Inégalités socioéconomiques d’accès à la vaccination contre les infections à papillomavirus humains en France : résultats de l’Enquête santé et protection sociale (ESPS), 2012

// Socioeconomic inequalities to accessing vaccination against Human Papillomavirus in France: results of the Health, Health Care and Insurance Survey, 2012

Jean-Paul Guthmann1 (jean-paul.guthmann@santepubliquefrance.fr), Camille Pelat1, Nicolas Célant2, Isabelle Parent du Chatelet1, Nicolas Duport1, Thierry Rochereau2, Daniel Lévy-Bruhl1
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), Paris, France
Soumis le 09.02.2016 // Date of submission: 02.09.2016
Mots-clés : Couverture vaccinale | Papillomavirus humain | Dépistage du cancer du col | Facteurs socioéconomiques | France
Keywords: Vaccination coverage | Human papillomavirus | Cervical cancer screening | Socioeconomic determinants | France

Résumé

En France, les couvertures vaccinales (CV) du vaccin contre les papillomavirus humains (HPV) sont insuffisantes et en régression. Nous avons analysé les données de l’Enquête santé et protection sociale (ESPS) de 2012 afin d’explorer les facteurs socioéconomiques associés à cette vaccination et avons comparé le profil socioéconomique des jeunes filles non vaccinées par le HPV et des femmes non dépistées par frottis cervico-utérin (FCU). Les informations ont été recueillies par interview et auto-questionnaire auprès d’un échantillon aléatoire représentatif des bénéficiaires de l’Assurance maladie. Nous avons analysé d’une part les facteurs associés au dépistage par FCU chez les femmes âgées de 25-65 ans, d’autre part les facteurs associés à la vaccination HPV chez les jeunes femmes de 16-24 ans. Une sous-analyse a été réalisée sur 685 couples « filles-mères» d’un même ménage afin d’étudier l’association entre réalisation du FCU chez les mères et vaccination HPV chez les filles.

Les facteurs associés à un moindre dépistage par FCU et à une vaccination HPV insuffisante étaient le fait de ne pas disposer d’une couverture complémentaire maladie privée (p=0,023 et p=0,037, respectivement) et de vivre dans une famille à revenus faibles (p<0,001 et p=0,005, respectivement). Un faible niveau de diplôme était associé à un moindre dépistage par FCU (p<0,001). L’absence de dépistage de la mère par FCU dans les trois dernières années était associé à une moindre vaccination HPV chez leurs filles (p=0,014). Les femmes non dépistées et les jeunes femmes non vaccinées appartiennent plutôt aux catégories sociales les plus modestes. Ces jeunes femmes ont plus souvent des mères non dépistées. Elles risquent de ne bénéficier d’aucune des deux mesures de prévention du cancer du col. Les modalités actuelles de mise en œuvre de la vaccination HPV devraient être revues afin de réduire les inégalités concernant la prévention du cancer du col utérin.

Abstract

In France, human papillomavirus (HPV) vaccination coverage is low and decreasing. We analysed data from the 2012 Health, Health Care and Insurance Survey with the aim of identifying socioeconomic factors associated with this vaccination. We also compared the socioeconomic profile of unvaccinated young women to that of women who do not undergo cervical cancer screening (CCS). Data were collected through interviews and self-administered questionnaires completed by a randomized sample of health insurance beneficiaries. We analysed factors associated to CCS uptake in women aged 25-65 years old and factors associated to HPV vaccination in young women aged 16-24 years old. A sub-analysis was performed in 685 “daughter-mother” couples from the same household in order to analyse the association between participation to CCS in mothers and HPV vaccination in daughters.

Factors significantly associated both to a lower CCS uptake and to an insufficient HPV vaccination were the lack of a complementary private health insurance (p=0.023 and p=0.037, respectively) and the fact of living in a family with a low household income (p<0.001 and p=0.005, respectively). A low education level was associated to a lower CCS uptake (p<0.001). The absence of CCS uptake in the last three years in mothers was associated to a lower level of HPV vaccination in their daughter (p=0.014). Women who do not undergo CCS and HPV unvaccinated young women tend to be of modest socioeconomic status. Unvaccinated young females tend to have mothers who do not undergo CCS and are therefore at risk of benefiting from none of the two cervical cancer preventive measures. The current implementation strategy concerning HPV vaccination in France should be revised to reduce inequalities regarding cervical cancer prevention.

