Épidémiologie et de santé publique (IPLESP UMRS 1136), Paris, France
2 CNRS, Université Paris 1, Université Paris 7, UMR Géographie-Cités, Paris, France
Soumis le 09.03.2016 // Date of submission: 03.09.2016
Mots-clés : Dépistage | Cancer du col | Inégalités sociales | Quartier | Mobilité
Keywords: Screening | Cervix cancer | Social inequalities | Neighbourhood | Mobility

Résumé

Environ 6 millions de frottis de dépistage du cancer du col utérin (FCU) sont réalisés annuellement en France, mais seulement 10% des femmes en bénéficieraient dans l’intervalle recommandé. Les inégalités socio-territoriales de ce dépistage sont donc importantes à étudier, pour elles-mêmes et pour le modèle qu’elles peuvent représenter en matière de recours à un dépistage médicalisé opportuniste. À partir des données de 2010 de la cohorte SIRS (Santé, inégalités et ruptures sociales) conduite dans les quatre départements centraux franciliens, nous avons étudié les déterminants territoriaux du recours au FCU en prenant en compte certaines caractéristiques individuelles des femmes (âge, niveau d’éducation, couverture maladie, vie de couple, espace d’activité) et en accordant une attention particulière aux différents quartiers qu’elles pouvaient être amenées à fréquenter quotidiennement.

Une analyse stratifiée sur leur espace d’activité montre que le fait d’habiter dans un quartier faiblement doté en médecins généralistes et gynécologues n’était associé à un risque significativement plus élevé de retard de dépistage que chez les femmes dont l’espace d’activité était restreint à leur quartier de résidence. Chez les femmes actives et mobiles, la densité médicale d’aucun des trois quartiers fréquentés étudiés n’était associée à leur recours au FCU, mais résider et se rendre régulièrement dans des quartiers aux faibles revenus était associé à un risque plus élevé de retard.

La prise en compte des effets de contexte pour mieux comprendre les inégalités infra-urbaines de santé est un enjeu de recherche qui, bien que mobilisant des concepts et des méthodes en pleine évolution, apporte déjà des enseignements pour la santé publique. Nos résultats mettent ainsi en lumière la situation particulière des femmes les plus défavorisées et les moins mobiles, pour lesquelles l’offre de soins de proximité est importante, et montrent, pour les autres, la limite de ne s’intéresser qu’aux seuls quartiers de résidence dans l’analyse des facteurs contextuels liés aux recours aux soins.

Abstract

Nearly 6 million screening tests for cervix cancer (STCC) are performed in France every year, but only 10% of eligible women would do it in the recommended time interval. The social and territorial inequalities of this screening deserve to be studied, not only for themselves, but also as a model of inequalities concerning opportunistic, medical, preventive care. Using the 2010 data of the SIRS (Health, Inequalities and Social Divide) cohort survey conducted in the Greater Paris area, we studied the neighbourhood factors associated with the absence of STCC during the last 3 years, taking into account some women’ characteristics (age, education level, health insurance, marital status, activity space) and the different neighbourhoods that they daily frequented.

A stratified analysis by activity space showed that being resident of a neighbourhood with a poor density of primary care practitioners and gynecologists was associated with a higher risk of absence of STCC only in women whose activity space was limited to their neighbourhood of residence. In active and mobile women, none of the medical densities measured in the three frequented neighbourhoods studied was associated with such a delay when living in and visiting regularly neighbourhoods that were both poor was associated with a higher risk of absence of STCC.

Studying contextual effects in order to better understand health inequalities in urban context constitutes an important research challenge. Even if it mobilizes rapidly evolving concepts and methods, it already provides useful lessons for public health. Our results highlight the specific situation of poor, less mobile women for whom primary care services, close to their home, are important. For the others, our result show how considering only their context of residence limit the analysis of the contextual factors associated with health care use.

