Profil de santé des migrants en situation de précarité en France : une étude comparative des migrants accueillis dans les centres de Médecins du Monde et des patients de médecine générale de ville, 2011-2012

// Health profile of migrants in precarious situation in France: a comparative study of migrants attending centers of the NGO Médecins du Monde with patients consulting in community general practice, 2011-2012

Hadrien Huaume1, Nadir Kellou1, Anne Tomasino2, Marielle Chappuis2, Laurent Letrilliart1,3 (laurent.letrilliart@univ-lyon1.fr)
1 Collège universitaire de médecine générale, Université Claude Bernard Lyon 1, Lyon, France
2 Médecins du Monde, Paris, France
3 EA 7425 HESPER (Health Services and Performance Research), Université Claude Bernard Lyon 1, Lyon, France
Soumis le 15.02.2017 // Date of submission: 02.15.2017
Mots-clés : Migrants | Soins primaires | Prévention | Continuité des soins
Keywords: Migrants | Primary health care | Prevention | Continuum of care

Résumé

Introduction –

La précarité des conditions de vie des migrants et les difficultés d’accès aux soins dans le pays d’accueil les rendent particulièrement vulnérables sur le plan sanitaire. Cependant, leurs problèmes de santé sont peu documentés.

Méthodes –

Les motifs et les résultats de consultation des populations accueillies dans les Centres d’accueil, de soins et d’orientation (Caso) métropolitains de l’association Médecins du Monde entre décembre 2011 et mars 2012 ont été comparés à un échantillon national de patients ayant consulté en médecine générale de ville durant la même période.

Résultats –

Les données de 15 608 consultations des Caso ont été comparées avec celles de 19 344 consultations de médecine générale de ville. Les consultants des Caso présentaient des motifs de consultation moins nombreux (1,4 vs 2,6) et ceux-ci correspondaient moins fréquemment à des demandes de renouvellement de prescriptions (2,1% vs 20,4%) ou de suivi (3,5% vs 5,3%). Les résultats de consultation étaient plus souvent des symptômes et des plaintes (65,8% vs 43,2%) que des diagnostics. Les problèmes de santé sur-représentés étaient surtout digestifs (14,5% vs 7,8%), oculaires (3,7% vs 1,0%), cutanés (9,2% vs 4,8%) et respiratoires (19,5% vs 12,9%). Les problèmes de santé sous-représentés dans les Caso étaient principalement métaboliques (4,5% vs 10,7%) et cardiovasculaires (8,3% vs 12,8%). Les situations de prévention étaient peu fréquentes dans les consultations des Caso (0,1%) alors qu’elles représentaient le premier résultat de consultation en médecine générale de ville (11,7%).

Conclusion –

Un meilleur accès aux droits et aux soins primaires pourrait améliorer la continuité des soins des migrants en situation de précarité.

Abstract

Introduction –

The poor living conditions of migrants and the difficulties to access health care in their host country make them particularly vulnerable regarding their health. However, their health problems are poorly documented.

Methods –

We have compared the reasons and results of visits in migrants who consulted in the metropolitan Health and Social Care Centers of Médecins du Monde (CASO) between December 2011 and March 2012 with a national sample of patients who consulted in community general practice during the same period.

Results –

Data from 15,608 CASO consultations were compared with 19,344 general practice consultations. CASO consultants had fewer reasons for encounter (1.4 vs 2.6), and these corresponded less frequently to requests for prescription renewals (2.1% vs 20.4%) or follow-up (3.5% vs 5.3%). Health problems observed were more often symptoms and complaints (65.8% vs 43.2%) than diagnoses. Overrepresented health problems were mainly digestive (14.5% vs 7.8%), ocular (3.7% vs 1.0%), cutaneous (9.2% vs 4.8) and respiratory (19.5% vs 12.9%). The underrepresented health problems were mainly metabolic (4,5% vs 10,7%) and cardiovascular (8,3% vs 12,8%). Prevention situations were not frequent in migrants (0.1%) whereas they represented the first health problem managed in community general practice (11.7%).

Conclusion –

A better access to primary care could improve the continuum of care of precarious migrants.

