Mise en place d’une surveillance spatialisée des malformations congénitales à La Réunion : choix méthodologiques

// Implementation of spatial surveillance of congenital malformations in Reunion Island (France): Methodological choices

Hanitra Randrianaivo1, Bénédicte Bertaut-Nativel1, Mathilde André1, Mireille Irabe1, Pierre-Yves Robillard2, Brahim Boumahni3, Morgan Mangeas4, Emmanuel Roux4, Télesphore Yao Brou4, Patrick Gérardin5, Laurent Filleul6, Vincent Herbreteau4 (vincent.herbreteau@ird.fr)
1 Registre des malformations congénitales de La Réunion (Remacor), CHU de La Réunion, Saint-Pierre, France
2 Centre d’études périnatales Océan Indien (EA 7388), CHU de La Réunion, Saint-Pierre, France
3 Service de réanimation néonatale et pédiatrique, CHU de La Réunion, Saint-Pierre, France
4 UMR Espace-Dev (IRD, Université Antilles-Guyane, Université de Montpellier, Université de La Réunion), Station SEAS-OI, Saint-Pierre, France
5 Centre d’investigation clinique (Inserm CIC1410), CHU de La Réunion, Saint-Pierre, France
6 Santé publique France, Cire Océan Indien, Saint-Denis de La Réunion, France
Soumis le 31.03.2017 // Date of submission: 03.31.2017
Mots-clés : Malformations congénitales | Surveillance spatiale | Système d’information géographique | Agrégat de cas | Géocodage
Keywords: Birth defects | Spatial surveillance | Geographical information system | Cluster | Geocoding

Résumé

Introduction –

Le Registre des malformations congénitales de La Réunion (Remacor) assure la surveillance de ces pathologies à des fins de santé publique et de recherche. Cette surveillance consiste en un recueil exhaustif des cas et en l’analyse temporelle de leur survenue. Afin de permettre leur analyse spatiale et la détection de signaux sanitaires, le Remacor a géocodé rétroactivement les données et mis en place une surveillance spatialisée, dont les choix méthodologiques sont présentés ici.

Matériel et méthodes –

Chaque cas est géolocalisé conformément à l’adresse de la mère. Les prévalences relatives aux naissances sont ensuite calculées par agrégation des cas selon les différentes échelles administratives. Le choix de l’échelle est déterminé à l’aide d’un test de Poisson qui permet d’estimer le nombre de naissances minimum nécessaire pour réaliser l’analyse de manière statistiquement significative, puis d’un compromis entre cette significativité de l’information, la complétude des données et la résolution spatiale.

Résultats –

Il a été possible de géolocaliser 95% des cas. Différentes méthodes de détection d’agrégats de cas ont été utilisées afin de repérer les zones les plus touchées. Enfin, les agrégats détectés à différentes échelles ont été intersectés pour calculer un indice d’appartenance à 1, 2 ou 3 échelles.

Discussion et conclusion –

La base de données spatialisée mise en place permet aujourd’hui au Remacor de prendre en compte l’hétérogénéité spatiale de la distribution des malformations congénitales les plus fréquentes pour informer les acteurs de la santé publique.

Abstract

Introduction –

The Registry of Congenital Malformations (CM) in Reunion Island (REMACOR) oversees the surveillance of CM for public health and research purposes. This surveillance consists of the exhaustive collection of cases, and temporal analysis of CM. Since 2013, REMACOR has retrospectively geolocalized the data to allow their spatial analysis and the detection of health signals the methodology of which is presented hereunder.

Materials and methods –

Each case is geolocated according to the mother’s address, using the reference address databases. Birth-related prevalence is then calculated by aggregating cases according to the different administrative scales. The choice of the suitable scale is determined using a Poisson test that estimates the minimum number of births required to perform the analysis in a statistically significant manner, and then a compromise between this representativeness of information, data completeness and spatial resolution.

Results –

95% of the cases could be geolocalized. Different cluster detection methods are used to identify the most affected areas. Finally, clusters detected at different scales are finally intersected to calculate an index of belonging to 1, 2 or 3 scales.

Discussion and conclusion –

The spatialized database set up now allows REMACOR to consider the spatial heterogeneity of the distribution of the most frequent CM in order to inform public health stakeholders.

