Inégalités socioéconomiques dans le développement langagier et moteur des enfants à 2 ans

// Socio-economic inequalities in children’s language and motor development at 2 years of age

Sébastien Grobon1,2, Lidia Panico2 (lidia.panico@ined.fr), Anne Solaz2
1 Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), Montrouge, France
2 Institut national d’études démographiques (Ined), Paris, France
Soumis le 04.09.2018 // Date of submission: 09.04.2018
Mots-clés : Inégalités sociales | Petite enfance | Langage | Motricité | France
Keywords: Social inequalities | Early childhood | Language development | Motor development | France

Résumé

Objectif –

Documenter l’ampleur des inégalités de développement du langage et de la motricité à l’âge de 2 ans selon différents indicateurs socioéconomiques.

Méthode –

L’étude repose sur les données récentes de l’Étude longitudinale française depuis l’enfance (Elfe), une enquête nationale suivant une cohorte de plus de 18 000 enfants depuis leur naissance en 2011 en France métropolitaine. Les inégalités socioéconomiques (selon le diplôme des parents et le revenu) dans le développement de l’enfant sont analysées à partir d’un indicateur de langage (le MacArthur-Bates Inventory) et d’un score de développement moteur construit à partir de huit variables.

Résultats –

À 2 ans, le développement du langage des enfants est marqué par un fort gradient socioéconomique selon le revenu du ménage ou le diplôme de la mère. La différence brute entre les ménages les plus favorisés et les moins favorisés (tant en termes d’éducation que de revenu) est de l’ordre d’un demi-écart-type. Les différences ajustées, après l’introduction de variables de contrôles, sont moins importantes mais persistent. Une partie de ces inégalités seraient dues aux disparités socioéconomiques dans le recours aux modes d’accueils formels à ces âges. Nous n’observons pas d’écarts en termes de développement moteur.

Conclusion –

Ces résultats soulignent que les différences socioéconomiques sont présentes dès les premières années et peuvent influer sur la trajectoire future. Bien que les développements langagier et physique soient largement liés à ces jeunes âges, les inégalités socioéconomiques sont surtout marquées pour le développement du langage.

Abstract

Objective –

We documented the magnitude of socio-economic inequalities in early language and motor development at 2 years of age in France.

Method –

The study is based on recent data from the French Longitudinal Study of Childhood (ELFE), a national cohort of over 18,000 children followed from their birth in 2011, to analyse socio-economic inequalities (according to parents’ educational qualifications and income) in child development using a language indicator (the MacArthur-Bates Inventory) and a motor development score that we construct from eight variables.

Results –

At two years of age, children’s language development is marked by a strong socio-economic gradient, according to both household income and mother’s education. The difference between the most and least advantaged households (in terms of both education and income) is about half a standard deviation. The adjusted differences, after the introduction of a number of control variables, are smaller but remain statistically significant. Part of these inequalities are due to socio-economic disparities in attendance to formal childcare. We do not observe differences in terms of motor development.

Conclusion –

These results underline that socio-economic differences are present from the early years and may influence future trajectories and inequalities. Although language and physical development are largely related at these young ages, socio-economic inequalities are especially marked for language development.

Introduction – Contexte

Lors des dernières Assises de l’école maternelle en mars 2018, le président de la République a annoncé l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans (au lieu de 6), avec l’objectif de réduire les inégalités sociales dès le plus jeune âge et de construire une véritable « école du langage et de l’épanouissement ». Devant le constat du moindre accès par les familles défavorisées aux modes d’accueil extérieurs à la famille 1, favoriser l’accessibilité à un mode d’accueil dès le plus jeune âge pour les familles en situation de pauvreté est également un moyen avancé pour réduire l’impact des inégalités socioéconomiques sur le développement des enfants 2,3. Par manque de données représentatives au niveau national, peu d’études en France ont pu documenter ces inégalités pour les moins de 3 ans. L’objet de cet article est de décrire le développement langagier et moteur des enfants à l’âge de 2 ans, avant leur entrée à l’école maternelle, selon le milieu socioéconomique de leurs parents, à l’aide d’un vaste échantillon représentatif à l’échelle nationale. Quelle est l’ampleur des inégalités socioéconomiques à cet âge ? Sont-elles aussi marquées pour le développement langagier que pour le développement moteur de l’enfant ? Observe-t-on des différences selon le mode d’accueil fréquenté par l’enfant ?

