Conditions de travail : une autonomie en recul mais une ambiance de travail moins tendue. Enquête Conditions de travail et risques psychosociaux 2016

// Working conditions: Decreased autonomy in a less tense occupational environment. Working Conditions and Psychosocial Risks Survey 2016

Marilyne Beque (marilyne.beque@travail.gouv.fr), Amélie Mauroux
Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), ministère du Travail, Paris, France
Soumis le 16.01.2018 // Date of submission: 01.16.2018
Mots-clés : Conditions de travail | Risques psychosociaux | Enquête
Keywords: Working condition | Psychosocial risk | Survey

Résumé

Cet article présente les premiers résultats de l’enquête Conditions de travail et risques psychosociaux 2016, qui s’inscrit dans la suite des enquêtes Conditions de travail menées depuis 1978 en France. Les résultats sont présentés en évolution et, par conséquent, concernent plutôt les questions historiques des enquêtes menées de 1984 à 2016, questions pour lesquelles des comparaisons en évolution sont possibles.

Méthodes –

L’étude a porté sur 21 000 salariés, représentatifs de 22,8 millions de salariés, interrogés en face à face entre octobre 2015 et juin 2016. Les thèmes abordés dans l’enquête concernaient les horaires et l’organisation du temps de travail, l’organisation et les rythmes de travail, les pénibilités, les risques et leur prévention, les contraintes psychosociales, les relations avec le public, la violence au travail. Un auto-questionnaire, rempli par l’enquêté, regroupait les questions les plus sensibles (suicide, comportements hostiles, discriminations).

Résultats –

L’intensité du travail, en hausse entre 2005 et 2013, s’est stabilisée à un niveau élevé entre 2013 et 2016. Dans le même temps, un renforcement des normes et des procédures ainsi qu’une poursuite de la baisse de l’autonomie des salariés sont observés, surtout pour les catégories les moins qualifiées. Le nombre de salariés signalant des comportements hostiles dans leur milieu de travail est en recul, tout comme l’exposition à un manque de reconnaissance ou à des conflits éthiques.

Conclusion –

La baisse des changements organisationnels observée entre 2013 et 2016 peut expliquer, au moins en partie, la relative stabilisation de l’intensification du travail et le recul des violences morales au travail. Il est possible que le recul global de ces risques résulte d’une plus grande attention des managers et des salariés aux conflits interpersonnels au travail, dans le cadre d’une sensibilisation médiatique et politique au harcèlement moral et aux risques psychosociaux.

Abstract

This article presents the preliminary results of the 2016 Working Condition and Psychosocial Risks Survey, which is based on the Working conditions surveys conducted since 1978 in France. The results are thus presented in evolution and focus on historical questions of the working Conditions surveys carried out from 1984 to 2016, for which intertemporal comparisons are possible.

Methods –

From October 2015 to June 2016, 21,000 salaried workers representative of the 22.8 million employees were interviewed face-to-face at their homes. The survey covers the following topics: working hours and work time organization; organization and work pace; physical constraints at work; the risks and their prevention; psychosocial constraints; contact with clients, violence at work. A self-administered questionnaire completed by the respondents gathers the most sensitive questions (suicide, antisocial behaviors, discrimination).

Results –

After a rise between 2005 and 2013, work intensity is steady and remains at a high level between 2013 and 2016. In the meantime, the strengthening of procedures and standards, and a further decline in autonomy of employees, were observed, especially for less qualified workers. The number of employees who report antisocial behaviors at work is declining, as well as the exposure to lack of recognition or ethical conflicts.

Conclusion –

The decrease in the organizational changes observed between 2013 and 2016 may at least partly explain the relative stabilization of work intensification and the decline of moral violence at work. The overall decline in those risks may also be the result of a greater attention of managers and employees to interpersonal conflicts at work, in a context of media and political sensitization to moral harassment and psychosocial risks.

