Analyse des gains en santé de plusieurs scénarios d’amélioration de la qualité de l’air en France continentale

// An analysis of the health benefits of alternative scenarios of improved air quality in mainland France

Mathilde Pascal1 (mathilde.pascal@santepubliquefrance.fr), Perrine de Crouy Chanel1, Vérène Wagner1, Magali Corso1, Claude Tillier2, Malek Bentayeb1, Myriam Blanchard1, Amandine Cochet1, Laurence Pascal1, Sabine Host3, Sarah Goria1, Alain Le Tertre1, Aymeric Ung1, Pascal Beaudeau1, Sylvia Medina1
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Santé publique France, Cellule d’intervention en région (Cire) Bourgogne Franche-Comté, Saint-Maurice, France
3 Observatoire régional de santé Île-de-France, Paris, France
Soumis le 16.03.2016 // Date of submission: 03.16.2016
Mots-clés : Pollution de l’air | Mortalité | Particules fines | Évaluation quantitative d’impact sanitaire
Keywords: Air pollution | Mortality | Fine particulate matter | Quantitative assessment of health impact

Résumé

La pollution de l’air est désormais considérée comme la première cause environnementale de mort prématurée dans le monde. Des résultats récents d’études de cohortes ont permis d’affiner les estimations du risque de décès associé à l’exposition chronique aux particules fines (PM2,5) dans les populations européennes et françaises. Ces nouveaux résultats épidémiologiques ont été utilisés pour mettre à jour l’évaluation de l’impact des PM2,5 sur la mortalité en France continentale.

La méthode d’évaluation quantitative des impacts sanitaires a été utilisée, appliquée à un modèle estimant les concentrations moyennes annuelles de PM2,5 sur une grille de maille 2 X 2 km pour la période 2007-2008. Les gains en santé associés à différents scénarios d’amélioration de la qualité de l’air ont été calculés pour la France métropolitaine pour la période 2007-2008.

La pollution d’origine anthropique est responsable de 9% de la mortalité en France, correspondant à 48 283 [IC95%: 17 527-74 426] décès attribuables par an. Dans les zones urbaines de plus de 100 000 habitants, en moyenne, 15 [5-25] mois d’espérance de vie à 30 ans sont perdus en relation avec les PM2,5. Le poids des PM2,5 est également important dans les zones rurales (9 [3-14] mois de perte d’espérance vie en moyenne).

Si l’ensemble des communes de France continentale réussissaient à atteindre les niveaux de PM2,5 observés dans les 5% des communes les moins polluées de la même classe d’urbanisation, la mortalité pourrait diminuer de 7% et 9 [3-14] mois d’espérance de vie pourraient être gagnés en moyenne, représentant 34 517 [12 401-53 696] décès évités chaque année. Si aucune des communes ne dépassait la valeur guide de l’Organisation mondiale de la santé pour les PM2,5 (10 µg/m3), 17 712 [6 339-27 647] décès pourraient être évités chaque année. Le respect de la valeur 2020 de la réglementation européenne (20 µg/m3) pourrait permettre de sauver 11 [4-17] vies par an.

Ces résultats montrent que les différents scénarios envisagés de baisse des niveaux de pollution de l’air pourraient se traduire par des gains considérables pour la santé.

Abstract

Worldwide, air pollution has become a main environmental cause of premature mortality. Recent cohort studies have contributed to adjust estimates of health risks associated with chronic exposure to fine particulate matter (PM2.5) in European and French populations. These new epidemiological results were used to update the assessment of PM2.5 mortality impacts in mainland France.

The quantitative assessment method of health impacts was applied to PM2.5 annual concentrations modeled on a 2 km grid, for the 2007-2008 period. Health benefits associated with alternative scenarios of air quality improvement were computed for mainland France for 2007-2008.

Anthropogenic PM2.5 represents 9% of the total mortality in France, representing more than 48,283 [CI95%: 17,527-74,426] attributable deaths per year. In urban areas of >100,000 inhabitants, on average, 15 [5-25] months of life expectancy at 30 are lost because of PM2.5. The PM2.5 burden is equally large in rural areas; (9 [3-14] months of life expectancy loss on average.