Introduction

Les malformations congénitales sont définies comme des anomalies de structure ou de fonction, présentes à la naissance mais pouvant être diagnostiquées plus tard dans la vie. Elles résultent d’une anomalie de développement de l’embryon ou du fœtus pouvant concerner différentes parties du corps ou des organes, ou d’une anomalie génétique. Reconnues comme l’une des principales causes de morbidité, de mortalité infantile et de handicap dans les pays industrialisés, les malformations congénitales sont des événements de santé relativement rares. Qu’elles soient structurelles ou fonctionnelles, elles constituent un groupe hétérogène de troubles pouvant avoir des causes variées. Ces causes peuvent être endogènes (anomalies génétiques) ou exogènes (agents tératogènes médicamenteux, environnementaux). Cependant, si de plus en plus de facteurs exogènes sont aujourd’hui incriminés comme pouvant causer ces malformations, les causes ne sont pas identifiées dans la plupart des cas.

Le Registre des malformations congénitales de La Réunion (Remacor) assure depuis 2002 un recueil continu et exhaustif des données relatives à ces malformations sur l’ensemble du département de La Réunion, à des fins de santé publique et de recherche. Il est déclaré auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil, autorisation n° 909410) et du Comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé (CCTIRS). À La Réunion, en dehors des anomalies chromosomiques, dont la prévalence était de 43,2 sur 10 000 naissances pour la période 2008-2013, les malformations les plus fréquentes sont les malformations cardiaques, avec une prévalence de 60,9/10 000 naissances, les anomalies des membres (44,2/10 000), les anomalies du système nerveux (42,6/10 000), les malformations urinaires (38,3/10 000) et enfin les malformations génitales (27,3/10 000).

Le Remacor collabore, au niveau européen, avec le Joint Research Center, dans le cadre du réseau Eurocat (European Surveillance of Congenital Anomalies) et, au niveau national, avec les cinq autres registres français et les différents acteurs de la santé publique (figure 1).

Figure 1 : Fonctionnement et interactions du Registre des malformations congénitales de La Réunion (Remacor), France
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Les registres partagent un protocole et un logiciel communs (Eurocat Data Management Program, EDMP) pour standardiser la surveillance des anomalies congénitales : recueil d’informations et exploration des fluctuations temporelles (évolution des prévalences et tendances, détection de regroupements anormaux de cas dans le temps). Ces analyses des prévalences constituent des indicateurs de la santé périnatale importants pour La Réunion. Auparavant, et conformément au protocole et aux outils d’Eurocat, les analyses ne portaient que sur les composantes temporelles.

Bien que le recueil des adresses existe depuis 2002, la mise en place d’une surveillance spatialisée des malformations congénitales n’a démarré que récemment et rétrospectivement depuis 2008, année à partir de laquelle les informations d’adresse ont été systématiquement saisies. Cette surveillance vise à analyser la variabilité spatiale des données recueillies et à détecter rapidement des regroupements anormaux ou agrégats de cas 1. Une telle évolution de la surveillance paraissait en effet nécessaire à La Réunion, qui se caractérise par une grande variabilité de contextes environnementaux, socioéconomiques et sanitaires sur un espace restreint de 2 512 km². La variabilité spatiale des malformations congénitales peut en effet être liée à une distribution inégale des déterminants contextuels et individuels de la santé périnatale. Parmi ces déterminants, la précarité sociale est spatialement très marquée, avec une organisation sociale de l’espace qui s’observe à différentes échelles géographiques 2. Or, la précarité sociale peut entraîner des problèmes de malnutrition et d’alcoolisation fœtale dans un contexte de non-programmation des grossesses. À ces éléments socio-environnementaux s’ajoutent une forte croissance démographique, des changements sociétaux et écologiques rapides, susceptibles d’engendrer une modification des comportements de santé au niveau communautaire, ainsi que de nouvelles pollutions liées au transport, à l’agriculture ou aux déchets. Différentes études ont montré que l’exposition à de telles pollutions durant le développement embryonnaire est généralement spatialement marquée et peut engendrer localement des conditions favorables à la survenue d’anomalies 3,4,5,6,7,8.

