Dépistage du VIH, des hépatites et des IST chez les personnes migrantes primo-arrivantes au Caso de Médecins du Monde de Saint-Denis, de 2012 à 2016

// Screening for HIV, hepatitis and STIs among recent migrants at the Healthcare and Advice Clinics (Caso) of Doctors of the World in Saint-Denis (FRANCE) from 2012 to 2016

Floréale Mangin1 (fmangin@seinesaintdenis.fr), Laura Sulli1, Robert Matra1, Isabelle Nicoulet1,2, Antoine Deslandes3, Mathilde Marmier1
1 Département de la Seine-Saint-Denis, Bobigny, France
2 Équipe de recherche éducation-éthique-santé, Université François Rabelais, Tours, France
3 URF des sciences de la santé, Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, France
Soumis le 18.06.2018 // Date of submission: 06.18.2018
Mots-clés : Dépistage | Migrants | VIH | Hépatites | IST
Keywords: Screening | Migrants | HIV | Hepatitis | STI

Résumé

Le Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic des infections par le VIH, les hépatites virales et les infections sexuellement transmissibles (CeGIDD) du département de Seine-Saint-Denis est partenaire du Centre d’accueil, de soins et d’orientation (Caso) de Médecins du Monde (MdM) de Saint-Denis. Les nouvelles personnes qui se présentent au Caso sont invitées à la consultation délocalisée du CeGIDD dans les locaux de MdM, où un dépistage du VIH, des hépatites et des infections sexuellement transmissibles leur est proposé.

La consultation hebdomadaire à destination des personnes migrantes primo-arrivantes est assurée par une équipe pluridisciplinaire : un médecin, une infirmière, avec recours à des interprètes et/ou médiateurs et en présence d’une assistante sociale. Nous présentons les résultats de cette consultation pour la période 2012-2016.

Les résultats de cette étude montrent des taux de séropositivité pour le VIH (3,6%) et pour les hépatites (VHB 10,9%, VHC 8,2%) supérieurs aux taux nationaux, ceux de l’ensemble du département et à ceux des autres départements de la région. Cette action de dépistage précoce devrait permettre une orientation et une inscription dans un parcours de soins plus rapide.

Ces résultats confirment la pertinence des actions en partenariat avec les associations en direction des publics primo-arrivants dès leur arrivée en France, en vue de renforcer la prévention, limiter le risque d’infection et faciliter l’accès aux soins des personnes déjà infectées.

Abstract

The Free Center for Information, Screening and Diagnosis of HIV Infections, Viral Hepatitis and Sexually Transmitted Infections (CeGIDD) of the Seine-Saint-Denis district, (France), has a long partnership with the Healthcare and Advice Clinics (Caso) of Doctors of the World (DoW). New people who come to the Caso some are invited to the relocated consultation of CeGIDD in DoW’s premises. An HIV, hepatitis and STIs screening is offered to them.

This weekly consultation towards recent migrants is provided by a multidisciplinary team composed of a doctor and a nurse with the help of a social worker, and a translator or a mediator. This study presents the results of this consultation for the period 2012-2016.

The results of this study show significantly higher positive rates of HIV (3.6%) and hepatitis infections (HBV 10.9%, HCV 8.2%) than the national rates, those of the whole district, and those of the others districts of the region. This early screening action should allow for a faster referral and healthcare management.

These results corroborate the relevance of partnership with non-governmental organisations working with recent migrants as soon as they arrive in France, in order to strengthen prevention to limit the risk of infection and to facilitate access to care for people already infected.

Introduction

Les pays européens sont confrontés depuis de nombreuses années à la difficulté d’offrir un accueil de qualité aux personnes migrantes démunies, notamment dans le domaine de la santé. Dans ce contexte, le Centre d’accueil, de soins et d’orientation (Caso) de Médecins du Monde (MdM) de Saint-Denis est une structure qui accueille le public sans rendez-vous. Les personnes sont reçues par des équipes pluridisciplinaires (professionnels de santé, travailleurs sociaux, interprètes, médiateurs…) qui leur proposent des prises en charge adaptées, assurent les orientations nécessaires et les accompagnent dans leurs démarches d’accès aux structures de droits commun (hôpital, soins de ville, assurance maladie, services sociaux…).