Introduction

La vaccination des adolescentes et jeunes femmes contre les infections par les papillomavirus humains (HPV) a été recommandée par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) en mars 2007 en prévention du cancer du col de l’utérus 1. Jusqu’en 2012, le schéma vaccinal comportait trois doses administrées selon un schéma 0-2-6 mois ou 0-1-6 mois selon le vaccin (il sera porté à deux doses en 2014) et ciblait les adolescentes âgées de 14 ans, avec un rattrapage jusqu’à 23 ans chez les jeunes femmes n’ayant pas débuté leur vie sexuelle ou dans l’année suivant le début de leur vie sexuelle. En 2012, le groupe cible était modifié, ciblant les adolescentes entre 11 et 14 ans, avec un rattrapage jusqu’à 19 ans révolus quelle que soit l’activité sexuelle. Cette recommandation était émise en complément du dépistage du cancer du col par le frottis cervico-utérin (FCU), qui doit être réalisé tous les trois ans après deux FCU initiaux normaux effectués à un an d’intervalle 2. Selon différentes sources, la couverture du dépistage était estimée entre 55% (données de remboursements) et 80% (enquêtes déclaratives en population) chez les femmes dans la tranche d’âge de 25 à 65 ans, avec une moindre couverture dans les groupes de niveau socioéconomique bas 3,4,5.

En France, la vaccination HPV est administrée quasi exclusivement en secteur libéral, au prix d’environ 110-120€ la dose selon la marque du vaccin. Le vaccin est acheté en pharmacie sous prescription médicale. Le FCU est souvent réalisé par un gynécologue au prix de 25-40€. En pratique, la quasi-totalité de la population est couverte par la sécurité sociale, qui rembourse 65% du prix du vaccin et du FCU. Les 35% restants sont remboursés par une mutuelle ou une assurance complémentaire, auxquelles sont affiliés plus de 90% de la population. La part (65%) du prix du vaccin remboursée par la sécurité sociale ne doit pas être avancée par la personne lors de l’achat, le payement étant effectué directement à la pharmacie par la sécurité sociale une fois que l’achat a été effectué.

L’évaluation et le suivi de la couverture vaccinale (CV) en France sont assurés par l’Institut de veille sanitaire, devenu Santé publique France en mai 2016, en collaboration avec d’autres institutions. Les données produites à partir de différentes sources 6 sont actualisées chaque année et diffusées à travers différents canaux, notamment sur le site Internet de Santé publique France 7. Le suivi de la CV des vaccins HPV est réalisé en routine à partir de l’échantillon généraliste des bénéficiaires (EGB) 6. Depuis sa recommandation en 2007, la vaccination des jeunes filles par le vaccin HPV est très insuffisamment mise en œuvre. Au 31 décembre 2015, moins de 15% de jeunes filles avaient reçu le schéma complet de vaccination à l’âge de 16 ans, cette proportion étant en baisse constante depuis 2011 7. Les couvertures HPV sont, pour la France, parmi les plus basses rapportées au Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (ECDC) par les pays de l’Union européenne 8.

Dans ce contexte, il paraît essentiel de s’interroger sur les raisons qui pourraient expliquer cette CV insuffisante. Nous avons analysé les données de l’Enquête santé et protection sociale (ESPS) conduite en 2012 par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes). L’objectif général de cette analyse était d’identifier des facteurs socioéconomiques et démographiques associés aux vaccinations HPV et au dépistage du cancer du col utérin par FCU. Nous avons en particulier voulu comparer, comme cela a été réalisé dans d’autres pays 9,10,11,12,13,14, le profil socioéconomique des jeunes filles vaccinées par le HPV et celui des femmes dépistées par FCU afin de savoir si ces profils se recoupaient, comme cela a déjà été montré 15. Enfin, nous avons analysé, au sein d’un même ménage, la relation entre vaccination HPV chez les jeunes filles et dépistage par FCU chez la mère.

Méthodes

Nous présentons les principaux aspects méthodologiques de ce travail qui ont été publiés en détail ailleurs 16.

