Mortalité par suicide des salariés affiliés au régime agricole en activité entre 2007 et 2013 : description et comparaison à la population générale

// Suicide mortality among French employees from the special agricultural social security scheme working between 2007 and 2013: Description and comparison to the general population

Justine Klingelschmidt1,2, Jean-François Chastang2, Imane Khireddine-Medouni1 (imane.khireddine@santepubliquefrance.fr), Laurence Chérié-Challine1, Isabelle Niedhammer2
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Inserm, U1085, IRSET, Université d’Angers, Équipe ESTER, Angers, France
Soumis le 05.04.2018 // Date of submission: 04.05.2019
Mots-clés : Suicide | Mortalité | Salariés agricoles | Effet du travailleur sain
Keywords: Suicide | Mortality | Agricultural employees | Healthy worker effect

Résumé

Introduction –

Un excès de mortalité par suicide des travailleurs du secteur agricole a été mis en évidence en France et à l’étranger. À notre connaissance, aucune étude n’a porté précédemment sur la mortalité par suicide des salariés agricoles affiliés à la Mutualité sociale agricole (MSA). Les objectifs de l’étude étaient de décrire la mortalité par suicide des salariés agricoles affiliés à la MSA en activité entre 2007 et 2013, et de la comparer à celle de la population générale française.

Méthode –

Le nombre de suicides des salariés affiliés à la MSA en activité sur la période 2007-2013 a été quantifié. Leur répartition par mode opératoire a été ensuite décrite. La mortalité par suicide des salariés a enfin été comparée à celle de la population générale française à l’aide de ratios standardisés de mortalité (SMR) par suicide.

Résultats –

Les résultats montrent une sous-mortalité par suicide des salariés en activité affiliés à la MSA par rapport à la population générale : SMR=0,81 ; IC95%: [0,75-0,88] chez les hommes, et SMR=0,46 [0,37-0,58] chez les femmes.

Discussion-conclusion –

Cette sous-mortalité par rapport à la population générale est classiquement observée dans la surveillance des cohortes professionnelles. Elle s’explique par un ensemble de mécanismes de sélection regroupés sous le nom d’effet du travailleur sain, mais ne permet pas de conclure à l’absence d’excès de risque de certains groupes de ces salariés vis-à-vis du suicide.

Abstract

Introduction –

An excess of risk of suicide mortality among agricultural workers has been highlighted in France and in other countries. To our knowledge, there was no previous study of suicide mortality of French agricultural employees from the special agricultural social security scheme (MSA). The objectives of the study were to describe the suicide mortality of these workers between 2007 and 2013 and to compare it with that of the general French population.

Method –

The number of suicides of the employees from the MSA working between 2007 and 2013 was quantified. Suicides were then described according to the lethal method used. Suicide mortality was finally compared to suicide mortality of the general French population using standardized suicide mortality ratios (SMR).

Results –

The results show a lower suicide mortality of employees from the MSA compared to the general French population: SMR=0.81, 95%CI: [0.75-0.88] for men, and SMR=0.46 [0.37-0.58) for women.

Discussion-conclusion –

This lower mortality compared to the general population is classically observed in occupational cohorts. It can be explained by selection effects known as the “healthy worker effect” but it does not support the conclusion that some groups of these employees are not at higher risk of suicide.

Introduction

En France, exploitants et salariés agricoles sont affiliés à un régime de protection sociale obligatoire : la Mutualité sociale agricole (MSA). Cependant, contrairement aux exploitants agricoles, les salariés affiliés à la MSA constituent une population hétérogène, dont l’activité est définie par l’article L722-20 du code rural et de la pêche maritime. Elle regroupe des emplois relevant du secteur agricole, mais également d’autres secteurs d’activité en lien avec le monde agricole (secteur secondaire avec en particulier la construction, secteur tertiaire avec notamment les assurances, les banques et l’enseignement). Cette grande diversité d’activités et d’emplois se traduit par des expositions professionnelles diverses : agents biologiques, produits chimiques, contraintes physiques, contraintes organisationnelles et psychosociales telles que des contraintes relationnelles et éthiques, susceptibles de présenter un risque pour la santé 1.

Dans la littérature épidémiologique internationale, des travaux portent sur la mortalité par suicide des travailleurs du secteur agricole. Ces travaux ont fait l’objet de méta-analyses qui ont conclu à un excès de risque de mortalité par suicide dans cette population par rapport à d’autres groupes professionnels 2,3. En France métropolitaine, la mortalité par suicide des exploitants agricoles a été étudiée dans le cadre d’une collaboration entre l’agence nationale de santé publique (Santé publique France) et la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA). Les résultats publiés, portant sur les années 2007 à 2011, montraient une surmortalité par suicide chez les hommes exploitants agricoles par rapport à la population générale entre 2008 et 2010, particulièrement marquée chez les éleveurs bovins (lait et viande) âgés de 45 à 54 ans 4.

