Campagne de vaccination par le vaccin Bexsero®
dans le nord du Rhône : une première riche en enseignements

// Vaccination campaign with the Bexsero® vaccine in North of Rhône (France): A very instructive novel initiative

Daniel Floret1 & Anne-Marie Durand2
1 Université Claude Bernard Lyon1, Lyon, France
2 Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes, Lyon, France

Le vaccin Bexsero® dirigé contre les méningocoques de sérogroupe B n’a pas fait, en France, l’objet d’une recommandation en population générale 1. Par contre, ont été définis des groupes de personnes à risque et des circonstances épidémiologiques (épidémies, grappes de cas, hyperendémies) au profit desquels des campagnes utilisant ce vaccin pourraient être conduites 2. L’algorithme résumant la conduite à tenir est repris dans l’instruction ministérielle relative à la prévention des infections invasives à méningocoques (IIM) 3.

La survenue début 2016, dans un territoire limité du Beaujolais, d’une situation épidémique d’IIM liée à une souche unique de méningocoque B a permis de tester l’applicabilité sur le terrain des mesures recommandées. Dans ce BEH, l’article d’Alexandra Thabuis et coll. décrit la situation épidémiologique et la procédure suivie par l’Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes (ARS) ayant conduit à la décision de mettre en place une campagne vaccinale. En dépit de son apparente complexité, l’appropriation de l’algorithme par les acteurs de terrain s’est faite sans difficulté. L’ARS a pu, en lien avec Santé publique France, s’appuyer sur une expertise multidisciplinaire permettant, une fois prise la décision de mener une campagne, d’aboutir aux décisions difficiles sur deux points-clés : définition du territoire et de la population cibles. Le territoire ciblé a englobé les communes appartenant au même bassin de vie que celles dont étaient issus les cas d’IIM. Le choix de la cible a pris en compte l’absence de démonstration d’efficacité du vaccin sur le portage, situant cette campagne dans une stratégie de protection individuelle stricte. La population choisie (personnes âgées de 2 mois à 24 ans révolus) couvrait à la fois l’âge des cas survenus et celui où surviennent majoritairement les IIMB, tout en reprenant les recommandations de la vaccination (méningocoque C).

L’article de Dominique Dejour Salamanca et coll. décrit les modalités d’organisation de cette première campagne de vaccination utilisant le vaccin Bexsero® et en analyse les résultats. Là, les difficultés n’ont pas manqué : vaccin non disponible en officine, empêchant la participation des médecins libéraux en début de campagne, interférence avec les congés scolaires retardant la campagne dans les établissements… L’ARS a mis en œuvre une organisation de situation exceptionnelle en dédiant une équipe spécifique sur la durée de la campagne, ce qui a nécessité l’application du plan de continuité des activités (PCA) pour libérer les agents participant à la campagne tout en assurant un relais pour leurs missions premières. Ceci a inclus le recours à la Réserve sanitaire (1) pour l’organisation interne de la campagne et pour la vaccination.

De multiples possibilités d’accès à la vaccination ont été offertes, impliquant des acteurs diversifiés : milieu pré-scolaire et scolaire (PMI et Éducation nationale), cabinets de médecins libéraux, centres de vaccination publics (Comité départemental d’hygiène sociale), ouverture de centres communaux soutenue par la mobilisation de réservistes sanitaires. Les amplitudes horaires de fonctionnement ont été élargies pour un accès en dehors des horaires de travail. Une communication intense et diversifiée, ciblant à la fois les professionnels de santé et le grand public, a été mise en œuvre, ainsi qu’un suivi renforcé de pharmacovigilance. La mobilisation des professionnels de santé s’est heurtée à un questionnement sur leur couverture assurantielle, l’absence de vaccins dans les cabinets libéraux et la participation d’autres professionnels à la vaccination (pharmaciens), tous aspects méritant une réflexion dans un cadre juridique se révélant actuellement insuffisant.