Compte tenu de ces éléments, de plus en plus d’études proposent une approche géographique pour analyser la variabilité spatiale des malformations congénitales grâce au développement de l’interdisciplinarité dans la recherche. Toutefois, le passage à une surveillance spatialisée nécessite des choix et une adaptation des bases de données pour construire des outils de surveillance opérationnels (localisation des cas et cartographie en temps réel des nouveaux cas, cartographie rétroactive, détection d’agrégats de cas, analyses spatiales).

L’objectif de cet article est de présenter et de discuter les méthodes choisies par le Remacor pour mettre en place une surveillance spatialisée des malformations congénitales à La Réunion. Ces méthodes sont ici illustrées par la spatialisation des données de malformations dues à des causes non génétiques, de 2008  à 2013.

Matériel et méthodes

Données relatives aux malformations congénitales

Toutes les malformations congénitales diagnostiquées, en anténatal ou en postnatal jusqu’à la fin de la première année de vie, sont incluses dans le registre. Tous les enfants malformés dont les mères sont domiciliées dans le département sont répertoriés, qu’ils soient nés vivants ou mort-nés, ou que la grossesse ait été interrompue pour malformation fœtale. Tous les types de malformations sont pris en compte, qu’il s’agisse de malformations isolées ou de syndromes polymalformatifs, identifiés ou non, à caryotype normal ou anormal. Sont exclus les enfants dont les mères ne résident pas à La Réunion, les anomalies mineures 9 et les diagnostics réalisés après un an de vie. Les malformations sont classées selon la classification Eurocat en 16 groupes, dont les anomalies chromosomiques et les anomalies géniques.

Géocodage des cas

Chaque cas enregistré par le Remacor est localisé selon l’adresse de résidence de la mère. Cette adresse est écrite à la main sur la fiche du patient puis retranscrite dans le logiciel EDMP. Les adresses comportent le nom des communes, mais n’indiquent pas l’appartenance aux subdivisions administratives définies par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) : les Iris (1) (Îlots regroupés pour l’information statistique, unité spatiale de base pour la diffusion des données infra-communales) et les grands quartiers (2) (regroupements d’Iris effectués selon des critères démographiques). Il est donc nécessaire dans un premier temps de géocoder précisément les adresses, puis d’agréger les cas dans les quartiers et les Iris afin de représenter et d’analyser la distribution spatiale des cas de malformation congénitale et leurs prévalences au niveau de ces subdivisions. Le géocodage peut être réalisé avec une base de données d’adressage, associant chaque adresse à des coordonnées géographiques. À partir de 2013, différentes bases de données d’adressage étaient utilisables à La Réunion : la Base de données Adresse (BD Adresse) de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), le Service national adresse (SNA) de La Poste, la Base adresse nationale ouverte (BANO) d’OpenStreetMap France et la base adresse de Google. Cependant, pour les années 2008 à 2013, la BD Adresse était la plus complète et la mieux décrite. Elle a donc été utilisée pour le géocodage des cas enregistrés entre 2008 et 2013 qui font l’objet de cette analyse. Les adresses saisies sur déclaration des patients comportent parfois des erreurs d’orthographe ou d’indication du type de voie (par exemple « rue » au lieu de « ruelle »), voire même du code postal. Par conséquent, un formulaire de saisie des adresses, construit à partir de la BD Adresse, a été développé au niveau du Remacor afin de standardiser la numérisation des adresses, éviter les erreurs de saisie et faciliter l’étape de géocodage. Après chaque saisie, ce formulaire permet d’associer automatiquement les coordonnées géographiques aux adresses.