En revanche, à notre connaissance, aucune étude n’a été menée sur la mortalité par suicide des salariés affiliés à la MSA.

Dans ce contexte, Santé publique France, l’Inserm et la CCMSA se sont associés pour mener une étude sur la mortalité par suicide de cette population. Son premier objectif était de décrire la mortalité par suicide des salariés agricoles affiliés à la MSA en activité entre 2007 et 2013 et de la comparer à celle de la population générale française. Il s’agira ensuite de décrire les caractéristiques des personnes décédées par suicide au sein des salariés. Cet article porte sur le premier objectif de l’étude.

Population et méthodes

Population d’étude

La population d’étude a inclus tous les salariés âgés de 15 à 64 ans et ayant effectué au moins un contrat ouvrant droit au régime de protection sociale agricole entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2013.

Les salariés nés hors de France métropolitaine, ainsi que ceux ne disposant pas d’un NIR (numéro d’identification au répertoire) certifié ont été exclus de l’étude, faute de pouvoir obtenir pour eux un appariement de qualité avec les causes médicales de décès. Les salariés travaillant dans les Outre-Mer ont également été exclus : du fait de l’absence de caisses MSA en Outre-Mer, ces salariés sont gérés par les caisses générales de sécurité sociale et non par la MSA.

Données sociodémographiques et professionnelles étudiées

La base de données transmise par la CCMSA regroupait l’ensemble des contrats de travail de 2007 à 2013 des salariés cotisant au régime agricole.

Les variables étudiées étaient :

des données sociodémographiques : sexe, âge ;

des données professionnelles, relatives à chaque contrat/épisode salarié : date de début et de fin du contrat, type d’activité.

Le type d’activité a été renseigné par une variable de nomenclature interne à la CCMSA, la « catégorie de risque », construite à partir d’un regroupement d’activités pertinentes au regard des secteurs couverts par la MSA. Elle comporte 38 modalités qui ont été regroupées en sept grands groupes : cultures et élevages, travaux forestiers, entreprises de travaux (par exemple, entreprises de travaux agricoles et entreprises paysagistes), entreprises artisanales rurales (artisans dont l’activité concourt à la satisfaction des besoins professionnels des agriculteurs), coopération (par exemple, stockage et conditionnement de produits agricoles, abattage, découpe, désossage, conserverie de la viande), organismes professionnels agricoles (par exemple, Mutualité agricole et Crédit agricole), activités diverses (par exemple, personnel enseignant de certains établissements privés techniques agricoles).

Données de mortalité

Les données sociodémographiques, professionnelles et de mortalité – le statut vital – ont été transmises par la CCMSA. Ces données ont ensuite été appariées aux causes médicales de décès recueillies par le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (CépiDc – Inserm) conformément au décret n°98-37.

Les décès survenus l’année d’un contrat, c’est-à-dire l’année où une activité MSA était reportée, sur la période allant du 1erjanvier 2007 jusqu’au 31décembre 2013 ont ainsi été identifiés par la CCMSA. Leurs causes ont ensuite été retrouvées dans les données du CépiDc. Par exemple, une personne qui, entre 2007 et 2013, avait eu un seul emploi salarié relevant de la MSA avec un contrat allant du 1erfévrier au 31mai 2008, n’a été suivie pour la mortalité que jusqu’à la fin de l’année 2008.

L’étude a porté sur la mortalité par suicide, dont les codes de la 10e révision de la Classification internationale des maladies (CIM-10) sont X60 à X84 et Y87.0. :

intoxication médicamenteuse volontaire : X60 à X64 ;

auto-intoxication par autres produits (alcool, produit chimique, pesticides et gaz) : X65 à X69, X77 ;

lésion auto-infligée par pendaison, strangulation et asphyxie : X70 ;

lésion auto-infligée par submersion (noyade) : X71 ;

lésion auto-infligée par arme à feu ou explosifs : X72 à X75 ;

lésion auto-infligée par instrument tranchant contondant : X78 à X79 ;

lésion auto-infligée par saut dans le vide : X80 ;

lésion auto-infligée par collision intentionnelle : X81 à X82 ;

lésion auto-infligée par moyens autres ou non précisés : X76, X83, X84, Y87.0.

