Mayotte : mieux connaître pour agir efficacement

// Mayotte: Better knowledge for effective action

François Bourdillon1 & Laurent Filleul2
1 Directeur général de Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Responsable de la Cellule d’intervention de Santé publique France en région Océan Indien, Saint-Denis, La Réunion, France

Dans un rapport intitulé « La santé dans les Outre-Mer. Une responsabilité de la République » (1), publié en juin 2014, la Cour des comptes pointait toute une série de risques sanitaires liés à leur éloignement, leur isolement géographique, leur situation en zone tropicale, leur vulnérabilité aux risques climatiques et cycloniques, ainsi qu’à la pauvreté de certaines de leurs populations et leur exposition à une forte immigration clandestine. Même si l’état de santé dans les Outre-Mer français est souvent bien meilleur que dans les pays voisins, la Cour des comptes soulignait également des situations sanitaires préoccupantes. En particulier, elle considérait Mayotte en situation difficile, car soumise à une « pression démographique explosive » et disposant d’un « système de santé sous-calibré ». Elle plaidait, dans sa conclusion, pour une stratégie adaptée de santé publique pour les Outre-Mer en proposant trois grandes orientations : mieux connaître, mieux coordonner et agir plus efficacement avec une stratégie d’ensemble et pluriannuelle.

Dans les suites de ce rapport, le gouvernement a adopté en 2016 une stratégie de santé en cinq axes pour les Outre-Mer (2), dont l’axe « Améliorer la veille, l’évaluation et la gestion des risques sanitaires ». C’est dans ce contexte que Santé publique France a ouvert à Mayotte une antenne de sa délégation territoriale Océan Indien (la Cire OI (3)), avec une équipe de trois épidémiologistes dont la principale mission est de construire un système de surveillance sanitaire sur l’île et de décrire l’état de santé de la population qui y réside et dont la taille évolue sans cesse. Ce numéro thématique du BEH donne un premier éclairage des travaux mis en œuvre, principalement issus de la surveillance des maladies infectieuses et tropicales, mais aussi à travers la mobilisation de la réserve sanitaire pour tenter de faire face à la tension que subit l’offre de soins.

Des spécificités mahoraises

L’île de Mayotte, située dans le Sud-Ouest de l’Océan Indien, dans le canal du Mozambique, à l’ouest de Madagascar, est le 101e département français depuis le 10 avril 2010. Elle présente de nombreuses spécificités, notamment une population très jeune, de l’ordre de 230 000 habitants selon les dernières estimations de l’Insee, dont 57% a moins de 17 ans.

Les questions de l’accessibilité à l’eau potable et de l’assainissement

À Mayotte, la ressource en eau est constituée pour 80% des eaux de surface et de rivière, le reste provenant de forages (18%) et du dessalement de l’eau de mer (2%). Dans ce contexte, si la saison des pluies connaît un retard, comme cela est arrivé en 2017, le risque de pénurie devient réel, amenant les exploitants à des coupures d’eau. Or, ces ruptures d’approvisionnement exposent la population à des risques sanitaires du fait du recours à des eaux de surface contaminées (rivières et stockage de réservoirs d’eau) et de la constitution de gîtes larvaires pour les moustiques, dans un contexte d’habitat insalubre (sans eau courante, ni réseau d’assainissement). C’est ainsi que sont décrites des épidémies de typhoïde (Youssouf Hassani et coll.) et de diarrhées (Marc Ruello et coll.) présentées dans ce numéro thématique du BEH et auxquelles le système de santé doit faire face de plus en plus fréquemment. Toutefois, la solution à ces épidémies est à plusieurs niveaux : elle se trouve en amont, dans la mise en place d’un double système d’accès à l’eau potable et d’assainissement pour la gestion des eaux usées, ainsi que dans les actions de prévention pour une meilleure gestion de l’eau par la population.

La question climatique

Si, en 2017, la saison des pluies a été tardive, avec les conséquences que nous venons de souligner, en 2016, la pluviométrie a été exceptionnelle (+52% par rapport à la moyenne 2008-2015). Cette même année, une importante épidémie de leptospirose a été observée (136 cas déclarés contre 66 en moyenne sur la période 2008-2015). La leptospirose est endémique à Mayotte. Le niveau élevé de pluviométrie 2016 est l’une des raisons proposées par les épidémiologistes pour expliquer cette augmentation du nombre de cas (Marion Subiros et coll.). Ils en analysent également les caractéristiques environnementales et comportementales favorables à la contamination de l’homme à Mayotte : la marche pied nus, les conditions précaires de vie, la baignade et les activités domestiques dans les rivières faute d’accès à l’eau courante. Là aussi la solution se trouve en amont : le développement et l’éducation pour la santé.