If all municipalities were to reach the levels of PM2.5 observed in 5% of the least polluted ones of the same urban category, mortality could decrease by 7%, and 9 [3-14] months of life expectancy could be gained on average, representing 34,517 [12,401-53,696] avoided deaths each year. If none of the municipalities exceeded the World Health Organization guideline value for PM2.5 (10 µg/m3), 17,712 [6,339-27,647] deaths would be avoided each year. Compliance with the European 2020 regulatory value (20 µg/m3) could contribute to save 11 [4-17] lives per year.

These findings demonstrate that the different scenarios of air pollution decrease could result in considerable benefits for health.

Introduction

L’exposition à la pollution de l’air concerne l’ensemble de la population et favorise le développement de pathologies chroniques, ce qui se traduit par une augmentation de la mortalité, une baisse de l’espérance de vie et un recours accru aux soins. En particulier, les effets sanitaires des particules fines (PM) sont désormais documentés par de nombreuses études épidémiologiques 1.

En complément des études épidémiologiques étiologiques, les évaluations quantitatives d’impacts sanitaires (EQIS) permettent d’estimer les conséquences sanitaires attendues d’une modification des niveaux des polluants atmosphériques. La première EQIS menée en France dans le cadre d’une étude tri-nationale (Autriche-France-Suisse) avait estimé, en 1996, que les particules fines d’un diamètre aérodynamique inférieur à 10 µm (PM10) étaient responsables de près de 32 000 décès chaque année 2. Le programme européen Clean air for Europe (CAFE) avait pour sa part estimé, en 2000, que la pollution décrite par l’indicateur des PM2,5 d’origine anthropique était responsable de 42 000 décès par an en France 3. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Global Burden of Disease (GBD) 4 ont, quant à eux, estimé en 2010 que près de 16 900 décès pourraient être évités chaque année en France si les concentrations en particules fines d’un diamètre aérodynamique inférieur à 2,5 µm (PM2,5) ne dépassaient pas 10 µg/m3.

Toutes ces EQIS offrant des estimations de l’impact sanitaire global de la pollution particulaire en France mobilisent des données, des périodes, des zones d’études et des scénarios de réduction de la pollution de l’air différents. Des résultats épidémiologiques mieux adaptés aux populations européennes et françaises sont aujourd’hui disponibles, ainsi que des données environnementales cohérentes pour l’ensemble du territoire national continental.

Ces nouvelles données ont été utilisées ici pour mettre à jour les estimations de l’impact sanitaire au niveau national, étudier les variations régionales de la pollution de l’air et de son impact sur la santé, et pour apporter une information sur l’impact sanitaire de la pollution atmosphérique dans les zones non couvertes par les stations de mesures installées dans le cadre de la surveillance réglementaire de la qualité de l’air. Cette EQIS estime également les bénéfices attendus de diminutions des concentrations de PM2,5 selon différents scénarios.

Méthode

La méthode correspond à une extension de celle recommandée par l’Institut de veille sanitaire (1) en 2013 pour réaliser une EQIS à l’échelle d’une agglomération 5 à l’ensemble des communes de France continentale (communes correspondant au référentiel Insee 2008). Elle est résumée ici et décrite plus en détail par ailleurs 6. Cette méthode permet d’estimer les impacts de la pollution, toutes choses égales par ailleurs, sans considérer de délai entre l’amélioration de la qualité de l’air et l’observation des bénéfices sanitaires.

L’impact de l’exposition aux PM2,5 sur la mortalité a été calculé selon les équations de l’EQIS décrites dans le rapport d’étude 6 et les résultats ont été exprimés en nombre de décès évitables, en gain moyen en espérance de vie à 30 ans et en nombre total d’années de vie gagnées à 30 ans. Le nombre d’années de vie gagnées à 30 ans correspond, dans chaque commune, au gain moyen en espérance de vie à 30 ans multiplié par la population âgée de 30 ans vivant dans la commune en 2007-2008.

Les éléments nécessaires à la réalisation d’une EQIS sont les données environnementales et sanitaires, le risque relatif (RR) reliant concentration du polluant et effet sanitaire et les scénarios d’évolution des concentrations du polluant. Cette EQIS s’est concentrée sur les impacts des PM2,5 sur la mortalité toutes causes des 30 ans et plus, comme recommandé par l’OMS 7.