Introduction

Dans un contexte de crise économique, les années 2010 ont été marquées par une hausse des contraintes de rythme de travail ainsi que par la poursuite du recul de l’autonomie et des marges de manœuvre des salariés dans leur travail, indiquant une mise sous tension des organisations du travail 1. La crise économique s’éloignant, le rythme des changements organisationnels s’est quelque peu ralenti, comme le montrent les premiers résultats de l’enquête Conditions de travail et risques psychosociaux, menée par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) en 2015-2016. Dans ce contexte, comment ont évolué les conditions de travail ? Cet article présente les résultats d’une étude sur l’évolution des conditions de travail chez les salariés à partir des enquêtes Conditions de travail menées de 1984 à 2016. Ces résultats concernent plus particulièrement les questions historiques de l’enquête et portent sur les rythmes de travail, les pénibilités et les contraintes organisationnelles. Quelques résultats sur de nouvelles questions introduites en 2013 sont également présentés, portant sur la charge mentale et les comportements hostiles.

Méthodes

L’enquête Conditions de travail – Risques psychosociaux (CT-RPS 2016) est la concrétisation des recommandations du collège d’expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux au travail, réuni en 2009-2010 à la demande du ministre chargé du Travail 2. Ce collège d’experts a proposé une catégorisation des risques psychosociaux (RPS) en six dimensions :

l’intensité et la complexité du travail, qui dépendent des contraintes de rythme, de l’existence d’objectifs irréalistes ou flous, des exigences de polyvalence, des responsabilités, d’éventuelles instructions contradictoires, des interruptions d’activités non préparées et de l’exigence de compétences élevées ;

les exigences émotionnelles, qui sont liées à la nécessité de maîtriser et façonner ses propres émotions, afin notamment de maîtriser et façonner celles ressenties par les personnes avec qui on interagit lors du travail ;

l’autonomie au travail, qui désigne les marges de manœuvre dont dispose l’individu dans son travail, la participation aux décisions ainsi que l’utilisation et le développement des compétences ;

les rapports sociaux au travail, qui comprennent les relations avec les collègues, les relations avec la hiérarchie, la rémunération, les perspectives de carrière, l’adéquation de la tâche à la personne, les procédures d’évaluation du travail, l’attention portée au bien-être des travailleurs ;

le conflit de valeurs, qui peut venir de ce que le but du travail ou ses effets secondaires heurtent les convictions du travailleur, ou bien du fait qu’il doit travailler d’une façon non conforme à sa conscience professionnelle ;

l’insécurité de la situation de travail, qui comprend l’insécurité socioéconomique et le risque de changement non maîtrisé de la tâche et des conditions de travail.

L’enquête CT-RPS s’articule avec l’enquête Conditions de travail (CT) : tous les trois ans a lieu, en alternance, l’une ou l’autre de ces enquêtes. L’interrogation se fait en panel, chaque individu étant interrogé trois fois en neuf ans. Ce panel est enrichi d’un échantillon d’entrants à chaque édition. L’enquête CT-RPS 2016 a été menée par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) en collaboration avec la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) et la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la Santé.

L’enquête permet de fournir une description concrète du travail et de son organisation. Une mesure de l’évolution des conditions de travail (les deux tiers des questions sont identiques à CT 2013) et une analyse des risques psychosociaux au travail peuvent en être tirées. Le questionnaire recueille également des informations qui permettent de décrire le profil socioéconomique des répondants (sexe, catégorie socioprofessionnelle, secteur d’activité, situation familiale, diplôme, etc.).

Depuis 2013, l’enquête comprend deux volets : un volet « Individus » et un volet « Employeurs ».