Les causes de décès fournies par le CépiDc incluent la cause initiale, la cause immédiate et éventuellement deux causes associées, codées selon la CIM10. L’étude présentée ici a considéré uniquement les causes initiales de décès. Les règles de codage conduisent à sélectionner le suicide comme cause initiale même si le médecin a indiqué une autre cause initiale de décès (ex : dépression ayant entraîné un suicide) 5.

Stratégie d’analyse

Les analyses ont été effectuées séparément selon le sexe. Elles ont consisté à décrire la population d’étude, dénombrer les décès par suicide, décrire leur répartition en fonction des moyens létaux utilisés. La mortalité par suicide des salariés en activité de 15 à 64 ans a enfin été comparée à celle de la population générale française, en calculant des ratios standardisés de mortalité (SMR) et leurs intervalles de confiance à 95% [IC95%] sur l’ensemble de la période, par année, par classe d’âge et par mode opératoire de suicide. Les analyses ont, dans un premier temps, considéré l’ensemble des salariés, puis ont été réalisées selon le type d’activité des salariés. L’appartenance d’un salarié à un type d’activité a été définie comme le fait d’avoir effectué uniquement ce type d’activité au cours de la période 2007-2013. Les salariés ayant effectué plusieurs types d’activité ont été classés dans la catégorie « pluri-activités ».

Dans la présente analyse, pour chaque individu, la date de début de suivi était la date de début du premier contrat au sein de la MSA sur la période d’étude (1er janvier 2007-31 décembre 2013). La date de fin de suivi était soit la date de fin du dernier contrat, soit le décès. Seules les périodes d’activité contribuaient au comptage des personnes-années (PA) et seuls les décès par suicide survenus en cours de contrat au sein de la MSA ont été comptabilisés. Le choix de ne retenir que les suicides en cours d’activité était motivé par deux considérations : d’une part, étudier le suicide au plus près de l’activité au sein de la MSA et, d’autre part, ne pas impacter les résultats par des tiers facteurs hors période d’emploi à la MSA pour lesquels on ne dispose pas d’informations (chômage, activité dans un autre régime…).

Toutes les analyses ont été réalisées à l’aide du logiciel SAS® (SAS Enterprise Guide v 7.1).

Résultats

Description de la cohorte

La répartition des PA, nécessaire au calcul des SMR, en fonction de l’année calendaire, de la classe d’âge et du type d’activité est présentée dans le tableau 1. La population d’étude comportait 2 860 896 individus (1 671 170 hommes et 1 189 726 femmes), correspondant à 4 626 016 PA (2 781 979 PA hommes et 1 844 037 PA femmes).

La durée moyenne de suivi et donc d’activité au sein de la MSA s’élevait à 1,6 année, chez les hommes comme chez les femmes.

Les secteurs qui concentraient le plus grand nombre de PA étaient le secteur « cultures et élevages » chez les hommes (32%) et le secteur « organismes professionnels agricoles » chez les femmes (41%).

Tableau 1 : Répartition des personnes-années (PA) de la cohorte des salariés de la Mutualité sociale agricole âgés de 15 à 64 ans par année calendaire, classe d’âge et type d’activité en France, 2007-2013
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Description des suicides en cours de contrat

La répartition des suicides selon le sexe et en fonction du mode opératoire utilisé est présentée dans le tableau 2. De 2007 à 2013, on dénombrait 692 suicides survenus en cours de contrat chez les salariés affiliés à la MSA, 613 chez les hommes et 79 chez les femmes, ce qui correspondait à des taux de décès standardisés sur l’âge de 22,4 pour 100 000 PA pour les hommes et 4,0 pour 100 000 PA pour les femmes.

Le mode opératoire de suicide le plus courant, chez les hommes comme chez les femmes, était la pendaison (65,7% des suicides chez les hommes, 54,4% chez les femmes). Chez les hommes, le second mode opératoire le plus fréquent était le suicide par armes à feu (18,4%), alors qu’il ne représentait qu’une très faible proportion des suicides chez les femmes (1,3%). Le second mode opératoire chez les femmes était l’intoxication médicamenteuse volontaire (19%), qui n’était retrouvé que dans 3,4% des suicides masculins.

Tableau 2 : Répartition des suicides chez les salariés de la Mutualité sociale agricole âgés de 15 à 64 ans en fonction du mode opératoire utilisé selon le sexe en France, 2007-2013
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Ratios standardisés de mortalité par suicide en cours de contrat

Le tableau 3 présente les SMR de suicide chez les salariés de la MSA âgés de 15 à 64 ans par sexe, sur la période 2007-2013, par année, classe d’âge, type d’activité et mode opératoire de suicide.