La petite enfance est une phase-clé du développement du cerveau et de l’apprentissage de l’enfant, qui façonne le développement cognitif, social et émotionnel, ainsi que la croissance 4. Étant donné la rapidité du développement à ce stade, la petite enfance est une période particulièrement sensible à l’environnement familial et, par conséquent, aux variables qui l’influencent (comme, par exemple, le niveau d’éducation des parents, leurs ressources économiques, leur statut et origine migratoire, la composition du ménage, l’entourage, …). Il n’est donc pas surprenant qu’il existe un gradient socioéconomique dans le développement à ces âges, observé dans plusieurs pays développés 5.

Différentes disciplines ont proposé des cadres théoriques pour comprendre ces écarts. Les modèles économiques d’acquisition de compétences montrent, entre autres, qu’un faible revenu peut limiter la capacité des parents à accéder aux soins de santé adéquats ou à une éducation de qualité pour leurs enfants 6. D’autres recherches 7 suggèrent que le revenu familial joue sur certaines sphères du développement de l’enfant : aux États-Unis, une association positive entre revenu et capacités cognitives a été observée, tandis que les liaisons sont plus ténues avec les indicateurs de comportement, de santé mentale ou de santé physique. Les psychologues suggèrent que l’insécurité financière fragilise la santé mentale des parents et, par conséquent, leur comportement parental 8. Récemment, l’accent a été mis sur le rôle de l’environnement d’apprentissage qui prévaut à la maison (home learning environment), y compris l’accès à la lecture parentale ou à d’autres activités enrichissantes 9. Bien qu’il soit reconnu que, surtout aux jeunes âges, le contexte familial prime pour le développement de l’enfant, une littérature a aussi exploré le rôle des modes d’accueil et de la scolarisation précoce. Cette littérature suggère qu’un mode de garde collectif de qualité est bénéfique, en particulier pour le développement cognitif 10, et ce surtout pour les enfants issus de familles plus défavorisées 11. La majorité de cette littérature est issue du contexte américain, où la qualité et l’accès aux modes de garde sont extrêmement hétérogènes.

Le développement de l’enfant est un processus multidimensionnel, qui recouvre différents types de compétences (par exemple cognitives, langagières, socio‑émotionnelles, motrices, etc.). Le développement précoce du langage est considéré comme un indicateur de maturité scolaire. Même si les trajectoires peuvent diverger par la suite, le niveau langagier précoce reste très corrélé à celui que l’on observe aux 3 ans de l’enfant 12. En particulier, certains aspects du langage précoce, comme la volumétrie du vocabulaire, semblent être sensibles aux antécédents familiaux. Par exemple, l’étude classique de Hart et Risley 13 a documenté des différences considérables dans la taille du vocabulaire chez les enfants de familles de différents milieux socioéconomiques, observables dès le début de la parole et qui s’accentuent avec l’avancée en âge. Bien que certains des mécanismes suggérés par l’étude originale, comme le nombre de mots entendus par l’enfant, aient été récemment critiqués 14, des travaux plus récents montrent des écarts et des trajectoires cohérentes avec celles suggérées à l’origine 15.

Le calendrier des étapes du développement de la motricité globale et fine est considéré comme un marqueur d’intégrité neurologique. On considère qu’il y a retard lorsqu’un enfant n’atteint pas les étapes à l’âge prévu, en considérant toutefois une marge de variation 16. Les gradients socioéconomiques dans le développement moteur ont été moins explorés empiriquement, et d’autant plus rarement au sein d’échantillons représentatifs. Les explications des différences vont de celles fondées sur la biologie ou la génétique à celles qui tiennent compte des attentes des parents et des pratiques éducatives 17.