Introduction

L’incidence et la mortalité du cancer du col de l’utérus étaient estimées respectivement à près de 2 800 cas et 1 100 décès en France en 2015 1. La mortalité a considérablement diminué depuis la diffusion à large échelle du dépistage par frottis cervico-utérin (FCU) dans les années 1970. Les recommandations françaises préconisent la pratique d’un FCU tous les trois ans après deux frottis négatifs à un an d’intervalle pour toutes les femmes âgées de 25 à 65 ans. Environ 6 millions de FCU sont réalisés chaque année en France, mais seulement 10% des femmes bénéficient d’un dépistage dans l’intervalle recommandé (40% des femmes sont dépistées trop fréquemment et 50% ne le sont pas, ou trop peu souvent) 2. Les inégalités socio-territoriales de recours au FCU sont donc importantes à étudier, à la fois pour elles-mêmes et pour le modèle qu’elles peuvent représenter en matière de recours à un dépistage médicalisé opportuniste en l’absence de dépistage organisé (expérimenté seulement dans 13 départements français depuis 2010). Nos objectifs étaient d’étudier les déterminants territoriaux du recours au FCU dans l’agglomération parisienne en accordant une attention particulière aux différents quartiers (résidence, travail, etc.) que les femmes peuvent être amenées à fréquenter quotidiennement.

Matériel et méthodes

L’enquête SIRS

Cette recherche s’appuie sur les données recueillies lors de l’enquête « Santé, inégalités et ruptures sociales » (SIRS) en 2010 auprès d’un échantillon aléatoire, stratifié à 3 niveaux, représentatif de la population majeure et francophone vivant à Paris et dans la première couronne de départements (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne) : 50 Iris (Ilots regroupés pour l’information statistique de l’Insee), 60 logements par Iris, puis 1 adulte par logement ont été tirés au sort. Cette personne était interrogée en face-à-face à domicile. L’enquête SIRS menée par l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), en partenariat avec le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) a été conçue pour collecter des données qui se prêtent à l’analyse épidémiologique, sociologique et géographique ; sa méthodologie a été décrite dans un précédent article 3 et certains de ses résultats ont déjà été publiés dans le BEH 4.

Données

Nos analyses ont porté sur deux échantillons de femmes : un premier échantillon comprenant l’ensemble des 1 800 femmes (N1) ayant participé à l’enquête SIRS (après exclusion de celles ayant subi une hystérectomie ; n=5), un second échantillon constitué des 704 femmes « actives et mobiles » (N2), c’est-à-dire ayant indiqué, en plus de l’adresse de leur résidence, celles de leur lieu de travail (ou d’études) et d’un troisième quartier régulièrement fréquenté.

L’ancienneté du dernier FCU était rapportée de façon déclarative par les femmes. Nous avons cherché à étudier les facteurs individuels et contextuels associés à l’absence de frottis dans les trois années précédant l’enquête (ce que nous avons également dénommé un « retard de dépistage » dans la suite de l’article).

Les caractéristiques individuelles étudiées étaient : l’âge (en quatre classes), le niveau d’éducation (en trois catégories), la couverture maladie (en deux catégories), la vie en couple (oui/non), et un indicateur mesurant l’espace d’activité des femmes. Les personnes ont en effet été interrogées sur l’inscription – totale, partielle ou nulle – de leurs activités domestiques (faire les courses alimentaires, utiliser des services tels que la banque ou la poste), sociales et de loisirs (voir des amis, se promener et aller au café ou au restaurant) dans ce qu’elles perçoivent comme leur quartier de résidence (sans définition a priori). Un score de concentration des activités dans le « quartier de résidence perçu » a ainsi été calculé 5. Il varie de 0 (pour les femmes ayant déclaré faire toutes les activités proposées en dehors de leur quartier de résidence) à 1 (pour les femmes ayant déclaré faire toutes les activités proposées dans leur quartier de résidence). Ce score est normalement distribué dans la population étudiée. Nous avons montré précédemment 5 que les caractéristiques associées à un score de concentration élevé étaient semblables chez les hommes et les femmes, à savoir un faible niveau d’éducation, un faible niveau de revenus, une nationalité étrangère, être chômeur, retraité ou inactif, avoir des limitations fonctionnelles, mais aussi vivre dans Paris intra-muros, dans des Iris aux revenus moyens élevés et/ou avec une forte densité de magasins. Pour la suite des analyses, les femmes du quintile le plus élevé (≥0,8) – c’est-à-dire dont l’espace d’activité était limité à leur quartier de résidence perçu – ont été comparées aux autres.