Évaluation de l’exposition

L’étude a exploité les données les plus récentes (2007-2008) du modèle Gazel-Air, qui fournit, pour la France continentale, des estimations des concentrations annuelles de PM2,5 pour la période 1989-2008 sur une maille de 2 km de côté. Ce modèle résulte de la mise en œuvre du modèle chimie-transport Chimere, dont les résultats sont disponibles sur une maille de 30 km pour l’Europe et de 10 km pour la France. Les données font l’objet d’un traitement statistique pour fournir une grille finale à 2 km. Le modèle prend en compte, entre autres, les principaux points fixes d’émission de pollution, les émissions des principaux axes routiers et les émissions biogéniques dues à la végétation 8. Les concentrations annuelles de PM2,5 sur la période 2007-2008 ont été estimées dans chaque commune française à partir des concentrations sur la grille de 2 km. Lorsqu’une commune est entièrement incluse dans une maille de la grille, la concentration estimée pour cette commune est celle de la maille, mais si une commune se situe à l’intersection de plusieurs mailles, la concentration est estimée par une moyenne pondérée par la surface de chaque maille du modèle recoupant le territoire de la commune. Les données de mortalité toutes causes et de population ont également été recueillies par classe d’âge à la commune auprès du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDC-Inserm) et de l’Insee, pour la période 2007-2008.

Choix du risque relatif

Le choix a été fait de privilégier les risques relatifs (RR) provenant des études les plus récentes analysant les effets des PM2,5 sur la mortalité totale dans des populations européennes et françaises : l’étude européenne Escape, qui inclut 22 cohortes 9, et l’étude française Gazel-Air, qui s’appuie sur des données de la cohorte Gazel 10. Ces études portent sur des participants européens et français âgés de plus de 30 ans.

Escape a rassemblé au total 22 cohortes européennes suivant 367 251 participants pendant en moyenne 14 ans, qui habitaient majoritairement dans des zones urbaines 9. Parmi eux, la cohorte E3N rassemblait des femmes résidant à Paris, Grenoble, Lyon et Marseille. Les concentrations moyennes de PM2,5 aux adresses des participants de l’ensemble des cohortes d’Escape variaient de 6 à 31 µg/m3 selon la cohorte. Escape estime un RR de 1,14 (intervalle de confiance à 95%, IC95% : [1,04-1,27]) pour une augmentation de 10 µg/m3 de PM2,5 9. La cohorte Gazel a rassemblé 20 327 participants résidant sur tout le territoire métropolitain, dont la moitié vivant dans des agglomérations de plus de 100 000 habitants. Les concentrations annuelles moyennes de PM2,5 au code postal des participants de la cohorte variaient de 4 à 29 µg/m3 en 1989, et de 2 à 21 µg/m3 en 2008. L’étude Gazel-Air estime un RR de 1,15 [0,98-1,35] pour une augmentation de 10 µg/m3 de PM2,5 10. Nous avons combiné les informations fournies par ces deux études afin de réaliser un compromis entre la représentativité de l’étude française Gazel et la puissance statistique de l’étude européenne Escape incluant des participants français. La méthode consiste à réaliser une méta-analyse des RR issus d’Escape et de Gazel-Air, puis à en dériver un RR recentré pour Gazel-Air 11. En l’absence d’hétérogénéité entre les résultats observés dans chaque cohorte, le méta-risque et l’estimateur recentré pour Gazel-Air étaient identiques. Le RR correspondant de 1,15 [1,05-1,25] pour une augmentation de 10 µg/m3 de PM2,5 a donc été retenu.

Des choix alternatifs ont également été examinés : réaliser une méta-analyse de toutes les cohortes européennes publiant des résultats sur les PM2,5 et la mortalité totale, i.e. Escape, Gazel, une cohorte italienne (RR 1,04 [1,03-1,05] 12), une cohorte anglaise (RR 1,13 [1-1,27] 13) et une cohorte néerlandaise (RR 1,06 [0,97-1,16] 14). Le risque combiné issu de cette méta-analyse est de 1,04 [1,03-1,05] pour une augmentation de 10 µg/m3 des niveaux de PM2,5. En enlevant l’étude italienne, qui influe énormément sur la méta-analyse (97%), le RR combiné est de 1,11 [1,05-1,17]. Nous avons également testé l’utilisation du RR recommandé par l’OMS sur la base d’une méta-analyse internationale (RR 1,06 [1,05-1,07]) 7. Dans tous les cas, l’IC95% des RR a été utilisé pour calculer l’IC95% de l’impact.

