Dépistage du cancer du col de l’utérus à Mayotte : principaux résultats de la deuxième campagne Rédéca, 2013-2015

// Cervical cancer screening in Mayotte Island (France): main results of the second RÉDÉCA campaign, 2013-2015

Aminata Cimmino (aminatacimmino@yahoo.fr)
Rédéca Mayotte (Réseau de dépistage des cancers à Mayotte), Mamoudzou, Mayotte, France
Soumis le 04.05.2017 // Date of submission: 05.04.2017
Mots-clés : Cancer du col de l’utérus | Dépistage | Suivi des anomalies | Lésions précancéreuses du col | Mayotte
Keywords: Cervical cancer | Screening | Abnormalities monitoring | Precancerous cervical lesions | Mayotte

Résumé

Introduction –

Le Réseau de dépistage des cancers de Mayotte (Rédéca) assure l’organisation du dépistage du cancer du col de l’utérus depuis 2010. Cet article présente les principaux résultats de l’activité et du suivi de sa 2e campagne de dépistage, menée de 2013 à 2015.

Méthodes –

Le dépistage s’adresse à toutes les femmes âgées de 25 à 65 ans, avec ou sans couverture sociale, selon un mode d’invitation assuré principalement par les professionnels de santé associés au réseau et par les médiatrices de santé Rédéca. Les examens cytologiques sont réalisés en milieu liquide et envoyés en région parisienne pour analyse. Le réseau s’assure du suivi diagnostique et thérapeutique selon les recommandations nationales, en partenariat avec le Centre hospitalier de Mayotte (CHM).

Résultats –

À l’issue de la 2e campagne de dépistage du cancer du col de l’utérus 2013-2015, le taux de couverture était de 39% versus 36% à l’issue de la campagne précédente 2010-2012. Les lésions cytologiques de type ASCUS (atypies cellulaires malpighiennes de signification indéterminée) représentaient l’anomalie la plus fréquente entre 25 et 49 ans. Les lésions de haut grade étaient 2,5 fois plus importantes que la moyenne observée dans quatre départements pilotes de France métropolitaine (Alsace, Isère, Indre-et-Loire et Maine-et-Loire) : 7,1 frottis HSIL pour 1 000 femmes dépistées à Mayotte en 2014 versus 2,8 frottis HSIL pour 1 000 femmes dépistées pour l’ensemble des quatre départements métropolitains entre 2010 et 2014. Près de la moitié des frottis anormaux suivis d’une histologie présentaient des lésions cytologiques de haut grade HSIL. Durant la 2e campagne, 6 cancers ont été découverts à la suite du dépistage organisé par Rédéca Mayotte.

Conclusion –

Les résultats obtenus permettent d’apporter des éléments d’informations sur la prévalence élevée des lésions précancéreuses du col de l’utérus à Mayotte, mais aussi sur les moyens nécessaires pour leur prise en charge. Ils soulignent l’importance d’une structure organisatrice du dépistage à Mayotte pour augmenter la couverture du dépistage, tenant compte des inégalités de recours et d’accès aux soins très présentes sur le territoire et dans la perspective de la généralisation à la France entière du dépistage du cancer du col utérin en 2018.

Abstract

Introduction –

The Mayotte Cancer Screening Network (REDECA) has been responsible for cervical cancer screening since 2010. This article presents the main results of its activities and the main results of the follow-up of its second screening campaign, conducted from 2013 to 2015.

Methods –

Screening concerns all women aged 25 to 65, with or without social coverage, according to an invitation procedure provided mainly by healthcare professionals associated with the network and by the REDECA health mediators. The cytological examinations were carried out in liquid media and sent to mainland France for analysis. The network ensures diagnostic and therapeutic follow-up according to national recommendations, in partnership with the Mayotte Hospital.

Results –

At the end of the second cervical cancer screening campaign in 2013-2015, the coverage rate was 39% versus 36% at the end of the previous campaign (2010-2012). ASCUS-type cytological lesions (atypical glandular cells of undetermined significance) were the most frequent abnormalities between 25 and 49 years of age. High-grade lesions were 2.5 times higher than the average observed in four pilot districts of metropolitan France (Alsace, Isère, Indre-et-Loire and Maine-et-Loire): 7.1 HSIL smears per 1,000 women screened in Mayotte in 2014 versus 2.8 HSIL smears per 1,000 women screened for all four metropolitan districts between 2010 and 2014. Almost half of the abnormal smears followed by histology showed high grade HSIL cytological lesions. During the second campaign, 6 cancers were detected following screening organized by REDECA Mayotte.