Introduction

L’augmentation des flux migratoires durant la dernière décennie dans le monde et en France fait de la santé des migrants un enjeu de santé publique 1. Il est reconnu que les conditions d’accueil, la précarité des conditions de vie et les difficultés d’accès aux droits et aux soins des migrants ont des conséquences négatives sur leur état de santé 2,3. En France comme dans la plupart des pays européens, l’état de santé des migrants est moins bon que celui de la population native 4. La méconnaissance de leurs droits et la complexité des dispositifs administratifs français compliquent fortement l’accès aux droits et aux soins pour ces populations. Par ailleurs, les dispositifs de droit commun, tels que les Permanences d’accès aux soins de santé (PASS), créés pour permettre un accès aux soins à toute personne démunie, restent mal connus des patients comme des professionnels, inégalement répartis sur le territoire et parfois dysfonctionnels 5. Depuis 1986, Médecins du Monde (MdM) intervient en France afin de répondre aux besoins de ces populations sous la forme, entre autres, de Centres d’accueil, de soins et d’orientation (Caso) repartis sur le territoire, qui permettent un accès aux soins sans condition et sans rendez-vous à toutes les personnes en situation de précarité et/ou d’exclusion. Celles-ci sont reçues par des équipes pluridisciplinaires (accueillants, travailleurs sociaux, infirmiers, médecins), qui proposent des prises en charge adaptées, assurent les orientations nécessaires et les accompagnent dans leurs démarches d’accès aux droits et aux soins. Plus de 9 personnes sur 10 reçues dans ces structures sont des ressortissants étrangers qui, dans la majorité des cas, n’ont aucun droit ouvert à une couverture maladie au jour de leur première visite au Caso 6.

Des études antérieures sur l’état de santé des migrants reposaient sur des questionnaires de santé perçue 7,8 ; d’autres ont apporté des données de morbidité mesurée 9, mais aucune à notre connaissance n’a comparé les motifs de recours et les problèmes de santé des migrants en situation de précarité à la population prise en charge en médecine générale. L’objectif de cette étude était de comparer les motifs et les résultats de consultation des migrants en situation de précarité accueillis en consultation médicale dans les Caso avec ceux des patients consultant en médecine générale de ville.

Méthodes

Recueil des données

En 2011, l’association MdM comptait 21 Caso répartis dans les grandes villes de l’ensemble des régions du territoire métropolitain. Lors des consultations, les données relatives aux patients sont recueillies dans un dossier socio-médical. Le dossier social documente les caractéristiques sociodémographiques des personnes au jour de leur première visite (âge, sexe, situation administrative, situation vis-à-vis du logement, ressources) ; le dossier médical renseigne pour chaque consultation les motifs (demandes formulées par les patients) et les résultats (problèmes de santé pris en charge) de la consultation, ainsi que l’existence de prescriptions médicamenteuses.

L’étude Ecogen était transversale, nationale et multicentrique. Elle a été réalisée entre décembre 2011 et mars 2012 dans 128 cabinets de médecine générale répartis sur le territoire français métropolitain. Elle a documenté pour chaque consultation l’âge, le sexe, le régime d’assurance maladie, les motifs et résultats de la consultation du patient ainsi que l’existence de prescriptions médicamenteuses. Le contenu des consultations est considéré comme représentatif des soins de médecine générale en France métropolitaine 10.

Traitement des données

Les données exploitées concernent la période comprise entre décembre 2011 et mars 2012. Dans les deux bases de données, les motifs et les résultats de la consultation ont été classés et codés selon la Classification internationale des soins primaires (CISP-2) 11. La CISP-2 ne permettant pas de repérer directement les problèmes de santé chroniques, ceux-ci ont été identifiés à l’aide d’une classification complémentaire dérivée de la CISP-2, distinguant les pathologies nécessairement chroniques des autres pathologies 12.

La base de données des Caso comportait les données de 27 848 consultations, dont ont été exclues celles des Caso de Corse (1 171) et de Cayenne (113) afin de disposer de données comparables, sur le plan géographique, avec celles de l’étude Ecogen. Les consultations des patients de nationalité française (876) et les consultations sociales ou paramédicales (9 588) ont aussi été exclues. La base de données de l’étude Ecogen comptait 20 613 consultations, dont ont été exclues les visites à domicile (1 269). Les motifs et les résultats de consultation classés comme problèmes sociaux (chapitre Z de la CISP-2) ont été exclus des deux bases de données car ils étaient inconstamment renseignés.

Analyses des données

Les analyses statistiques ont été réalisées avec le logiciel SAS® (version 9.4, SAS Institute Inc., Cary, NC, États-Unis). Les variables quantitatives ont été comparées en utilisant un test t de Student ou un test de Wilcoxon lorsque les variables étaient tronquées, les variables qualitatives en utilisant un test du Chi2 intégrant la contribution a posteriori des cellules 13. Les motifs et les résultats de consultation ont été comparés par ordre de fréquence, par chapitre anatomique et par composante étiologique. Le seuil de signification statistique utilisé pour les tests était de 0,05.