Scénarios

Dans un premier temps, le poids « absolu » de la pollution liée aux activités anthropiques en termes de mortalité a été approché par le nombre de décès évités chaque année si toutes les communes françaises atteignaient les niveaux de PM2,5 observés dans les communes françaises les moins polluées (scénario « sans pollution anthropique »). Le seuil définissant les communes les moins polluées a été fixé au percentile 5 de la distribution des concentrations des PM2,5 estimées dans les communes rurales françaises (moins de 2 000 habitants) : 4,9 µg/m3.

Quatre scénarios alternatifs de réduction possibles des niveaux de la pollution ont ensuite été considérés. Pour le premier scénario, les communes ont été réparties en quatre classes d’urbanisation : communes rurales (moins de 2 000 habitants), communes appartenant à une agglomération de 2 000 à 20 000 habitants, communes appartenant à une agglomération de 20 000 à 100 000 habitants et communes appartenant à une agglomération de plus de 100 000 habitants. Il s’agit d’un scénario prospectif dans lequel les communes les moins polluées de chaque classe d’urbanisation sont prises en référence. Pour chaque classe d’urbanisation, la valeur à atteindre correspond au percentile 5 de la distribution de concentrations de PM2,5 dans les communes de la même classe d’urbanisation (scénario « communes équivalentes les moins polluées ») (tableau).

Tableau : Population, mortalité et concentrations de PM2,5 selon la classe d’urbanisation en France continentale, 2007-2008
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Les trois autres scénarios ont évalué les bénéfices escomptés sur la mortalité du respect des valeurs seuils proposées par l’OMS (10 µg/m3 en moyenne annuelle pour les PM2,5), de celles du Grenelle de l’environnement (15 µg/m3) et des valeurs imposées par la directive européenne [25 µg/m3 (valeur limite 2015) et 20 µg/m3 (valeur cible 2020)].

Résultats

L’étude a porté sur 36 219 communes rassemblant plus de 61,6 millions d’habitants, dont 38,7 millions âgés de 30 ans et plus. Parmi ces communes, 4% appartenaient à des agglomérations de plus de 100 000 habitants rassemblant plus 28 millions d’habitants, dont 17 millions âgés de plus de 30 ans (tableau).

La figure 1 illustre les variations géographiques des concentrations de PM2,5 utilisées pour l’EQIS. Les concentrations les plus élevées étaient rencontrées dans les grandes agglomérations, dans le nord-est de la France et sur le couloir rhodanien. En moyenne, les concentrations étaient plus faibles dans les communes rurales et plus élevées dans les communes appartenant à des agglomérations de taille importante (tableau). Dans les plus grandes villes, près de 95% de la population étaient exposés à des valeurs dépassant le seuil recommandé par l’OMS pour protéger la santé (10 µg/m3). Plus de la moitié de la population était également exposée à des concentrations dépassant ce seuil dans des villes plus petites et dans des communes rurales (tableau).

Figure 1 : Concentrations annuelles moyennes de PM2,5 utilisées dans l’EQIS. Modèle Gazel-Air 2007-2008, France continentale
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Poids des particules d’origine anthropique

La pollution d’origine anthropique est responsable de 9% de la mortalité totale en France, représentant 48 283 (IC95%: [17 527-74 426]) décès attribuables chaque année. La figure 2 présente le gain en espérance de vie à 30 ans dans chaque commune si les concentrations annuelles en PM2,5 n’y dépassaient pas 4,9 µg/m3, ce qui correspond à la valeur maximale rencontrée dans les 5% des communes les moins polluées, principalement localisées dans les massifs montagneux. Les personnes âgées de 30 ans gagneraient en moyenne 9 (IC95%: [3-15]) mois d’espérance de vie, soit 951 827 (IC95%: [329 277-1 534 634]) années de vie gagnées (figure 2). Plus de la moitié des bénéfices seraient observés dans les communes appartenant à une unité urbaine de plus de 100 000 habitants (figure 3).

Figure 2 : Gain moyen en espérance de vie à 30 ans sous le scénario « sans pollution anthropique » en France continentale
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Figure 3 : Nombre total d’années de vie gagnées [intervalle de confiance à 95%] chaque année sous les différents scénarios, selon le type de communes en France continentale
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Scénario « communes équivalentes les moins polluées »

Si toutes les communes atteignaient les concentrations les plus faibles (2) observées dans les communes équivalentes (en termes de type d’urbanisation et de taille), la mortalité totale baisserait de 7%, soit 34 517 [12 401-53 696] décès évités chaque année en France. Les personnes âgées de 30 ans gagneraient alors en moyenne 9 [3-14] mois d’espérance de vie, soit 648 823 [225 171-1 042 238] années de vie gagnées à l’échelle de la France continentale.