Conclusion –

The results obtained provide information on the high prevalence of precancerous lesions of the cervix in Mayotte, but also on the means needed to treat them. They emphasize the importance of a screening structure in Mayotte to increase coverage, taking into account inequalities in access to care and the presence of care on the territory, and with a view to the generalization of cervical cancer screening in France in 2018.

Introduction

En France métropolitaine, l’incidence du cancer du col de l’utérus a été estimée, en 2015, à 2 797 nouveaux cas, avec 1 092 décès 1.

Au début des années 1990, des initiatives locales de dépistage organisé du cancer du col de l’utérus ont été menées en France, notamment dans quatre départements (Isère, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Martinique), toujours actives en 2010. Chacune de ces structures avait sa propre organisation, notamment pour la population ciblée et le mode d’invitation au dépistage 2. En 2010, une expérimentation de dépistage organisé du cancer du col de l’utérus selon un protocole commun, pilotée par la Direction générale de la santé (DGS) et cofinancée par l’Institut national du cancer (INCa), a été menée dans 13 départements. Elle a consisté notamment à inciter au dépistage les femmes de 25-65 ans qui n’avaient pas réalisé spontanément de frottis cervico-utérin dans les trois dernières années. L’évaluation de cette expérimentation, menée par l’Institut de veille sanitaire en 2014 (devenu Santé publique France), a permis de montrer le rôle important des structures de gestion sur lesquelles reposait l’organisation du dépistage dans l’augmentation du nombre de femmes dépistées et du taux de couverture du dépistage du cancer du col 3.

À Mayotte, avant 2010, le dépistage du cancer du col était réalisé à la seule initiative des professionnels de santé ou résultait de la démarche individuelle des femmes. Moins de 1 000 frottis étaient réalisés chaque année sur le territoire, soit chez moins de 3% des femmes âgées de 15 à 65 ans (référence Insee, recensement de la population 2007). Les diagnostics de cancer du col de l’utérus étaient établis à des stades très avancés, traduisant à la fois un retard important au diagnostic et à la prise en charge. Ainsi, selon les données de mortalité disponibles pour le département, les cancers gynécologiques ont représenté, entre 2008 et 2014, les principales causes de décès chez les femmes, avec au premier rang le cancer du sein (17,5% ; 37 cas/214), suivi par le cancer de l’utérus (15,6% ; 33 cas/214) 4. Entre 2009 et 2012, parmi les 167 cas de cancers gynécologiques pris en charge au Centre hospitalier de Mayotte (CHM), le cancer du col de l’utérus était en seconde position (59 cas), derrière le cancer du sein (95 cas) et suivi des cancers de l’ovaire (10 cas) et de l’endomètre (3 cas). En 2015, ce sont 18 cas de cancers invasifs du col qui ont été diagnostiqués au CHM alors qu’en 2012, 19 cas avaient été pris en charge 5.

Le contexte mahorais est très spécifique, tant en ce qui concerne les caractéristiques démographiques et socioculturelles de la population que l’offre de soins. À Mayotte, seul un habitant sur deux est affilié à la caisse de sécurité sociale ; les dispositifs tels que la couverture maladie universelle (CMU) et complémentaire (CMUc) et l’Aide médicale d’état (AME) n’existent pas 4, et 40% de la population est étrangère (Insee, recensement la population, 2012). S’y ajoutent des croyances erronées, fortement ancrées dans la culture mahoraise, sur les risques d’infections sexuellement transmissibles (IST) ; une grande part de la population mahoraise, notamment féminine, méconnait les risques des IST, parmi lesquelles l’infection par le virus HPV (papilloma virus humain) qui peut conduire au développement du cancer du col de l’utérus. Par ailleurs, plus de la moitié des femmes ne maîtrisent pas les compétences de base à l’écrit en français, le shimahoré étant la langue maternelle la plus courante 6. Il n’y a pas de transports en commun et les temps de parcours sont longs pour des distances courtes. Enfin, Mayotte est le département le plus jeune de France : la fécondité y est élevée (en moyenne 7 000 naissances/an) et 60% de la population est âgée de moins de 25 ans 4.

La densité médicale y est la plus faible de tous les départements français, les médecins exerçant majoritairement dans le secteur public. Il n’y a, en particulier, pas d’anatomo-cytopathologiste sur l’île. En revanche, la densité des sages-femmes y est la plus élevée de France 7. L’offre de soins est structurée principalement autour du Centre hospitalier de Mayotte (CHM), situé dans le chef-lieu à Mamoudzou, et de ses quatre antennes périphériques qui permettent d’assurer des consultations de premiers recours (au Nord, Sud, Est et Ouest de l’île). Il existe aussi 13 dispensaires et une vingtaine de centres de Protection maternelle et infantile (PMI), répartis sur le territoire.