Les adresses de résidence des femmes et, le cas échéant, celles de leur lieu de travail ou d’études et du quartier le plus fréquemment fréquenté de façon régulière (en dehors des deux précédents) ont été géocodées dans un système d’information géographique. Pour la suite des analyses, les « quartiers » ont tous été définis comme la réunion de l’Iris où se situe l’adresse en question et des Iris adjacents. Deux caractéristiques de ces quartiers ont été étudiées : (1) la densité médicale en médecins généralistes et gynécologues (d’après la base permanente des équipements de l’Insee de 2011) pour 100 000 habitants (d’après le recensement de la population de 2011) et (2) le revenu moyen des ménages du quartier (d’après les données de la Direction générale des impôts de 2011). Ces deux variables ont été catégorisées selon les tertiles de leur distribution respective dans les deux échantillons étudiés. Un score de « richesse cumulée » des trois quartiers fréquentés a été calculé pour les N2 femmes : il correspond à la somme des rangs des tertiles de revenus moyens des ménages dans les trois quartiers fréquentés et varie de 3 (les trois quartiers fréquentés appartiennent au tertile inférieur de revenus moyens) à 9 (les trois quartiers appartiennent au tertile supérieur). De la même manière, un score de densité médicale cumulée des trois quartiers fréquentés a été calculé pour les N2 femmes. Pour chacun de ces deux scores, les femmes du tertile inférieur de ce score (≤5) ont été comparées aux autres.

Analyses statistiques

Toutes les proportions présentées ont été pondérées pour prendre en compte la stratégie d’échantillonnage de SIRS et calées sur marge par âge et sexe sur les données du recensement de la population de 2010. Toutes les analyses multivariées ont été conduites sur les données brutes. Celles prenant en compte le seul quartier de résidence (tableau 1 et 2) ont utilisé des modèles de régression logistique multiniveau permettant de modéliser simultanément les caractéristiques des individus (niveau 1) et celles de leurs quartiers de résidence (niveau 2). Une interaction entre le score individuel de concentration des activités dans le quartier de résidence et chacune des deux caractéristiques du quartier de résidence a été estimée sur l’ensemble des N1 femmes. Ces modèles multiniveau ont été estimés à l’aide du logiciel Stata® (commande xtmelogit). Les analyses multivariées prenant en compte les trois quartiers fréquentés conduites sur les N2 femmes « actives et mobiles » (tableau 3) ont été effectuées sous R, à l’aide de modèles de régression logistique simple : étant donnée la dispersion des individus dans ces différents quartiers, ces modèles ne sont pas multiniveau mais ont pris en compte l’échantillonnage par Iris (logiciel R, commande svydesign). Enfin, les associations avec les scores de richesse et de densité médicale cumulées (ajustées sur les cinq mêmes caractéristiques individuelles) ont été estimées séparément.

Résultats

L’analyse des données de l’enquête SIRS de 2010 révèle qu’une part non négligeable de la population échappe au dépistage du cancer du col de l’utérus, puisque 26,9% des femmes interrogées déclaraient n’avoir pas effectué de frottis au cours des trois dernières années.

Les facteurs individuels associés à un retard de dépistage (tableau 1) étaient relativement classiques et semblables à ceux décrits dans des analyses précédentes 5,6,7. Une pratique du dernier frottis remontant à plus de trois ans était significativement plus fréquente chez les femmes les plus jeunes et les plus âgées, ne vivant pas en couple, avec un faible niveau d’études et sans assurance ou mutuelle de santé complémentaire. Rappelons que ni la consultation médicale, ni l’analyse et la lecture du frottis ne sont pris en charge intégralement par l’Assurance maladie ; seul un des quatre départements concernés dans SIRS (le Val-de-Marne) a mis en place un dépistage organisé après la réalisation de l’enquête 8. Par ailleurs, comme nous l’avions observé précédemment avec les données SIRS de 2005 5, un espace d’activité restreint au quartier de résidence apparaissait, toutes choses égales par ailleurs, significativement associé à un risque plus élevé de retard de dépistage.