Scénario « OMS »

47 millions de personnes (76% de la population totale) sont exposées à des concentrations supérieures à la valeur recommandée par l’OMS (10 µg/m3). Si les concentrations en PM2,5 respectaient cette valeur, soit en moyenne une baisse de 2,2 µg/m3 dans les communes la dépassant, les habitants gagneraient alors en moyenne 4 [1-6] mois d’espérance de vie, soit près de 401 858 [139 470-645 443] années de vie gagnées au total. La majorité des bénéfices seraient observées dans les plus grandes agglomérations (figure 3). Sous ce scénario, 17 712 [6 339-27 647] décès pourraient être évités chaque année.

Scénario « Grenelle de l’environnement »

16,3 millions de personnes (26% de la population totale) sont exposées à des concentrations supérieures à la valeur proposée par le Grenelle de l’environnement (15 µg/m3). Si cette valeur était respectée partout, soit en moyenne une baisse de 1,3 µg/m3 dans les communes la dépassant, les habitants gagneraient alors en moyenne 3 mois d’espérance de vie, représentant 84 395 [29 371-135 147] années de vie gagnées. Ces bénéfices s’observeraient majoritairement dans les plus grandes agglomérations (figure 3). Sous ce scénario, 3 094 [1 095-4 881] décès pourraient être évités chaque année.

Scénario « Directive européenne »

Sur la base des données Gazel-Air, en 2007-2008, toutes les concentrations de fond étaient inférieures à la valeur réglementaire 2015 de la Directive européenne (25 µg/m3). Plus de 87 000 personnes étaient exposées à des concentrations dépassant la valeur cible prévue pour 2020 par cette directive (20 µg/m3). Le respect de cette valeur permettrait de gagner 159 [55-254] années de vie par an (11 [4-17] décès évités chaque année).

Discussion

Évaluation des incertitudes

Par rapport aux précédentes EQIS produisant des estimations nationales pour la France (OMS, CAFE…), cette étude a l’avantage d’utiliser des données plus récentes (2007-2008) avec une échelle spatiale relativement fine. Elle présente également la plus grande cohérence possible entre les données environnementales utilisées dans les études épidémiologiques fournissant le RR et les données d’exposition utilisées pour cette EQIS (modélisation Gazel-Air). On se retrouve donc dans la situation la plus favorable pour produire des résultats fiables.

Cette EQIS a fait l’objet de plusieurs analyses de sensibilité et d’évaluation des incertitudes qui ne peuvent être présentées en détail ici, mais sont détaillées dans le rapport complet 6. Elles nous conduisent à considérer que nos résultats donnent une évaluation a minima du poids de la pollution de l’air.

Choix du risque relatif

Le choix du RR a un impact très fort sur les résultats ; à partir d’un RR combinant toutes les études européennes, le nombre de décès attribuables à la pollution de l’air est de 14 418 [10 708-17 257] en prenant en compte toutes les cohortes européennes récentes, et de 36 602 [17 527-53 844] en excluant la cohorte italienne qui pèse très fortement sur la méta-analyse. Enfin, en utilisant le RR recommandé par l’OMS, l’estimation est de 20 874 [14 527-24 108] décès attribuables à la pollution.

Notre choix donne donc les résultats les plus élevés. Il n’existe pas de règle pour choisir un RR, si ce n’est favoriser les études avec une bonne puissance statistique, celles portant sur une population proche de la population concernée par l’EQIS et celles estimant l’exposition d’une manière compatible avec l’estimation utilisée dans l’EQIS. Notre choix d’un méta-risque Escape/Gazel répond au mieux à ces trois règles, puisqu’il exploite des données de cohortes impliquant des participants français, dont une utilisant le même modèle d’exposition à la pollution de l’air.

Nous avons appliqué ce RR à tous les types de communes, alors que les cohortes Escape et Gazel portent principalement sur des populations urbaines. Il n’existe toutefois pas d’alternative, aucune cohorte ne s’intéressant à l’impact des PM2,5 sur des populations majoritairement rurales.