C’est dans ce contexte que des professionnels de santé de Mayotte, avec le soutien d’institutions, dont l’Agence de santé Océan Indien (ARS-OI), ont décidé de créer une structure assurant l’organisation et la promotion du dépistage des cancers sur l’ensemble du territoire de Mayotte : l’association Rédéca (Réseau de dépistage des cancers). En 2010, Rédéca a lancé sa 1ère campagne de dépistage du cancer du col de l’utérus sur l’ensemble du territoire pour une durée de trois ans (2010-2012). L’objet principal était d’inciter les femmes âgées de 25 à 65 ans à réaliser ce dépistage au moins une fois tous les trois ans, en s’appuyant sur le cahier des charges national 8.

À l’issue de cette 1ère campagne, le taux de couverture global avait atteint 36% de la cible avec 13 877 femmes dépistées, alors que ce taux était de 41,6% en Martinique et de 72,5% en Alsace sur la même période 3. Ce taux était variable selon l’âge des femmes et le type de professionnels de santé effectuant le dépistage : chez les femmes de 25-39 ans, la couverture était de 44%, puis elle diminuait à partir de 40 ans et atteignait 11% à l’âge de 55 ans. Les sages-femmes avaient réalisé 71% des frottis totaux du circuit Rédéca, les médecins généralistes 18% et les gynécologues 11%. Enfin, 11 cancers avaient été découverts, dont 9 chez des femmes ayant entre 43 et 54 ans 9.

À la suite de cette 1ère campagne, une 2e a été lancée sur la période 2013-2015, selon les mêmes modalités. Elle s’est inscrite dans le cadre du plan cancer 2014-2019, visant à lutter contre les inégalités d’accès et de recours au dépistage, avec notamment la perspective de la généralisation du dépistage du cancer du col à l’ensemble du territoire français 10. Il s’agissait d’inciter toutes les femmes de Mayotte âgées de 25 à 65 ans à réaliser au moins un frottis de dépistage tous les trois ans avec, pour atteindre les femmes les plus éloignées des centres de soins, la mise en place de consultations de proximité.

Cet article présente les principaux résultats de l’activité et du suivi de cette 2e campagne de dépistage 2013-2015.

Méthodes

La population cible

Le dépistage est gratuit et s’adresse à toutes les femmes de l’île âgées entre 25 et 65 ans, qu’elles soient ou non affiliées à la Caisse de Sécurité sociale de Mayotte.

Il vise en particulier les femmes qui n’ont pas réalisé de frottis durant les trois années précédentes, mais aussi celles qui l’ont déjà réalisé pour les inciter à bien respecter les recommandations du dépistage, à savoir la réalisation d’un frottis tous les trois ans.

Modalités d’organisation et territoire d’intervention

Stratégie d’invitation

Dans les autres départements français ayant expérimenté le dépistage organisé, les femmes sont invitées par courrier envoyé par la structure de gestion, selon des critères d’éligibilité, notamment celui de ne pas avoir réalisé de dépistage dans les trois ans.

Rédéca Mayotte n’envoie pas d’invitation, la structure ne disposant pas, à ce jour, de fichiers de données transmis par l’Assurance maladie. De plus, dans un contexte où existent des incertitudes sur l’état civil et les adresses des administrés, avec un nombre de retour de plis non distribués très important, l’efficacité d’une invitation par voie postale est très incertaine 11.

Rédéca s’appuie sur un réseau de plus de 150 professionnels, médecins et sages-femmes, exerçant dans le secteur libéral et public, pour assurer la promotion et la réalisation du dépistage du cancer du col. De plus, trois médiatrices de santé Rédéca mènent des actions de terrain et d’éducation à la santé auprès de la population, en lien avec les acteurs et leaders communautaires, sur l’ensemble du territoire. Des réunions de sensibilisation et des manifestations sont organisées, au cours desquelles les informations sont délivrées en français et en langues locales (shimahoré et shibushi). Enfin, la structure communique via les médias locaux (TV, radio) et diffuse des affiches, dépliants et livrets d’information, dont la majorité ont été développés par Rédéca, pour assurer la promotion du dépistage du cancer, tout en tenant compte des spécificités culturelles et linguistiques de la population de Mayotte.

L’organisation du dépistage

Les femmes sont recrutées par les professionnels de santé associés à Rédéca, lors des consultations médicales, gynécologiques ou, le plus souvent, lors du suivi prénatal des femmes enceintes.

Des consultations de frottis de dépistage sont également dispensées par la sage-femme coordinatrice de Rédéca (SFC) ou par une sage-femme vacataire, accompagnée par une des médiatrices de santé du réseau. Elles se déroulent soit au siège de l’association (deux fois par semaine), soit dans les maternités des antennes périphériques et les dispensaires du CHM, ainsi que dans un camion de dépistage itinérant, dans les différents villages de l’île (depuis septembre 2014).