Depuis avril 2010, dans le cadre de ses missions de prévention des infections sexuellement transmissibles (IST) et, depuis 2016, de son habilitation en tant que CeGIDD (Centre gratuit d’information, de dépistage et diagnostic des infections par le VIH, les hépatites virales et les IST), le département de la Seine-Saint-Denis assure une consultation de dépistage au sein du Caso. Cette consultation s’adresse essentiellement aux personnes nées à l’étranger récemment arrivées sur le territoire français et ne disposant pas de couverture santé, ces groupes de population étant particulièrement à risque d’infection par le VIH 1 et les hépatites 2, pathologies endémiques dans de nombreuses régions dont ils sont originaires.

Cette étude porte sur les consultants inscrits entre 2012 et 2016 (n=1 115) dans un recueil systématique de données. Ses objectifs étaient de :

caractériser la population accueillie ;

décrire les pathologies rencontrées ;

décrire les difficultés de prise en charge sanitaire et sociale au décours d’un dépistage et proposer des pistes d’amélioration ;

comparer ces caractéristiques à celles d’autres centres de dépistages et de programmes de la mission France de MdM.

Méthode

Lors de leur venue au Caso, et après un entretien de prévention, les personnes étaient inscrites par l’équipe de MdM, sur la base du volontariat et avec leur consentement éclairé, à la consultation hebdomadaire organisée par le CeGIDD 3 départemental dans les locaux du Caso.

Seules les personnes ne déclarant pas de symptômes lors de l’entretien de prévention étaient orientées vers la consultation de dépistage ; celles qui déclaraient des symptômes étaient reçues par un médecin de MdM ou orientées le jour même.

Lors de la consultation de dépistage, les personnes étaient reçues par une équipe composée d’un médecin et d’une infirmière, pouvant faire appel à un assistant de service social et à un interprète professionnel par téléphone (figure 1).

Figure 1 : Déroulé de la consultation CeGIDD au Caso de Saint-Denis
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Dépistages

Un dépistage était proposé aux personnes après information et recueil du consentement éclairé. Les sérologies étaient effectuées sur des prélèvements de sang veineux périphérique ; pour les analyses microbiologiques, les prélèvements étaient réalisés soit par la personne elle-même à l’aide d’un kit d’auto-prélèvement (vaginal, premier jet d’urine) soit par le médecin. Les résultats étaient rendus en main propre lors de la consultation suivante, dans un délai de l’ordre d’une semaine.

En cas de dépistage positif, les personnes étaient orientées vers une prise en charge hospitalière (VIH, hépatites) ou traitées directement (syphilis, Chlamydiae, gonocoques). Une vaccination contre l’hépatite B pouvait également être proposée et réalisée sur place. Lors d’un dépistage VIH positif, les personnes qui n’étaient pas en mesure d’aller à l’hôpital par elles-mêmes pouvaient être accompagnées par un travailleur social (pour les hépatites, la prise en charge immédiate n’étant pas possible faute de couverture santé, cet accompagnement physique ne pouvait être proposé).

Le dépistage du VIH consistait en la réalisation d’une sérologie Elisa de 4e génération 4 (détection des anticorps anti-VIH-1, des anticorps anti-VIH-2 et de l’antigène p24). Un résultat positif était confirmé par Western Blot sur ce même prélèvement. Si ces tests étaient positifs, les personnes étaient orientées vers une prise en charge hospitalière où une nouvelle confirmation était réalisée par un test Elisa sur un second échantillon de sang.

Le dépistage proposé pour le virus de l’hépatite B (VHB) consistait en la recherche de l’antigène anti-VHB (AgHBs), d’anticorps anti-HBc (AcHBc) et d’anticorps anti-HBs (AcHBs). Le dépistage était considéré comme positif en présence de l’AgHBs et les patients étaient alors adressés à l’hôpital pour la suite de la prise en charge. La guérison d’une hépatite B était définie par la présence conjointe d’AcHBs et d’AcHBc, en l’absence d’AgHBs 5. Un antécédent de vaccination pour l’hépatite B était défini par la présence d’AcHBs en l’absence d’AgHBs associé à l’absence d’AcHBc.