Population d'étude

L’enquête ESPS portait sur un échantillon aléatoire de personnes âgées de 18 ans ou plus affiliées à l’un des trois grands régimes de l’Assurance maladie : Caisse nationale de l’Assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam-TS), Régime social des indépendants (RSI) et Mutualité sociale agricole (MSA), l’ensemble couvrant environ 85% de la population. En 2012, le taux de sondage était de 1/2 231e. Le dispositif ESPS 2012 interviewait les bénéficiaires majeurs ainsi échantillonnés, ainsi que tous les membres de leurs ménages, ce qui permettait d’inclure dans l’échantillon ESPS des bénéficiaires des régimes non représentés initialement, à savoir les Sections locales mutualistes (SLM) et les régimes spéciaux. Ainsi, seuls les bénéficiaires des ménages dont l’ensemble des membres était affilié à des régimes absents de l’échantillon ESPS initial ne sont pas représentés dans cette enquête. Ils sont estimés à moins de 5% des bénéficiaires. Selon l’Irdes, l’enquête ESPS est ainsi représentative d’environ 95% des personnes vivant en ménage ordinaire, c’est-à-dire excluant les personnes en institutions (maison de retraite, services hospitaliers de long séjour, centres d’hébergement, personnes sans domicile, en prison…) de France métropolitaine 16.

Informations recueillies

Des questions sur la vaccination HPV et sur le dépistage par FCU ont été incluses dans le questionnaire ESPS, qui collectait une très grande quantité d’informations. Les bénéficiaires sélectionnés ont répondu au questionnaire principal administré par l’enquêteur, par téléphone ou en face-à-face. Les informations recueillies comprenaient des informations sur le ménage et des informations individuelles concernant le bénéficiaire sélectionné et les autres membres du ménage. De plus, un auto-questionnaire a été envoyé à toute personne du ménage âgée de 15 ans et plus afin de recueillir des informations de santé non obtenues lors du questionnaire principal. Les questions relatives à la vaccination HPV (réalisation de la vaccination et nombre de doses) posées aux jeunes filles de 15 à 24 ans et celles touchant au dépistage (réalisation d’un FCU dans les 3 ou 5 ans et au-delà) posées à toutes les femmes de plus de 15 ans ont été incluses dans cet auto-questionnaire. L’enquête a été réalisée en deux vagues, la première au printemps (de mars à juin), la seconde à l’automne (de septembre à décembre), ce qui a permis de prendre en compte la saisonnalité de certaines pathologies (l’infection par le HPV n’était pas concernée par cette saisonnalité).

Analyse des données vaccinales et de dépistage

La base de données issue de l’enquête ESPS comportait 23 000 enregistrements. L’analyse sur le dépistage par FCU a porté sur 4 508 femmes âgées de 25 à 65 ans, cibles du programme de dépistage. L’analyse sur la vaccination HPV a porté sur 899 jeunes femmes de 16 à 24 ans ciblées par cette vaccination (nous avons fixé la limite inférieure de l’âge à 16 ans afin de donner une chance à une adolescente d’avoir reçu les trois doses de vaccin).

Une seconde analyse a été effectuée sur 685 paires « jeunes femmes de 16-24 ans – femmes de 25-65 ans » vivant dans le même ménage, ce qui a permis d’étudier l’association entre vaccination HPV chez les jeunes femmes (considérées comme les filles) et dépistage par FCU chez les femmes (considérées comme les mères) au sein du même ménage. Les ménages inclus dans cette analyse comprenaient une ou plusieurs jeunes filles, et une seule femme de 25-65 ans : la femme de référence (la mère la plus « probable »). Pour 23 ménages, il a fallu choisir la femme de référence parmi plusieurs femmes de 25-65 ans, puis éliminer les autres de l’analyse. Nous nous sommes pour cela aidés des liens de parentés entre la bénéficiaire tirée au sort et les autres membres du foyer. Dans quelques cas où la bénéficiaire tirée au sort était âgée de 25-65 ans, les liens de parenté n’ont pas permis de trancher : la bénéficiaire sélectionnée a alors été considérée comme la femme de référence.