Tous les examens sont effectués en milieu liquide. Le matériel nécessaire à la réalisation des frottis est apporté aux différents professionnels du réseau par la coursière de Rédéca, qui récupère ensuite tous les prélèvements pour analyse (tournée hebdomadaire sur toute l’île). La secrétaire de Rédéca saisit l’ensemble des informations nécessaires à l’analyse des frottis dans une base de données, et les prélèvements sont ensuite envoyés depuis le réseau vers le laboratoire Cerba, situé en région parisienne, pour l’analyse des frottis. Si une biopsie est réalisée, elle est adressée au laboratoire du Centre hospitalier universitaire de La Réunion (site Nord), qui en réalise l’analyse histologique.

Modalités de suivi

Les résultats des frottis cervico-utérins sont régulièrement adressés par le laboratoire Cerba à Rédéca sous format papier, en double exemplaire. Un échange simple de fichiers par transmission cryptée a aussi été mis en place entre Rédéca et le laboratoire, pour un traitement rapide et sécurisé des demandes d’analyse, ainsi que pour faciliter l’enregistrement des résultats dans la base de données du réseau et limiter ainsi les erreurs liées à la saisie manuelle.

Un rendez-vous pour la remise des résultats est proposé aux femmes pour le mois suivant la réalisation du frottis ; un carnet de suivi a été mis en place, afin d’y inscrire les examens réalisés, les résultats, la date prévue du prochain frottis. À défaut, ces informations sont reportées sur le carnet de santé (« carnéti ») où tout le suivi médical est consigné, faute de dossier patient informatisé partagé.

La SFC assure le suivi des frottis de dépistage et celui des frottis anormaux, en lien avec le service de gynécologie du CHM. Lorsque les résultats arrivent à la structure, la SFC contrôle et complète au besoin l’enregistrement des résultats du frottis dans la base de données, ainsi que ceux des histologies si des biopsies ont été réalisées. La transmission directe des résultats des histologies à Rédéca n’a été effective qu’à partir de 2015.

Une consultation spécifique, mise en place au CHM, permet d’assurer la continuité de la prise en charge des femmes si la réalisation d’examens complémentaires diagnostiques (colposcopie et/ou biopsie), voire une prise en charge thérapeutique (conisation) se révèlent nécessaires. La secrétaire de Rédéca propose les rendez-vous aux femmes concernées, selon les disponibilités transmises par le service de consultations du CHM. La SFC informe le préleveur des résultats des examens et de la conduite à tenir en cas d’anomalie, et enregistre les résultats dans la base de données.

Un arbre décisionnel, élaboré conjointement par Rédéca et le CHM, est mis à disposition des professionnels du réseau 12. Il reprend les recommandations de suivi en cas de frottis normal (un frottis tous les trois ans, après deux frottis normaux à un an d’intervalle). Il indique la conduite à tenir en cas de frottis anormal, telle que préconisée par l’Anaes (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé) en 2002 13. Ainsi, en cas d’atypies cellulaires malpighiennes de signification indéterminée (ASC-US), trois stratégies sont proposées : 1– une colposcopie d’emblée ; 2– un frottis de contrôle six mois plus tard avec colposcopie en cas de persistance ; 3– une recherche d’HPV potentiellement oncogènes. Le typage HPV n’a été réalisé de manière systématique pour tout frottis de type ASC-US que durant l’année 2014, dans un but de « triage », pour limiter le nombre de femmes orientées vers l’unique consultation de colposcopie de l’île. Un suivi colposcopique était alors proposé en cas de détection d’HPV 16 et 18. Par ailleurs, ce suivi était systématique en cas de lésion cytologique de haut grade, ou devant la persistance d’une lésion de bas grade au frottis de contrôle.

Les indicateurs retenus pour l’évaluation

Ils font partie de ceux présentés dans le guide de Santé publique France 14. Ils permettent d’évaluer le processus de dépistage mis en place par Rédéca chaque année et à l’issue d’une campagne. Ils concernent toute la 2e campagne 2013-2015.

Les indicateurs d’activité de dépistage

L’activité globale : il s’agit du nombre total de frottis réalisés en 2013, 2014 et 2015 dans le circuit Rédéca, y compris chez les femmes âgées de moins de 25 ans ou de plus de 65 ans. Elle inclut les frottis de dépistage et de contrôle.

