Cigarettes électroniques, tentatives d’arrêt et arrêt du tabac : suivi à 6 mois*

// Electronic cigarettes, quit attempts and smoking cessation: a 6-month follow-up

Anne Pasquereau (anne.pasquereau@santepubliquefrance.fr), Romain Guignard, Raphaël Andler, Viêt Nguyen-Thanh
Santé publique France, Saint-Maurice, France

* Adapté de : Pasquereau A, Guignard R, Andler R, Nguyen-Than V. Electronic cigarettes, quit attempts and smoking cessation: a 6-month follow-up. Addiction. 2017;112(9):1620-8.
Soumis le 21.07.2017 // Date of submission: 07.21.2017
Mots-clés : Suivi à 6 mois | Cigarette électronique | France | Arrêt du tabac | Consommation de tabac | Tentatives d’arrêt du tabac
Keywords: 6-month follow-up | Electronic cigarette | France | Smoking cessation | Tobacco consumption | Quit attempts

Résumé

Contexte et objectifs –

Les connaissances existantes sur l’effet de l’utilisation des cigarettes électroniques sur l’arrêt du tabac sont contradictoires. Cela pourrait provenir de différences dans la définition du vapotage. L’objectif de cette étude était d’évaluer si l’utilisation régulière de la cigarette électronique par des fumeurs est associée à l’arrêt du tabac.

Méthode –

Enquête sur Internet en France métropolitaine avec suivi à 6 mois. Un échantillon de 2 057 personnes âgées de 15 à 85 ans a été recruté via un access panel et a participé au suivi à 6 mois. Lors du recrutement, 1 805 étaient des fumeurs exclusifs de tabac et 252 étaient des vapo-fumeurs (fumeurs utilisant régulièrement une e-cigarette).

Les trois principaux indicateurs mesurés à 6 mois étaient : la réduction d’au moins 50% du nombre de cigarettes fumées par jour, les tentatives d’arrêt d’au moins 7 jours et l’arrêt du tabac d’au moins 7 jours au moment du suivi à 6 mois. Des régressions logistiques ont été effectuées pour modéliser ces indicateurs en fonction de l’utilisation régulière de l’e-cigarette lors de l’inclusion, ajustées sur des variables socioéconomiques et des caractéristiques de la consommation de tabac.

Résultats –

Les vapo-fumeurs avaient plus souvent que les fumeurs exclusifs réduit de moitié leur consommation de cigarettes par jour en 6 mois (25,9% contre 11,2%, p<0,001, ORa=2,6, IC95%: [1,8-3,8]). Ils avaient également fait plus souvent une tentative d’arrêt d’au moins 7 jours (22,8% contre 10,9%, p<0,001, ORa=1,8 [1,2-2,6]). Aucune différence significative n’a été observée pour les taux d’arrêt de 7 jours à 6 mois (12,5% contre 9,5%, p=0,18, ORa=1,2 [0,8-1,9]).

Conclusion –

Parmi les fumeurs, ceux qui utilisaient régulièrement une e-cigarette ont plus souvent essayé d’arrêter de fumer et réduit leur consommation de cigarettes au suivi à 6 mois. L’efficacité de l’e-cigarette pour arrêter de fumer reste en débat.

Abstract

Background and aims –

There is conflicting evidence that use of e-cigarettes promotes cessation in regular smokers; contrasting findings may be due to differing definitions of vaping. The aim of this study was to assess whether regular use of e-cigarettes while smoking is associated with subsequent smoking cessation.

Methods –

Baseline internet survey with outcomes measured at 6-month follow-up, on French metropolitan territory. 2,057 smokers aged 15 to 85 years were recruited through an access panel and responded to a 6-month follow-up: 1,805 exclusive tobacco smokers and 252 dual users (tobacco plus regular e-cigarette users) at baseline.

The three outcomes assessed at 6 months were: a minimum 50% reduction in the number of cigarettes smoked per day, quit attempts of at least 7 days, and smoking cessation of at least 7 days at the time of follow-up. Logistic regressions were performed to model the three outcomes according to regular e-cigarette use at baseline, adjusted for socio-economic variables and smoking behaviours.