Tableau 1 : Caractéristiques individuelles et du quartier de résidence associées à l’absence de frottis cervico-utérin (FCU) au cours des trois dernières années chez l’ensemble des femmes interrogées (N1=1 800), Enquête SIRS, 2010
Agrandir l'image

Sur l’ensemble de la population étudiée (N1), on n’observe pas d’association significative entre les caractéristiques du quartier de résidence et l’ancienneté du dernier FCU. En revanche, une interaction entre l’espace d’activité et la densité en médecins généralistes et gynécologues du quartier semble intéressante à prendre en compte (p=0,076). En conduisant une analyse stratifiée en fonction de l’espace d’activité (ajustée sur l’âge, le niveau d’étude, la couverture maladie et la situation de couple des femmes), on estime que le fait d’habiter dans un quartier faiblement doté en médecins généralistes et gynécologues était associé à un risque significativement plus élevé de retard de dépistage chez les femmes dont l’espace d’activité est restreint à leur quartier de résidence, alors que ce n’était pas le cas pour les femmes avec un espace d’activité plus large (tableau 2).

Tableau 2 : Caractéristiques du quartier de résidence associées à l’absence de frottis cervico-utérin (FCU) au cours des trois dernières années dans l’ensemble de la population et en stratifiant selon l’espace d’activité des femmes, Enquête SIRS, 2010
Agrandir l'image

En se concentrant sur les N2 femmes « actives et mobiles » (dont 16,1% n’avaient pas eu de FCU au cours des trois dernières années), on constate que la densité médicale d’aucun des trois quartiers fréquentés n’était associée au recours de ces femmes au FCU (tableau 3), ni d’ailleurs le score cumulé de densité médicale (odds ratio ajusté, ORa=1,29 ; intervalle de confiance à 95%, IC95%: [0,69-2,43]). En revanche, le recours au FCU des femmes « actives et mobiles » était associé au niveau socioéconomique de leur quartier de résidence et au niveau socioéconomique du troisième quartier qu’elles fréquentaient régulièrement : si ceux-ci appartenaient au tertile le plus faible en termes de revenus moyens des ménages, alors le risque d’avoir un frottis datant de plus trois ans était significativement plus élevé (tableau 3). Par ailleurs, les femmes dont le score de richesse des trois quartiers fréquentés appartenait au tertile le plus faible avaient un risque plus élevé d’être en retard pour leur FCU que les autres (ORa=1,78 ; IC95%: [1,15-2,75]).

Tableau 3 : Caractéristiques du quartier de résidence, du quartier de travail ou d’études et du troisième quartier régulièrement fréquenté associées à l’absence de frottis cervico-utérin (FCU) au cours des trois dernières années chez les femmes rapportant ces trois types de quartiers (N2=704), Enquête SIRS, 2010
Agrandir l'image

Discussion

Nos analyses retrouvent une proportion de femmes en retard pour leur frottis de dépistage semblable à celle observée dans la France entière par le Baromètre cancer de 2010 9 et des association similaires à celles qui sont communément observées, avec des facteurs sociodémographiques comme la vie de couple, le niveau d’étude ou l’âge (même si les classes d’âge utilisées dans nos analyses – pour faire suite à nos travaux antérieurs 5,10 – ne coïncident pas avec celles des recommandations françaises). Elles soulignent, à l’instar de ce qui avait été montré avec les données de l’enquête SIRS de 2005 5, que les femmes dont l’espace d’activité est restreint ont un risque plus élevé d’être en retard pour ce dépistage et particulièrement celles qui, en outre, vivent dans des quartiers dont l’offre de soins est réduite. Ces résultats suggèrent que la préservation ou l’augmentation de l’offre de soins gynécologiques ambulatoires de proximité (en médecine générale ou spécialisée) est importante pour ces femmes peu mobiles, par ailleurs les plus vulnérables et les plus défavorisées. À l’inverse, notre étude montre aussi que le recours au FCU est plus souvent adéquat chez les femmes les plus mobiles (i.e. celles dont l’espace d’activité n’est pas limité à leur quartier de résidence et celles qui sont « actives et mobiles »). De fait, ces femmes, qui bénéficient d’une plus grande maîtrise de l’espace et, ainsi, d’un accès accru aux ressources de santé, sont aussi celles qui sont les plus favorisées socialement. À ce titre, il importe de noter que la mobilité quotidienne est aussi bien un témoin des inégalités sociales qu’un facteur qui peut exacerber les inégalités sociales de recours à ce soin de prévention.