Le volet « Individus » est constitué de trois sous-échantillons :

les individus panels, qui correspondent aux ménages ou individus qui ont participé à l’enquête « Conditions de travail 2013 ». Ils sont réinterrogés quelle que soit leur nouvelle situation vis-à-vis du marché du travail (actifs occupés, retraités, chômeurs…). Les personnes éloignées de l’emploi remplissent un questionnaire spécifique ;

un échantillon complémentaire d’« entrants », tiré dans le recensement de 2014 pour conserver la représentativité de l’échantillon d’actifs occupés. Il est constitué, comme pour l’enquête CT 2013, de l’ensemble des personnes ayant un emploi indépendant ou salarié, public ou privé, stable ou temporaire, âgées de 15 ans ou plus ;

des échantillons supplémentaires (extensions), financés à l’initiative des partenaires et tirés à partir de leurs bases de gestion, permettent de surreprésenter certaines sous-populations salariées (fonctionnaires, personnels de la santé) sans modifier le champ de l’enquête.

Le volet « Individus » a été collecté par les enquêteurs de l’Insee au domicile des enquêtés d’octobre 2015 à juin 2016, auprès de 27 700 individus âgés de 15 ans ou plus.

L’enquête couvre la métropole et quatre départements d’Outre-mer : Martinique, Guadeloupe, La Réunion, Guyane. Néanmoins, l’étude présentée ici est restreinte à la métropole de façon à construire des indicateurs homogènes dans le temps en utilisant les enquêtes antérieures à 2013 3. Elle porte sur 21 000 salariés en emploi, représentatifs des 22,8 millions de salariés de France métropolitaine en 2016.

Résultats

Stabilisation des contraintes de rythme de travail

Après l’augmentation observée entre 2005 et 2013, l’exposition aux contraintes de rythme de travail s’est stabilisée à un niveau élevé : en 2016 comme en 2013, 35% des salariés subissaient au moins trois contraintes de rythme de travail parmi sept énoncées (tableau 1 (1)).

Les « normes de production à satisfaire en une journée au plus » étaient la seule contrainte de rythme à s’accroître, passant de 46% en 2013 à 48% en 2016. De même, les procédures de qualité étaient plus répandues en 2016 (46% des salariés concernés) qu’en 2013 (43%).

Les contraintes de vigilance continuaient de s’accroître : en 2016, 43% des salariés déclaraient ne pas pouvoir quitter leur travail des yeux, soit 4 points de plus qu’en 2013. Le travail dans l’urgence était également de plus en plus fréquent, et ce particulièrement pour les femmes. Elles étaient plus nombreuses à « devoir fréquemment abandonner une tâche pour une autre plus urgente » : 68% en 2016 contre 65% en 2013.

Dans le même temps, la pression temporelle ressentie se tassait légèrement : 45% des salariés ont dit devoir se dépêcher « toujours ou souvent », c’est 1 point de moins qu’en 2013.

Tableau 1 : Part (%) des salariés exposés à diverses contraintes dans leur travail, enquêtes Conditions de travail, France, 1984-2016
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Une charge mentale en baisse

La stabilisation de l’intensité du travail s’accompagne d’une réduction de la charge mentale. En 2016, 44% des salariés déclaraient « devoir penser à trop de choses à la fois » contre 49% en 2013. Les femmes étaient plus nombreuses dans ce cas (47% contre 40% des hommes), même à catégorie socioprofessionnelle identique.

Enfin, 31% des salariés déclaraient travailler sous pression, alors qu’ils étaient 36% en 2013. Cette baisse est particulièrement importante chez les cadres : 51% d’entre eux étaient dans ce cas en 2013 contre 43% en 2016.

Des marges de manœuvre en recul

Parallèlement à la montée des normes et standards, l’autonomie et les marges de manœuvre des salariés ont poursuivi le déclin entamé depuis 1998, pour toutes les catégories socioprofessionnelles 4. Les salariés étaient de moins en moins nombreux à « choisir eux-mêmes la façon d’atteindre les objectifs fixés » et à « ne pas avoir de délais ou à pouvoir faire varier les délais fixés ». À catégorie socioprofessionnelle identique, les femmes continuaient à avoir moins de latitude pour organiser leur travail que les hommes (2).