Results –

Baseline dual users were more likely than baseline exclusive tobacco smokers to have halved cigarette consumption (25.9% versus 11.2%, p <0.001, aOR=2.6, 95%CI: [1.8-3.8]). Dual users at baseline were also more likely to have made a quit attempt of at least 7 days (22.8% versus 10.9%, p<0.001, aOR=1.8 [1.2‑2.6]). No significant difference was found for 7-day cessation rates at 6 months (12.5% versus 9.5%, p=0.18, aOR=1.2 [0.8-1.9]).

Conclusions –

Among people who smoke, those also using an e-cigarette regularly are more likely to try to quit smoking and reduce their cigarette consumption in the next six months. It remains unclear whether regular e-cigarette users are also more likely to stop smoking.

Introduction

Depuis leur arrivée sur le marché à la fin des années 2000, les cigarettes électroniques (e-cigarettes) sont devenues populaires notamment en France où, en 2014, 6% des 15-75 ans étaient des vapoteurs (utilisateurs d’e-cigarette), dont la moitié était des vapoteurs quotidiens. Parmi les vapoteurs, 83% étaient également des fumeurs de tabac et 15% des ex-fumeurs 1.

L’e-cigarette reste un produit controversé. En raison de son arrivée récente sur le marché, aucune donnée à long terme n’est encore disponible pour évaluer si – et dans quelle mesure – elle peut être bénéfique ou nuisible pour la santé. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), par l’intermédiaire de la convention-cadre pour la lutte antitabac, a invité les États membres à réglementer le marché de la cigarette électronique 2. En Angleterre, Public Health England recommande l’utilisation de l’e-cigarette pour les fumeurs qui ne parviennent pas à cesser de fumer avec d’autres méthodes ou qui ne veulent pas arrêter de fumer 3. En France, le Haut Conseil de la santé publique a publié un avis en 2016 dans lequel il présente l’e-cigarette comme « un outil d’aide à l’arrêt du tabac pour les personnes désireuses de sortir du tabagisme », et comme « un mode de réduction des risques du tabac en usage exclusif », mais a souligné le risque de renormalisation du tabagisme 4.

La question de savoir s’il existe une relation de causalité entre le vapotage et l’arrêt du tabac reste à ce jour sans réponse. La revue Cochrane de 2016 a conclu qu’il y avait peu de preuves pour étayer l’efficacité des e-cigarettes dans l’arrêt du tabagisme mais trop peu d’études pour obtenir une conclusion satisfaisante et solide 5,6,7.

Au-delà de l’efficacité possible dans le contexte théorique d’essais randomisés, la disponibilité des e-cigarettes dans la population générale pourrait favoriser ou entraver l’abstinence tabagique. D’une part, les fumeurs qui utilisent l’e-cigarette, mais continuent de fumer, peuvent croire à tort qu’ils réduisent considérablement leurs risques pour la santé 8. D’autre part, les e-cigarettes sont à la fois attrayantes pour les fumeurs et largement considérées comme un nouvel outil pour arrêter de fumer, ce qui pourrait favoriser les tentatives d’arrêt.

Une revue de littérature systématique, comprenant les études en population générale en condition réelle et des études cliniques, a révélé une relation positive entre l’utilisation de l’e-cigarette et l’arrêt du tabac, mais le niveau de preuve est considéré comme faible en raison de la qualité insuffisante de la recherche effectuée jusqu’aujourd’hui 9. À l’inverse, une autre revue de littérature a conclu que l’utilisation des e-cigarettes était associée à une diminution significative de l’arrêt du tabac chez les fumeurs 10. Les résultats des études de cohortes représentant des situations de la vie réelle diffèrent de ceux des essais randomisés, et les auteurs émettent l’hypothèse que le contexte spécifique des essais conduit à des conclusions qui ne sont pas applicables en condition réelle. Ces deux revues portent sur des études qui ont inclus des fumeurs ayant utilisé une e-cigarette, quelle qu’en soit la fréquence ou leur motivation à arrêter de fumer.