Le dépistage du virus de l’hépatite C (VHC) reposait sur la réalisation d’un test Elisa de 3e génération à la recherche d’IgG anti-VHC. En cas de test positif, un test d’amplification des acides nucléiques (TAAN) était réalisé à la recherche d’ARN du VHC. Un test était considéré comme positif en présence d’une sérologie positive (IgG anti-VHC+) associée à un TAAN positif (ARN VHC+). Une hépatite C guérie était définie par la présence d’une sérologie positive (IgG anti-VHC+) associée à un TAAN négatif 6 (ARN VHC-).

Le dépistage de la syphilis consistait en la réalisation d’une sérologie recherchant une positivité aux tests Treponema Pallidum Hemagglutinations Assay (TPHA) et Veneral Disease Research Laboratory (VRDL). En cas de positivité, un test de contrôle était réalisé une semaine après pour définir le caractère de l’infection. Une syphilis précoce ou tardive était définie par la positivité conjointe du TPHA et du VDRL 7 en plus de l’examen clinique et de l’anamnèse (à la recherche d’une notion d’exposition). Une syphilis non symptomatique était considérée comme latente mais traitée. Le traitement consistait en l’injection d’une ou trois doses de benzathine benzylpénicilline selon l’ancienneté estimée de l’infection. Une syphilis guérie était définie par un test TPHA positif, un VDRL négatif et un examen clinique normal.

La recherche de Chlamydiae8 et gonocoques 9 se faisait par la réalisation d’un TAAN sur auto-prélèvements et, en cas de symptômes déclarés lors de la consultation, une culture était réalisée sur les prélèvements locaux effectués par le médecin.

Recueil de données

Afin d’avoir un effectif suffisant pour les analyses statistiques, toutes les données recueillies entre janvier 2012 et décembre 2016 en consultation CeGIDD ont été considérées. Le recueil de données portait sur :

des caractéristiques sociodémographiques (sexe, âge, pays de naissance, langue parlée, recours à un interprète, date d’arrivée en France, couverture santé) ;

les antécédents médicaux (dépistages antérieurs, maladies, actes invasifs) ;

les déterminants de santé (antécédents familiaux, conduites à risque, violences subies) ;

les résultats des dépistages ;

les vaccinations et traitements réalisés ;

le suivi après orientation.

Une personne non venue chercher ses résultats était considérée comme perdue de vue. Afin de mieux comprendre les fluctuations de pays d’origine selon les années, la région d’origine infranationale a été ajoutée dans le recueil à partir de 2015. La saisie anonymisée a été faite au moyen du logiciel Excel® (Microsoft Office), les analyses ont été effectuées à l’aide du logiciel SAS® version 9.2 (SAS Institute Inc., Cary, NC, États-Unis). Les comparaisons de proportions ont été faites par des tests du Chi2 avec une significativité statistique au seuil de 5%. Quand les effectifs étaient faibles le test exact de Fisher pouvait être utilisé. Seuls les résultats significatifs et répondant aux conditions d’utilisation du test sont présentés.

Résultats

Profils

Entre 2012 et 2016, 1 115 personnes ont bénéficié de la consultation CeGIDD au Caso de MdM de Saint-Denis. Nous n’avons pas pu mesurer un taux de refus après proposition par l’équipe de MdM, car le recueil informatique n’a concerné que les personnes vues en consultation CeGIDD.

Plus des trois quarts des consultants (n=858, 77%) étaient des hommes ; l’âge médian était de 33 ans pour les deux sexes. Il s’agissait essentiellement de personnes primo-arrivantes sur le territoire français ; 85% des personnes étaient en France depuis moins de deux ans, avec une durée médiane de présence de quatre mois. La majorité (55%) des personnes était originaire d’Afrique subsaharienne et près d’un tiers venait du sous-continent indien (30%). Les personnes nées en Europe de l’Est (8%) et en Afrique du Nord (6%) étaient moins représentées (figure 2). Les régions de naissance variaient fortement selon le sexe : le rapport de masculinité était de 24,3 pour le sous-continent indien, de 7,4 pour l’Afrique du Nord, de 2,3 pour l’Afrique subsaharienne et de 1 pour l’Europe de l’Est. Les femmes étaient plus souvent originaires d’Afrique subsaharienne (73%) et d’Europe de l’Est (17%).