Le travail tendait à devenir plus répétitif : 43% des salariés déclaraient « répéter continuellement une même série de gestes ou d’opérations » contre 27% en 2005 et 41% en 2013. Néanmoins, de plus en plus de salariés déclaraient que leur travail leur permet « d’apprendre des choses nouvelles » : 80% en 2016 contre 77% en 2013.

Des horaires un peu moins contraignants

Les contraintes horaires étaient stables sur la période, une légère amélioration était même observée : en 2016, les salariés étaient un peu moins nombreux qu’en 2013 à ne pas disposer de 48 heures de repos par semaine, à ne pas connaître leurs horaires du mois à venir ou encore à ne pas pouvoir s’arranger avec leurs collègues.

Peu de changement également pour le travail du samedi, du dimanche ou de nuit. Ces horaires de travail atypiques étaient plus fréquents chez les employés du commerce : 62% travaillaient le samedi et 45% le dimanche. C’est toutefois 2 points de moins qu’en 2013, malgré la loi du 6 août 2015 « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » qui a élargi les possibilités d’ouverture des commerces le dimanche dans les zones touristiques.

Un soutien social toujours fort, une ambiance de travail moins tendue

En 2016, les salariés étaient plus nombreux à avoir au moins un entretien d’évaluation par an. Déjà situées à un niveau élevé, les possibilités d’entraide et de coopération demeuraient stables, voire s’amélioraient légèrement depuis 2013 : un peu plus de salariés disaient être aidés par les collègues ou le supérieur hiérarchique en cas de travail délicat, ou avoir la possibilité de coopérer pour faire correctement leur travail. Après une hausse de leur fréquence entre 2005 et 2013, les tensions dans les rapports avec les collègues ou le supérieur hiérarchique se sont stabilisées entre 2013 et 2016. Le sentiment de reconnaissance s’est amélioré : les salariés étaient moins nombreux en 2016 (24%) qu’en 2013 (29%) à estimer que leur travail n’est pas reconnu à sa juste valeur.

L’évolution la plus marquante concerne les situations de violence morale, qui demeuraient fréquentes mais en net recul : en 2016, 30% des salariés contre 37% en 2013 disaient avoir subi au moins un comportement hostile dans leur travail au cours des 12 derniers mois (être la cible de propos blessants, être ridiculisé en public ou ignoré, voir son travail injustement critiqué ou saboté, devoir effectuer des tâches inutiles ou dégradantes, subir des propositions à caractère sexuel, etc.).

Plus précisément, en 2016, 22% des salariés (contre 28% en 2013) signalaient avoir été la cible de comportements méprisants au travail, 22% d’un déni de reconnaissance de leur travail (26% en 2013) et 5% d’atteintes dégradantes (7% en 2013), ces trois formes de comportements hostiles n’étant pas exclusives les unes des autres (3). Comme en 2013, les femmes signalaient plus souvent que les hommes avoir subi au moins un comportement hostile au cours des 12 derniers mois (31% des femmes et 28% des hommes). Les salariés intérimaires et à temps partiel subi ne semblent toutefois pas avoir bénéficié de cette relative amélioration (figure).

Figure : Comportements hostiles selon le sexe, les situations de précarité et la taille de l’entreprise, enquêtes Conditions de travail 2013 et 2016, France
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Le recul de la fréquence des comportements hostiles est plus marqué dans les établissements de taille moyenne ou grande ainsi que dans les secteurs du commerce-transports, des activités scientifiques et de l’administration publique.