Dans l’analyse du second échantillon des N2 femmes, on observe que les femmes actives et mobiles dont les destinations régulières de travail et d’activités quotidiennes sont situées dans les quartiers les plus défavorisés ont un moindre recours au FCU, et ce indépendamment de l’offre de soins. Les phénomènes de ségrégation socio-spatiale des espaces d’activité fréquentés sont donc en lien avec des comportements de recours différenciés, peut-être du fait d’interactions sociales moins propices à la connaissance, l’adoption, l’adhésion et/ou l’observance vis-à-vis de ce dépistage.

Plus généralement cette étude souligne les limites à ne considérer que le lieu de résidence dès lors qu’on cherche à mieux comprendre les mécanismes des inégalités sociales et/ou territoriales de recours aux soins constatées en Île-de-France, ou plus généralement dans tout environnement urbain 11,12.

D’un point de vie théorique et méthodologique, la prise en compte des effets de contexte pour mieux comprendre les inégalités infra-urbaines de santé pose des difficultés qui en font un enjeu de recherche en plein essor 13, notamment en ce qui concerne les échelles d’analyse les plus pertinentes. L’engouement pour travailler à l’échelle la plus fine possible n’est pas systématiquement justifié : rien ne permet en effet, de justifier que ce choix soit a priori le plus pertinent 14,15 puisqu’il dépend, entre autres, de la portée spatiale de chaque effet contextuel que l’on cherche à caractériser et des pratiques spatiales des individus. Il se trouve qu’en ce qui concerne notre sujet d’étude, des analyses complémentaires, mobilisant des quartiers de plus ou moins grandes tailles autour du lieu de résidence des individus, ont montré que l’échelle retenue ici (Iris + Iris adjacents) était celle qui maximisait les effets estimés 10. Pour autant, en considérant des unités spatiales qui sont les mêmes pour l’ensemble de la population, on tombe dans le piège d’une approche uniforme de l’espace (ce qu’on a appelé le « constant size neighborhood trap » 16), alors que nous avons montré que la taille des quartiers perçus varie selon la morphologie urbaine et sociale des espaces résidentiels mais aussi selon le profil sociodémographique des habitants et leurs rapports au quartier 17.

Conclusion

À travers l’exemple du recours au frottis du col de l’utérus dans l’agglomération parisienne, notre étude montre comment la mobilité quotidienne peut aider à la compréhension des inégalités socio-territoriales de recours aux soins. Nos résultats mettent en lumière la situation particulière des femmes les plus défavorisées et les moins mobiles, pour lesquelles l’offre de soins de proximité semble jouer un rôle déterminant dans le recours à un dépistage médicalisé comme celui du col de l’utérus. Pour les autres, nos analyses montrent la limite de ne s’intéresser, au contraire, qu’aux seuls quartiers de résidence dans l’analyse des facteurs contextuels liés aux recours aux soins. En milieu urbain, il est certain que les mobilités quotidiennes des populations sont telles que, d’une façon générale, l’accessibilité aux services de santé ne peut s’envisager qu’en prenant en compte les lieux d’activités quotidiens des habitants et l’effet cumulatif de ne fréquenter que des espaces peu favorisés.

Remerciements

Ces analyses font suite à un programme de recherche sur le dépistage des cancers féminins dans la cohorte SIRS, soutenu par l’Institut national du cancer (INCa) et l’Institut de recherche en santé publique (IReSP). L’analyse des multiples quartiers fréquentés a bénéficié du soutien de l’Agence régionale de santé (ARS) Île-de-France.