L’objectif de l’étude présentée ici était de comparer les comportements d’arrêt du tabac entre des fumeurs de tabac exclusifs et des fumeurs utilisateurs réguliers d’e-cigarettes, interrogés à deux reprises à six mois d’intervalle. Une réduction d’au moins 50% du nombre de cigarettes fumées par jour, les tentatives d’arrêt du tabac et l’arrêt du tabac ont été les trois principaux indicateurs retenus. En ciblant seulement les vapoteurs réguliers, notre étude apporte une nouvelle perspective, en mettant l’accent sur les fumeurs qui utilisent réellement l’e-cigarette et en ne tenant pas compte des fumeurs qui l’ont simplement essayée ou des utilisateurs occasionnels.

Matériel et méthodes

Conception de l’étude

À l’occasion du démarrage en France du Programme national de réduction du tabagisme 2014-2019, Santé publique France a lancé une campagne médiatique choc avec des messages relatifs aux effets du tabac sur la santé (septembre 2014). Un suivi à 6 mois a été mené pour évaluer l’impact de la campagne, auquel des questions sur l’utilisation des e-cigarettes ont été ajoutées.

Trois mille fumeurs âgés de 15 à 85 ans ont été recrutés via un access panel (panel d’individus volontaires recrutés par une société d’études) pour deux vagues d’enquête sur Internet : juste avant le lancement de la campagne (T0, septembre 2014) et environ 6 mois plus tard (mars 2015). L’échantillonnage a été réalisé selon la méthode des quotas, appliqués aux variables suivantes : sexe, âge, statut professionnel, catégorie socioprofessionnelle, taille de l’agglomération (nombre d’habitants) et région. Les quotas ont été calculés pour refléter la structure de la population des fumeurs de 2010 observée dans le Baromètre santé, enquête aléatoire auprès d’un échantillon représentatif des 15-85 ans résidant en France 11. Les données à 6 mois ont été redressées pour corriger l’attrition selon le sexe, l’âge, la région, la taille d’agglomération et la catégorie socioprofessionnelle.

Les indicateurs à 6 mois ont été comparés entre les fumeurs exclusifs et les fumeurs utilisant régulièrement une e-cigarette à la première vague d’enquête (T0). Les variables socioéconomiques et de comportement tabagique recueillies à T0 ont été utilisées comme covariables.

Variables recueillies à la première vague d’enquête

L’utilisation d’e-cigarette a été mesurée avec la question : « Au cours des 30 derniers jours, avez-vous utilisé une cigarette électronique ? Régulièrement / Parfois / Rarement / Jamais ».

Le statut tabagique a été mesuré en demandant aux répondants s’ils fumaient actuellement, même occasionnellement. Un vapo-fumeur était défini comme un fumeur de cigarettes conventionnelles (même occasionnel) qui utilise régulièrement une e-cigarette à T0. La dépendance au tabac a été mesurée à T0 par l’indicateur Heaviness of Smoking Index (HSI, aussi appelé mini-Fagerström), qui combine le nombre de cigarettes consommées par jour avec la durée avant de fumer la première cigarette le matin. Le score est compris entre 0 et 6, 0 représentant la plus faible dépendance et 6 la plus forte 12. Ont également été mesurés à T0 : l’intention d’arrêter de fumer au cours des six prochains mois, les tentatives d’arrêt d’au moins 24 heures au cours des 30 derniers jours et la prise, au cours des 30 derniers jours, de traitements de substitution nicotinique (TSN) ou de médicaments d’aide à l’arrêt du tabac.

Les données sociodémographiques collectées à T0 comprenaient le sexe, l’âge, le niveau d’études, le statut professionnel (actif occupé, chômeur, étudiant ou inactif), la catégorie socioprofessionnelle (agriculteurs exploitants, artisans, commerçants, chefs d’entreprise / cadres et professions intellectuelles supérieures / professions intermédiaires / employés / ouvriers) et le revenu du ménage par unité de consommation (UC). Les UC permettent de comparer des ménages de différentes tailles et compositions en attribuant un coefficient à chacun de leur membre : une UC pour le premier adulte, 0,5 UC pour les autres personnes de 14 ans et plus et 0,3 UC pour les enfants de moins de 14 ans (échelle OCDE / Insee).