Champ de l’étude et méthode

Données et champ de l’étude

L’enquête Elfe (Étude longitudinale française depuis l’enfance) est une cohorte nationale de 18 000 enfants suivis de la naissance à l’âge adulte avec une approche multidisciplinaire (sciences sociales, santé et santé-environnement), afin d’étudier les facteurs familiaux, économiques et socioculturels susceptibles d’influencer le développement des enfants à différents âges et dans différents domaines. Les enfants de la cohorte sont nés en 2011 dans un échantillon représentatif de 341 maternités en France métropolitaine ; les premiers entretiens ont été réalisés en face à face peu de temps après la naissance à l’hôpital, puis par téléphone environ deux mois après la naissance, ainsi qu’aux 1 et 2 ans de l’enfant. Les analyses présentées ici utilisent principalement les données recueillies auprès des parents à l’âge de 1 an pour les variables socioéconomiques, et autour des 2 ans pour les indicateurs de développement de l’enfant. En raison de l’attrition et de variables non renseignées, l’échantillon analytique est constitué des enfants dont les parents ont répondu aux deux enquêtes et aux indicateurs considérés, c’est-à-dire 11 496 enfants pour les indicateurs de langage et 10 740 pour les indicateurs moteurs. Ces derniers, collectés auprès des pères si les parents vivent en couple, ont été moins bien renseignés. Afin de rendre cet échantillon représentatif, nous avons systématiquement utilisé les pondérations individuelles et de grappe (liée à la maternité et la saison de naissance) qui corrigent la non réponse, plus marquée pour les parents issus de milieux défavorisés dans l’enquête Elfe 18.

Indicateurs de développement langagier et moteur

L’indicateur de développement du langage, le MacArthur-Bates 19, mesure le volume et la variété du vocabulaire acquis par l’enfant. Dans sa version courte 20, utilisée ici, il compte le nombre de mots dits de manière spontanée (même si la prononciation de l’enfant est différente de celle des adultes) par l’enfant parmi une liste de 100 proposés à la mère (ou éventuellement au père).

L’indicateur synthétique de développement moteur est construit à partir de huit variables indiquant la capacité de l’enfant à effectuer différentes activités, telles que déclarées par le parent répondant : monter les escaliers, frapper dans un ballon, courir, pédaler avec un tricycle, manger seul, boire seul, enfiler seul des chaussons ou chaussettes, marcher de manière autonome avant l’âge de 18 mois – un délai correspondant aux limites considérées comme normales par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) 16. L’indicateur est défini comme les coordonnées des individus sur le premier axe factoriel d’une analyse des correspondances multiples réalisée sur ces huit variables. Il représente 79% de l’inertie formée par les huit variables, signe d’une bonne corrélation des variables entre elles. Afin de faciliter l’interprétation et la comparaison des deux indicateurs, ceux-ci sont standardisés selon l’âge de l’enfant, c’est-à-dire centrés et réduits (moyenne nulle et variance à 1) séparément pour chaque âge en mois au moment de l’enquête (car, si l’âge moyen des enfants est de 25 mois, il varie de 23 à 28 mois).

Analyse statistique

Les différences socioéconomiques sont mesurées par plusieurs indicateurs : le niveau de diplôme le plus élevé de la mère (est considéré également le diplôme du père dans une spécification alternative mais cela oblige à exclure les familles monoparentales, ce qui réduit l’échantillon d’environ 10%, ainsi que sa représentativité) et les ressources financières du ménage mesurées par les quintiles de revenu, défini comme l’ensemble des ressources du ménage divisé par le nombre d’unités de consommation (échelle d’équivalence de l’OCDE).

Pour mesurer les gradients socioéconomiques dans le développement de l’enfant, des régressions linéaires simples et ajustées sont réalisées, en contrôlant de nombreuses autres variables décrivant les caractéristiques des enfants et de leurs parents. Ces variables sont : le sexe de l’enfant, le nombre de frères et sœurs dans le ménage à la naissance, ainsi que d’autres variables susceptibles d’influencer le développement de l’enfant, telles que l’arrivée récente d’un nouveau frère ou sœur, le poids de l’enfant à sa naissance et le fait d’être issu d’une grossesse gémellaire, dans la mesure où un petit poids et la gémellité peuvent affecter le niveau de santé et le développement ultérieur de l’enfant. Une variable indiquant si le français n’est pas la langue principale parlée à la maison par au moins un des deux parents est aussi incluse, car un enfant grandissant dans deux univers de langues peut mettre plus de temps à acquérir du vocabulaire. Notons toutefois que l’indicateur langagier tient compte des mots prononcés dans une autre langue que le français. Le fait de vivre dans une maison plutôt qu’un appartement, facteur d’espace susceptible d’affecter le développement de la motricité, est également contrôlé. L’âge de la mère ainsi que le statut de monoparentalité (si la mère ne vit pas en couple cohabitant) sont aussi inclus. Enfin, afin d’appréhender si les différences socioéconomiques observées sont sensibles au mode d’accueil utilisé, cette information est ajoutée dans un dernier modèle. Pour ce faire, est considéré le principal mode de garde de l’enfant autour de son premier anniversaire. Il ne s’agit pas ici de mesurer un effet causal de ce mode de garde, car celui-ci n’est pas corrigé de son endogénéité (tous les enfants n’ayant pas également accès aux différents modes de garde 21), mais de voir si le gradient socioéconomique est modifié une fois cette information ajoutée au modèle de régression.