Évaluation des expositions

Le modèle Gazel-Air 8 sous-estime les concentrations par rapport aux mesures, avec un biais moyen de –1,8 µg/m3. Ce biais peut conduire à une sous-estimation de l’impact, en particulier dans les scénarios OMS, Grenelle et Directive européenne, qui font référence à des valeurs seuils externes. Son influence est moins forte dans les scénarios « sans pollution anthropique » et « communes équivalentes les moins polluées », qui sont définis par des percentiles de la distribution des concentrations modélisées. Plusieurs analyses de sensibilité non détaillées ici ont porté sur le choix du modèle (modèle du Global Burden of Disease, Prévair et modèle d’Airparif dans le cadre d’une étude pilote), sur la manière d’évaluer l’exposition dans les zones urbaines et sur l’utilisation des données des stations de mesures 6. Leurs résultats confortent l’intérêt de ce modèle et la sous-estimation probable des résultats.

Choix de l’effet sanitaire

La mortalité toutes causes a été choisie car c’est celle utilisée dans les études de cohorte dont a été tiré le RR utilisé. Cet indicateur regroupe des causes de décès n’étant a priori pas influencées par la pollution, comme les causes accidentelles et les maladies infectieuses. Ces causes ne représentent cependant qu’une faible part des décès en France. Enfin, le choix de la mortalité est restrictif, puisque le recours aux soins et la baisse de qualité de vie des personnes qui ont une maladie chronique souvent grave liée à la pollution (asthme, cancer du poumon, maladies cardiovasculaires, etc.) n’ont pas été étudiés.

Intérêt pour la santé publique

Nos résultats confirment donc le poids important que fait peser la pollution de l’air en France. La mortalité attribuable à la pollution de l’air représente 9% de la mortalité totale en France et plus de 48 000 décès par an. À titre de comparaison, en 2008, les accidents de la route ont fait 4 403 victimes 15. Le tabac est quant à lui jugé responsable de 78 000 décès par an 16 et l’alcool 49 000 17. Le tabagisme (actif et passif) représente au total 680 000 années de vie perdues par an, l’alcool 810 000 17 et la pollution de l’air 950 000. De plus, cette EQIS n’a couvert qu’une partie des impacts sur la santé de la pollution de l’air, responsable non seulement de décès toutes causes, mais aussi de la survenue de pathologies chroniques représentant un poids important pour le système de soin et la qualité de vie des populations.

Les bénéfices sanitaires de plusieurs scénarios de diminution des niveaux de PM2,5 ont été estimés et se révèlent être substantiels pour les scénarios les plus ambitieux (scénario « communes équivalentes les moins polluées », scénario OMS), ce qui constitue un puissant encouragement à l’action. Des bénéfices importants seraient observés dans toutes les régions, y compris dans les zones rurales. Le respect de la valeur du Grenelle de l’environnement se traduirait également par des bénéfices sanitaires notables, mais limités aux agglomérations de plus de 100 000 habitants. L’EQIS a été faite toutes choses égales par ailleurs et sans considérer de délai entre l’amélioration de la qualité de l’air et la baisse de la mortalité. En réalité, les bénéfices sanitaires liés au recours aux soins et à l’amélioration de la qualité de vie devraient être rapides, et l’impact sur la mortalité décalé de quelques années. Ceci devrait être confirmé par des études interventionnelles visant à observer les impacts d’amélioration effective de la qualité de l’air.

La contribution de l’exposition chronique aux PM2,5 à la mortalité et à la perte d’espérance de vie en France justifie donc la mise en place d’actions visant à réduire durablement la pollution de fond, d’autant que les économies associées en matière de santé seraient plus importantes que les coûts des mesures visant à réduire les émissions et les niveaux de pollution dans l’air 18. La diversité des résultats issus des scénarios étudiés montre que différentes stratégies de réduction peuvent être mises en œuvre en fonction de l’ambition des objectifs de santé publique.

Références

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18 Aïchi L, Husson J-F. La pollution de l’air: le coût de l’inaction. Paris: Sénat; 2015. 306 p. http://www.senat.fr/notice-rapport/2014/r14-610-1-notice.html

Citer cet article

Pascal M, de Crouy Chanel P, Wagner V, Corso M, Tillier C, Bentayeb M, et al. Analyse des gains en santé de plusieurs scénarios d’amélioration de la qualité de l’air en France continentale. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(26-27):430-7. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/26-27/2016_26-27_1.html

(1) Devenu Santé publique France depuis mai 2016.
(2) Concentration observée dans les 5% de communes équivalentes les moins polluées.