Indicateurs recueillis au suivi à 6 mois

Les indicateurs recueillis lors de la deuxième vague d’enquête étaient les suivants :

une réduction d’au moins 50% du nombre de cigarettes fumées par jour depuis T0, en comparant la consommation quotidienne déclarée à T0 et à 6 mois, déterminée grâce à la question : « Combien de cigarettes fumez-vous en moyenne (y compris les cigarettes roulées) ? » Cet indicateur a été mesuré pour les 1 860 répondants qui fumaient encore à 6 mois ;

une tentative d’arrêt d’au moins 24 heures au cours des 30 derniers jours, déterminée en demandant aux fumeurs à 6 mois : « Avez-vous fait une tentative d’arrêt d’au moins 24 heures au cours des 30 derniers jours ? » Et une tentative d’arrêt d’au moins 7 jours au cours des 30 derniers jours, évaluée en posant cette question aux fumeurs qui avaient fait une tentative d’arrêt à 6 mois : « Combien de temps a duré votre plus longue tentative d’arrêt ? » Ces indicateurs ont été mesurés chez 1 921 personnes à 6 mois : 1 860 répondants qui fumaient encore, auxquels se sont ajoutées 61 personnes qui avaient cessé de fumer au cours des 30 derniers jours, excluant ceux qui avaient arrêté depuis plus de 30 jours ;

l’arrêt du tabac pendant au moins 7 jours ou au moins 30 jours a été mesuré en demandant aux non-fumeurs à 6 mois : « Depuis combien de temps avez-vous arrêté de fumer ? » Cet indicateur porte sur les 2 057 répondants à 6 mois.

Aux non-fumeurs à 6 mois qui vapotaient régulièrement à T0 ou à 6 mois, une question supplémentaire était posée : « La e-cigarette vous a-t-elle aidé à arrêter de fumer ? Oui/non ».

Analyses

Les analyses bivariées ont été redressées pour être représentatives de la structure sociodémographique des fumeurs français. Les perdus de vue ont été considérés comme manquants.

Des régressions logistiques non pondérées ont été réalisées pour les indicateurs à 6 mois selon l’utilisation de l’e-cigarette à T0, ajustée en fonction du sexe, de l’âge, du statut professionnel, du niveau de diplôme, du niveau de revenu par UC, de la catégorie socioprofessionnelle, de la taille de l’agglomération, du HSI, de l’intention d’arrêter de fumer au cours des 6 prochains mois et des tentatives d’arrêt au cours des 30 jours précédents, rapportés à T0.

L’interaction entre l’utilisation de l’e-cigarette et la dépendance (HSI) a été testée en regroupant les fumeurs modérément et fortement dépendants (HSI entre 2 et 6), en raison d’un faible nombre de fumeurs fortement dépendants. L’interaction entre l’utilisation de l’e-cigarette et le recours à un TSN à T0 a également été évaluée.

Pour des analyses de sensibilité, les modèles ont été testés en ajoutant la sollicitation d’une aide à T0 (ligne téléphonique d’aide à l’arrêt 39 89, professionnels de santé, TSN). Ceux qui ont commencé à vapoter entre la première et la deuxième vague d’enquête, ainsi que ceux qui n’avaient pas l’intention d’arrêter de fumer au cours des 6 prochains mois à T0 ont été consécutivement exclus de l’analyse. Enfin, les analyses ont été réalisées en considérant les perdus de vue comme fumeurs.

Toutes les analyses statistiques ont été effectuées en utilisant Stata®/SE (v.13.1).

Résultats

Attrition et caractéristiques des répondants

Le taux d’attrition à 6 mois était de 31,4%. Il était plus élevé pour certains sous-groupes (p<0,05) : les femmes (33,9%), les jeunes (48,3% parmi les 15 à 24 ans et 36,9% parmi les 25 à 34 ans), les personnes au chômage (41,7%), les étudiants (45,9%), les fumeurs avec un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat (34,1%) et les personnes ayant un faible revenu (37,4% pour un revenu mensuel inférieur à 900 € par UC). Les caractéristiques de la consommation de tabac à T0 (dépendance nicotinique, tentatives d’arrêt au cours des 30 jours précédents, intention d’arrêter de fumer, sollicitation d’aides à l’arrêt du tabac, utilisation d’e-cigarette) étaient similaires chez les répondants et les non-répondants au suivi à 6 mois.