Sur la période, le nombre de suicides observé dans la population des salariés de la MSA en activité était inférieur à celui attendu en population générale : SMR=0,81 [0,75-0,88] chez les hommes et SMR=0,46 [0,37-0,58] chez les femmes (tableau 3). En d’autres termes, chez les hommes, la mortalité par suicide observée chez les salariés affiliés à la MSA en activité sur la période d’étude était de 19% inférieure à celle que l’on aurait observée si la population d’étude présentait la même mortalité par sexe et par classe d’âge que la population générale française. Cette sous-mortalité était de 54% chez les femmes.

La sous-mortalité par suicide était observée pour presque toutes les années mais n’était pas toujours statistiquement significative.

Les analyses par classe d’âge retrouvaient une sous-mortalité par suicide dans toutes les classes d’âge, statistiquement significative dans les classes d’âges les plus élevées, pour les hommes comme pour les femmes.

L’analyse des SMR par type d’activité montrait soit une sous-mortalité par suicide dans certains types d’activité, par exemple « organismes professionnels agricoles » pour les deux sexes, « cultures et élevages » et « coopération » pour les femmes uniquement, soit une absence de différence dans la mortalité par suicide par rapport à la population générale.

Les SMR selon le mode opératoire de suicide reflétaient la sous-mortalité globale observée : on observait en effet une sous-mortalité, par rapport à la population générale, par intoxication médicamenteuse volontaire, pendaison et moyens autres ou non précisés chez les hommes comme chez les femmes, et par saut dans le vide chez les hommes. Les autres SMR étaient non significatifs. Il est à noter que les effectifs de suicide selon le mode opératoire étaient très faibles, notamment chez les femmes.

Tableau 3 : Ratios standardisés de mortalité (SMR) par suicide chez les salariés de la Mutualité sociale agricole âgés de 15 à 64 ans par sexe, année, classe d’âge, type d’activité et mode opératoire en France, 2007-2013
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Discussion

Rappel des principaux résultats

Les résultats montrent une sous-mortalité par suicide des salariés affiliés à la MSA en activité entre 2007 et 2013 par rapport à la population générale de même sexe et de même âge : SMR=0,81 [0,75-0,88] chez les hommes et SMR=0,46 [0,37-0,58] chez les femmes. Cette sous-mortalité était retrouvée quasiment pour toutes les années, classes d’âge, types d’activité et modes opératoires de suicide, même si les SMR n’étaient pas toujours significatifs.

Les résultats de l’analyse de la mortalité pour l’ensemble des causes de décès (non présentés ici) mettent également en évidence une sous-mortalité chez les hommes (SMR=0,54 [0,52-0,55] comme chez les femmes (SMR=0,42 [0,39-0,44] par rapport à la population générale.

Cette sous-mortalité par rapport à la population générale est classiquement observée dans la surveillance des cohortes professionnelles. Elle s’explique par un ensemble de mécanismes de sélection regroupés sous le nom d’« effet du travailleur sain », qui traduit le fait que les personnes n’étant pas en état de travailler (personnes atteintes de pathologies chroniques par exemple) ou sorties de l’emploi pour des raisons de santé sont, de fait, exclues de la population en activité professionnelle 6. L’état de santé de la population des travailleurs est donc, en moyenne, meilleur que celui de la population générale. Il n’existe pas à notre connaissance d’études portant spécifiquement sur l’effet du travailleur sain dans le contexte de la mortalité par suicide. Il est toutefois documenté que le chômage est un facteur de risque pour le suicide 7,8 et que les chômeurs ont deux à trois fois plus de risque de décéder par suicide que les travailleurs en activité 9. La comparaison d’une population en activité professionnelle à la population générale ne permet donc pas d’identifier facilement des groupes de travailleurs à risque, à moins que le risque de mortalité soit particulièrement augmenté comme c’était le cas pour les exploitants agricoles 4.

Dans la présente étude, au moment de la conception du protocole, les taux de mortalité par cause, par âge et par sexe, nécessaires au calcul des SMR, n’étaient disponibles que pour la population générale (CépiDc). Le programme Cosmop (Cohorte pour la surveillance de la mortalité par profession) développe actuellement une base de taux de mortalité par suicide selon le secteur d’activité dans la population salariée, à partir du couplage des données du panel des déclarations annuelles des données sociales de l’Insee et des données de mortalité du CépiDc 10. Ces taux pourraient servir de référence pour une comparaison ultérieure de la mortalité par suicide des salariés de la MSA à une population en activité, ce qui permettrait de s’affranchir de l’effet du travailleur sain.