Un poids de sondage a été attribué à chaque individu, redressé sur le sexe, l’âge, la taille du ménage, le régime d’assurance maladie et la couverture maladie universelle complémentaire (CMUc) par la procédure Calmar de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) 17. Les données ont été analysées par le logiciel Stata 12® (Statacorp, College Station, États-Unis), en utilisant la commande svy de Stata pour tenir compte du plan de sondage. Les deux principales variables à expliquer étaient le dépistage par FCU au cours des trois ans chez les femmes de 25-65 ans et la vaccination par trois doses de vaccin HPV chez les jeunes filles de 16-24 ans.

L’association entre variables à expliquer et variables socioéconomiques et démographiques a été explorée par des modèles de régression. Trente-trois variables socioéconomiques et démographiques concernant l’individu et son ménage ont été sélectionnées pour la recherche de facteurs associés. Ces variables ont été introduites dans un modèle et analysées par régression de Poisson avec variance robuste 18. Les résultats ont été exprimés par des rapports de prévalence (RP) avec intervalles de confiance à 95% (IC95%). La relation entre les variables quantitatives (âge, indice de masse corporelle (IMC), revenus du ménage par unité de consommation (RUC), nombre de personnes dans le ménage) et le logarithme des variables à expliquer a été modélisée par des polynômes fractionnaires de degré 2 19. Ceci permet de conserver la forme originale de la relation en ne lui imposant pas d’être linéaire, tout en évitant une catégorisation en niveaux arbitraires. Lors de l’utilisation des variables IMC et RUC dans le modèle sur le dépistage par FCU, nous avons exclu les individus dont le RUC était <100€/unité de consommation et ceux dont l’IMC était <10 ou >100 (valeurs aberrantes). L’analyse univariée a permis de sélectionner d’abord les variables associées à la variable à expliquer au seuil de significativité de p=0,20. Une procédure pas-à-pas ascendante a été utilisée pour finalement ne garder dans le modèle multivarié final que les variables significativement associées à la CV ou au dépistage au seuil de p=0,05. Des interactions plausibles entre variables présentes dans les modèles finaux ont été testées.

Résultats

Caractéristiques de la population étudiée

Les principales caractéristiques de la population étudiée sont présentées dans le tableau 1. L’âge médian des jeunes filles de 16-24 ans était de 20 ans et celui des femmes de 25-65 ans de 47 ans.

Tableau 1 : Principales caractéristiques de la population enquêtée (Enquête santé et protection sociale), France, 2012
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Facteurs associés au dépistage par FCU chez les femmes de 25-65 ans

Au total, 94,6% [93,9-95,3] des femmes avaient eu au moins un dépistage antérieur par FCU. Cette couverture était de 72% [70,2-73,1] sur trois ans et de 81% [79,7-82,2] sur cinq ans. Dans le modèle multivarié final, cinq variables restaient significativement associées au dépistage par FCU sur trois ans (tableau 2). Le recours au dépistage diminuait chez les femmes ne bénéficiant pas d’une couverture complémentaire maladie privée, ayant un niveau de diplôme bas, avec la diminution du revenu du ménage et l’augmentation de l’IMC. Le recours au dépistage augmentait avec le nombre de personnes vivant dans les ménages jusqu’à 4 personnes par foyer, et diminuait au-delà.

Tableau 2 : Variables associées au dépistage par frottis cervico-utérin (FCU) sur trois ans chez les femmes de 25 à 65 ans. Modèle multivarié (p<0,05). Enquête santé et protection sociale, France, 2012
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Facteurs associés à la couverture vaccinale HPV chez les jeunes filles de 16-24 ans, analyse individuelle

Au total, 30,8% [27,4-34,4] des jeunes filles âgées de 16 à 24 ans avaient reçu trois doses de vaccin HPV. Dans le modèle multivarié final, six variables restaient significativement associées à la vaccination HPV « trois doses » (tableau 3). Les jeunes filles ne bénéficiant pas d’une couverture complémentaire maladie privée et vivant dans des ménages aux revenus faibles étaient moins bien vaccinées. Les jeunes filles ayant un profil d’alcoolisation « consommateur à risque ponctuel », ainsi que celles vivant dans un foyer dont la personne de référence était un agriculteur exploitant, étaient mieux vaccinées. La CV variait significativement avec l’âge (augmentation jusqu’à 18-19 ans puis baisse) et avec le nombre de personnes vivant dans le ménage (augmentation jusqu’à 3-4 personnes puis baisse dans les ménages plus grands).