La question tropicale : vigilance sur le paludisme

Les politiques de lutte contre le paludisme menées ces dernières années en Océan Indien ont porté leurs fruits. On constate une baisse globale de la transmission, y compris sur les îles voisines des Comores. En 2007, il y a dix ans, l’incidence annuelle cumulée du paludisme était de 562 cas, passant à 12 cas en 2015. C’est donc avec une certaine inquiétude qu’une petite épidémie de cas autochtones de paludisme a été observée en 2016 dans le nord de Mayotte (Olivier Maillard et coll.). Il ne faut pas sous-estimer le risque de sa réémergence, en raison des milieux de vie insalubres et d’une densité de population qui ne cesse de croître. La vigilance doit être de mise, associant études épidémiologiques, lutte antivectorielle, approches communautaires et accès aux soins, y compris pour les personnes en situation irrégulière au regard du séjour. C’est à ce prix que le paludisme pourra être éradiqué.

La question de l’offre de soins

À travers la mobilisation de la réserve sanitaire, prise par arrêté du ministre chargé de la Santé, et dont Santé publique France assure la mise en œuvre, les équipes de réservistes sont venus compléter, à plusieurs reprises, les moyens habituels mis en place sur l’île. Ces missions soulignent combien l’offre de soins est en tension dans ce territoire. Entre 2015 et 2017, la réserve a été mobilisée à trois reprises pour des missions de grande ampleur, cumulant 4 000 jours de mission pour 180 réservistes (Clara de Bort et coll.). Il s’agissait essentiellement de renforcer les services d’urgences et la maternité, avec les dispensaires qui en dépendent (la maternité de Mamoudzou accueille chaque année 10 000 naissances, ce qui en fait l’une des plus grandes maternités de France). Les professionnels de santé de la réserve ont aussi participé à la prise en charge (rattrapage vaccinal notamment) des personnes expulsées de leur logement en 2016 et regroupées près de la préfecture, dont les conditions de vie et l’état sanitaire étaient extrêmement précaires (Pascal Vilain et coll.).

Ces mobilisations soulignent l’impérieuse nécessité de renforcer des moyens pérennes en nombre et compétence pour assurer l’offre de soins dans un département où la situation sanitaire reste problématique. Si ces missions d’urgence de la réserve sanitaire permettent de faire face aux situations les plus aiguës, dans le cadre fixé par la loi, il n’en reste pas moins qu’il conviendrait de développer une stratégie de recrutement de professionnels de santé à moyen terme et éventuellement, dans l’attente, d’élargir le cadre d’emploi de la réserve pour les Outre-Mer. Ceci pourrait permettre de mobiliser des réservistes sur des missions de quelques mois pour faire face aux pénuries de soignants et ainsi de mieux répondre aux besoins de la population en limitant le recours à la réserve dans l’urgence.

Conclusion : l’inscription dans la prévention

Ces articles du BEH sont autant d’éléments de connaissance qui permettent de construire le plaidoyer et des interventions pour agir en amont de la survenue des maladies. Il convient résolument de développer la prévention à Mayotte, et en premier lieu des interventions qui ne relèvent pas forcément du champ sanitaire : l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. Il convient aussi de soutenir toutes les actions de prévention, d’éducation et de promotion de comportements favorables à la santé, notamment en matière d’hygiène, de vaccination, de dépistages… À ce titre, il faut saluer ici l’engagement du réseau de dépistage des cancers de Mayotte (Rédéca), dont la campagne 2013-2015 de dépistage du cancer du col de l’utérus a atteint un taux de couverture de 39%, ce qui est un résultat exceptionnel dans le contexte de Mayotte (Aminata Cimmino).

Dans les prochains mois aura lieu une étude épidémiologique de grande ampleur, pilotée par Santé publique France, visant à mieux caractériser l’état de santé de la population générale résidant à Mayotte. Ses résultats permettront de définir les priorités de santé publique pour améliorer l’état de santé d’une population très exposée à de nombreux risques sanitaires.

Citer cet article

Bourdillon F, Filleul L. Éditorial. Mayotte : mieux connaître pour agir efficacement. Bull Epidémiol Hebd. 2017;
(24-25):510-2. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/24-25/2017_24-25_0.html

(1) Cour des comptes. La santé dans les Outre-Mer, une responsabilité de la République – juin 2014. https://www.ccomptes.fr/fr/
publications/la-sante-dans-les-outre-mer-une-responsabilite-de-la-republique
(2) Stratégie nationale de santé. La stratégie de santé pour les Outre-Mer http://peidd.fr/IMG/pdf/2016-05-23_strategie_sante__769__outre-mer.pdf
(3) La Cire OI est basée à Saint-Denis à La Réunion. Elle a sous sa responsabilité l’antenne de Mayotte.