Figure 2 : Régions de naissance des personnes dépistées pour des infections sexuellement transmissibles au Caso de MdM de Saint-Denis, 2012-2016
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Les régions de naissance des personnes fluctuaient d’une année à l’autre, le nombre de personnes nées en Afrique subsaharienne augmentant de manière importante (+57%) entre 2015 et 2016 tandis que celui des personnes nées dans le sous-continent indien chutait (-26%) (figure 3).

Figure 3 : Évolution du pourcentage de personnes dépistées selon les régions d’origine au Caso de Saint-Denis de 2012 à 2016
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Concernant l’origine infranationale, en 2015-2016 77,5% (n=69) des personnes nées en Inde ou au Pakistan venaient de la province du Pendjab, 31,5% (n=59) des personnes nées en Afrique subsaharienne venaient d’Abidjan (Côte d’Ivoire), 11,6% (n=22) de Kayes (Mali), 10% (n=20) de Douala (Cameroun), 6,8% (n=15) de Yaoundé (Cameroun) et 5,8% (n=11) de Bamako (Mali). Pour cette variable il y avait 19,6% de données manquantes (n=83).

Dépistages effectués lors de la consultation

La quasi-totalité des personnes reçues a bénéficié d’au moins une sérologie (VIH, VHB ou VHC) de dépistage (n=1 067 ; 96%). La moitié des personnes (n=537, 49%) a bénéficié également d’un dépistage des Chlamydiae et des gonocoques. Le taux de personnes non venues chercher leurs résultats était de 16% (tableau).

Antécédents de dépistage

Parmi les consultants, 46,6% (n=519) ont déclaré avoir déjà eu au moins un dépistage sérologique dans leur vie (VIH, VHB, VHC, syphilis). Les personnes originaires d’Afrique subsaharienne déclaraient plus que les autres connaître leur statut sérologique vis-à-vis du VIH (49,4% vs 39,5% ; p=0,0001). Les femmes déclaraient davantage connaître leur statut sérologique vis-à-vis du VIH que les hommes (51,5% vs 35,7% ; p=0,0001) (tableau).

Tableau : Dépistages réalisés, perdus de vue et statut sérologique antérieur, lors de la consultation de dépistage des infections sexuellement transmissibles au Caso de Saint-Denis, 2012-2016
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Dépistages positifs

Le taux de sérologies positives au VIH était de 3,6%. Ce taux s’élevait à 5,5% chez les personnes nées en Afrique subsaharienne (tableau), qui représentaient 81% (n=30) des cas de sérologie VIH positive retrouvés. Parmi les personnes déclarant avoir déjà été dépistées pour le VIH et à nouveau dépistées au Caso (n=362), 8 ont découvert leur séropositivité, 9 l’ont confirmée et 1 l’a infirmée, soit 97,5% de connaissance exacte du statut sérologique. Sur l’ensemble des personnes testées, trois quarts des tests positifs concernaient des découvertes (75,7%, n=28).

Le taux de sérologies trouvées positives pour l’hépatite B (AgHBs+) était de 10,9% ; 42,3% (n=437) des personnes avaient eu une hépatite B guérie spontanément. Chez les personnes nées en Afrique subsaharienne, le taux d’infection par le VHB (AgHBs+) s’élevait à 14,3% (n=82) (tableau) et à 53,1% (n=304) pour les hépatites guéries. Les personnes originaires d’Afrique subsaharienne représentaient 73,2% des cas d’infection par le VHB dépistés. Parmi les personnes déclarant avoir déjà bénéficié d’un dépistage du VHB dans leur vie et de nouveau dépistées au Caso (n=200), 9 ont découvert leur séropositivité (AgHBs+), 33 l’ont confirmée et 4 l’ont infirmée, soit 93,3% de connaissance exacte du statut sérologique. Parmi les personnes dépistées 43,5% (n=449) avaient un résultat négatif au VHB et étaient éligibles à la vaccination ; 56,3% d’entre elles se sont vu proposer une vaccination et 40,8% ont bénéficié d’au moins une injection.