Références

1 Leone N, Voirin N, Roche L, Binder-Foucard F, Woronoff AS, Delafosse P, et al. Projection de l’incidence et de la mortalité par cancer en France métropolitaine en 2015. Rapport technique. Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire; 2015. 62 p. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=12753
2 Haute Autorité de santé. État des lieux et recommandations pour le dépistage du cancer du col de l’utérus en France. Saint-Denis: Haute Autorité de Santé; 2010. http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1009772/fr/etat-des-lieux-et-recommandations-pour-le-depistage-du-cancer-du-col-de-l-uterus-en-france
3 Chauvin P, Parizot I. Les inégalités sociales et territoriales de santé dans l’agglomération parisienne : une analyse de la cohorte SIRS (2005). Les cahiers de l’ONZUS. Paris: Délégation interministérielle à la Ville; 2009. 105 p. http://www.hal.inserm.fr/inserm-00415971
4 Grillo F, Soler M, Chauvin P. L’absence de dépistage du cancer du col de l’utérus en fonction des caractéristiques migratoires chez les femmes de l’agglomération parisienne en 2010. Bull Epidémiol Hebd. 2012;(2-3-4):45-7. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=10353
5 Vallée J, Cadot E, Grillo F, Parizot I, Chauvin P. The combined effects of perceived activity space and neighbourhood of residence on participation in preventive health-care activities. The case of cervical screening in the Paris metropolitan area (France). Health Place. 2010;16(5):838-52.
6 Grillo F, Vallée J, Chauvin P. Inequalities in cervical cancer screening for women with or without a regular consulting in primary care for gynaecological health, in Paris, France. Prev Med. 2012;54(3-4):259-65.
7 Rondet C, Lapostolle A, Soler M, Grillo F, Parizot I, Chauvin P. Are immigrants and nationals born to immigrants at higher risk for delayed or no lifetime breast and cervical cancer screening? The results from a population based survey in Paris metropolitan area in 2010. Plos One. 2014;9:e87046. http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0087046
8 Duport N, Salines E, Grémy I. Premiers résultats de l’évaluation du programme expérimental de dépistage organisé du cancer du col de l’utérus, France, 2010-2012. Bull Epidémiol Hebd. 2014;(13-14-15):228-34. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=12050
9 Eisinger F, Beck F, Léon C, Garnier A, Viguier J. Les pratiques de dépistage des cancers en France. In: Beck F, Gautier A, dir. Baromètre cancer 2010. Saint-Denis: Inpes; 2012. p. 207-38. http://inpes.santepubliquefrance.fr/Barometres/BaroCancer2010/telechargements.asp
10 Vallée J, Chauvin P. Investigating the effects of medical density on health-seeking behaviours using a multiscale approach to residential and activity spaces: results from a prospective cohort study in the Paris metropolitan area, France. Int J Health Geographics. 2012;11:54.
11 Chauvin P, Parizot I, Vallée J. Les inégalités sociales et territoriales de santé en milieu urbain : enseignements de la cohorte SIRS. Actualité et dossier en santé publique. 2013;(82):29-32.
12 Brondeel R, Weill A, Thomas F, Chaix B. Use of healthcare services in the residence and workplace neighbourhood: the effect of spatial accessibility to healthcare services. Health Place. 2014;30:127-33.
13 Chauvin P, Vallée J. Inégalités de santé: dimensions individuelles et contextuelles. Les Cahiers de l’IAU-îdF. 2014;(170-171): http://www.ors-idf.org/dmdocuments/2015/cahier/N12.pdf
14 Vallée J, Shareck M. Re: “Examination of how neighborhood definition influences measurements of youths’ access to tobacco retailers: a methodological note on spatial misclassification”. Am J Epidemiol. 2014;179(5):660-1.
15 Vallée J. Santé et échelles territoriales : les échelles territoriales pour diagnostiquer, comprendre et agir face aux inégalités de santé sont-elles les mêmes ? La Santé en Action. 2015;(434):30-1.
16 Vallée J, Le Roux G, Chaix B, Kestens Y, Chauvin P. The “constant size neighborhood trap” in accessibility and health studies. Urban Stud. 2015;52(2):338-57.
17 Vallée J, Le Roux G, Chauvin P. Quartiers et effets de quartier. Analyse de la variabilité de la taille des quartiers perçus dans l’agglomération parisienne. Ann Géo. 2016; 708: 119-42.

Citer cet article

Chauvin P, Traoré M, Vallée J. Mobilité quotidienne et déterminants territoriaux du recours au frottis du col de l’utérus dans le Grand Paris. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(16-17):282-8. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/16-17/2016_16-17_2.html