Les caractéristiques à T0 des répondants à 6 mois sont indiquées dans le tableau 1, selon l’utilisation ou non de l’e-cigarette à T0. À T0, les vapo-fumeurs, par rapport aux fumeurs exclusifs, étaient plus souvent des hommes (62,1% contre 53,0%) et avaient en moyenne des revenus inférieurs et un niveau de diplôme moins élevé (37,4% des vapo-fumeurs étaient des diplômés de l’enseignement supérieur contre 47,3% des fumeurs exclusifs). Concernant les caractéristiques de la consommation de tabac, les vapo-fumeurs étaient plus susceptibles d’être modérément dépendants (score HSI entre 2 et 3), 50,3% contre 41,1%, alors que les fumeurs exclusifs de tabac étaient plus susceptibles d’être faiblement dépendants ou fortement dépendants. À T0, les vapo-fumeurs étaient près de trois fois plus nombreux à avoir tenté d’arrêter de fumer et à avoir utilisé des TSN au cours des 30 derniers jours. Les vapo-fumeurs déclaraient plus souvent avoir l’intention d’arrêter de fumer au cours des 6 prochains mois à T0 (63,0% contre 41,1%).

Tableau 1 : Caractéristiques à T0 des répondants à 6 mois, selon l’utilisation ou non d’e-cigarettes à T0. France métropolitaine, septembre 2014 et mars 2015
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Statut tabagique au suivi à 6 mois (figure)

À 6 mois, 10,3% des fumeurs exclusifs à T0 avaient arrêté de fumer, indépendamment de la durée de l’abstinence : 0,8% avaient arrêté de fumer mais utilisaient une e-cigarette et 9,5% n’étaient ni fumeurs ni utilisateurs d’e-cigarette. Parmi les 89,7% qui continuaient à fumer à 6 mois, 2,4% étaient devenus des vapo-fumeurs (utilisation régulière de l’e-cigarette).

À 6 mois, 14,5% des vapo-fumeurs à T0 avaient arrêté de fumer, quelle que soit la durée de l’abstinence : 9,6% avaient arrêté le tabac et l’e-cigarette, et 4,9% avaient mis un terme au tabac et étaient devenus des vapoteurs exclusifs. Parmi les personnes qui fumaient toujours à 6 mois (85,5%), 43,2% ne vapotaient plus et 42,3% étaient toujours des vapo-fumeurs.

Figure : Diagramme de flux de l’étude. France métropolitaine, septembre 2014 et mars 2015
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Indicateurs à 6 mois et facteurs associés (tableau 2)

Diminution de la consommation de tabac

Parmi les vapo-fumeurs et les fumeurs exclusifs à T0, 25,9% et 11,2% avaient, respectivement, réduit d’au moins 50% en 6 mois (p<0,001) le nombre de cigarettes fumées par jour. Après avoir contrôlé des caractéristiques sociodémographiques et de consommation de tabac, l’association entre le vapotage et la baisse de la consommation de tabac était significative (OR ajusté, ORa=2,6 ; intervalle de confiance à 95%, IC95%: [1,8-3,8]). De plus, les fumeurs fortement dépendants avaient moins souvent diminué leur consommation (4,7%) que les autres fumeurs (17,2% pour HSI=0-1 et 11,4% pour HSI=2-3).

L’interaction entre le vapotage et la dépendance tabagique était significative : le vapotage était plus fortement associé à une réduction de la consommation de tabac pour les fumeurs dépendants (HSI entre 2 et 6, ORa=3,2 [1,9-5,4]) que pour ceux qui l’étaient peu ou pas du tout (HSI entre 0 et 1, ORa=1,9 [1,0-3,3]).