Tableau 3 : Variables associées à la couverture vaccinale HPV « trois doses » chez les jeunes filles de 16 à 24 ans, analyse individuelle. Modèle multivarié (p<0,05). Enquête santé et protection sociale, France, 2012
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Facteurs associés à la couverture vaccinale HPV chez les jeunes filles de 16-24 ans, analyse des paires « filles - mères »

Le modèle multivarié montrait une association au sein du ménage entre vaccination par trois doses de vaccin HPV et trois variables (tableau 4). L’absence de dépistage par FCU chez la mère dans les trois dernières années (ainsi que dans les cinq dernières années, données non présentées) et l’absence de couverture complémentaire maladie privée chez la jeune fille étaient associées à une plus faible vaccination. La CV variait selon l’âge, avec une augmentation entre 19 et 21 ans et une diminution ensuite. À noter que la variable RUC n’était pas associée à la vaccination HPV « trois doses » dans ce modèle (p=0,20).

Tableau 4 : Variables associées à la couverture vaccinale HPV « trois doses » chez les jeunes filles de 16 à 24 ans, analyse des paires « jeunes filles - mères » au sein des ménages. Modèle multivarié (p<0,05). Enquête Santé et Protection Sociale, France, 2012
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Discussion

Possibles biais

Dans notre enquête, plusieurs facteurs ont pu conduire à une surestimation de la couverture vaccinale HPV. Ceci est d’ailleurs démontré en comparant les données de notre enquête avec les estimations produites à partir des données de remboursement de vaccins 7. Trois raisons peuvent expliquer cette surestimation. D’une part, les personnes incluses dans l’enquête appartenaient aux ménages ordinaires acceptant d’y participer, lesquelles sont susceptibles d’être en meilleure santé que la population générale et donc mieux dépistées et mieux vaccinée 4,16. D’autre part, les enquêtes vaccinales déclaratives peuvent également être sujettes à des biais de conformisme social, où les participants peuvent avoir tendance à répondre ce qu’ils supposent être la réponse attendue par l’enquêteur, ici le fait d’avoir été vacciné. Enfin, dans notre enquête, le statut vaccinal HPV et le nombre de doses de vaccin n’étaient pas vérifiés sur un document écrit, ce qui a pu conduire à considérer une personne comme à jour de sa vaccination HPV alors qu’elle ne l’était pas. Pour toutes ces raisons, et bien que cela n’ait pas d’impact sur les mesures d’association, les estimations de couverture vaccinale HPV doivent être interprétées avec une certaine prudence.

Une moindre vaccination et un moindre dépistage dans les milieux socioéconomiques les plus modestes

Notre étude a mis en évidence une association entre niveau socioéconomique et vaccination HPV d’une part, dépistage du cancer du col par FCU d’autre part. L’absence de couverture complémentaire maladie privée et les faibles revenus du ménage étaient en effet associés à la fois à une plus faible vaccination HPV chez la jeune fille et à un moindre recours au dépistage par FCU chez la femme, celles-ci étant aussi les moins diplômées. Ce lien a déjà été établi en France pour le dépistage 3,4,5,20, alors qu’à notre connaissance seules deux études régionales ont étudié l’association entre couverture vaccinale HPV et facteurs socioéconomiques 21,22. Notre étude montre que les profils socioéconomiques des jeunes filles vaccinées et des femmes dépistées se recoupent et que les personnes non dépistées et non vaccinées appartiennent plutôt aux catégories sociales les plus modestes, observation ayant déjà été faite dans d’autres pays 15.

Une explication possible entre condition socioéconomique et dépistage par FCU/vaccination HPV pourrait être de nature purement économique. Il a été suggéré par exemple que, d’une part, les femmes de condition modeste fréquentent moins les médecins gynécologues et, d’autre part, que les femmes consultant un gynécologue ont une meilleure couverture de dépistage que les femmes consultant un médecin généraliste 2. L’hypothèse d’un lien économique est également plausible pour la vaccination HPV, la plus chère parmi celles recommandées dans le calendrier vaccinal français. Notre étude montre que les jeunes femmes non vaccinées ont une probabilité plus élevée de ne pas être affiliées à une complémentaire santé privée remboursant les 35% du prix du vaccin non remboursé par la sécurité sociale. Un revenu insuffisant du ménage était également indépendamment associé à une vaccination insuffisante.