Aspects éthiques et réglementaires

Pour l’étude Ecogen, une déclaration a été établie auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), sous le n° 1549782, et auprès du Comité de protection des personnes Sud-Est IV (n° L11-149). Pour la base de données de MdM, une déclaration a été faite auprès de la Cnil (n° 731657).

Résultats

Au total, 15 608 consultations réalisées dans les Caso ont été comparées à 19 344 consultations de médecine générale en cabinet de ville. Plus des trois quarts des migrants consultant dans les Caso étaient âgés de moins de 45 ans, alors que cette tranche d’âge ne représentait qu’un peu moins de la moitié des patients consultant en médecine de ville (tableau 1). Ces migrants étaient plus souvent des hommes. Ils ne disposaient presque jamais de couverture santé. Ils se trouvaient en grande précarité : 74,6% connaissaient d’importantes difficultés de logement (16,6% étaient sans domicile ou en hébergement d’urgence, 45,2% vivaient dans un bidonville ou un squat et 12,8% avaient un hébergement provisoire) et 81,8% étaient sans activité professionnelle. Ils étaient majoritairement ressortissants du Maghreb (30,4%), d’Afrique subsaharienne (28,6%) ou d’un autre pays de l’Union européenne (27,5%) ; 42,4% résidaient en France depuis moins de trois mois.

Tableau 1 : Caractéristiques sociodémographiques des patients (N=34 952) selon la structure de consultation, France, décembre 2011 – mars 2012
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Les motifs de consultation

Le nombre moyen de motifs par consultation était significativement plus faible pour la population consultant dans les Caso que pour celle de médecine de ville (1,4 vs 2,6, p<0,0001). Les migrants accueillis dans les Caso consultaient plus souvent pour des problèmes oculaires (parmi lesquels 43% étaient des troubles de l’acuité visuelle), cutanés (parmi lesquels 30% étaient un prurit), respiratoires (dont 45% de toux) et digestifs (dont 18% de douleurs épigastriques et 16% de problèmes dentaires ou gingivaux) (figure 1). En revanche, ils venaient moins souvent pour des problèmes métaboliques ou cardiovasculaires. Les patients des Caso consultaient plus souvent pour des symptômes ou plaintes que les patients de médecine de ville (65,8% vs 43,2%, p<0,0001), les plus fréquents étant la toux (8,6%), les maux de tête (3,5%), les lombalgies (2,6%) et les douleurs épigastriques (2,4%). Les patients ayant recours à un cabinet de ville venaient plus fréquemment que les patients des Casos pour un renouvellement de prescription (20,4% vs 2,1%, p<0,0001) et, dans une moindre mesure, pour une demande de suivi d’une pathologie précédemment identifiée (5,3% vs 3,5%, p<0,0001).

Figure 1 : Catégories de motifs de consultation des patients (N= 30 620) selon la structure de consultation, France, décembre 2011 – mars 2012
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Les résultats de consultation

Le nombre moyen de résultats de consultation était significativement plus faible pour la population consultant dans les Caso que pour celle consultant en médecine de ville (1,3 vs 2,2 par consultation, p<0,0001). Les patients des Caso présentaient plus souvent « des symptômes et des plaintes » ainsi que des « infections » que ceux de médecine générale (tableau 2). Dans la classe d’âge 15-44 ans, les patients des Caso présentaient plus souvent des pathologies chroniques que ceux de la médecine de ville (23,2% vs 20,9%, p=0,0002).

Tableau 2 : Étiologies des consultations des patients (N= 34 952) selon la structure de consultation, France, décembre 2011 – mars 2012
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En termes de diagnostics, les populations des Caso étaient plus souvent atteintes de problèmes de la sphère digestive (dont 20,8% de problèmes dentaires et gingivaux et 9,1% d’hépatites virales), oculaires (dont 38,8% de défauts de réfraction et de problèmes de lunettes), cutanés (dont 12,6% de dermatophytoses et 10,2% de gale ou acarioses) et respiratoires (dont 8,1% d’asthme) que les patients de la médecine de ville (figure 2). Les problèmes de santé les plus fréquents étaient les infections des voies respiratoires supérieures (6,0% vs 4,6%), la toux (2,1% vs 0,6%) et les bronchites ou les bronchiolites (2,1% vs 1,5%). En revanche, ils présentaient moins souvent des problèmes « généraux » (4,5% vs 17,6%), métaboliques (4,5% vs 10,7%) ou cardiovasculaires (8,3%, vs 12,8%). La proportion de patients atteints de troubles psychologiques était comparable dans les deux populations. Toutefois, la dépression (1,6% vs 2,6%) et les insomnies (1,0% vs 1,4%) étaient moins fréquemment rapportées chez les patients des Caso que chez ceux de la médecine de ville. La proportion de patients atteints de diabète de type 2 était semblable dans les deux populations (2,1% dans les Caso vs 2,3% en médecine de ville) ; en revanche, les patients présentant des dyslipidémies étaient plus fréquents en médecine de ville qu’en Caso (0,2% vs 3,8%).