Cette forte baisse peut être mise en relation avec le ralentissement des changements organisationnels. En effet, dans une régression logistique modélisant le fait de déclarer au moins un comportement hostile et contrôlant l’âge, le sexe, la catégorie socioprofessionnelle et le secteur d’activité, l’odds ratio associé au fait d’avoir changé de techniques est significatif au seuil de 5% et il est de 1,3 : à caractéristiques identiques, les salariés qui ont changé de technique ont une probabilité de déclarer au moins un comportement hostile plutôt que de ne pas en déclarer, qui est 1,3 fois supérieure à celle des salariés qui n’ont pas connu de tel changement (tableau 2).

Tableau 2 : Comportements hostiles et changements dans le travail, enquête Conditions de travail 2016, France
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Stabilité de la demande émotionnelle

De plus en plus de salariés déclaraient être en contact avec le public : 73% en 2016 contre 62% en 1998. Ce contact engendre souvent de l’intensité émotionnelle au travail : 46% des salariés en contact avec le public déclaraient côtoyer « des personnes en situation de détresse » et 54% disaient devoir « calmer des gens », deux résultats en légère hausse entre 2013 et 2016. La proportion de salariés disant « vivre des tensions avec le public » demeurait cependant stable, ainsi que celle des salariés qui estimaient « devoir faire toujours ou souvent des choses qu’ils désapprouvent » (10% en 2016, comme en 2013). Les salariés, enfin, signalaient moins souvent « devoir cacher leurs émotions » ; l’intensité émotionnelle, lorsqu’elle existe, ne reste donc pas nécessairement tue.

Des contraintes physiques inchangées

En 2016, les expositions aux contraintes et risques physiques se stabilisent pour toutes les catégories socioprofessionnelles, les ouvriers restant les plus exposés à ces contraintes. 34% des salariés demeurent soumis à au moins trois contraintes physiques, 18% à un bruit intense qui les gêne pour entendre une personne située à 3 mètres.

Enfin, 29% des salariés déclarent être en contact avec des produits dangereux, soit 2 points de moins qu’en 2013. Peu de cadres (13%) sont concernés, mais 54% des ouvriers non qualifiés, avec une hausse de 3 points pour cette catégorie.

Discussion – conclusion

Les résultats de l’enquête CT-RPS 2016 révèlent la poursuite des tendances historiques, à savoir : des pénibilités physiques dont la fréquence ne diminue pas, une autonomie toujours en baisse et un soutien social toujours fort sur le lieu de travail. Ils indiquent également une stabilité de nombreux déterminants de l’intensité du travail par rapport aux changements rapides observés entre 1984 et 2013. Ces résultats sont néanmoins contrastés car, dans le même temps, le soutien social reste fort, certaines contraintes psychosociales (une partie des exigences du travail, la demande émotionnelle et le manque de soutien et de reconnaissance) sont en baisse et les comportements hostiles au travail sont en net recul.

Ces résultats, et notamment la stabilité de l’intensité du travail, sont certainement à relier à la fin d’un cycle puissant de réorganisation et de changements dans le travail, notamment la diffusion de l’informatisation.

En effet, les évolutions des conditions de travail doivent être mises en rapport avec les pratiques des entreprises. D’une part, les changements organisationnels ont connu un certain ralentissement entre 2013 et 2016 : la part des salariés ayant vécu au cours des 12 derniers mois au moins un changement important de leur environnement de travail a reculé de 43% à 41%. Une certaine stabilisation des organisations s’accompagne en général d’un ralentissement de l’intensification et d’une réduction des marges de manœuvre des salariés. Le recul de la violence morale au travail peut être mis en rapport avec cette relative stabilisation des organisations, car les comportements hostiles sont fortement associés aux changements organisationnels 5.

Toutefois, étant donnée l’ampleur du recul de la fréquence des comportements hostiles (-7 points), une stabilisation organisationnelle ne peut certainement pas tout expliquer. Après des changements organisationnels, le recul relatif des comportements hostiles au travail pourrait être lié au fait que les salariés s’habituent à une certaine dégradation des conditions objectives de travail. Ainsi, les tensions qui en ont d’abord résulté peuvent ensuite reculer. Cette « soutenabilité forcée » permettrait d’une certaine façon d’accepter ces nouvelles conditions de travail dégradées.