Parmi les frottis de dépistage, on distingue :

les premiers frottis réalisés dans le circuit Rédéca. Ce nombre permet de déterminer ensuite le nombre de femmes dépistées. Ils sont comptabilisés à partir de l’entrée dans la campagne ;

les frottis de dépistage « triennal » : ce sont principalement les frottis faits un an après le premier frottis de dépistage.

La répartition de l’activité par catégorie de professionnel de santé durant la 2e campagne 2013-2015 : il s’agit de la part de frottis réalisée par chaque catégorie de professionnel de santé rapportée à l’ensemble des frottis de dépistage réalisés durant la 2e campagne (frottis de contrôle non compris).

Le taux de couverture sur trois ans : il correspond au nombre de femmes ayant réalisé au moins un frottis cervico-utérin en trois ans dans le circuit Rédéca, enregistré dans la base de données du réseau et rapporté à la population cible moyenne au cours de ces trois années (référence Insee 2012 15).

L’effectif de femmes dépistées par classe d’âge quinquennale durant la période 2013-2015 : il correspond au nombre de femmes dépistées âgées de 25 à 65 ans, pour chacune des années 2013, 2014 et 2015.

Les indicateurs de qualité des tests

L’évaluation de la qualité des tests porte sur tous les frottis enregistrés dans la base Rédéca pour lesquels le caractère satisfaisant ou non est connu. La SFC s’assure régulièrement de l’exhaustivité des données de cytologie, qui approche 100% pour les années considérées. Seuls les résultats des années 2014 et 2015 sont présentés pour l’évaluation, car 2013 a été une année de transition entre plusieurs laboratoires, rendant difficile la comparaison qualitative des frottis.

Les indicateurs retenus sont :

Le pourcentage de frottis anormaux : nombre de frottis de dépistage présentant une anomalie cytologique, rapporté au nombre total de frottis réalisés.

La répartition des anomalies cytologiques parmi les premiers frottis anormaux de la période, calculée pour les six principales anomalies cytologiques :

1. ASC-US : atypies des cellules malpighiennes de signification indéterminée

2. ASC-H : atypies cellulaires malpighiennes ne permettant pas d’exclure une lésion intraépithéliale de haut grade

3. AGC : atypies des cellules glandulaires

4. LSIL : lésion malpighienne intra-épithéliale de bas grade

5. HSIL : lésion malpighienne intra-épithéliale de haut grade

6. Évocateur de cancer (carcinome épidermoïde, adénocarcinome, adénocarcinome in situ)

Ces indicateurs (anomalie par anomalie) quantifient les différentes anomalies cytologiques retrouvées dans la population dépistée. Ils permettent notamment des comparaisons avec les taux de lésions histologiques et sur les HSIL (qui ont une concordance cyto-histologique élevée).

Les lésions histologiques et les cancers détectés

Les résultats histologiques font suite à une biopsie ou une exérèse après un frottis anormal.

Les données histologiques disponibles dans la base de données Rédéca concernent seulement les premiers frottis et non pas l’ensemble des frottis réalisés dans le cadre du dépistage, par manque d’exhaustivité des résultats d’histologies reçus.

Résultats

Activité globale

Au cours de la 2e campagne de dépistage, une augmentation importante du nombre total de frottis réalisés dans le circuit Rédéca a été observée, augmentation de 32 points de pourcentage entre 2013 et 2015 avec respectivement 5 370 et 7 075 frottis réalisés (figure 1). Le nombre de premiers frottis est resté relativement stable (3 500/an en moyenne), le plus grand nombre (3 852) ayant été réalisé en 2014.

Figure 1 : Évolution de l’activité globale de dépistage du cancer du col de l’utérus durant la deuxième campagne Rédéca 2013-2015, Mayotte, France
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Activité de dépistage par type de professionnel de santé

Ce sont les sages-femmes (incluant les sages-femmes Rédéca) qui ont contribué le plus largement à l’activité dans le réseau de professionnels, réalisant 90% des frottis du circuit Rédéca durant la campagne 2013-2015 (figure 2).

Figure 2 : Répartition de l’activité globale de dépistage du cancer du col de l’utérus par type de professionnel de santé durant la campagne Rédéca 2013-2015, Mayotte, France
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Taux de couverture

Sur la période 2013-2015, l’effectif moyen de l’ensemble de la population cible de Mayotte était de 43 572 femmes, avec un taux de croissance annuel de 2,7% (41 301 femmes âgées de 25 à 65 ans en 2012).

Durant cette 2e campagne, 17 274 femmes ont eu au moins un frottis de dépistage.

Le taux de couverture sur 3 ans était donc de 39% versus 36% à l’issue de la 1ère campagne 2010-2012 (13 877 femmes dépistées pour une population cible estimée à 38 618).

