Mesurer les parts de cancers évitables pour mieux guider la lutte et la prévention

// Quantifying the number of avoidable cancers to improve strategy for cancer control

Christopher P. Wild1, Norbert Ifrah2 & François Bourdillon3
1 Directeur du Centre international de recherche sur le cancer, Organisation mondiale de la santé
2 Président de l’Institut national du cancer
3 Directeur général de Santé publique France

Une part importante des cancers est attribuable à des facteurs de risque liés aux modes de vie ou à l’environnement, et donc potentiellement évitable par une suppression ou une réduction « réalisable » de l’exposition à ces facteurs. Mesurer cette part évitable permet de cibler des priorités d’action pour la prévention du cancer.

Un projet collaboratif, mené par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) et qui a réuni plus de 80 experts des principales institutions de recherche ou de santé publique françaises, a permis de réaliser un tel travail pour la France. Les meilleures méthodes et les données les plus complètes disponibles ont ainsi pu être mobilisées : les niveaux d’exposition de la population française à treize facteurs de risque classés cancérogènes certains ou probables par le Circ ont été collectés, les quantifications de risque de cancer associées à chacun et les plus pertinentes dans le contexte français ont été sélectionnées, et les données d’incidence de cancer pour l’année 2015 des personnes âgées de 30 ans et plus proviennent des registres de cancer français. Dans ce numéro du BEH sont présentés le mode de gouvernance de ce projet collectif, les choix méthodologiques effectués et les principaux résultats produits.

Selon ces travaux, quatre cancers sur dix environ étaient attribuables en 2015 en France aux facteurs de risque liés au mode de vie et à l’environnement étudiés ; ainsi, 142 000 cancers auraient pu être évités, par des actions de prévention primaire, sur les 346 000 nouveaux cas diagnostiqués chez les adultes (1). Par rapport à l’édition précédente, qui avait porté sur « Les causes du cancer en 2000 » (2), davantage de facteurs de risque ont été pris en considération, comme l’alimentation (consommation de viande rouge et de charcuterie, par exemple) et des expositions professionnelles plus nombreuses (trichloréthylène et gaz d’échappement diesel, par exemple).

Plusieurs agences nationales impliquées dans ce projet vont en utiliser les résultats pour bâtir ou renforcer leurs programmes de prévention du cancer. Prévention qui doit tenir compte de la multiplicité des causes des cancers et de leur contribution respective à l’incidence en France afin de hiérarchiser et orienter les actions, mais aussi de mieux communiquer avec la population générale. Par exemple, les résultats soulignent à nouveau le poids de la consommation de tabac en France, cause de 20% des cancers en 2015. Aussi, la stratégie de réduction du tabagisme doit-elle être maintenue et renforcée dans les futurs plans de santé publique, ce qui est le cas avec la récente annonce de la ministre de la Santé d’un nouveau plan national de lutte contre le tabac. Le million de fumeurs quotidiens de moins entre 2016 et 2017 (3) est un premier signe très encourageant, de même que les augmentations programmées du prix du tabac (passage à 10€ le paquet en 2020), l’amélioration du remboursement de substituts nicotiniques, etc.

L’alcool constitue la deuxième cause de cancer en France, responsable de 8% des nouveaux cas en 2015, suivi par l’alimentation (5,7%) chez les hommes et le surpoids et l’obésité (6,8%) chez les femmes. Pour autant, les actions de prévention ne sont à ce jour pas aussi développées que celles qui visent la réduction du tabagisme, ni pour ces autres grands facteurs de risque (alcool, alimentation, surpoids), ni pour d’autres comme l’exposition aux UV (risque solaire) ou certaines infections (HPV), pour lesquels existent pourtant des actions de prévention efficaces.

La prévention vis-à-vis des facteurs environnementaux ne doit pas non plus être négligée : les réglementations et recommandations qui fixent ou modifient des valeurs limites dans l’environnement et dans le milieu professionnel sont très efficaces pour diminuer les expositions. Ou encore, la mise à disposition d’espaces pour encourager l’activité physique (tels que des pistes cyclables bien aménagées ou les vélos en libre-service), permettant d’augmenter le niveau d’activité physique de la population et de réduire le surpoids.

La communication de ces résultats auprès du public constitue un autre point crucial, comme le montrent les résultats alarmants des Baromètres cancer sur la perception des facteurs de risque de cancer dans la population en France. L’enquête la plus récente (2015, à paraître) a montré que la part de certaines fausses croyances sur les causes de cancer a encore augmenté par rapport aux enquêtes précédentes. Ainsi, trop de personnes enquêtées se représentent que boire des sodas ou consommer des hamburgers serait aussi mauvais pour la santé que boire de l’alcool (68,8% en 2005 vs 76,0% en 2015), ou que la pollution atmosphérique causerait davantage de cancers que l’alcool (54,7% en 2005 vs 66,9% en 2015).

La démonstration scientifique des contributions respectives de différents facteurs de risque sur l’incidence des cancers en France est une étape essentielle pour concevoir et soutenir les stratégies de prévention des cas évitables. Parallèlement, les investissements dans la recherche, la surveillance épidémiologique et la prévention, notamment en identifiant les interventions probantes et efficaces, doivent être poursuivis pour assurer le progrès de la lutte contre le cancer en France. En effet, cet état des lieux effectué conjointement par l’ensemble des agences sanitaires françaises a aussi permis de mettre en exergue des lacunes scientifiques, notamment pour certaines expositions (comme par exemple les expositions chimiques), mais aussi le besoin de recherche pour identifier le rôle des facteurs de risque émergents (comme par exemple les perturbateurs endocriniens). Il permettra d’orienter les recherches futures pour produire des informations nouvelles sur les relations expositions-risque et sur les niveaux d’exposition de la population française.

Enfin, nous ne pouvons que nous réjouir de la nouvelle résolution sur le cancer, adoptée par 194 gouvernements lors de l’Assemblée de l’Organisation mondiale de la santé en mai 2017 (4), tout comme de l’initiative, en France, des États généraux de la prévention des cancers de la Ligue contre le cancer, dont le plan d’action est annoncé pour fin 2018. Elles permettront, nous l’espérons, de renforcer la prévention du cancer en France et de permettre à notre pays d’atteindre les objectifs fixés par les Objectifs de développement durable des Nations Unies d’ici 2030 (5).

Citer cet article

Wild CP, Ifrah N, Bourdillon F. Éditorial. Mesurer les parts de cancers évitables pour mieux guider la lutte et la prévention. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(21):430-1. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/21/2018_21_0.html

(1) Il est à noter que les actions de dépistage, qui permettent de détecter de nouveaux cas de cancers à des stades précoces et ainsi de réduire leur incidence (comme le cancer colorectal et le cancer du col de l’utérus, par exemple), n’ont pas été prises en compte dans ce travail, et leur bénéfice supplémentaire n’est pas analysé dans les résultats présentés ici.
(2) World Health Organization, International Agency for Research on Cancer. Attributable causes of cancer in France in the year 2000. Lyon: International Agency for Research on Cancer; 2007. http://www.iarc.fr/en/publications/
pdfs-online/wrk/wrk3/index.php
(3) Voir Éditorial de F. Bourdillon dans le BEH du 29 mai 2018. http://invs.santepubliquefrance.fr/
beh/2018/14-15/2018_14-15_0.html