Les situations de médecine préventive étaient moins souvent rapportées dans les consultations des Caso que dans celles de médecine de ville (0,1% vs 11,7%). Enfin, les consultations dans les Caso comportaient plus souvent une prescription médicamenteuse qu’en médecine de ville (98,1% vs 80,3%, p<0,001).

Figure 2 : Catégories de résultats de consultation des patients (N=29 817) selon la structure de consultation France, décembre 2011 – mars 2012
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Discussion

Les migrants consultant dans les Caso étaient plus souvent des hommes jeunes sans couverture maladie que les patients reçus en médecine générale de ville. Ils étaient pour la plupart dans une situation de grande précarité, avec un logement instable et sans emploi. Ils présentaient moins de motifs de consultation et ceux-ci correspondaient moins fréquemment à des demandes de renouvellement de prescription ou de suivi. Le nombre de problèmes pris en charge était en conséquence plus faible chez les migrants précaires. Les problèmes de santé diagnostiqués dans les Caso étaient plus souvent des symptômes et plaintes ou des infections. Les populations des Caso présentaient plus fréquemment des problèmes digestifs, oculaires, cutanés, respiratoires et moins souvent des problèmes généraux, métaboliques et cardiovasculaires. Les situations de prévention étaient peu fréquentes dans les consultations des Caso alors qu’elles représentaient le premier résultat de consultation en médecine de ville.

Une vulnérabilité influençant l’état de santé

Les infections étaient plus fréquemment diagnostiquées chez les migrants précaires accueillis dans les Caso qu’en médecine de ville, notamment les infections aiguës hivernales (infections aiguës des voies respiratoires supérieures, bronchites et bronchiolites) et les hépatites virales. La fréquence des problèmes digestifs, cutanés (notamment dermatophytose ou gale) et respiratoires (principalement l’asthme, deux fois plus fréquent) était plus élevée chez les consultants des Caso qu’en médecine de ville. Ces tableaux cliniques sont comparables à ceux observés chez les personnes sans domicile 14. L’absence ou les mauvaises conditions de logement (promiscuité, insalubrité, absence de chauffage, humidité) et les difficultés d’accès à une alimentation riche et variée rendent particulièrement vulnérables à ces pathologies 15,16. Les problèmes dentaires et gingivaux ou les problèmes oculaires (particulièrement les défauts de réfraction et les problèmes de lunettes) étaient plus fréquents parmi les consultants des Caso qu’en médecine de ville. En l’absence de couverture maladie, les consultants des Caso ne peuvent s’adresser à la médecine libérale, comme les assurés sociaux, pour obtenir des soins dentaires ou ophtalmologiques. Le recours à ces soins est alors possible uniquement dans les structures permettant un accès gratuit, lorsqu’elles existent 17.

Les migrants précaires âgés de 15 à 44 ans étaient plus souvent atteints de pathologies chroniques que ceux de médecine générale. Ce résultat est vraisemblablement lié à l’apparition plus précoce des pathologies chroniques chez les migrants, du fait de leurs habitudes et comportements dans leur pays d’origine, de leur parcours de migration et de la précarité de leurs conditions de vie dans le pays d’accueil 18. Par exemple, la fréquence du diabète de type 2 était aussi élevée dans la population consultant en Caso qu’en médecine de ville, malgré une différence moyenne d’âge de 10 ans, ce qui témoigne du risque de diabète précoce dans cette population 19. Les pathologies métaboliques et cardiovasculaires étaient globalement moins fréquentes parmi les consultants des Caso qu’en médecine de ville. Ce résultat est probablement lié à leur âge moins élevé, mais aussi au caractère silencieux des pathologies cardiovasculaires ou métaboliques. En effet, ces pathologies constituent rarement un motif de consultation, le recours aux soins étant souvent motivé par un symptôme invalidant (douleur, fièvre, asthénie, etc.). De plus, les médecins ont souvent besoin d’examens complémentaires pour pouvoir établir un diagnostic. Les Caso ayant pour objectif de réorienter les patients vers les structures de droit commun, les médecins y disposent rarement des résultats d’examens complémentaires permettant de diagnostiquer ou de confirmer certaines pathologies chroniques (dyslipidémie, hypothyroïdie, etc.). On observait une fréquence similaire des troubles psychologiques dans les Caso et en médecine de ville, alors même que de nombreuses études indiquent une prévalence élevée des syndromes psychotraumatiques ou de dépression dans les populations migrantes 20,21. Cette fréquence dans les Caso doit être considérée avec précaution, dans la mesure où les troubles psychologiques ne constituent pas toujours les motifs de consultation et ne sont pas toujours repérés par les médecins qui, souvent, ne rencontrent le patient qu’une seule fois. Il est probable que ces troubles soient largement sous-évalués aussi du fait des barrières culturelles et linguistiques et d’un niveau de résilience plus élevé chez les migrants en situation de précarité.