Activité par tranche d’âge quinquennale des femmes

L’activité de dépistage était la plus élevée chez les femmes âgées de 25 à 34 ans. Cependant, l’augmentation d’activité globale observée sur cette période a concerné toutes les tranches d’âge de 25 à 65 ans, y compris celles à partir de 40 ans, âge de transition à partir duquel l’activité diminue très nettement (figure 3).

Figure 3 : Effectif de femmes dépistées par classe d’âge quinquennale durant la deuxième campagne Rédéca de dépistage du cancer du col de l’utérus, 2013-2015, Mayotte, France
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Qualité des tests

Parmi les frottis de dépistage satisfaisants, 7% ont été jugés anormaux aussi bien en 2014 qu’en 2015.

Les deux anomalies cytologiques les plus fréquentes étaient les ASC-US et les LSIL ; elles représentaient 79% de l’ensemble des anomalies cytologiques en 2015 (82,5% en 2014).

On observait des proportions importantes de lésions HSIL et ASC-H (tableau 1).

Tableau 1 : Répartition des anomalies cytologiques parmi l’ensemble des frottis anormaux en 2014 et 2015, Rédéca Mayotte
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En 2015, la répartition des frottis anormaux selon l’âge indiquait que l’anomalie la plus fréquente dans la classe d’âge 25-49 ans était l’ASC-US (comme lors de la 1ère campagne), suivie des LSIL, puis des HSIL et des ASC-H (figure 4). Les frottis évocateurs de cancers concernaient principalement les femmes âgées entre 55 et 65 ans.

Cette répartition était comparable en 2014.

Figure 4 : Répartition des anomalies cytologiques en 2015 chez les femmes dépistées (premiers frottis) par classe d’âge quinquennale durant la deuxième campagne Rédéca de dépistage du cancer du col de l’utérus, Mayotte, France
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Les lésions histologiques et les cancers détectés

Les lésions histologiques

En 2015, 57 histologies ont été réalisées au CHM suite à un frottis anormal (premier frottis de la période).

Parmi les frottis concernés par ces histologies, 49% (n=28) avaient des lésions précancéreuses de haut grade versus 42% en 2014, 32 % des atypies malpighiennes de type ASC-H versus 26% en 2014, et 5% des atypies malpighiennes de type ASC-US versus 20% en 2014 (tableau 2).

Malgré des résultats histologiques incomplets, ce sont 28 lésions malpighiennes intra-épithéliales de haut grade (HSIL), 2 carcinomes épidermoïdes micro-invasifs et 1 carcinome épidermoïde invasif qui ont été détectés sur les 57 femmes ayant bénéficié d’une histologie à l’issue de leur premier frottis anormal en 2015.

Tableau 2 : Répartition des frottis anormaux suivis d’une histologie (premier FCU de la période) en 2015, Rédéca Mayotte
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Les cancers détectés

Durant la 2e campagne, 6 cancers ont été diagnostiqués suite au dépistage organisé par Rédéca :

En 2013 : 1 cas

En 2014 : 2 cas (29 ans et 50 ans)

En 2015 : 3 cas (37, 56 et 60 ans), alors que 18 cancers ont été diagnostiqués au sein du CHM.

Discussion – conclusion

Cet article présente les principaux résultats descriptifs de l’activité et du suivi de la 2e campagne de dépistage du cancer col de l’utérus organisée par le réseau Rédéca à Mayotte de 2013 à 2015. L’organisation mise en place pour promouvoir ce dépistage a permis d’augmenter le taux de couverture par rapport à la campagne précédente, l’amenant à près de 40% de la population cible en 2015. Pour autant, ce taux ne prend pas en compte les femmes qui ont eu recours au frottis de dépistage « en dehors du réseau ». Il faudrait pouvoir systématiser le recueil de données auprès du seul laboratoire privé de Mayotte, vers lequel sont adressés ces frottis avant envoi en métropole pour analyse cytologique.

Les femmes les plus dépistées dans le réseau sont celles en âge de procréer. Ceci est probablement lié au mode de recrutement des femmes par les professionnels et à l’opportunité du suivi prénatal pour réaliser le frottis de dépistage. Rédéca Mayotte pourrait s’appuyer sur la généralisation du dépistage du cancer du col de l’utérus en 2018 pour augmenter le nombre de femmes dépistées. En effet, le réseau pourrait alors disposer des données de l’Assurance maladie et adresser des courriers d’invitation au dépistage, notamment aux femmes qui ne se font pas spontanément dépister individuellement, mais aussi pour effectuer des relances.