Le taux de sérologies positives au VHC (Ac anti-VHC) était de 8,2% sur l’ensemble de la période. Ce taux de positivité était de 10,8% (n=9) pour les personnes nées en Inde et de 20,1% (n=41) pour les personnes nées au Pakistan. Les résultats de contrôle par PCR, recueillis depuis 2014, indiquaient que 26,1% (n=12) des personnes ayant eu un dépistage VHC avaient guéri spontanément. Le taux d’hépatite C (ARN positif) s’élevait à 12,2% (n=20) chez les personnes nées en Inde ou au Pakistan. Ces personnes représentaient deux-tiers de l’ensemble des cas d’hépatite C (n=30) retrouvés entre 2014 et 2016. Sur la période 2014-2016, parmi toutes les personnes ayant un antécédent de dépistage du VHC (n=164), 3 ont découvert leur séropositivité, 27 l’ont confirmée, 7 l’ont infirmée et 7 avaient guéri spontanément, soit 93,9% de connaissance exacte du statut sérologique.

Le taux de syphilis retrouvé était de 1,6% (et 3% de cicatrice sérologique) ; le taux de positivité des Chlamydiae était de 6,4% et de 1,6% pour les gonocoques.

Dans notre échantillon, les taux de sérologies positives (VIH, VHC, VHB) étaient supérieurs à ceux retrouvés au CeGIDD du département de Seine-Saint-Denis et dans les programmes France de Médecins du Monde 10. En revanche, les taux de dépistages positifs pour les gonocoques étaient inférieurs (figure 4).

Figure 4 : Taux de positivité comparés des dépistages d’infections sexuellement transmissibles réalisés au Caso de Saint-Denis, dans l’ensemble de l’activité du CeGIDD de Seine-Saint-Denis (hors Caso) et dans les programmes France de Médecins du Monde, 2012-2016
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Facteurs de risque associés au fait d’être infecté

Les femmes étaient 18,2% à déclarer des violences sexuelles subies (contre 3,5% des hommes). Le taux de séropositivité au VIH était significativement plus élevé chez les femmes déclarant des violences versus celles n’en déclarant pas (20,5% vs 8,7% ; p<0,0001), et également plus élevé par rapport aux hommes déclarant des violences (7,1%). Alors que les femmes ne comptaient que pour 22,7% de la file active, elles représentaient plus de la moitié des cas d’infection par le VIH dépistés (54,1%).

Les personnes arrivées depuis moins de six mois étaient plus souvent infectées par le VIH, une hépatite ou la syphilis que celles arrivées depuis plus de six mois (26,5% vs 18,9%, p=0,006).

Le fait d’avoir été transfusé (46,7% vs 22,5%, p=0,002) ou d’être usager de drogue par voie intraveineuse (50% vs 22,5%, p=0,009) était plus souvent associé à une sérologie positive.

Orientations médicales

Concernant les 152 personnes ayant eu un dépistage positif et ayant été orientées pour une prise en charge, le CeGIDD n’a eu de retour par compte rendu que pour un peu plus du quart : 40,6% (n=29) pour VIH, 34,8% (n=17) pour VHC, 24,6% (n=22) pour VHB.

Discussion

La population accueillie lors de cette consultation était essentiellement primo-arrivante, originaire d’Afrique subsaharienne, du sous-continent indien, d’Europe de l’Est et d’Afrique du Nord. Quelle que soit la référence prise (programmes France de MdM, CeGIDD départemental, CDAG français, CDAG d’Île-de-France), les taux de positivité retrouvés dans cette étude étaient plus élevés pour le VIH et les hépatites (VIH 3,6%, VHB 10,9%, VHC 8,2%) (figure 4). Les personnes arrivées le plus récemment en France ainsi que les femmes avaient significativement plus de risques d’être infectées.

Le taux de séropositivité au VIH était plus élevé dans notre échantillon que la prévalence observée dans certains pays d’origine comme le Cameroun (8,2% contre 3,9% en population générale 11) et la Côte d’Ivoire (8,1% contre 2,8% en population générale 11).

Les taux de positivité au VHB retrouvés (AgHBs+) étaient similaires à la prévalence dans les pays d’origine sauf pour les personnes originaires de Côte d’Ivoire (16,9% dans notre échantillon contre une prévalence de 10 à 12% dans le pays 12).

Comparaison aux autres programmes de Médecins du Monde et aux Centres de dépistage anonyme et gratuit (CDAG)

Les équipes de MdM de différents programmes 10 proposent à leurs usagers des entretiens de prévention et les orientent vers un dépistage en CeGIDD, en laboratoire de ville ou en centre d’examens de santé. Les données auxquelles nous avons pu comparer les nôtres sont celles des programmes en partenariat avec des CeGIDD ou des laboratoires qui transmettent les résultats à MdM 10. Avant 2016 (date de fusion des CDAG et des Centres d’information de dépistage et de diagnostic des IST), nous ne disposions que des données issues des CDAG pour effectuer les comparaisons sur la période de notre étude.