Enfin, on peut également penser que la mobilisation de l’opinion publique, des pouvoirs publics et des partenaires sociaux sur les thèmes des risques psychosociaux et du harcèlement moral – avec notamment le Plan santé travail n°3 (2015-2019) et l’accord national interprofessionnel sur la Qualité de vie au travail (2013) – ont contribué à cette accalmie.

Pour compléter ces résultats, il sera nécessaire de conduire des analyses toutes choses égales par ailleurs pour contrôler les caractéristiques sociodémographiques des salariés et, ainsi, apprécier la part de ces évolutions imputables à l’évolution de la population active, notamment le vieillissement, la tertiarisation ou encore la féminisation des emplois.

L’analyse du volet « Employeur » permettra également de mettre en regard les réponses des salariés avec les pratiques de prévention mises en place par les entreprises, notamment en matière de risques psychosociaux.

Références

1 Algava E, Davie E, Loquet J, Vinck L. Conditions de travail. Reprise de l’intensification du travail chez les salariés. Dares Analyses. 2014;(049):11 p. http://dares.travail-emploi.gouv.fr/dares-etudes-et-statistiques/etudes-et-syntheses/dares-analyses-dares-indicateurs-dares-resultats/article/conditions-de-travail-reprise-de-l-intensification-du-travail-chez-les-salaries
2 Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé. Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail. Mesurer les facteurs psychosociaux au travail pour les maîtriser. Rapport d’expertise. Paris: La Documentation française, 2011. 223 p. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/114000201/index.shtml
3 Beque M, Mauroux A, Baradji E, Dennevault C. Quelles sont les évolutions récentes des conditions de travail et des risques psychosociaux ? Dares Analyses. 2017;(082):1-10. http://dares.travail-emploi.gouv.fr/dares-etudes-et-statistiques/etudes-et-syntheses/dares-analyses-dares-indicateurs-dares-resultats/article/quelles-sont-les-evolutions-recentes-des-conditions-de-travail-et-des-risques
4 Gollac M, Volkoff S, Wolff L. Les conditions de travail. Paris: La Découverte; 2014. 128 p.

Citer cet article

Beque M, Mauroux A. Conditions de travail : une autonomie en recul mais une ambiance de travail moins tendue. Enquête Conditions de travail et risques psychosociaux 2016. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(12-13):221-7. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/12-13/2018_12-13_2.html

(1) Des résultats détaillés par sexe et par catégorie socioprofessionnelle sont présentés sur le site de la Dares : http://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2017-082v3.pdf
(2) Les résultats ont été contrôlés dans une régression logistique modélisant le score d’autonomie procédurale et contrôlant âge, sexe, catégorie socioprofessionnelle, secteur, fonction, nombre de salariés dans l’entreprise, type d’emploi, diplôme, superviser le travail d’autres salariés, avoir des enfants.
(3) Un salarié est considéré comme ayant subi un comportement hostile s’il répond au moins une fois « oui » à la question : « Au cours des douze derniers mois, vous est-il arrivé de vivre au travail les situations difficiles suivantes : Une ou plusieurs personnes se comportent systématiquement avec vous de la façon suivante : 1) Vous ignore, fait comme si vous n’étiez pas là, 2) Vous empêche de vous exprimer, 3) Vous ridiculise en public, 4) Critique injustement votre travail, 5) Vous charge de tâches inutiles ou dégradantes, 6) Sabote votre travail, vous empêche de travailler correctement, 7) Laisse entendre que vous êtes mentalement dérangé, 8) Vous dit des choses obscènes ou dégradantes, 9) Vous fait des propositions à caractère sexuel de façon insistante, 10) Vous fait des blagues blessantes ou de mauvais goût, se moque de vous ».