La proportion de 7% de frottis anormaux parmi les frottis de dépistage retrouvée à Mayotte est élevée. Elle est supérieure à celle observée à La Réunion (5,7%) et en Isère (5,1%) entre 2010 et 2014 3. Ce pourcentage est le plus élevé chez les jeunes femmes entre 25 et 35 ans et il diminue avec l’âge, comme dans d’autres départements français tels que La Réunion et l’Alsace 3.

Selon le cahier des charges national, cet indicateur doit être proche de 4% en France métropolitaine, un pourcentage de frottis anormaux trop élevé pouvant signifier une proportion importante de faux positifs 16. Une hypothèse pourrait expliquer ces écarts d’observations : ces résultats pourraient être liés à un contexte épidémiologique différent à Mayotte de celui observé en métropole, tout comme en Martinique ou à La Réunion 17. En effet, la fréquence de l’anomalie HSIL est 2,5 fois plus élevée à Mayotte que la fréquence moyenne observée sur l’ensemble de quatre départements métropolitains (Alsace, Isère, Indre-et-Loire et Maine-et-Loire), sur la période 2010-2014 3, avec 7,1 frottis HSIL pour 1 000 femmes dépistées à Mayotte en 2014 versus 2,8 frottis HSIL pour 1 000 femmes dépistées pour l’ensemble des quatre départements entre 2010 et 2014.

En ce qui concerne le suivi des frottis ASC-US associé à un typage HPV, une étude permettant d’estimer la prévalence de l’infection HPV et des différents génotypes HPV oncogènes serait pertinente étant donnée la fréquence élevée de cette anomalie dans la population dépistée de Mayotte. Un autoprélèvement vaginal pourrait être proposé dans le cadre du dépistage primaire, avec un test HPV de triage en amont d’un éventuel frottis cervico-utérin, permettant aussi d’augmenter la couverture de dépistage 18.

Les résultats de prévalence des HPV pourraient encourager les autorités de santé à mettre en œuvre une campagne de vaccination adaptée sur l’ensemble du territoire. L’enjeu est d’autant plus important que la population de Mayotte comprend près de 60% de jeunes de moins de 25 ans. Or, à ce jour, il n’existe pas de programme de vaccination contre le virus HPV à Mayotte.

Il serait aussi important de déterminer le pourcentage de frottis anormaux non confirmés par un examen complémentaire au vu de la proportion élevée de lésions de haut grade, en particulier chez les femmes ayant comme premier frottis un frottis anormal. Mais les données des résultats histologiques sont très insuffisantes, d’une part en raison des difficultés à recueillir les résultats et, d’autre part, suite à une nette diminution du nombre de consultations de colposcopie durant cette 2e campagne, notamment en 2013 et 2015, liée à la hausse de l’activité d’obstétrique, avec peu de praticiens disponibles pour réaliser le suivi diagnostique et thérapeutique des femmes présentant des frottis anormaux. Par ailleurs, cette situation engendre des délais de prise en charge plus longs, notamment pour les lésions précancéreuses de bas grade, la priorité étant donnée aux lésions de haut grade, ce qui est illustré par une proportion importante de haut grade suivis d’une histologie en 2015, en augmentation par rapport à 2014.

En conclusion, les résultats obtenus permettent d’apporter des éléments d’informations sur la prévalence élevée des lésions précancéreuses du col de l’utérus à Mayotte entre 2010 et 2015, mais aussi sur les moyens disponibles pour leur prise en charge. Ils soulignent aussi l’importance d’une structure organisatrice du dépistage du cancer du col à Mayotte, pour inciter un maximum de femmes ciblées par ce dépistage.

Il s’agit, pour Rédéca Mayotte, de consolider les indicateurs de qualité des examens et du suivi nécessaires à l’évaluation, et de pérenniser l’activité de suivi des lésions précancéreuses en partenariat avec le CHM, dans un contexte de généralisation du dépistage du cancer du col attendu dès 2018. Cette évolution aura aussi un impact sur les inégalités d’accès et de recours au dépistage par un élargissement de la population dépistée, au-delà des femmes en âge de procréer et du suivi prénatal.

Remerciements

L’auteur tient à remercier le Dr M. Abdou, Président de l’association Rédéca Mayotte et Chef de pôle de gynécologie-obstétrique au Centre hospitalier de Mayotte (CHM), les membres du bureau et l’ensemble de l’équipe Rédéca, le service de consultation du CHM et les gynécologues pour le suivi diagnostique et thérapeutique : les Dr M. Largeaud, Z. Stewart, É. Garcin, A. Grouin, P. Baissas, P. Zelli, L. Didia, le Pr M. Boukerrou, le Dr A. Birsan, le Pr P. von Theobald, le Dr C. Ndekezi, le Dr Demay et le Dr A. Nazac ; le Dr C. Bergeron et son équipe pour le suivi cytologique ; Mr Hamelin et toute l’équipe OSI Santé, l’Agence de santé Océan Indien, le Dr C. Larsen de Santé publique France, l’ensemble des partenaires et professionnels de santé, pour leur implication dans la prévention du cancer à Mayotte.