Unités spatiales de surveillance

Le territoire de l’île de La Réunion est découpé administrativement en trois niveaux emboîtés : 24 communes, 130 grands quartiers et 344 Iris. Les contours géographiques utilisés proviennent de l’IGN. Les prévalences sont calculées pour 10 000 naissances par unité spatiale. Le nombre de naissances est donné précisément par l’Insee pour chaque commune (données de l’état civil) et estimé par Iris et par grand quartier en géocodant les adresses déclarées. Le choix d’une échelle administrative pour agréger les données de malformations congénitales doit d’abord prendre en compte le nombre minimal de naissances requis dans chaque unité administrative afin de détecter au moins un cas de manière statistiquement significative. Le calcul est basé sur un test de Poisson, adapté aux événements rares, à partir de la prévalence moyenne calculée pour l’échantillon. En fonction de cette prévalence moyenne et du test de Poisson, certaines unités administratives cumulant trop peu de naissances ne peuvent pas être intégrées à l’étude. Il faut alors choisir de travailler à une échelle pour laquelle on n’aura pas ou peu d’unités manquantes. Toutefois, sur un petit territoire comme La Réunion, l’échelle des communes, bien qu’étant la plus complète, a tendance à masquer les variations locales, contrairement aux échelles plus fines comme l’Iris ou le grand quartier. Le choix de l’échelle est donc celui d’un compromis entre significativité de l’information, complétude des données et résolution spatiale.

Détection des agrégats

Lorsque l’agrégation des données est finalisée, des méthodes d’analyses spatiales peuvent être appliquées afin d’étudier la distribution des malformations congénitales sur l’île. Une analyse préliminaire consiste à repérer les zones les plus touchées en détectant d’éventuels regroupements de cas. Pour ce faire, la méthode la plus utilisée est celle de Kulldorff, développée dans le logiciel SaTScan 10. Elle permet de déterminer les zones maximisant le test du rapport de vraisemblance 11, appelées agrégats les plus probables (most-likely clusters). La méthode de Kulldorff indique la significativité de chaque agrégat par une p-value. Une seconde méthode consiste à calculer le ratio de prévalence standardisée (SPR). Le SPR permet de représenter les zones en sur et en sous-prévalence par rapport à la moyenne départementale, et de déterminer si ces écarts à la moyenne sont significatifs ou non. Pour cela, le test de significativité de Poisson permet de comparer le nombre de cas observés au nombre de cas théoriques. Les cas théoriques sont calculés en multipliant le nombre de naissances par la prévalence moyenne observée sur tout le territoire. La méthode de l’épicentre géographique développée par F. Boumediene 12 permet d’affiner ces résultats. Elle est utilisée pour croiser les agrégats obtenus à partir des différentes méthodes de détection. Les résultats sont intersectés à différentes échelles administratives, ce qui permet d’assigner un indice à chaque plus petite unité géographique (figure 2).

Figure 2 : Méthode de l’épicentre géographique. Adapté de F. Boumediene [12]
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Par exemple, si l’échelle des Iris est utilisée comme plus petite unité géographique, elle est alors croisée avec l’échelle des grands quartiers, unité intermédiaire, et l’échelle des communes, la plus grande unité. Un indice de 3 attribué à un Iris signifie qu’il a été identifié comme agrégat à chacune des trois échelles : cet Iris est localisé dans un grand quartier et dans une commune qui ont tous les deux été détectés comme appartenant à un agrégat. Un indice de 2 signifie que l’Iris a été identifié comme appartenant à un agrégat à l’échelle des Iris et à une seule des deux autres échelles administratives.

Résultats

Le Remacor a enregistré une prévalence moyenne de 303,5 cas de malformations congénitales pour 10 000 naissances entre 2008 et 2013 (2 637 cas, dont 75,5% nés vivants), et une prévalence moyenne de 249,3 pour les anomalies non génétiques. Sur cette période, les cas ont été observés sur l’ensemble des communes.

Spatialisation des données et choix des échelles d’analyse

Le géocodage a permis de géolocaliser 95% des cas enregistrés entre 2008 et 2013 dans la base de données (liée au logiciel EDMP) pour les intégrer dans une nouvelle base de données, la « BD EDMP Spatialisée ». Le géocodage n’a pas été possible pour certaines adresses, incomplètes ou absentes de la BD Adresse.