Ainsi, par rapport aux résultats de l’ensemble des CDAG d’Île-de-France, les taux de VHB+ et VHC+ étaient respectivement 9,1 et 11,3 fois plus importants 13. Le taux de positivité au VIH était 7,2 fois plus important que dans le reste des consultations de dépistage des IST menées par le Département de la Seine-Saint-Denis, 7,5 fois plus qu’en Île-de-France et 9,7 fois plus que dans les CDAG français 13. Ces différences s’expliquent par le recrutement très spécifique de cette consultation qui s’adresse aux personnes primo-arrivantes, démunies de couverture santé et souvent originaires de régions d’endémie. Au Caso de Saint-Denis, pour l’ensemble de la file active (nous ne disposons pas de ces variables dans notre recueil), 15% des personnes étaient sans domicile, 13,1% vivaient en squat ou en bidonville et 68,8% étaient hébergées chez un tiers 10. La précarité extrême est un facteur supplémentaire de vulnérabilité face aux maladies infectieuses 14.

Connaissance du statut sérologique

Les personnes fréquentant le Caso de MdM de Saint-Denis étaient très souvent originaires de régions de forte endémie des maladies infectieuses comme le VIH, les hépatites 15 ou la syphilis. Leurs conditions de vie très précaires et le parcours migratoire constituent un cumul de facteurs de risque 2. Les caractéristiques de notre étude correspondent à celles de l’ensemble des consultants du Caso de Saint-Denis 10.

Les personnes de notre étude connaissaient plutôt bien leur statut sérologique quand ils avaient déjà bénéficié d’un dépistage. Cette information peut leur permettre de mieux comprendre le contexte de contamination et faciliter leur insertion dans un parcours de soins (prévention, annonce ou confirmation, orientation, éducation thérapeutique…). Des différences entre hommes et femmes étaient observées sur la connaissance du statut sérologique au VIH, peut-être liées au meilleur accès au dépistage des femmes lors des grossesses 2. Pour le VHC, la différence pourrait provenir de la prédominance masculine, dans notre échantillon, des personnes originaires du sous-continent indien où l’infection par le VHC est endémique et reconnue comme problème de santé publique. Le sexe, l’origine géographique 16, les conditions d’hébergement et le statut administratif 17 semblent jouer un rôle dans la probabilité de se voir proposer ou non un dépistage du VIH et des hépatites par les professionnels de santé rencontrés au cours de la vie et donc de connaître son statut sérologique.

Particularité du VHC au Penjab

On retrouvait dans notre échantillon des taux de séropositivité au VHC très élevés par rapport à la prévalence de certains pays d’origine. La forte proportion de personnes indo-pakistanaises infectées par le VHC serait liée à une caractéristique commune de la population fréquentant le Caso : son origine pendjabi. Le Pendjab, situé sur les territoires de l’Inde et du Pakistan, connaît une prévalence élevée d’hépatite C (5 à 7% dans la province du Pendjab au nord-ouest de l’Inde contre 0,5 à 1,5% au niveau national 18, 6,7% dans l’État du Pendjab au nord-est du Pakistan 19 contre 4,8% pour l’ensemble du pays 20). La prévalence élevée du VHC au Pendjab semble s’expliquer par un défaut d’application des recommandations internationales de précaution en termes d’exposition au sang dans le système de soins 15 et par la part importante d’usagers de drogues injectables 21. Cette région est le théâtre d’importantes persécutions, notamment religieuses, poussant les populations à fuir.

Les taux supérieurs retrouvés dans notre échantillon relèvent peut-être d’autres facteurs, comme un sous-dépistage dans le pays d’origine 21 et de caractéristiques différentes (âge, sexe, parcours de soins…) entre les migrants et non migrants vivant dans la région d’origine.