Références

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2 Duport N. Point sur l’épidémiologie et le dépistage du cancer du col de l’utérus en France. [Internet]. Collège national des gynécologues et obstétriciens Français. Trente-troisièmes journées nationales; 2009. 13 p. http://www.cngof.asso.fr/d_livres/2009_GM_455_duport.pdf
3 Beltzer N, F.Hamers F, Duport N. Résultats finaux de l’évaluation du dépistage du cancer du col de l’utérus organisé dans 13 départements en France, 2010-2014. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(2-3):26-31. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=13237
4 Agence de santé Océan Indien, Cire Océan indien de Santé publique France, Observatoire régional de la santé Océan Indien. Situation sanitaire Réunion Mayotte. [Internet]. 2017. https://www.ocean-indien.ars.sante.fr/sites/default/files/2017-03/5-PRS%202%20DIAGNOSTIC%20Situation%20sanitaire%20R%C3%A9union%20et%20Mayotte_Janvier%202017_0.pdf
5 Réseau régional de cancérologie Réunion/Mayotte (Oncorun). [Internet]. http://oncorun.net/evenements_pro.php
6 Daudin V, Michaïlesco F. Les difficultés face à l’écrit en langue française. Quatre jeunes sur dix en grande difficulté à l’écrit à Mayotte. Mayotte Infos (Insee). 2014;(70):1-6. https://www.insee.fr/fr/statistiques/1291829
7 Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. Densité médicale 2016. [Internet]. http://www.data.drees.sante.gouv.fr/ReportFolders/reportFolders.aspx?IF_ActivePath=P,490,497,514
8 Direction générale de la santé, Groupe technique national sur le dépistage organisé du cancer du col de l’utérus. Cahier des charges du dépistage organisé du cancer du col de l’utérus. Paris: DGS; 2006. 39 p. http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/cctp.pdf
9 Association Rédéca Mayotte. Rapport d’activité 2012. Bilan première campagne de dépistage du cancer du col de l’utérus. [Internet]. http://www.reseaux-sante-mayotte.fr/redace
10 Plan cancer 2014-2019. Guérir et prévenir les cancers : donnons les mêmes chances à tous partout en France. 2015. 210 p. http://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Plan-Cancer-2014-2019
11 Cour des comptes; Chambres régionales et territoriales des comptes La départementalisation de Mayotte. Une réforme mal préparée, des actions prioritaires à conduire. Paris: Documentation française ; 2016. 164 p. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/164000042/index.shtml
12 Association Rédéca Mayotte. Arbre décisionnel Rédéca. [Internet]. Mamouzou : Réseau de dépistage des cancers Mayotte ; 2013. http://www.reseaux-sante-mayotte.fr/redeca/document/arbre-decisionnel
13 Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé. Recommandations pour la pratique clinique. Conduite à tenir devant une patiente ayant un frottis cervico-utérin anormal. Actualisation 2002. Recommandations. Saint-Denis: Anaes; 2002. 21 p. https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/frottis_final_-_recommandations.pdf
14 Duport N, Serra D. Dépistage organisé du cancer du col de l’utérus– Guide du format des données et définitions des indicateurs de l’évaluation épidémiologique. Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire; 2009. 47 p. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=1643
15 Institut national de la statistique et des études économiques. Mayotte en 2012. Recensement de la population. [Internet]. Paris: Insee. https://www.insee.fr/fr/statistiques/2409395?sommaire=2409812
16 Duport N, Haguenoer K, Ancelle-Park R, Bloch J. Dépistage organisé du cancer du col de l’utérus Évaluation épidémiologique des quatre départements « pilotes ». Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire; 2007. http://opac.invs.sante.fr/doc_num.php?explnum_id=3652
17 Les cancers du col de l’utérus à La Réunion. Tableau de bord. La Réunion: Observatoire régional de la santé; 2010. 7 p.
18 Piana L, Leandri FX, Le Retraite L, Heid P, Tamalet C, Sancho-Garnier H. HPV-Hr detection by home self sampling in women not compliant with pap test for cervical cancer screening. Results of a pilot programme in Bouches-du-Rhône. Bull Cancer. 2011;98(7):723–31.

Citer cet article

Cimmino A. Dépistage du cancer du col de l’utérus à Mayotte : principaux résultats de la deuxième campagne Rédéca, 2013-2015. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(24-25):520-9. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/24-25/2017_24-25_2.html