Dans le cas de l’analyse des prévalences des malformations non génétiques (prévalence de 249,3 pour 10 000 naissances entre 2008 et 2013), les unités administratives devaient avoir au minimum 130 naissances selon le test de Poisson. Cette analyse était possible sur l’ensemble des communes de La Réunion mais, à l’échelle des grands quartiers et des Iris, toutes les unités n’ont pas pu être incluses (6 grands quartiers sur 130 et 77 Iris sur 344 ont eu moins de 130 naissances). Toutefois, l’échelle des communes, bien que la plus complète, n’est pas la plus intéressante pour les analyses spatiales, car l’hétérogénéité infra-communale est importante du point de vue des facteurs socioéconomiques ou environnementaux. La figure 3 montre que les prévalences les plus élevées ont été observées dans des Iris et des grands quartiers des communes de Saint-Denis, Saint-Louis et Saint-Pierre. À l’échelle des communes, la répartition spatiale des prévalences masque ces variations locales.

Figure 3 : Cartographie de la prévalence de l’ensemble des malformations congénitales non génétiques pour 10 000 naissances à trois échelles administratives, La Réunion (France), 2008-2013
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Analyse des agrégats de malformations congénitales non génétiques

La méthode de Kulldorff fait ressortir un large agrégat de cas (p-value=0,001) sur la région Sud de l’Île, quelle que soit l’échelle géographique (figure 4). La méthode de l’épicentre géographique confirme que seuls quelques Iris sur les bords de l’agrégat (niveau 1 à l’Est et niveau 2 à l’Ouest) ne sont pas inclus à toutes les échelles (niveau 3). La méthode du SPR fait ressortir significativement plusieurs zones de sur-prévalence et de sous-prévalence tout autour de l’île. Des Iris et des grands quartiers du nord de l’île sont identifiés en sur-prévalence significative, alors qu’ils n’étaient pas détectés par la méthode de Kulldorff.

Figure 4 : Cartographie des agrégats (méthodes de Kulldorff et du SPR) des malformations congénitales non génétiques à trois échelles administratives, La Réunion (France), 2008-2013
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Le calcul de l’épicentre géographique montre que ces Iris du Nord sont de niveau 1 alors que tous les Iris de niveau 2 et 3 sont dans le Sud. Les deux méthodes montrent donc une cohérence dans le regroupement des unités spatiales du sud de l’île en sur-prévalence, ce qui est confirmé par le croisement des échelles illustré par les cartes de l’épicentre géographique.

Discussion

Les prévalences des malformations congénitales étant statistiquement faibles, leur analyse aux échelles les plus fines (Iris et grands quartiers) montre qu’un grand nombre d’unités administratives ne peuvent être incluses (figures 3 et 4) du fait d’un nombre insuffisant de naissances. Ces cartographies des prévalences et des agrégats sont toutefois informatives et complémentaires. Les cartes des agrégats font ressortir le Sud comme la région la plus probable à la survenue de malformations non génétiques, alors que les cartes de prévalence rappellent que des cas sont aussi répartis sur les autres régions. Il est aussi important de confronter différentes méthodes de détection d’agrégats. La méthode de Kulldorff permet d’identifier un large agrégat unique qui tend à regrouper des unités spatiales proches, bien que peu touchées, autour d’unités spatiales où le risque est élevé. Les zones de sur-prévalence du Nord n’ont ainsi pas été retenues. Dans le cas de La Réunion, les « effets de bord » (les unités sur le pourtour de l’île ont a priori moins d’unités voisines que les autres) peuvent également diminuer la puissance du test, les agrégats détectés par la procédure de Kulldorff étant classiquement circulaires 13. La méthode du SPR est intéressante car elle fournit davantage de précisions sur les niveaux de sur– et de sous-prévalence. La méthode de l’épicentre géographique permet de synthétiser les résultats aux différentes échelles. Appliquée au SPR, elle conserve le niveau de détail en faisant ressortir les Iris les plus touchés au sein d’un plus large agrégat.

Pour éviter d’avoir des unités spatiales exclues de l’étude par manque de naissances, il serait envisageable de regrouper certains grands quartiers ou Iris. Par exemple, pour les cardiopathies, dont la prévalence moyenne est de 62,8 pour 10 000 naissances, le seuil de naissances minimum est de 500 par unité géographique selon le test de Poisson. Dans ce cas, les grands quartiers ayant un nombre de naissances trop faible pourraient être regroupés avec leurs voisins afin d’obtenir une nouvelle échelle. Dans le système d’information géographique (SIG) utilisé, il faudra alors non seulement veiller à regrouper uniquement les grands quartiers appartenant à une même commune, mais aussi à ne pas regrouper des grands quartiers qui présenteraient une occupation du sol ou des caractéristiques socio-économiques très différentes (selon les données de l’Insee) 14.