Résultats

En termes de développement du langage, alors qu’en moyenne aux alentours de leurs 2 ans, les enfants connaissent 74 mots parmi les 100 proposés, ceux dont la mère a un niveau de diplôme inférieur au BEPC en connaissent 4 de moins et ceux dont la mère a un diplôme de l’enseignement supérieur plus élevé que le niveau Bac+2 en connaissent 6 de plus. Ces disparités sont confirmées par les résultats du modèle non ajusté (figures 1 et  2) : de forts gradients selon le diplôme de la mère ou le revenu du ménage sont observés sur l’indicateur standardisé de langage. La différence brute entre les ménages les plus favorisés et les moins favorisés est respectivement d’un demi-écart-type lorsque l’on considère le niveau d’éducation de la mère et de 40% d’un écart type lorsque l’on considère les quintiles de revenus. La différence est un peu moins prononcée en ce qui concerne le niveau d’éducation du père (résultats non présentés).

Figure 1 : Développement langagier et moteur des enfants à 2 ans selon le diplôme de la mère, pour trois types de modèles. Enquête Elfe, France
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Figure 2 : Développement langagier et moteur des enfants à 2 ans selon le quintile de revenu, pour trois types de modèles. Enquête Elfe, France
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Concernant le développement moteur à l’âge de 2 ans, les enfants de l’échantillon réalisent 6,5 activités motrices en moyenne au moment de l’interrogation des parents parmi les huit demandées. Si la grande majorité des enfants en réalisent au moins 3, ce ne sont pas toujours les mêmes activités, et peu d’enfant sont capables de réaliser les huit : cela concerne 10% des enfants âgé de 23 mois et 20% de ceux ayant 28 mois. Le niveau d’éducation et le revenu influent peu : seuls les enfants dont la mère est titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur plus élevé que le niveau Bac+2 connaissent un développement moteur légèrement moindre (de l’ordre de 6% d’un écart-type) par comparaison aux enfants de mères n’ayant que le baccalauréat, dans le modèle non ajusté.

Les différences socioéconomiques de développement du vocabulaire se trouvent réduites lorsque l’on raisonne à caractéristiques de l’enfant et de la famille comparables. L’amplitude n’est plus que d’un tiers d’écart type, pour le diplôme de la mère comme pour le revenu du ménage. Le faible effet des variables socioéconomiques sur le développement moteur est confirmé : plus aucun écart n’est observé entre les enfants selon le niveau de diplôme de la mère ou le revenu du ménage.

Enfin, lorsqu’on raisonne à mode de garde donné, les écarts selon le diplôme ou le revenu dans la richesse du vocabulaire se réduisent encore, et ce de manière assez prononcée (tableau). L’amplitude des écarts entre les classes extrêmes n’est plus que de 27% d’un écart-type pour le diplôme de la mère et de 21% pour le revenu. Le développement du langage diffère entre les enfants selon le mode de garde utilisé (figure 3). Les enfants gardés en crèche ou par une assistante maternelle ont acquis un vocabulaire plus riche que ceux gardés par les parents ou les grands-parents, bien que l’on ne puisse pas conclure que cette différence de vocabulaire soit due au mode de garde. Il peut s’agir d’un effet de structure non contrôlé, par exemple si les enfants gardés en crèche ont des caractéristiques non observées dans l’enquête qui les conduisent à acquérir un meilleur vocabulaire. Il apparaît toutefois qu’en comparaison de la garde par les parents, le fait de fréquenter un mode de garde extérieur formel tend à réduire les inégalités sociales de développement langagier. Le contact de l’enfant avec des professionnels de la petite enfance, qui peuvent proposer des activités éducatives adaptées à l’âge de l’enfant, pourraient être une source d’enrichissement du vocabulaire 22. En termes de développement moteur, il existe très peu de différence significative entre les modes de garde. Seule la crèche conduirait à un développement moteur légèrement plus élevé que les autres modes d’accueil.