Tentatives d’arrêt du tabac

Au suivi à 6 mois, les vapo-fumeurs en T0 avaient plus souvent essayé d’arrêter de fumer pendant au moins 24 heures au cours des 30 jours précédents (47,7%) que les fumeurs exclusifs (26,6%) (p<0,001). Ils avaient également plus souvent tenté d’arrêter de fumer pendant au moins 7 jours : 22,8% contre 10,9% (p<0,001). L’association entre l’utilisation de l’e-cigarette à T0 et les tentatives d’arrêt d’au moins 24 heures ou 7 jours à 6 mois était significative après ajustement (ORa=1,7 [1,3-2,4] et ORa=1,8 [1,2-2,6]). Certaines caractéristiques sociodémographiques et de tabagisme étaient également liées aux tentatives d’arrêt à 6 mois : être un homme, avoir l’intention d’arrêter de fumer et avoir tenté de s’abstenir de fumer au cours des 30 jours précédents, avoir une dépendance tabagique faible.

L’interaction entre le vapotage et la dépendance était significative : le vapotage était associé à une tentative d’arrêt d’au moins 24 heures ou 7 jours seulement pour les fumeurs modérément ou fortement dépendants (respectivement ORa=2,2 [1,5-3,3] et ORa=2,2 [1,3-3,7]).

Après ajustement, l’effet de l’e-cigarette ne diffère pas selon l’utilisation, ou non, de TSN à T0 (interaction non significative).

Arrêt du tabac

En ce qui concerne l’arrêt du tabac à 6 mois, aucune différence significative n’a été observée entre les vapo-fumeurs et les fumeurs de tabac exclusifs à T0, pour les taux d’arrêt de 7 jours (12,5% contre 9,5%, p=0,18) ou ceux de 30 jours (10,2% contre 8,5%, p=0,42). Après ajustement sur les caractéristiques à T0, l’utilisation de l’e-cigarette n’était pas associée aux arrêts de 7 jours (ORa=1,2 [0,8-1,9]) ou de 30 jours (OR=1,1 [0,7-1,8]). Les caractéristiques liées de façon significative à l’arrêt du tabac d’au moins 7 jours étaient : être un homme, être âgé de 15 à 24 ans, avoir l’intention d’arrêter de fumer à T0 et avoir un faible niveau de dépendance tabagique. Aucune interaction significative n’a été trouvée avec le niveau de dépendance, ni avec l’utilisation de TSN à T0.

Parmi les vapoteurs (réguliers ou occasionnels, à T0 ou à 6 mois) qui avaient arrêté de fumer depuis au moins 7 jours à 6 mois, 44% ont indiqué que l’e-cigarette les y avait aidés. Plus les personnes étaient âgées, plus elles ont déclaré que l’e-cigarette les avait aidées à arrêter de fumer (69% chez les 50-85 ans, 52% chez les 25-49 ans et 22% chez les 15-24 ans, p=0,005). Il n’y avait pas de différence significative selon toutes les autres caractéristiques présentées dans le tableau 1.

Analyses de sensibilité

Les associations entre le vapotage à T0 et les comportements de réduction ou d’arrêt du tabac à 6 mois demeurent inchangées lorsque l’utilisation d’une aide à l’arrêt du tabac à T0 est ajoutée dans les modélisations.

Les associations entre le vapotage à T0 et tous les résultats à 6 mois sont inchangés :

en supprimant ceux qui ont commencé à vapoter entre T0 et le suivi à 6 mois ;

en gardant uniquement ceux qui avaient l’intention d’arrêter de fumer dans les 6 mois à T0 ;

en supposant que les perdus de vue étaient fumeurs à 6 mois.