De plus, sans la prise en compte de la dimension temporelle, les analyses spatiales se consolident au fil des années en cumulant l’ensemble des cas et deviennent envisageables à ces échelles.

En amont de l’analyse spatiale, le géocodage des adresses a requis un long travail de saisie et d’identification des adresses inconnues dans les bases de référence. Depuis 2013, les bases d’adressage se sont enrichies et une initiative nationale a émergé pour permettre une interrogation conjointe des bases de données françaises : il s’agit de la Base Adresse Nationale (BAN, https://adresse.data.gouv.fr), qui regroupe la BD Adresse, le SNA et la BANO, utilisable à La Réunion depuis 2016. Le Remacor s’est doté en 2017 d’un outil qui facilite ce travail de géocodage en interrogeant directement la BAN. Toutefois, une saisie normalisée des adresses en début de parcours éviterait ce géocodage a posteriori et fiabiliserait les données.

Conclusion

La base de données étant désormais spatialisée, le Remacor peut analyser rétroactivement la distribution spatio-temporelle des maladies congénitales les plus fréquentes à La Réunion et détecter des agrégats. Toutefois, étant donné les prévalences généralement très faibles des malformations congénitales considérées individuellement, de telles analyses sont rarement possibles à l’échelle la plus fine des Iris, laquelle présente pourtant un plus grand intérêt pour la prise en compte de la variabilité des facteurs socioéconomiques et environnementaux. Dans une perspective de surveillance, le Remacor est aussi apte à détecter des regroupements inhabituels de cas qui, constituant un signal sanitaire, seraient ensuite signalés à l’Agence régionale de santé Océan Indien afin de mener des investigations complémentaires si nécessaire. Ce travail de mise en place d’une surveillance spatialisée pourrait être appliqué à d’autres pathologies qui peuvent être liées à l’exposition à des facteurs socio-environnementaux, comme l’infertilité, les cancers, l’autisme ou les troubles envahissant du développement 8. Cependant, ceci nécessite aussi l’existence de registres ou de bases de données dédiées à ces pathologies.

Remerciements

Nous remercions tous nos financeurs, l’ARS Océan Indien, ainsi que l’Inserm et Santé publique France ; tous les professionnels des maternités publiques et privées, les membres du Remacor, Mme Wuillai (association « Naître aujourd’hui »), Jérémy Commins et la DRI ; et les étudiantes, Katherine Abbey Owers, Emeline Benard et Emmeline Davoine.
Nous tenons également à remercier les relecteurs de l’article, pour leurs propositions constructives.

Références

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12 Boumediene F. Ingénierie géomatique en Limousin : le difficile parcours des systèmes de coordination et de communication d’informations géographiques vers des diagnostics territoriaux partagés. Thèse de doctorat en Géographie, Université de Limoges ; 2011. 483 p. http://aurore.unilim.fr/ori-oai-search/advanced-search.html?submenuKey=advanced&userChoices%5Bsimple_all%5D.simpleValueRequestType=default&userChoices%5Bsimple_all%5D.simpleValue=boumediene+farid&search=true&menuKey=all
13 Gaudart J, Giorgi R, Poudiougou B, Touré O, Ranque S, Doumbo O, et al. Détection de clusters spatiaux sans point source prédéfini : utilisation de cinq méthodes et comparaison de leurs résultats. Rev Epidémiol Santé Publique. 2007;55(4):297-306.
14 Actif N, Levet A, Hoarau S, Maillot H. Cartographie sociale des territoires – Des quartiers inégaux face à la précarité. Insee Partenaires (Insee La Réunion-Mayotte). 2013;26:1-6. https://www.insee.fr/fr/statistiques/1292044

Citer cet article

Randrianaivo H, Bertaut-Nativel B, André M, Irabe M, Robillard PY, Boumahni B, et al. Mise en place d’une surveillance spatialisée des malformations congénitales à La Réunion : choix méthodologique. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(2):38-44. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/2/2018_2_2.html