Tableau : Régressions linéaires portant sur le développement langagier et moteur de l’enfant à 2 ans, ajustées sur les variables sociodémographiques et le mode d’accueil à 1 an (modèles avec éducation et avec revenu). Enquête Elfe, France
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Figure 3 : Développement langagier et moteur selon le mode d’accueil de l’enfant à 1 an. Enquête Elfe, France
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Discussion

Dans la mesure où notre indicateur de développement moteur, contrairement à notre indicateur langagier, n’est pas une échelle dont la validité a été évaluée, les résultats pourraient différer selon la manière d’agréger les questions utilisées. Pour cette raison, nous avons réalisé un test de robustesse en recourant à une régression de Poisson sur la somme des aptitudes physiques listées (nombre d’aptitudes physiques acquises par l’enfant). Les résultats (non présentés) restent très similaires à ceux obtenus précédemment, à partir de l’indicateur continu calculé à l’aide d’une analyse factorielle sur les huit questions.

Comme souvent, qu’il s’agisse du développement moteur ou du vocabulaire, les deux indicateurs utilisés reposent sur des réponses fournies par les parents. Ces derniers sont certes les mieux placés pour observer les progrès de leur enfant, mais il existe néanmoins des biais inhérents à la méthode du compte-rendu parental. La fierté des parents vis-à-vis des progrès de leur enfant 23, ou encore des biais de désirabilité sociale peuvent les amener à surestimer le nombre de mots que l’enfant dit ou le nombre d’activités physiques qu’il réalise. À l’inverse, l’étendue du vocabulaire de l’enfant peut être sous-estimée si le parent ne maîtrise pas totalement la langue parlée par son enfant ou le voit peu en journée. La confrontation avec d’autres indicateurs fondés sur des tests ou des observations de l’enfant montrent toutefois que le score de MacArthur-Bates présente une fiabilité suffisante 19,20. Concernant notre indicateur de développement moteur, qui est plus original, il repose sur huit questions suffisamment objectives dont l’appréciation des parents a peu de chances de biaiser les réponses.

Conclusion

Cette étude confirme pour la France les résultats de la littérature internationale sur les inégalités socioéconomiques dès le plus jeune âge, plus ou moins marquées selon le domaine du développement 4,5, avec des écarts considérables d’acquisition du vocabulaire dès les 2 ans de l’enfant, soit avant même l’entrée à l’école maternelle dont l’âge est pourtant précoce en France. Au vu de l’indicateur dont nous disposons, ces inégalités ne concernent pas le développement moteur, mais ce résultat serait à confirmer à l’aide d’indicateurs de motricité standards.

La mise en évidence d’une acquisition du vocabulaire plus lente pour les enfants n’ayant pas accès à un mode de garde extérieur pose la question des possibilités d’interventions publiques. Est-ce que les familles n’ayant pas recours à un mode de garde extérieur ont d’autres caractéristiques, non observées, qui expliqueraient ce moindre apprentissage langagier ? Est-ce que des politiques de soutien à la parentalité qui réduiraient les barrières d’accès à la fois financières et, potentiellement aussi, culturelles à des modes de garde extérieurs pourraient alors réduire les inégalités observées à ces âges ? Prolonger une telle étude pour mieux cerner les causes de ces inégalités socioéconomiques de développement langagier, mesurer l’impact causal du mode de garde et le rôle des pratiques éducatives telles que la lecture parentale, que l’on sait bénéfique mais inégalement pratiquée 24, constituent des pistes prometteuses.

Remerciements

Les auteurs remercient les parents et les maternités participantes, ainsi que les membres de l’équipe Elfe.
L’enquête Elfe est une réalisation conjointe de l’Institut national d’études démographiques (Ined), de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), de l’Établissement français du sang (EFS), de Santé publique France, de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), de la Direction générale de la santé (DGS, ministère chargé de la Santé), de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR, ministère chargé de l’Environnement), de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees, ministères en charge de la Santé et de l’Emploi) et de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), avec le soutien du ministère de la Recherche, du Comité de concertation pour les données en sciences humaines et sociales (CC DSHS) et du ministère chargé de la Culture (Deps). Dans le cadre de la plateforme Reconai, elle bénéficie d’une aide de l’État gérée par l’Agence nationale de la recherche au titre du Programme « Investissements d’avenir » portant la référence ANR-11-EQPX-0038.

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Citer cet article

Grobon S, Panico L, Solaz A. Inégalités socioéconomiques dans le développement langagier et moteur des enfants à 2 ans. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(1):2-9. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2019/1/2019_1_1.html