L’enjeu de la continuité des soins

Selon plusieurs études, le déficit de prévention dans les populations migrantes précaires contribue à la dégradation plus rapide de leur santé et à une mortalité cardiovasculaire plus élevée par comparaison à la population du pays d’accueil 22,23. Dans notre étude, les situations de prévention (situations où le patient ne présente pas de pathologie prise en charge mais où le médecin met en place une démarche de prévention) constituent le résultat de consultation le plus fréquent en médecine de ville, alors qu’elles restent rares dans les Caso. Ce résultat est lié à la fois aux particularités des populations en situation de précarité et au fonctionnement des Caso. Il est reconnu que les conditions de vie précaires constituent un obstacle important à l’accès à la prévention pour ces populations, qui ont bien souvent d’autres priorités (trouver un logement, de quoi se nourrir, un emploi) 24,25. Par ailleurs, dans les Caso, un premier bilan de santé est parfois réalisé en amont de la consultation médicale par des équipes de prévention dédiée, et les patients sont orientés vers des structures de droit commun : Protection maternelle et infantile (PMI), centre de planification, Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD), centre de vaccination. De plus, la fréquence plus importante des symptômes et des plaintes dans les Caso ainsi que la plus grande proportion de consultations aboutissant à un traitement médicamenteux témoignent d’une médecine essentiellement symptomatique. Le nombre moyen de consultations médicales dans les Caso est de 1,8 par patient et par an 6. Ceci témoigne de la volonté de ces centres de ne pas s’engager dans une démarche de suivi médical et d’orienter les patients dès que possible vers le système de droit commun, incluant les dispositifs de soins primaires 26. Les difficultés de communication, d’origine linguistique et culturelle, peuvent constituer un obstacle à une consultation approfondie, prenant en compte les besoins de santé au-delà des demandes les plus urgentes 27. Il existe pour cela des outils d’aide linguistique 28 pour faciliter la communication ainsi que des recommandations 29 pour la prise en charge de ces populations (travail en réseau, flexibilité, attitude empathique).

Forces et limites

Plus d’un quart des motifs et près d’un tiers des résultats de consultation n’étaient pas renseignés dans la base de données des Caso, mais l’âge et le sexe des patients étaient similaires entre les groupes avec et sans données manquantes. La taille importante des échantillons et l’utilisation de la même classification des données de consultation dans les Caso et les cabinets de médecine générale garantissent la représentativité et la comparabilité des données recueillies, même si les bases de données d’Ecogen et de des Caso diffèrent sensiblement en termes de répartition par sexe et âge.

Conclusion

Les migrants en situation de grande précarité comme ceux rencontrés dans les Caso, présentent souvent des problèmes de santé difficiles à diagnostiquer faute de suivi et des infections favorisées par leur situation de vulnérabilité sociale. Nos résultats mettent en évidence la demande de soins urgents et l’influence de la vulnérabilité sur l’état de santé des migrants en situation de précarité. Il est essentiel de faciliter l’accès aux droits pour ces populations afin de leur permettre un recours non retardé aux soins et à la prévention. Les structures de droit commun accueillant les populations en situation précaire devraient être renforcées, avec un recours facilité à l’interprétariat professionnel.

Remerciements

Nous tenons à remercier M.D. Pauti et S. Laurence, référents médicaux à Médecins du Monde, et Jean-François Brûlet, médecin bénévole au Caso de Lyon, pour leur relecture attentive.

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Citer cet article

Huaume H, Kellou N, Tomasino A, Chappuis M, Letrilliart L. Profil de santé des migrants en situation de précarité en France : une étude comparative des migrants accueillis dans les centres de Médecins du Monde et des patients de médecine générale de ville, 2011-2012. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(19-20):430-6. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/19-20/2017_19-20_8.html