Violences sexuelles

La part des violences sexuelles déclarées chez les femmes est alarmante, bien que probablement sous-estimée (35% de données manquantes) et elle témoigne de parcours migratoires et de conditions de vie en France très difficiles. Chez les hommes, la notion de violence sexuelle subie est à mieux documenter également, avec un taux de données manquantes de 84,7%. Mieux connaître les violences subies par les consultants nous permettrait d’améliorer la compréhension des résultats retrouvés et d’adapter nos stratégies de prévention.

Fluctuation de la file active pouvant influer sur les résultats retrouvés

Les régions d’origine évoluent d’une année sur l’autre : la dernière année d’analyse a été marquée par une modification brusque de l’origine des consultants, avec la raréfaction de personnes nées en Inde ou au Pakistan et l’augmentation de personnes originaires de Côte d’Ivoire. Ainsi, en Côte d’Ivoire, les conséquences de la crise post-électorale de 2010, les persécutions religieuses et les violences persistantes semblaient se traduire par l’arrivée de nombreux exilés en 2016 en provenance de tout le pays.

Ces évolutions de la file active, qui se sont confirmées en 2017, peuvent avoir des conséquences sur les résultats des dépistages réalisés, les personnes originaires du sous-continent indien étant davantage susceptibles d’être infectées par le VHC et celles originaires d’Afrique subsaharienne par le VIH ou le VHB.

Difficultés de prise en charge

L’orientation des personnes suite à un résultat de dépistage positif est systématique, mais leur prise en charge effective est très hétérogène. Ainsi, pour une séropositivité au VIH, l’orientation et la prise en charge hospitalière sont immédiates (moins d’une semaine) tandis que pour les hépatites la situation est très problématique (plus de six mois). Les personnes orientées immédiatement pour une hépatite B ou une hépatite C se voyant refuser l’accès à un bilan faute de couverture santé (alors même qu’elles devraient bénéficier du fonds pour soins urgents et vitaux 22), l’équipe du CeGIDD a dû revoir sa stratégie, à partir de 2016, en impliquant le médiateur de santé du département pour relancer les hôpitaux et limiter le nombre de perdus de vue, afin de décharger le médecin de ce travail chronophage. Ce travail est également mené pour le VIH, les informations de prise en charge étant inconnues pour près de 60% des personnes orientées.

Conclusion

Notre étude met en évidence l’importance de proposer le dépistage du VIH, des hépatites et de la syphilis aux personnes très éloignées de la prévention et du soin, notamment du fait de conditions de vie très précaires. Il a été montré qu’une part importante des migrants vivant avec le VIH en France depuis plus de 10 ans avaient été contaminés en France 23. La prévention auprès des personnes récemment arrivées sur le territoire constitue donc un enjeu de santé publique pour limiter la survenue de nouvelles contaminations après la migration.

Il est nécessaire d’améliorer l’accès au dépistage des personnes récemment arrivées en France et de mieux comprendre les comportements sexuels afin d’améliorer les politiques de prévention en direction de ces populations. Le travail partenarial avec les associations comme MdM est particulièrement pertinent. Par exemple au Caso de MdM, un entretien de prévention peut être proposé aux personnes séronégatives. Le taux non négligeable de personnes qui ne sont pas venues chercher leurs résultats, dont certains étaient positifs, est préoccupant. Il plaide en faveur d’un recours aux tests rapides d’orientation diagnostique (TROD), mis en place au Caso de Saint-Denis depuis 2015 et chaque semaine depuis 2017 en partenariat avec une autre association. Cette stratégie s’avère pertinente car, en 2017, 50% des séropositivités au VIH retrouvées au Caso l’ont été grâce à un TROD. Cependant, le dépistage, s’il identifie une infection, doit mener à une prise en charge médicale effective, mais les garanties de prise en charge médicale font encore défaut.

Références

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Remerciements

Aux patients qui ont répondu à nos questions, à Médecins du Monde et à l’équipe du Caso de La Plaine Saint-Denis, MD. Pauti, A. Grippon, J. Rochefort de Médecins du Monde, à l’équipe du CeGIDD départemental, au laboratoire départemental de Seine-Saint-Denis.

Citer cet article

Mangin F, Sulli L, Matra R, Nicoulet I, Deslandes A, Marmier M. Dépistage du VIH, des hépatites et des IST chez les personnes migrantes primo-arrivantes au Caso de Médecins du Monde de Saint-Denis, de 2012 à 2016. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(40-41):805-12. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/40-41/2018_40-41_3.html