Tableau 2 : Indicateurs à 6 mois : pourcentages selon les caractéristiques sociodémographiques et tabagiques initiales à T0 et odds ratios ajustés (régression logistique). France métropolitaine, septembre 2014 et mars 2015
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Discussion

Résultats principaux

À 6 mois, les fumeurs qui utilisaient des e-cigarettes régulièrement avaient fait plus de tentatives d’arrêt du tabac et avaient plus souvent réduit au moins de moitié le nombre de cigarettes qu’ils fumaient par jour. Cette association avec les tentatives d’arrêt n’est retrouvée que chez les fumeurs modérément ou fortement dépendants. D’autre part, concernant l’arrêt du tabac, il n’y avait pas de différence significative entre les fumeurs exclusifs et les vapo-fumeurs. Les résultats étaient les mêmes parmi les fumeurs qui déclaraient à T0 avoir l’intention d’arrêter de fumer dans les 6 mois. Ainsi, le vapotage régulier parmi les fumeurs pourrait avoir un effet seulement à court terme, encourageant les tentatives d’arrêt, mais pas l’arrêt du tabac sur le long terme. Cela peut être cohérent car en France, en 2014, près de la moitié des vapoteurs ont utilisé l’e-cigarette pendant une courte durée (moins de 3 mois) 1.

Réduire au moins de moitié le nombre de cigarettes par jour est associé au vapotage, mais les enquêtes en population générale ont montré que les vapo-fumeurs semblaient être des gros fumeurs avant l’utilisation de l’e-cigarette. En 2014, en France, les vapo-fumeurs fumaient environ 21 cigarettes par jour avant d’utiliser une e-cigarette, contre 11 parmi les fumeurs exclusifs 1. Bien que la réduction de la consommation de tabac puisse diminuer les risques pour la santé qui y sont associés, fumer ne serait-ce que quelques cigarettes par jour maintient ces risques à un niveau extrêmement élevé 13,14. Pour certains fumeurs, vapoter pourrait aller à l’encontre du processus d’arrêt du tabac et de son effet bénéfique sur la santé si, au lieu d’essayer d’arrêter complètement de fumer du tabac, certains vapo-fumeurs se contentaient de réduire leur consommation en considérant qu’il s’agit d’une réussite suffisante.

Comparaison avec d’autres études

Les deux premiers essais contrôlés randomisés (ECR) publiés dans la littérature ont montré que les e-cigarettes étaient efficaces pour aider les fumeurs motivés à arrêter de fumer. Depuis ces publications, plusieurs études de cohortes en population générale ont apporté des conclusions diférentes. Une étude de cohorte anglaise, effectuée selon la même méthodologie que la nôtre (panel en ligne), a montré que l’utilisation d’e-cigarettes par les fumeurs était associée à un nombre plus élevé de tentatives d’arrêt et à une plus grande probabilité de réduire de moitié la consommation de tabac à un an. Cependant, en ce qui concerne l’arrêt du tabac, les vapo-fumeurs sont aussi nombreux que les fumeurs exclusifs à avoir arrêté de fumer 15,16. Deux études américaines ont montré que l’utilisation d’e-cigarettes, en plus du tabac, n’était pas liée à une différence d’arrêt du tabac à un an 17,18. Enfin, une étude de cohorte italienne a également montré que le vapotage en plus du tabac ne permettait pas d’arrêter plus souvent de fumer, mais que les vapoteurs exclusifs (ne consommant plus de tabac) étaient plus susceptibles de rester non-fumeurs à un an 19.

Nos résultats sont cohérents avec ceux d’autres études de cohorte. Les participants étaient des fumeurs de la population générale et n’étaient pas recrutés en fonction de leur motivation à arrêter de fumer. Ce type d’étude est différent des ECR, dans lesquels l’e-cigarette est fournie gratuitement et présentée et perçue comme un outil pour arrêter de fumer. Une autre différence majeure est que les ECR recrutent des fumeurs qui veulent arrêter de fumer, ce qui n’est pas le cas dans les études en population générale. Cela peut expliquer les différences de résultats entre les deux types d’études 10. L’analyse des fumeurs qui ne sont pas motivés pour arrêter de fumer dans un avenir proche est intéressante, car ils représentent une grande proportion de fumeurs (72,7% ne voulaient pas arrêter de fumer au cours des six prochains mois en 2014 en France 20) que les acteurs de la prévention souhaiteraient inciter à faire une tentative d’arrêt. Les TSN peuvent être efficaces pour favoriser l’arrêt du tabagisme chez les fumeurs non motivés 21 ; si les cigarettes électroniques étaient également efficaces, elles pourraient jouer un rôle important dans les politiques de lutte contre le tabagisme, étant a priori plus attrayantes pour les fumeurs que les TSN.