Une précédente étude, menée chez les exploitants agricoles de France métropolitaine en activité de 2007 à 2011, avait mis en évidence un excès de mortalité par suicide des exploitants par rapport à la population générale chez les hommes en 2008, 2009 et 2010 4. Cet excès était particulièrement marqué dans les classes d’âges de 45 à 54 ans et dans la filière d’élevage bovins-lait. La définition de la population d’étude – la population « en activité » – et le groupe de comparaison – la population générale – étant similaires à ceux de la présente étude, la comparaison des résultats est possible pour les années communes aux deux études (2007-2011). L’absence de sur mortalité par suicide chez les salariés, y compris lorsque que l’on restreint la population à celle des salariés du secteur agricole strictement, suggère donc que les exploitants ont un risque de décès par suicide plus élevé que la population de notre étude. Par ailleurs, l’analyse des modes opératoires de suicide utilisés par les exploitants montre un excès de suicides par armes à feu et explosifs particulièrement marqué par rapport à la population générale (+123%) 4. Cet excès n’est pas retrouvé chez les salariés.

Peu de données existent sur la mortalité des salariés affiliés à la MSA. À notre connaissance, une seule étude a analysé la mortalité d’une cohorte composée de salariés affiliés à la MSA (45%) mais également d’exploitants agricoles (54%) 11. Elle n’analysait pas séparément la mortalité des exploitants et des salariés, et les SMR de mortalité par suicide portaient sur l’ensemble de la cohorte (SMR=0,94 [0,79-1,10] chez les hommes, SMR=1,12 [0,81-1,50] chez les femmes). Ces SMR se situent entre ceux obtenus par l’étude des exploitants et la présente étude, en cohérence avec nos résultats.

Forces et limites de l’étude

Le caractère exhaustif de la population étudiée représente une force importante de l’étude, en garantissant des effectifs suffisants pour les analyses, chez les hommes surtout. L’analyse de données collectées en routine permet de s’affranchir des biais de sélection qui peuvent exister lorsque le recrutement de la population d’étude s’appuie sur le volontariat des sujets. Nous observons, comme attendu, un nombre de suicides plus faible chez les femmes comparativement aux hommes, et l’analyse par sous-groupe est probablement affectée par un manque de puissance statistique pour les femmes. Les salariés agricoles hors France métropolitaine et sans NIR certifié ont été exclus faute de pouvoir obtenir pour eux un appariement de qualité avec les causes médicales de décès. Les salariés ayant une activité d’exploitants ont également été exclus, car ils avaient déjà été étudiés dans l’étude de mortalité des exploitants agricoles 4. L’inclusion de ces salariés-exploitants, à risque élevé de suicide, aurait pu conduire à une augmentation des SMR s’ils représentaient une proportion importante de la population salariée.

Il est admis que les suicides ne sont pas toujours bien renseignés dans les certificats de décès, en raison notamment de la difficulté à déterminer le caractère intentionnel ou accidentel du décès. On ne peut donc pas exclure une sous-évaluation du nombre de suicides dans la population étudiée 5.

Des SMR ont été calculés, pour l’ensemble des salariés, par sexe, classe d’âge et type d’activité. Ces sous-groupes ont été choisis en fonction des variables disponibles dans les bases de données de la CCMSA. Ces variables concernaient uniquement les périodes de contrat MSA. Disposer d’informations sur le statut des salariés hors contrat MSA (période de chômage, emploi dépendant d’un régime autre que la MSA, retraite, etc.), sur les conditions de fin de contrat MSA, mais aussi et surtout des variables détaillées pour décrire l’emploi, notamment la profession, aurait enrichi les analyses.

Conclusion et perspectives

La présente étude, menée sur les salariés agricoles en activité en France métropolitaine entre 2007 et 2013, constitue une première approche de l’analyse du suicide dans une population peu étudiée dans la littérature épidémiologique. Elle a permis de quantifier le nombre de suicides survenus chaque année dans la population des salariés en activité, d’en décrire la répartition selon des caractéristiques sociodémographiques et professionnelles et de comparer la mortalité par suicide des salariés affiliés à la MSA à la mortalité de la population générale. La sous-mortalité par suicide observée chez ces salariés traduit un effet de sélection. Elle ne permet pas de conclure à l’absence d’une surmortalité de certains groupes de ces salariés vis-à-vis du suicide. Les prochains travaux viseront précisément à étudier les variations de risque de décès par suicide au sein de la population des salariés du régime agricole.

Références

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Citer cet article

Klingelschmidt J, Chastang JF, Khireddine-Medouni I, Chérié-Challine L, Niedhammer I. Mortalité par suicide des salariés affiliés au régime agricole en activité entre 2007 et 2013 : description et comparaison à la population générale. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(27):549-55. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/27/2018_27_2.html