Cette campagne a également été l’opportunité de mettre en place une étude psychosociale destinée à comprendre les motivations des personnes et des familles à se faire vacciner ou non et à explorer les freins à la vaccination. Cette étude est décrite dans l’article de Maéva Bigot et coll. : elle a ciblé les parents et les professionnels de santé, et a également comporté une analyse des outils de communication utilisés lors de la campagne. Il en ressort que la définition du territoire et de la population cibles aurait mérité d’être partagée avec les élus et les associations de parents d’élèves au plus tôt pour faciliter la compréhension de la stratégie vaccinale. Côté public, d’une manière globale, cette campagne a été bien perçue, y compris par les personnes n’ayant pas fait vacciner leur enfant. Le fait de percevoir le risque d’être infecté et la perception de l’efficacité du vaccin Bexsero® ont été déterminants dans la décision de vaccination. Le peu de recul sur l’utilisation de ce vaccin limitant la communication, le point-clé apparaît l’aide à la population pour se représenter le risque épidémique. Mais il n’existe pas de solution simple à cette problématique, l’impact des messages relatifs à la maladie ou au vaccin pouvant s’avérer imprévisible 4.

Que dire des résultats ? L’épidémie s’est éteinte, malgré la survenue trois mois plus tard d’une IIMB liée à la même souche dans un village proche de la zone vaccinée, mais sans lien avec elle. La couverture vaccinale (CV) obtenue (47% pour 1 dose, 41% pour 2 doses) n’est pas optimum. Ceci est malheureusement habituel lors des campagnes de vaccination méningocoque en France. Ce fut notamment le cas dans les Pyrénées-Atlantiques en 2013 5. Des taux un peu plus élevés ont été observés en Seine-Maritime, mais pour une épidémie qui a duré plusieurs années 5. Ceci interroge sur le paradoxe d’une maladie perçue comme redoutable et le peu d’adhésion à la vaccination permettant de la prévenir. Une CV parmi les plus basses a été observée dans la classe que fréquentaient 2 des 4 cas survenus et elle n’a pas été meilleure dans les communes de provenance des cas. La CV n’a été que de 30% dans la population des moins de 3 ans, tranche d’âge la plus affectée par les IIMB. La difficulté à vacciner les adolescents/adultes jeunes (CV de 8% pour les 16-24 ans) n’est pas une surprise. Parmi les enseignements positifs : la vaccination en milieu scolaire fonctionne (75% des doses administrées et CV à 63% chez les enfants de 3-11 ans). Malgré les difficultés initiales, les médecins libéraux ont quand même effectué 15% des vaccinations. L’importance de leur implication est confortée par le fait que la meilleure CV a été observée dans la commune où un pédiatre libéral avait apporté un soutien actif à la campagne. Le profil de tolérance du vaccin s’est avéré rassurant et conforme aux données de l’AMM.

En définitive, il s’agit d’un bel exemple de la régionalisation des interventions de santé publique. Même si une couverture vaccinale plus importante était espérée, la preuve est apportée de la capacité des acteurs locaux à décliner des recommandations générales édictées à l’échelon national et à rassembler et coordonner tous les acteurs, y compris politiques. Se donner les moyens d’analyser les résultats et de comprendre ses éventuels échecs représente également un élément fort de cette expérience.

Références

1 Haut Conseil de la santé publique. Avis relatif à l’utilisation du vaccin Bexsero® (Novartis Vaccines and Diagnostics). 25 octobre 2013. https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=387
2 Haut Conseil de la santé publique. Vaccination contre les infections invasives à méningocoque B. Place du vaccin Bexsero®. Rapport du 25 octobre 2013. Paris: HCSP, 2013. 28p. https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapports
domaine?clefr=387
3 Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes. Instruction DGS/RI1/DUS/2014/301 du 24 octobre 2014 relative à la prophylaxie des infections invasives à méningocoque. http://circulaires.legifrance.gouv.fr/index.php?action=afficherCirculaire&hit=1&retourAccueil=1&r=38936
4 Haut Conseil de la santé publique. Avis relatif à la nécessité de poursuivre les campagnes de vaccination contre le clone B:14:P1.7,16 en Seine-Maritime, dans la Somme et les Pyrénées-Atlantiques. 10 juillet 2014. https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=452
5 Nyhan B, Reifler J, Richey S, Freed GL. Effective messages in vaccine promotion: A randomized trial. Pediatrics. 2014;133(4):e835-42.

Citer cet article

Floret D, Durand AM. Éditorial. Campagne de vaccination par le vaccin Bexsero® dans le nord du Rhône : une première riche en enseignements. Bull Epidémiol Hebd. 2018 ;(30‑31):612-13. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/30-31/2018_30‑31_0.html

(1) La Réserve sanitaire, animée par Santé publique France, peut être mobilisée directement par les directeurs généraux d’ARS en cas de situation sanitaire exceptionnelle.