Forces et limites

Le design longitudinal de cette étude nous a permis d’évaluer les changements d’attitude en lien avec l’utilisation d’e-cigarettes, ce qui n’est pas réalisable dans le cadre d’une étude transversale. De plus, les analyses effectuées ont été ajustées en fonction des variables socioéconomiques et du comportement tabagique de départ, recueillis lors de la première interrogation : les biais de confusion étaient donc limités.

En ce qui concerne les limites de l’étude, une relation causale ne peut être démontrée avec une enquête longitudinale de ce type, seule une corrélation entre deux événements peut être observée. De plus, un biais de sélection ne peut pas être exclu avec la méthode d’échantillonnage utilisée (par quotas). La proportion de fumeurs qui voulaient arrêter de fumer était légèrement plus élevée dans notre étude que parmi les fumeurs de la population française (63,2% contre 56,2%). À noter également que les personnes ayant un diplôme inférieur au baccalauréat étaient sous-représentées parmi les répondants au suivi à 6 mois : seulement 26% avaient un diplôme inférieur au baccalauréat contre 65% parmi les fumeurs français.

Les vapo-fumeurs étaient plus susceptibles d’avoir fait des tentatives d’arrêt du tabac dans les 30 jours précédant la première interrogation que les fumeurs exclusifs. Ainsi, ils pourraient être dans une situation d’échec, n’ayant pas réussi à arrêter de fumer. Mais ce biais potentiel de confusion a été contrôlé en ajoutant les tentatives d’arrêt passées dans les modèles.

En outre, un suivi de six mois peut être insuffisant pour observer et mesurer les trajectoires complexes d’utilisation des e-cigarettes et leur interaction avec le tabagisme. Ceux qui ont réduit leur consommation de tabac à 6 mois peuvent ensuite avoir arrêté de fumer. Un suivi d’un an pourrait donc mieux mesurer l’évolution de la consommation et l’arrêt du tabac à long terme.

Concernant le score HSI, son résultat pour mesurer la dépendance nicotinique des vapo-fumeurs peut être biaisé. Le vapotage peut retarder l’heure de la première cigarette et peut diminuer le nombre de cigarettes fumées par jour sans que la dépendance nicotinique soit affectée. Il n’existe cependant pas à l’heure actuelle d’autre test validé pour mesurer la dépendance nicotinique parmi les vapo-fumeurs.

Enfin, étant donné que cette étude est une analyse secondaire de données qui n’ont pas été initialement recueillies pour étudier l’effet des e-cigarettes, le nombre de vapoteurs est limité. La détection d’une différence significative, en ce qui concerne l’arrêt du tabac, avec un échantillon plus important ne peut pas être exclue.

Implication pour la prévention

Les résultats de l’étude sont en cohérence avec les recommandations faites par le Haut Conseil de la santé publique en février 2016 4. Basés sur celles-ci, les messages et recommandations diffusés par Santé publique France, l’agence nationale de santé publique, concernant la place de l’e-cigarette dans l’arrêt du tabac restent d’actualité. Le site Internet Tabac info service (http://www.tabac-info-service.fr) précise ainsi que « l’e-cigarette peut constituer une aide pour arrêter ou réduire sa consommation de tabac. […] Cependant, l’arrêt complet doit rester votre objectif car, même quand on fume peu, les risques pour la santé sont importants ».

Conclusion

La propagation rapide des cigarettes électroniques dans les sociétés occidentales offre un grand espoir aux professionnels de santé ainsi qu’aux acteurs de la lutte antitabac et de l’aide à l’arrêt du tabac. Ces produits pourraient représenter un atout majeur en santé publique si leur efficacité pour arrêter de fumer et leur sécurité étaient prouvées. Les études expérimentales et observationnelles rigoureuses étant rares, il est important que la recherche s’intensifie dans ce domaine.

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Citer cet article

Pasquereau A, Guignard R, Andler R, Nguyen-Thanh V. Cigarettes électroniques, tentatives d’arrêt et arrêt du tabac : suivi à 6 mois. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(26):559-67. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/26/2017_26_2.html