L’association entre moindre vaccination et moindre recours au dépistage dans les catégories sociales les plus modestes pourrait aussi s’expliquer par des raisons de type comportemental, comme par exemple un moindre accès à l’information ou un recours moins fréquent aux comportements de prévention.

Une moindre vaccination des jeunes filles lorsque les mères n’ont pas été dépistées

Notre analyse a également mis en évidence une association entre vaccination HPV chez les jeunes filles et pratique du dépistage par FCU chez les mères. Les jeunes filles dont les mères n’avaient pas eu de dépistage dans les trois ans (ou dans les cinq ans, données non présentées dans cet article) avaient environ 2 fois moins de chances d’être vaccinées que les filles dont les mères avaient été dépistées. À notre connaissance, cette étude est la seule étude nationale française en population démontrant la relation entre pratiques du dépistage par FCU et vaccination HPV au sein d’une même famille. Elle confirme une étude basée sur les déclarations de médecins généralistes volontaires en Rhône-Alpes arrivant aux mêmes résultats 23. Elle montre pour la France ce que des études du même type ont montré dans d’autres pays 9,10,11,12,13,14. Nos résultats suggèrent que l’attitude des jeunes filles vis-à-vis de la vaccination HPV est liée au comportement de leur mère vis-à-vis du dépistage par FCU. Ce sont les femmes appartenant aux milieux socioéconomiques les moins favorisés qui se dépistent et se vaccinent le moins, et qui donc bénéficient globalement le moins des deux mesures de prévention du cancer du col utérin. Les raisons qui pourraient expliquer cette cohérence de comportements familiaux au sein d’un même milieu social sont discutées par Lefevere et coll. 10, en s’appuyant sur certaines études publiées sur le sujet. Il pourrait s’agir des mêmes attitudes, croyances ou valeurs concernant les mesures de prévention ou la crainte du cancer du col 24,25, celles-ci pouvant être conditionnées par un milieu soit stimulant, soit au contraire restreignant le recours à des comportements de prévention 26,27. Aussi, à travers la consultation d’un médecin pratiquant le dépistage du cancer du col, les mères pourraient être encouragées à faire vacciner leurs filles 24,28. Enfin, les familles appartenant aux milieux les plus favorisés pourraient être plus réceptives à des informations ou à des campagnes de dépistage par FCU et de vaccination HPV 29.

Impact de santé publique et conséquences en termes de politique vaccinale HPV

Notre étude a montré que les jeunes filles appartenant aux milieux socioéconomiques les moins élevés sont les moins bien vaccinées par le vaccin HPV. Elle a également montré qu’au sein d’une même famille, lorsqu’une mère n’est pas dépistée sa fille est plus souvent non vaccinée. On peut supposer que ces filles non vaccinées, qui auront demain les mêmes comportements que leurs mères ou qui rencontreront les mêmes obstacles au dépistage que leurs mères, seront elles-mêmes non dépistées dans le futur. Ces jeunes filles sont donc à risque de ne bénéficier d’aucune de ces deux interventions, demeurant ainsi sans aucune protection vis-à-vis du cancer du col. Ceci laisse présager un probable impact limité du programme de vaccination. Dans un contexte où la couverture vaccinale HPV est très insuffisante et même en baisse en France 7 et face aux inégalités socioéconomiques dans l’accès à cette vaccination constatées par notre étude, on peut s’interroger sur les modalités actuelles de mise en œuvre de la vaccination HPV. Si les groupes sociaux les plus modestes sont ceux qui accèdent le moins à cette vaccination, il est possible que la politique actuelle de vaccination universelle ne contribue ni à augmenter la CV ni à réduire les inégalités face à cette vaccination, inégalités qui risquent, au contraire, de se creuser davantage.

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Citer cet article

Guthmann JP, Pelat C, Célant N, Parent du Chatelet I, Duport N, Rochereau T, et al. Inégalités socioéconomiques d’accès à la vaccination contre les infections à papillomavirus humains en France : résultats de l’Enquête santé et protection sociale (ESPS), 2012. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(16-17):288-97. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/16-17/2016_16-17_3.html